II. Confiscations et malaise social
1. A qui profitent les confiscations ?
Des biens peu lucratifs et pour un petit nombre d’élus : force des stratégies clientélistes
Arrêtons quelque temps notre narration des circonstances politiques et prenons un peu de hauteur en examinant quelques faits transversaux. Il s’agit de nuancer nos observations sur les relations entre les élites dirigeantes de Paris et de Barcelona, et de les contrebalancer en introduisant, à travers des exemples choisis, les conséquences visibles des confiscations sur la société catalane. Le malaise social ressenti durant la guerra dels Segadors, autant dans le Principat qu’en Roussillon, a été abordé par Jordi Vidal i Pla qui inclut même la notion de « crise sociale » dans le titre de son ouvrage consacré à la période[1]. Son analyse démontre solidement les effets directs des choix politiques sur la situation économique des personnes, et l’impact des confiscations sur les élites catalanes pro-castillanes, relativement ruinées par leur exil vers la cour madrilène ou l’Aragon et forcées à se tourner vers Philippe IV afin d’obtenir un dédommagement de leurs pertes concrètes. Nos propres recherches ne peuvent que confirmer ses conclusions, difficiles cependant à appuyer sur des chiffres précis et fiables : l’exil des Catalans concerne surtout les milieux les plus privilégiés. Vidal i Pla analyse l’ouvrage contemporain du vicomte de Peralada, Ramon Dalmau de Rocabertí, Presagios fatales del mando francés en Cataluña (1646), sous-titré « De las personas que han pospuesto vidas, haciendas, hijos, estados, dignidades y puestos para cumplir con su innata fidelidad », qui contient une très longue liste de Catalans partisans de Castille dont les biens ont naturellement été confisqués. Bien qu’émettant quelques réserves dues à la finalité polémique de l’ouvrage – Rocabertí entend démontrer par l’ampleur de l’opposition catalane que la présence française est illégitime et que le souverain naturel, Philippe IV, est plébiscité par son peuple –, qualifiant l’auteur d’ « observateur aigu bien que partial »[2], Vidal reconnaît à cette liste une vraie valeur historique. Elle permet d’évaluer, si ce n’est pas la composition objective de l’exil, du moins la vision d’un contemporain sur cet exil. Vidal y relève une « forte cohésion sociale », mettant en évidence une « relation entre les classes dirigeantes liées à la terre et l’administration du vice-roi », entre « les classes dirigeantes urbaine et rurale »[3]. Il faut souligner l’importance de la date de 1646 : en se basant sur une liste produite dans une seconde période de la guerra dels Segadors, entre 1644 et 1648, la prépondérance de la noblesse se voit confirmée, et on voit que les rangs de l’exil grossissent, les expulsions volontaires et forcées augmentant à mesure que l’autorité française se raffermit. Les causes de cette augmentation, reconnue par beaucoup d’historiens, peuvent être multiples mais touchent toutes plus ou moins au nouveau visage de la puissance française : maintien d’une force militaire malgré les déconfitures, augmentation du malaise contre les excès des soldats, rôle personnel de Pierre de Marca et injustice des vice-rois, ou encore, comme nous allons le voir bientôt, inflation galopante et confusion des réseaux économiques traditionnels. Propres à la période 1644-1648, ces points semblent devoir chronologiquement et logiquement détacher nos futures observations, et donc nos commentaires sur l’analyse faite par Vidal du livre de Rocabertí, des événements de 1641-1644 qui suivent immédiatement la révolte de 1640. En partant de la liste des Presagios…, Vidal évalue donc la part du braç militar en 1646 à 95% des exilés. Ces nobles représentent 23% de la totalité de ceux qui s’étaient réunis aux Corts de 1626, soit 780 personnes en tout ; ce qui, compte tenu de la durée de 20 années pendant laquelle certains présents aux Corts ont pu mourir, nous donne un chiffre considérable.
Si l’on se penche plus précisément sur la répartition sociale de ces élites, on peut également observer que beaucoup de nobles exilés sont « senyors de vassalls », c’est-à-dire de grands feudataires exerçant une juridiction dont dépendent une myriade de plus petits seigneurs. Vidal i Pla cite l’exemple éloquent de Josep d’Ardena, propulsé comte d’Ille par la volonté française mais qui, avant la guerre, était lui-même vassal de Ramon Dalmau de Rocabertí pour sa seigneurie de Monroig. Ce lien de dépendance permet d’expliquer la volonté des petits seigneurs de se détacher de cette tutelle étouffante, et aussi la part importante de soutiens de la révolte de 1640 puis de profrançais parmi les « petits chevaliers de la frontière »[4]. On note aussi une certaine absence parmi les exilés des élites urbaines (« burgesia ilustrada »), davantage impliquées dans la révolte, dont l’oubli par Rocabertí, selon Vidal, s’explique autant par un mépris séculaire de la part de l’aristocratie[5] que par une véritable méfiance des Castillans. Le cas particulier du noble Josep Sullà, de Tremp, montre que les conséquences de la guerre et l’obligation de choisir son camp après 1642 sont multiples et complexes, dépassant de loin le seul champ politique. Convoqué en 1640 par Claris, Sullà s’excuse de maladie. Seigneur de Sapeira, il préfère veiller sur son propre château plutôt qu’aller au front, craignant de le voir confié à quelqu’un d’autre pendant son absence du fait de sa situation stratégique sur la frontière d’Aragon. Aussi, lorsque Josep de Rocabruna est nommé responsable militaire du Pallars, Sullà entre en conflit avec lui, ne tolérant pas ses interventions dans les juridictions des seigneurs. Ces heurts entraînent son premier exil. Pardonné par Harcourt en avril 1647, il rentre, avant d’être exilé une seconde fois lors de l’arrivée du prince de Condé, cette fois en France. Revenu en 1648, il sera enfin capturé une troisième fois en 1649, et contraint à se fixer en Roussillon. A travers ce parcours accidenté, entrecoupé de retours en grâce, de tolérance et de suspicion, Sullà, commente Vidal à partir du livre de raison laissé par le gentilhomme, se préoccupe surtout « de la conservation de son château, et de ce que les prélèvements de ses vassaux continuent à son niveau au cours de la guerre »[6]. En réalité, il s’agit d’une « noblesse qui ne se compromet avec aucune des deux tendances politiques en présence », en somme une noblesse « neutre »[7]. Enfin, selon les doléances des nobles réfugiés en Castille, leur exil a été le déclencheur de nombreuses révoltes sociales larvées : les soulevés, lit-on, aidaient dès 1641 les autorités à exécuter les lois de détention contre les nobles (Oms, Rocabertí). Le mouvement continue dans la deuxième phase de la guerre. Daniel de Marimon, réfugié à Madrid, fait ordonner à ses vassaux de Sant Marçal de ne pas aider les révoltés : ses propriétés sont alors saccagées et brûlées[8]. Nous verrons bientôt comment se développent ces oppositions à la noblesse et les réponses qui y sont apportées par les autorités.
Pour ce qui est des conséquences proprement économiques, Vidal i Pla les évoque logiquement pour les exilés philippistes auxquels il consacre son ouvrage. Pour lui, l’exil et la confiscation font partie, du côté français, d’une stratégie de « répression économique » réfléchie. Plus de 50% du territoire catalan restent sans seigneur juridictionnel[9]. Validant les estimations de Sanabre, il estime que les trois quarts des patrimoines de Catalogne furent confisqués[10]. Disons dès maintenant que nous ne disposons à l’heure actuelle d’aucun moyen pour confirmer ou infirmer ces hypothèses. Pour ce faire, il faudrait réaliser d’importants dépouillements des actes notariaux, qui sont les principales sources d’histoire économique pour cette période. Plusieurs difficultés se posent d’ailleurs pour évaluer l’impact économique direct, les patrimoines étant tantôt évalués en rentes, tantôt en capital. Les rentes peuvent varier entre 500 livres pour un chanoine moyen et 30 000 pour Ramon Dalmau de Rocabertí. Seuls quelques nobles, qui sont tous des seigneurs juridictionnels, dépassent les 2000 livres de revenus : Martí d’Avaria, de Tortosa, la comtesse d’Erill – qui exerce la juridiction sur quasiment tout le Pallars Jussà –, Miquel Luria y Betea, commandeur d’Asco, le comte de Montagut, Berenger d’Oms i de Santa Pau, Hug d’Ortaffa, Lluis de Peguera, Josep de Rocabertí et son cousin le comte de Peralada, Ramon Rubí i de Marimon, Francesca Terça, Joan de Marimon[11]… Les exilés, afin de réagir aux confiscations, essayent, si l’on en croit la chronique de Parets, de maintenir un membre de leur famille dans le Principat afin de continuer à toucher le plus de revenus possibles[12]. A Madrid, une « Junta de Socorros de Catalanes » est créée afin de venir en aide à ces familles, attirant beaucoup de Catalans à la cour. Une évaluation minutieuse de leurs pertes a alors lieu, qui détermine la récompense et le dédommagement qu’elles recevront[13]. Remarquons que, du côté français, un système du même type a progressivement été mis en place, chacun mettant en avant ses pertes en Aragon et à Valencia afin d’obtenir des dédommagements sur les confiscations. Nous étudierons ici seulement le côté profrançais, moins connu et plus négligé par l’historiographie, et tenterons d’illustrer, afin de l’étayer ou de la nuancer, l’impression d’un impact important au sein de la société traditionnelle : « la confiscation et la répartition des propriétés et des juridictions des exilés indiquent une fois de plus la force de la terre comme symbole et élément de richesse, à la fois parce que cette répartition est un élément de base pour comprendre les désirs d’ascension sociale et économique, et surtout les positions politiques de la part des éléments révoltés »[14]. Ces mouvements donnent lieu, du côté des gentilshommes profrançais comme, à un autre niveau, des membres des communautés villageoises, à des stratégies d’adaptation et de profit qui méritent d’être analysées pour elles-mêmes. Nous continuerons à utiliser les mêmes sources politiques judiciaires (correspondance des hommes de pouvoir, chancellerie de Catalogne), mais en étant plus sensible, cette fois, à la place des différents états de la société, du plus haut au plus bas.
La première question reste : qui profite des confiscations en Catalogne française ? ou, plus précisément, à qui profitent-elles ? Le départ fracassant du maréchal de La Mothe en 1644, la présence de Marca et la nomination du comte d’Harcourt en 1645, avaient fait sincèrement espérer aux Catalans un changement profond d’orientation du gouvernement. Les instructions données au nouveau vice-roi montraient une volonté de la cour d’élargir le champ des bénéficiares des donations. Sans aller jusqu’à parler de justice sociale, il s’agissait de veiller à ce « qu’il n’y ait aucun subject de jalousye ny de mauvaise satisfaction » : « distinguer [les bénéficiaires] par classes selon leur condition, [pour savoir] s’il sera a propos de donner les biens des particuliers a des communautez et ainsy de tout ce qui sera a faire au subject dedictes confiscations, quel bien l’on donnera a chacun, de quel revenu, de quelle nature, et en quelle maniere, n’y comprenant personne qui n’ayt bien merité du roy et de la patrie, et y observant une telle esgallité selon les conditions et les services de chacun »[15]. Néanmoins, très rapidement apparaissent le véritable usage des biens confisqués par les gouvernants locaux et les subtiles stratégies qui s’y rapportent… Un premier exemple nous permet de les suivre plus précisément, celui du duché de Cardona. Cardona, anciennement attribué au maréchal de La Mothe, s’était trouvé de nouveau disponible depuis sa disgrâce et son procès. Là encore, les intentions royales étaient officiellement de consacrer les revenus à gratifier les Catalans : à Marca, demandant que plusieurs appointements qui lui étaient dus soient assignés sur le duché, Le Tellier répond « que cette proposition certainement n’auroit pas esté bien receue, nestant pas apropos que cette nature de fondz serve a acquitter les debtes de sa Majesté, mais plustost a gratiffier ou desdommager les Catalans qui ont des biens scituez dans le pays ennemy dont ilz ne peuvent jouir a cause de la guerre »[16]… Entre temps, Marca avait réussi, acquis majeur dont nous verrons bientôt les conséquences fondamentales, à imposer son cousin l’abbé Paul de Faget au poste d’administrateur de Cardona malgré l’opposition de plusieurs Catalans[17]. Très rapidement, Harcourt, qui avait reçu de Le Tellier lorsqu’il était encore à Paris l’assurance qu’il pourrait toucher les revenus – ou au moins une partie – à son profit, revient à la charge, mais se voit déconseiller par le ministre, avec sa subtilité habituelle, de demander la propriété : « si vous veniez a en avoir le don, lon ne manqueroit pas de dire de vous ce que vous avez tesmoigné aprehender, qui est que vous aviez recherché a proffiter du malheur dudit Sr Maréchal en demandant une chose dont il a esté gratiffié tandis qu’il estoit dans le service. », les simples revenus étant « une chose par le moyen de laquelle il est plus aisé de vous gratiffier que s’il falloit tirer de l’argent de l’Espargne » [18]. Selon l’estimation de Marca, une fois que les frais de prise de possession seraient payés, il resterait 15 ou 16 000 livres catalanes (soit environ 35 000 livres tournois) sur les recettes du duché. Cette somme, équivalant seulement à ce qu’étaient les revenus du sel en 1643 parce que Lleida, Balaguer et Ager qui l’achetaient traditionnellement avaient été conquises par les Espagnols, était cependant non négligeable car, par effet de balancier, les côtes qui s’approvisionnaient avant la guerre en sel de Formentera et d’Eivissa, moins cher, étaient désormais obligées d’acheter celui de Cardona[19]. Le premier bénéficiaire est donc, sans surprise, Harcourt qui, dès le 8 décembre, reçoit des lettres royales lui attribuant 20 000 livres tournois sur les revenus du duché[20], ce qui s’élève à 57% de l’estimation totale : cette rémunération directement calculée d’après les informations de Marca[21].
Mais rapidement, l’emprise de Faget, créature du visiteur général, apparaît aux yeux de tous et suscite de violentes oppositions parmi les Catalans qui dénoncent à la cour ses profits illicites sur les recettes de Cardona. L’accusation reviendra de façon récurrente durant toutes les années de la guerre, Faget étant tantôt relevé, tantôt reconduit dans son administration. Examinons plus précisément ces griefs. En décembre 1645, on en trouve une première trace sous la plume de Marca qui tente de laver l’honneur de son parent en dénonçant les « calomnies » dont il est victime : avoir pris à son profit 600 écus d’une ferme sans les avoir employés dans le contrat, et, surtout, avoir fait augmenter le montant des fermes de l’année à 12 000 écus, contre le droit des anciens fermiers qui devaient jouir des fruits cette année-là, et contre la volonté des communautés. On voit ici apparaître le problème récurrent du renouvellement des fermes, que nous avons entrevu avant 1644, mais qui, dans la période classique de la domination française, sera dénoncé en permanence. En théorie, lorsqu’un nouvel administrateur ou séquestre entre en charge, il n’est pas censé révoquer les précédents contrats, doit les honorer et les mener à leur terme ; en revanche, il peut changer les prochaines fermes et signer contrat avec de nouvelles personnes. C’est là qu’a lieu une terrible lutte entre pourvoyeurs de fonds afin d’obtenir les nouvelles fermes, dont Marca rend témoignage afin de justifier les agissements de Faget : les fermiers, dit-il, lui avaient offert personnellement de fortes sommes afin de continuer leurs anciennes fermes, probablement désavantageuses au service du roi ; mais il avait préféré ne pas les renouveler, voire les interrompre. Pour ce dernier point, nous ne pouvons pas déterminer si Faget a rompu les contrats en cours comme ses ennemis l’ont écrit à Le Tellier, cependant, il a peut-être jugé légitime de le faire s’ils n’étaient pas honorés, d’où les plaintes et le contentieux. Marca défend évidemment son honnêteté : « il leur répondit qu’il n’estoit pas semblable à Ballestar, procureur de monsieur le maréchal de la Motte, qui avoit passé le contract »[22]. Il n’est pas non plus possible de prouver cela. Cependant, Le Tellier conserve sa confiance à Marca – juge et partie dans cette affaire – et, par extension à son cousin, quitte à fermer les yeux sur les points peu clairs au détriment des Catalans véritablement lésés…
« Il est vray qu’on a escrit pardeça qu’il y avoit eu de l’abus dans le renouvellement des baux a fermes des revenus du duché de Cardonne. Mais j’ay tres bien recongnu par l’estat qu’il vous a plû m’envoyer il y a quelque temps, et par ce que vous m’avez escrit nouvellement sur ce subject, que ceux qui en ont ainsy parlé n’avoyent pas une entiere congnoissance de la chose ou estoyent malicieux. Si bien, Monsieur, que vous et Monsieur l’abbé Faget debvez estre en repos de ce costé la, la royne estant entierement satisfaite de son administration »[23].
Puis Harcourt reprend lui-même la liberté de faire des dons sur les revenus de Cardona. Faget, fragilisé localement, en froid avec les fermiers et les communautés, peine à les acquitter : l’expédient, exactement comme sous la vice-royauté de La Mothe, est de transférer le paiement de ces sommes sur les revenus d’autres biens confisqués aux mains du trésorier Bru comme le comté de Santa Coloma[24]. Cela n’empêche pas l’hostilité de s’installer entre Harcourt – désireux de frustrer Marca sur tous les fronts – et Faget, qui se voit déchargé de sa fonction à la mi avril 1646[25]. Harcourt, non sans une certaine facilité, fait siennes les revendications des fermiers catalans qui se plaignent de l’abbé, et nomme à des fonctions clés de l’administration du duché, par décret, des membres de la clientèle opposée à Marca et Margarit, appartenant aux élites citadines de Barcelona[26]. Après la déconfiture d’Harcourt et son départ, Faget est remis dans ses fonctions par le prince de Condé, avec la faculté expresse de révoquer les officiers du duché, limiter ou augmenter leur pouvoir, en créer de nouveaux[27] : c’est le retour en grâce d’une clientèle contre une autre.
Il est certain que la charge d’administrateur général devait elle-même rapporter un certain profit à son possesseur. Sinon, comment expliquer la véhémence avec laquelle Faget s’y accroche quand, une nouvelle fois, en 1648, il est limogé par le Cardinal Sainte-Cécile qui lui aussi déteste Marca ? Lorsque ce vice-roi italien nomme son compatriote Mario Leoncelli, l’abbé multiplie les embûches pour le décourager ; l’homme abandonne, et Faget revient pour quelque temps[28]. L’important est que, jusqu’au conflit avec Leoncelli, la rémunération exacte de l’administrateur général était restée dans un certain flou : Marca, pour des raisons compréhensibles, ne communiquait pas sur la question. Lorsqu’il envoie à Le Tellier un mémoire pour défendre son protégé contre l’Italien, il liste les diverses sortes d’abus qu’un administrateur peut commettre pour s’enrichir. Evidemment, l’idée est que Faget, contrairement à tout Catalan qu’on pourrait nommer, ne tombera pas dans ces ornières. Dans les faits, les arrangements n’allèrent peut-être pas aussi loin ; mais les excès listés par Marca montrent bien sa parfaite lucidité sur les limites du contrôle effectif de cette administration : accords occultes avec les officiers vendant le sel ; construction de magasins secrets pour détourner du sel et le vendre à un meilleur prix ; vente des offices de gouverneurs, assesseurs, trésoriers, batlles ; soumission de comptes mensongers faisant passer dans les dépenses des sommes détournées[29]… Mais on ne trouve pas grand chose sur les profits réels de l’administrateur. C’est sous la plume de Leoncelli lui-même qu’on apprend que Sainte-Cécile, afin de lui procurer « les émoluments habituels », lui a alloué un pourcentage des revenus du duché : 1 réal pour livre, soit 10%[30]. Nous n’avons pas trouvé de preuve que Le Tellier fût au courant d’un tel procédé avant cette date : Faget percevait le pourcentage à l’insu de la cour. Ainsi, le 8 juillet 1648, le lloctinent del Mestre Racional Tamarit écrit au roi pour exposer sa difficulté à approuver les comptes de Cardona, car Faget et Leoncelli sont en concurrence sur le même poste. Il ne sait pas quelle somme reconnaître à l’un et à l’autre : pour lui, le salaire doit être versé de façon fixe, sans variation, en aucun cas indexé sur les revenus du duché. Immédiatement, une missive royale répond dans ce sens : il faudra leur allouer à chacun la somme de 600 livres pour leur salaire fixe d’une année, et rien de plus[31]. Entre temps, Marca, épouvanté, dénonce à Le Tellier le « rapport defectueux du sieur Tamarit » et rappelle que son cousin Faget avait été établi par décret d’Harcourt en 1645, révoqué par ce dernier même, mais confirmé par un autre décret du prince de Condé en 1647[32]. Notons bien que Marca déplace légèrement le coeur de l’argumentation, présentant la remontrance de Tamarit comme une accusation personnelle de Faget – ce qu’elle était d’ailleurs au fond – et en n’évoquant pas la légalité même de la rémunération. En réalité, il n’est pas certain que la définition exacte du salaire de l’administrateur ait figuré dans le privilège d’Harcourt en 1645. Marca l’emportait toutefois sur le terrain de l’honneur de son cousin, et donc de sa propre fidélité. Le Tellier, emboîtant le pas, fait finalement envoyer à Tamarit une lettre allant dans le sens exactement contraire de la précédente, et reconnaissant définitivement le principe d’une rémunération en pourcentage. La pratique qu’on reconnaissait là comme un fait de droit confirmé depuis plusieurs années, venait en réalité d’être connue de la cour, et n’avait aucune solidité juridique[33]. Marca, toujours vainqueur à Paris malgré ses démêlés locaux, en obtiendrait lui-même en 1648, l’assurance (dont nous ignorons la réalisation) de voir payés ses appointements sur les mêmes revenus du duché[34].
Revenons à l’implication du vice-roi même. Progressivement, l’habitude de disposer du fonds de Cardona entre dans les mœurs. Exempt des lenteurs et de l’éventuelle opposition de Faget qu’il venait d’écarter, Harcourt s’était attribué d’autorité en février 1647, sans autre justification que sa charge, tous les fruits du sel[35]… avant que la cour ne lui attribue finalement la suite des revenus une fois retiré son premier don de 20 000 livres[36]. Bien qu’à occurrence unique – réservant virtuellement la plénitude de la grâce royale – le don reconnaît en fait une forme de propriété d’Harcourt sur le duché, l’officiel suivant l’officieux avec retard. Insensiblement, on est revenu à la pratique qui était celle de la vice-royauté précédente. Il ne faut pas cependant confondre le don des revenus du duché de Cardona avec le salaire « normal » que reçoivent tous les vice-rois et auquel ils s’ajoutent : celui-là, très élevé, s’élève à 1000 livres tournois par mois. Nous avons vu que, sous la vice-royauté de La Mothe, ce salaire était très difficilement versé puisque le roi n’avait pu se résoudre à l’assigner ni sur le trésor de l’Epargne, ni sur les deniers envoyés en Catalogne, laissant implicitement au bénéficiaire le choix de se le faire payer sur les fonds disponibles, à savoir les biens confisqués. Là encore, Harcourt prétend le tirer des revenus du comté de Santa Coloma, et y ajoute une assignation sur les biens de Lluis Descallar, tous gérés par le trésorier Bru. Aucune des mensualités ne lui avait été payée depuis son arrivée : estimant la somme de façon très large, Harcourt ordonne de se faire payer le salaire depuis sa nomination théorique comme vice-roi, le 24 décembre 1644, alors qu’il n’est entré à Barcelona que le 23 janvier 1645[37]… Il multiplie ensuite les décrets identiques[38], signe, sans doute, que l’argent ne se touchait pas plus facilement que deux ans auparavant. Profitant de cette situation chronique, ainsi que du manque d’argent éternel de la trésorerie royale, certains membres de l’élite commerçante barcelonaise parviennent à obtenir le recours à certains procédés pour leur plus grand profit : ainsi, dans la période d’éclipse de Faget, Harcourt fait appel à Leonard Serra, un riche marchand. C’est un peu son Francesc Sangenís à lui : comme lui, il bénéficie politiquement d’un brevet de fidélité, puisque lors des évènements de 1640 il a été emprisonné en même temps que Francesc Joan de Vergós, peu de temps avant Francesc de Tamarit[39]. A l’hiver 1647, voyant que l’argent n’arrive ni du comté de Santa Coloma, ni des biens de Descallar, Serra offre providentiellement de verser les salaires arriérés et tant attendus, mais en espèces sonnantes et trébuchantes. Harcourt lui donne alors des consignations sur lesdits biens, afin de récupérer son dû quand cela se pourra[40]. Au passage, il ne manque pas de lui faire le don d’un petit bien confisqué au comte de Vallfogona[41]. Il faut insister sur la signification sociale d’un tel arrangement, à première vue défavorable au marchand qui avance des sommes dont il n’obtiendra pas, ou alors très difficilement, le remboursement. Au même moment, les traitants et les partisans prêtent à la monarchie française, à perte sur le plan de l’investissement initial, mais avec des perspectives de profit sur le plus long terme, le monarque détenant le pouvoir symbolique et la puissance publique. A titre plus modeste – et même si de tels calculs sont beaucoup plus risqués dans le cas d’une province en guerre récemment soumise –, prêter au représentant du souverain, l’ « alter nos » (nom latin du vice-roi), est un acte prestigieux, récompensé par l’attribution d’un bien seigneurial ou d’une parcelle de l’autorité. Serra lui-même ajoute à ses consignations une fonction effective : celle de trésorier général du duché et états de Cardona, dont il prend possession avant l’automne 1648, faisant classer les archives liées à ce fief[42]. L’exemple de Leonard Serra, distingué par Harcourt puis à nouveau choisi par Schomberg en opposition à Faget, montre à la fois que les implications financières sont intimement liées aux responsabilités politiques (ce marchand étant authentiquement fidèle à la France), et que, d’un vice-roi à l’autre, au-delà de la gratification de ces grands seigneurs français, les revenus des principaux fiefs confisqués profitent à des clientèles qui se succèdent et s’opposent, mais appartiennent toutes à une élite d’argent.
Examinons maintenant plus précisément le cas des biens de moindre importance, ceux qui, en théorie, sont réservés pour la gratification des Catalans, et dont le vice-roi dispose en réalité en faveur des personnes de son choix. Dans notre première partie, nous avons proposé des graphiques estimant la répartition sociale des dons de biens et de pensions. En tentant le même exercice pour les vice-royautés d’Harcourt et de Condé, on peut relever quelques points de continuité et de rupture dans notre nouvelle période postérieure à la disgrâce de La Mothe.
Figure n°5
Comme nous l’avons vu plus haut[43], aucune vraie distribution des biens n’avait eu lieu sous la vice-royauté de La Mothe. Nous n’avons relevé pour cette période que 8 dons de propriété, dont la plupart faits après l’arrivée du visiteur général Pierre de Marca et, peut-être, avec la caution de son autorité. Harcourt, désireux d’exercer la plénitude de son autorité, et aussi d’affirmer sa supériorité par rapport à Marca, est donc le premier à disposer des biens : dans les registres de la chancellerie de Catalogne, on relève 22 donations ordonnées par lui. Sur ces 22 donations, la nette prépondérance des gentilshommes catalans et autres cavallers (9 donations) permet d’illustrer la stratégie du vice-roi : acquérir par la gratification symbolique (propriétés et fiefs) la fidélité d’une partie de la noblesse catalane – mais en favorisant un clan par rapport à l’autre. Nous avons commenté l’échec de cette politique. En comparant ces chiffres avec le nombre très moyen de nobles – 28 sur 220 pensions en tout, contre 30 pensions accordées à des officiers de l’Audience –, et le nombre très élevé (pour la première fois) de non nobles (56) et de veuves (53) ayant bénéficié de pensions sur les biens confisqués, on peut penser que la tendance amorcée, celle des paiements pour nécessité, s’approfondit sous cette vice-royauté.
Figure n°6
Un calcul de pourcentage peut rendre la chose encore plus explicite : sous La Mothe, les pensions données à des nobles représentaient environ 22% du total. Sous Harcourt, cela baisse à 13%. En revanche, les pensions données à des veuves augmentent de 10% à 24% ; celles données à des non nobles, de 13% à 25%. Condé, malgré l’extrême rapidité de son séjour, fera 48 donations de biens confisqués, dont 13 à des veuves (27%) et autant à des particuliers non nobles qu’à des nobles (6, soit 12,5%).
Figure n°7
A travers nos grandes catégories, quelle place a donc le « peuple », disons les divers secteurs de la société catalane n’appartenant pas directement aux élites, dans les retombées économiques des confiscations ? Il nous faut examiner de plus près les motivations des donations faites à des personnes extérieures à l’aristocratie et aux communautés. Un premier fait est fondamental. Depuis le début de la guerre, les communautés réclamaient d’être gratifiées sur les biens confisqués, tant les ecclésiastiques que les laïques, comme les universités des villes et les institutions catalanes. Cependant, à la cour, les ministres semblaient opposés à une telle politique, préférant réserver les biens aux particuliers. Même si, sur beaucoup de points, les vice-rois étaient loin de suivre les avis de la cour, sur celui-là, ils ne changèrent en rien les orientations initiales. Ainsi sur les quatre ans qui suivent le départ de La Mothe, avec la longue vice-royauté d’Harcourt et celle du prince de Condé, théoriquement dominée par la sagesse et la mesure, nous n’avons relevé que trois donations voulues par les vice-rois. Alors que du côté castillan, montré par les propagandistes profrançais comme le camp de la violence et de la persécution du peuple depuis le massacre de Cambrils, on tente de montrer la clémence du souverain et de faire valoir ses gestes en faveur des communautés – pardons, naturalisation espagnole des habitants de Tortosa ainsi que libération des censals que des ennemis possédaient sur eux[44] –, aucune action d’éclat n’est faite en ce sens par les vice-rois français. La grâce faite par Harcourt aux censitaires de la marquise d’Oropesa en la ville de Molins del Rei des « quantités d’argent et de poules » qu’ils devaient en cens à cette dame domiciliée en Castille[45], reste bien anecdotique. De même, le don – quoiqu’important – fait en avril 1647 par le prince de Condé, dès son arrivée à Barcelona, aux conseillers du Conseil des Cent des maisons confisquées au conspirateur Josep Ferrer, contigues aux maisons déjà possédées par le Conseil[46], est l’exception qui confirme la règle.
Le don de maisons est un cas particulier qu’il faut étudier plus précisément. Jordi Vidal i Pla note que les propriétés urbaines sont les seules à faire l’objet de mises aux enchères[47], ce qui est amplement confirmé par nos recherches. Cela peut s’expliquer par le fait que ce type de bien était susceptible d’être acheté rapidement (à la chandelle) et au meilleur prix possible. L’attraction représentée par Barcelona, où se situaient toutes les institutions catalanes, la résidence ordinaire du vice-roi et des principaux personnages de pouvoir, n’avait pas diminué malgré les troubles de la guerre et l’exil d’une bonne partie des anciennes élites. Au contraire, les nouvelles prenaient leur place ici plus rapidement encore qu’ailleurs : la preuve, les très nombreux travaux ordonnés sur les maisons confisquées par leurs nouveaux propriétaires ou habitants, et dont le vice-roi fait parfois passer le paiement sur les revenus des confiscations. C’est à cette occasion qu’entrent dans la documentation plusieurs artisans, qui, sans être directement bénéficiaires de confiscations, se placent au bout de la chaîne. Par exemple, au cours de l’année 1646, on voit apparaître une véritable équipe ayant travaillé sur ordre du vice-roi à diverses réparations sur les maisons confisquées au duc de Cardona et aux comtes de Santa Coloma et Vallfogona : Pere Pau Farrer, « mestre de cases » (maître maçon), reçoit 2197 livres ; Pere Badia, « manya » (serrurier), 750 livres ; Jaume Serda, « vidrier » (vitrier), 53 livres ; Jaume Llobet, « fuster » (charpentier), 2000 livres[48]. Plus généralement, toutes les réparations faites sur les demeures confisquées et qui sont encore aux mains du fisc royal ou habitées par des fonctionnaires sont financées sur les revenus des confiscations ; Jean Dupin, secrétaire personnel de Pierre de Marca, a dirigé les travaux de la maison de son maître ou avancé le paiement des artisans[49]. Un autre élément noté par Jordi Vidal i Pla doit être ajouté : dans les suppliques portées à la cour de Madrid par les exilés, apparaît la plainte que, lors des ventes aux enchères des propriétés urbaines, ces dernières soient vendues à bas prix, du moins en-dessous de leur valeur[50]. Nous irons encore plus loin que cette remarque : plusieurs procédés relevés parmi les ordres des vice-rois ont pour but de favoriser des tiers dans la vente ou la location de maisons, sans même passer par l’étape de la vente à l’encan, ce que nous appellerions dans notre vocabulaire contemporain du délit d’initiés mais qui dans la conception d’Harcourt et de ses successeurs (bien que contestée par Marca) n’est que l’exercice d’une prérogative régalienne. Andreu Pont[51], abbé bénédictin (non réformé) d’Amer et de Rosas, soutien de la première heure de la politique bénéficiale française en Catalogne (il avait aidé à l’expulsion des moines castillans de Montserrat et avait été ambassadeur à Rome en 1641 afin de soutenir le détachement des monastères catalans de l’obédience des bénédictins réformés castillans), avait obtenu d’habiter à Barcelona la maison confisquée à Garau de Guardiola moyennant un loyer. Caressé par Harcourt comme Gaspar Sala, le vice-roi lui permet en novembre 1645 de continuer à habiter la maison « jusqu’à nouvel ordre » sans rien payer ni avoir à verser les loyers arriérés[52], ce qui est un don sans le statut. Pont profitera de la chute de Gispert Amat et lui succèdera comme député ecclésiastique. Une autre forme de transfert de propriété immobilière est l’ « établissement » de maisons (« establiment »), pratiqué par les vice-rois en vertu de leur seule autorité. Cette opération est à mi-chemin entre l’emphytéose et ce que nous appellerions aujourd’hui le marché public. Il s’agit de la concession d’une propriété à un tiers avec faculté d’en percevoir les revenus, à condition d’en acquitter les charges et d’y réaliser des travaux. En 1647, Balthasar Tàpies, docteur de l’Audience, obtient « plusieurs maisons » confisquées à Tomàs Fontanet, situées à Barcelona, « carrer den Avinÿo de la devallada de Sant Miquel a la plaseta den Camprodon », sur lesquelles on pouvait espérer 60 livres par an de loyer, mais grevées de 55 livres de cens annuel aux héritiers Ferrer ; Tàpies s’engage à payer 70 livres de cens, à savoir 55 aux Ferrer et 15 au roi, et à faire les travaux nécessaires[53]. L’acte précise qu’il s’agit d’une emphytéose, mais l’originalité des clauses, l’imprécision (volontaire ?) de la durée et des garanties juridiques pour la fin de l’obligation, ainsi que son statut d’acte gracieux – il ne s’agit pas d’un contrat – le rapprochent d’un don déguisé. De fait, Balthasar Tàpies, magistrat très zélé auteur de nombreuses sentences de confiscations de biens – dont ceux du conspirateur Onofre Aquiles, quelques jours avant[54] –, finit par tirer un profit du cycle dont il est lui-même une des étapes judiciaires[55].
Le même favoritisme est intensifié par les subtils mécanismes de l’endettement, généralisé en Catalogne. Comme nous l’avons vu, les caisses de la trésorerie royale sont vides. Les biens confisqués, au lieu d’être une source de clairs deniers pouvant aider opportunément à payer les salaires, sont eux-mêmes endettés, avant même qu’on puisse en extraire la recette, par des pensions et des censals. Tout un chacun est concerné en Catalogne, même les plus proches serviteurs de la monarchie qui, avec un certain paradoxe, sont à la fois bénéficiaires de pensions sur le domaine royal et créanciers de ce domaine… Les exemples sont légion. On atteint le comble de l’imbrication avec Josep d’Ardena, vassal du comte de Peralada pour certaines de ses seigneuries, mais son créancier pour un censal de 20 livres de pension annuelles, qui fait honorer sa créance sur les biens confisqués dudit comte de Peralada[56] ; puis, l’année suivante, réussit à se faire payer, après une sentence du magistrat Balthasar Tàpies, 600 doubles d’or sur les biens du conjuré Onofre Aquiles, alors que, selon les rumeurs populaires rapportées par Marca, c’était bien ce riche marchand très introduit dans la noblesse barcelonaise qui était créancier d’Ardena, et non l’inverse[57]… Les religieux sont aussi bien placés parmi les bénéficiaires : ils ont 34 pensions en tout (soit 15%). Ils peuvent être eux-mêmes créanciers des patrimoines confisqués, à titre de censalistes[58], ou encore recevoir des charités qui avaient été traditionnellement ordonnées par les familles nobles, souvent par testament. Dans ce cas, les sommes doivent continuer à être versées, même si l’ancien donateur est passé du côté des ennemis, le domaine royal prend simplement le relais. Depuis le début de la guerre, ces sommes avaient tendance à être négligées, mais en 1645 et 1646, Sangenís et Bru sont rappelés à l’ordre par le vice-roi, désireux de s’attirer les grâces de certaines communautés religieuses, ou simplement de faire œuvre pie : les membres de la fabrique de Nostra Senyora del Pí de Barcelona obtiennent l’acquittement de la charité que versaient les marquis d’Aitona à leur église pour le luminaire et qui perdurait depuis 1639, ainsi que sa reconduction[59]. Plus intéressant encore, pour la même église, Bru doit acquitter la charité due par Miguel de Çalbá et la perpétuer, en veillant bien à ce que les armes de Çalbá figurant sur les chandeliers soient remplacées par celles du roi[60].
Sous la vice-royauté d’Harcourt, Francesc Sangenís conserve ses fonctions – il sera en place jusqu’à la chute de Barcelona. Cependant, sa forte appartenance à l’ancien clan motiste, en tant qu’ancien ami du maréchal de La Mothe lui-même, le fait traverser une certaine période d’éclipse. A l’été 1646, Marca avise même Le Tellier qu’un « homme de Barcelone tres solvable et dont on aura toute sorte de satifaction » offre « de prendre en afferme tous les biens confisquez aux mesmes pactes, et conditions qu’ils sont affermez aujourdhuy »[61]. Depuis 1645, l’administration confiée à Sangenís a pris, sous la plume de Marca, le nom de ferme ou d’affermage : il s’agissait sans doute de trouver un nom connu, compréhensible pour Le Tellier, à une situation en réalité bien plus complexe[62]. Harcourt lui-même utilise le verbe affermer dans son mémoire donnant l’estimation des principaux biens confisqués qu’il se proposait de distribuer[63]. A l’été 1646, Sangenís est donc mis en cause – cela apparaît en creux dans le papier de Marca – dans cet affermage, indirectement accusé de ne pas assez bien gérer l’endettement des patrimoines, dans le sens du crédit comme du débit :
« (Le nouveau fermier) s’obligera aussy de payer le prix de la ferme suivant les ordres du Roy ou de ses officiers, deduction faite des rentes dont les biens confisquez sont chargez envers des particuliers, qui estans des principaux de Catalogne resteront satisfaits de la punctualité avec laquelle ils seront payez par ledict fermier. Ce qui est dautant plus considerable que les rentiers font tous les jours des plaintes contre les Commis a la recepte des biens confisquez a cause des grands arrerages qui leur sont deubs ».
L’aspect novateur de la proposition de l’« homme de Barcelone » est qu’il offre à la couronne une prestation qui paraît très précieuse : fournir « a prix courant » pour la subsitance de la cavalerie toutes les avoines qui se cueilleront sur les propriétés confisquées « affin que les paysans ne soient inquietez pour le fournissement des avoines. Ce qui n’est pas de peu de consideration ». En échange de fournir par avance une somme fixe pour prix de l’afferme, 4000 écus – ce qui représente le principal avantage pour la monarchie –, et de payer les frais grevant les biens (que Marca évalue à 3000 écus), ce qui ferait réaliser un profit de 7000 écus, le fermier pourrait donc vendre à la couronne les fruits de ses propres biens ! Malgré les pertes possibles dans cette ferme – comme dans toutes les fermes –, Marca, qui n’était pas personnellement lié aux Sangenís, accueillait favorablement le projet. Il le présentait même comme la solution à beaucoup de problèmes, la prise de Lleida par les Espagnols augmentant le nombre de Catalans lésés et méritant d’être récompensés, alors que le fonds des confiscations ne variait pas :
« Par le moyen du benefice desdits sept mil escus, que sa majesté recevra de la nouvelle afferme, il luy restera un fonds pour employer aux affaires les plus urgentes, pour donner des pensions a ceux qui ont perdu leur bien par la prise de Lerida, et des autres terres nouvellement conquises par l’Enemy, et pour gaigner par interests les personnes soupçonnées d’inclination pour le party de Castille. »
C’était aussi un moyen de payer les maître des postes, qui n’avaient point de gages, et ainsi améliorer la distribution du courrier[64]… Cependant, moins d’un an après, lorsque Condé montre lui aussi l’intention de gratifier des personnes, Marca avertit que, loin de s’améliorer, les dettes se sont encore creusées, jusqu’à devenir supérieures aux recettes.
« Les dettes et les arerages des rentes consumeront les revenus d’une année des biens confisqués, ce qui rendra infructueuses pour ce temps la les gratifications des propriétés et des pensions que l’on propose a S.M. de faire, ce qui ne doit pas neantmoins retarder les expeditions affin que chacun voie le soin que l’on prend de leurs interests, cependant on pourroit assigner sur les revenus de Cardonne en faveur des plus recommandés quelque somme de deniers pour cette année, affin de tenir lieu de la gratification qui leur est faite par les autres dépêches »[65].
Invariablement, Sangenís avait été maintenu dans ses fonctions ; et le projet d’affermage mentionné par Marca n’avait pas vu sa réalisation effective.
A mesure que les dettes augmentent et que les plaintes s’accumulent, les riches marchands qui ont la chance de posséder d’importantes fortunes en espèces ont beau jeu d’avancer les sommes nécessaires, et tirent leur épingle du jeu. Après Leonard Serra, favori du comte d’Harcourt impliqué dans les affaires de Cardona, les frères Sangenís retrouvent tout leur poids. Effet de leur fidélité sans faille à l’un et à l’autre, et surtout de leur promptitude à remplir les caisses vides, Schomberg couvrira de grâces Francesc et Cristòfol Sangenís et perpétuera sans variation les manœuvres immobilières des vice-rois précédents. En mars 1648 Marca signalait à Le Tellier que la révocation générale des donations faites par Harcourt pourrait servir à « paier en trois ou quatre années, sçavoir à François Sangenis iiii mille livres barcelonaises qui luy sont deûes pour les avoir paiées a la decharge du roy, et VIII mille livres barcelonaises a Christofle Sangenis son frere, qui luy sont deûes pour le prix de la poudre qu’il fournit pour le siege de Tarragone »[66]. En effet, le premier avait avancé de ses propres deniers plusieurs pensions sur les biens confisqués dont, par sa charge, il était censé assurer le paiement. Curieux mélange du service du roi et des affaires personnelles, et preuve supplémentaire que ce n’était en aucun cas un affermage de type classique. Au grand scandale de la noblesse, en dépit de son origine marchande, il reçoit un bien noble, la Torre d’Alella, confisquée au marquis d’Aitona[67]. Le second, Cristòfol Sangenís, bénéficie d’une transaction immobilière plus notable encore que celle que nous avons étudiée plus haut… Les différentes étapes précédant cette concession sont renseignées par l’acte, révélant de façon vivante les rouages du pouvoir local. En octobre 1644, Sangenís avait fourni à La Mothe pour 8000 livres de poudre. Le maréchal en avait assigné le remboursement sur les rentes du comté de Santa Coloma, avec un intérêt de 500 livres… à verser par celui qui, à l’époque, en était le receveur : son propre frère Francesc Sangenís ! Bru ayant ensuite remplacé ce dernier à cette recette, quatre ans après Cristòfol Sangenís n’avait toujours pas obtenu son dû (ou du moins pas en totalité). En 1648, il représente ses intérêts au nouveau vice-roi Schomberg, soit les 12371 livres, 11 sous et 3 deniers lui étant dus pour la somme de départ plus les intérêts courant depuis 1644… Le compte est alors examiné et vérifié (« remirat ») par deux marchands de Barcelona, Narcis Feliu et Miquel Colomer, qui font foi que les intérêts, à 10% par an, avaient été bien calculés. Un premier décret du vice-roi, le 25 septembre 1648, lui fait don de divers biens confisqués à des habitants de Santa Coloma de Queralt, mais, rapidement, on juge qu’il est « préjudiciable au patrimoine royal », et on le transforme en une vente d’un genre très particulier. Le 20 octobre lui est ainsi vendu, pour le prix de 6000 livres, un lot de maisons à Barcelona, situées entre le carrer de Montcada et le carrer d’en Claret, confisquées à Lluis de Queralt depuis 1645 – à l’exception de celles qui avaient déjà été données à l’abbé Andreu Pont… cette cession à prix fort avantageux avait pour effet d’éteindre la dette totale (« sic quod ad complamentum et integram luitionem dictarum duodecim mille tercentarum septuaginta duarum librarum undecim solidorum et trium denariorum debentur tibi ») et donc de rendre quittes les deux parties[68]. Il est fort possible que Sangenís, même s’il n’avait pas récupéré entre 1644 et 1648 toute la valeur de la poudre prêtée au départ, ait touché une partie de son dû sur le comté de Santa Coloma, rendant ainsi sa perte effective extrêmement minime : de toute façon, il ne faisait que tirer un trait sur plus de 10 000 livres d’argent que, jamais, la couronne n’aurait pu lui rembourser, puisque précisément, dans sa détresse, c’était à des gens comme lui qu’elle s’adressait. L’importance et la solennité d’un tel acte sont renforcées par la présence, au titre de témoins, de plusieurs personnages de premier plan : en plus du Régent Fontanella, le comte d’Ille Josep d’Ardena et le baron de Peramola Josep de Caramany y assistent. A peine trois jours après, Sangenís prend possession des maisons en question, reconnaissant toutes les portes, tant du côté du carrer Montcada que du carrer d’en Claret, ainsi que toutes les boutiques contenues dans ces maisons (« claudendo videlicet et appariendo januas illorum alias in vico de Moncada alias in vico den Claret et botigiae sive cotxe sitae in angulo sive cantone dictarum domorum »), annonciatrices pour l’avenir de nouveaux profits…
A l’impression générale que les biens confisqués étaient de peu de profit pour la couronne – déjà répandue depuis le début de la guerre parmi les milieux directement attachés au gouvernement de Catalogne – succède donc en 1648 la certitude qu’ils n’en apportent aucun, leur déficit étant incompressible. Un paramètre, fondamental quoique très difficile à appréhender, permet d’expliquer au moins une partie de cette situation explosive : l’incertitude monétaire, qui influe directement sur le calcul des rentes, mais dans une certaine mesure, sur leur valeur même. L’ampleur de notre objet d’étude et la nécessité de recherches approfondies dans les sources notariales nous empêchent malheureusement de tirer des conclusions définitives et d’accumuler les estimations chiffrées sur cet aspect. En juillet 1647, au moment même où on se rend compte de la gravité de la situation, où Marca en envisage les possibles suites politiques, admettant un affermage comme solution et comparant les pertes et les profits, Le Tellier avertit son correspondant de l’extrême confusion produite par l’utilisation de plusieurs unités monétaires à la fois. Depuis 1641 en effet, la multiplicité règne, à la fois sur le plan matériel et virtuel : d’une part, de nombreuses monnaies circulent en Catalogne, pièces françaises, espagnoles, ou encore types émis par les villes catalanes ayant repris à la faveur de la révolte le droit régalien de frappe. Girona, Lleida, Olot, Balaguer, Vic, Cervera, Figueres, Manresa, Mataró, Berga, Granollers, Tarragona, Igualada… frappent de la monnaie sans se soucier de la valeur intrinsèque et de la quantité[69]. Sous Argenson et La Mothe, la quasi totalité de la monnaie envoyée de la cour reste dans le Sud de la France, remplacée par de la monnaie catalane frappée clandestinement en France et en Catalogne. Cette invasion de fausse monnaie produit une dévalorisation et une augmentation des prix des denrées. Malgré l’arrêt des responsables présumés des malversations, la tendance déjà observée au début de la guerre s’approfondit et s’installe[70]. D’autre part, dans les documents comptables, l’unité n’est pas toujours précisée, entretenant, parfois volontairement comme nous l’avons vu, l’incertitude sur la valeur des biens confisqués. A plusieurs reprises, Le Tellier demande en quelle unité les sommes sont indiquées avant de répondre sur le fond de l’affaire. Dans certains documents même, plusieurs unités sont utilisées pour l’estimation, principalement la livre tournois et la livre barcelonaise, et aussi même des monnaies effectives comme l’écu (d’argent français simplement dénommé « écu » ou barcelonais), qui ne devraient pas normalement être utilisées car elles ne sont pas des monnaies de compte. On comprend tout l’enjeu de la confusion en considérant l’important écart de valeur entre la livre tournois et la livre barcelonaise, lequel peut aller du simple au double. Ainsi, en juillet 1647, Marca tente d’exposer clairement à Le Tellier les moyens d’estimation utilisés, mais son exposé ne fait que donner une preuve supplémentaire de la fragilité du système :
« J’ay receu ce jourd’huy votre lettre du 5e de juillet par laquelle vous demandés, Monsieur, l’eclaircissement de la valeur des livres et escus barcelonois, et de leur proportion avec les livres tournoises. L’écu et la livre barcelonois sont la même chose, et les pensions des biens confisquez se doivent entendre de livres 6 chacune et de dix reaux piece, comme le ducat d’Espagne est de douze reaus, un real vaut en soy cinq sols tournois, partant mil livres barcelonoises valent 2500 livres tournoises. Et pour ce en quoy conciste l’ancienne proportion de l’une monnoye avec l’autre, le haussement des especes a troublé cette proportion, quoy qu’en soy elle demeure tres constante, par exemple 1000 livres barcelonaises en pistoles a 50 reaux piece qui estoit il y a quelque temps le prix ordinaire valent 200 pistoles a 10 livres tournoises la piece. Si on employe la pistole au prix courant de 53 reaux il n’y faut que 189 pistoles et 17 reaux. Si l’on faisoit le paiement en piastres ou pieces de 8 reaux, la proportion ancienne de dix reaux revenoit pour les mil livres a 1250 piastres, mais les piastres ayans haussé jusqu’à quinze reaux piece le paiement s’en feroit aujourd’huy avec 666 piastres et 50 sols tournois, de sorte que lors que j’ay evalué mil livres barc. a deux mil livres tournoises ça esté en prenant le pied sur la valeur des pistoles au prix de 50 reaux la piece, qui est le plus commun dans l’incertitude et la variation de leurs cours. J’avois mis les pensions sur les benefices en livres tournoises pour les faire mieux comprendre a Son Altesse mais je pense qu’il sera plus apropos pour éviter la confusion par les Catalans de les mettre en livres barcelonaises a raison de cent livres barc. pour deux cens livres tournoises, qui est le pied que j’ay suivy » [71].
Si l’on suit ce raisonnement, 1000 livres barcelonaises valent 2500 livres tournois, mais, dans l’estimation des pensions des biens confisqués, on marquera que 100 livres barcelonaises sont 200 livres tournois. Voilà le genre d’estimations qui présidaient à la confection des états prévisionnels, établis avant d’affermer une partie du domaine royal… En prenant « le plus commun dans l’incertitude », selon l’expression de Marca, on finissait par chevaucher l’incertitude. Il suffit d’ajouter à ce panorama la notion de rente constituée (censal, l’essentiel de la dette) pour saisir l’aspect illusoire et dramatique d’une telle comptabilité.
Premiers conflits avec les institutions catalanes et les communautés
Les confiscations sont aussi l’occasion de premiers conflits sérieux entre les gouvernants français et les corps constitués du pays, signes évidents de la sérieuse désagrégation des principes sur lequels s’était fondée la propagande profrançaise : défense des intérêts du général de Catalogne par le roi de France, soulagement du peuple, arrêt des excès et des abus dénoncés du temps de Castille. Certes, le dialogue est souvent renoué de part et d’autre, et de grands efforts mis en place afin de ne jamais le rompre totalement, mais plusieurs affaires montrent que, progressivement, la conviction et la soumission ne sont plus que de façade. Nous allons revenir ici sur la plus importante, à la fois car elle a été primordiale dans le cours des évènements, les Catalans et les Français s’y référant en permanence, et car elle a été peu commentée par les historiens. Il s’agit de la prétention du comte de Chabot à être récompensé sur les biens confisqués en Catalogne : cette affaire aura des conséquences politiques durables, par-delà même la mort de l’intéressé en mai 1646. Nous avons déjà présenté les positions royales, ainsi que celle de Marca et des vice-rois sur ce sujet, il nous faut maintenant revenir plus précisément sur le rôle des Consistoires… Au départ Charles de Chabot, comte de Sainte-Aulaye, est un noble français, issu d’une illustre lignée, neveu du comte de Jarnac et cousin du comte d’Harcourt, sous les ordres duquel il part guerroyer en Catalogne au début de l’année 1645. Se distinguant immédiatement dans l’Empordà, il participe à plusieurs actions d’éclat, et se voit nommer gouverneur de la Châtellenie d’Amposta, baronnies d’Entença et Ribera del Ebro. Il acquiert rapidement une grande popularité, à la fois parmi les Français et les Catalans. En septembre, il ajoutera à son prestige déjà immense deux victoires (les prises de Flix et Balaguer) sur les trois remportées par les armes françaises en Catalogne sous Harcourt, qui en prendra quelque ombrage… Conscient de sa valeur et avide de gloire, au mois de mars, Chabot publiait déjà ses prétentions sur le comté d’Ille[72]. L’autre victoire française de ces années-là, la prise de Rosas, semble aussi devoir lui bénéficier : certains Catalans appuient son aspiration à devenir gouverneur de cette place. Une supplique est envoyée à la cour dans ce sens, qui met en valeur le fait que Chabot a appris à parler catalan – ce que les autres gentilshommes français n’ont pas fait : « le Comte parle catalan, il est estimé de tout le peuple pour cela, et plus aimé encore que s’il était un naturel. Les Catalans sont si obligés aux services que le Comte a continuellement rendus au roi depuis le début de la guerre que, si Sa Majesté avait réuni les Corts, ils l’auraient suppliée de le naturaliser Catalan, et sans doute on le demandera aux prochaines. » ; son prestige parmi le peuple vient de la bonté et de la mesure de son gouvernement (là aussi, ajouterons-nous, à l’opposé des autres gouverneurs qui se distinguent par leur cruauté). Le peuple, dit le texte avec une certaine emphase, le voyant partir de son gouvernement, pleura et réclama son retour… Honorer Chabot sera donc honorer les députés de la Generalitat et les Conseillers de Barcelona, car on récompensera un gentilhomme français qu’ils apprécient[73]. De fait, des lettres pour l’appuyer sont envoyées à Mazarin par les institutions catalanes[74]. Malgré ce soutien, la régente fait nommer le sieur de La Fare, vicomte de Montclar, au gouvernement de Rosas, le cardinal réservant la gratification de Chabot à un autre moment[75]. Déçu, Chabot ressort alors ses prétentions sur un bien confisqué, et ne réclame rien de moins que le marquisat d’Aitona, dont on a vu à quel point, trois ans auparavant, il avait excité l’avidité d’Argenson.
La position de la Generalitat à ce moment précis doit être rapprochée de la personnalité de son président, l’abbé de Galligans, Gispert Amat, et de son attitude politique. Au début de l’année 1645, la rivalité entre les deux factions rivales se déchaîne en Catalogne, attisée par le comte d’Harcourt qui prend publiquement parti pour les ennemis du Gouverneur Margarit et de Marca. Au cours de l’affaire Morell, le vice-roi voit la cour refuser la promotion de son candidat à l’évêché de Solsona au profit du frère de Margarit, ce dont il prend ombrage et qui le dispose à se venger[76]. Ne négligeant aucun moyen pour frustrer Margarit, il se met alors à soutenir chaudement Chabot dans sa brigue pour Aitona, patrimoine que le Gouverneur convoite depuis des années et qu’il s’est vu promettre à plusieurs reprises sans jamais l’obtenir. Naturellement, le président Amat, proche de Josep d’Ardena et de la faction opposée, fait campagne en faveur de Chabot et pousse la Generalitat à écrire à la cour dans ce sens. Il faut préciser que, depuis l’arrivée de Chabot, Amat était déjà enclin à le flatter, compte tenu de sa parenté et de sa proximité avec Harcourt. La position d’Amat paraît paradoxale, si l’on se réfère à la véhémence de ses diatribes habituelles contre le gouvernement français et le non-respect des pactes de 1641. Défenseur acharné de l’article 8, particulièrement malmené, stipulant que seuls des Catalans naturels seront nommés gouverneurs des places, Amat se met curieusement à soutenir le Français Chabot dans son désir d’obtenir un patrimoine confisqué en Catalogne. Il reprend la plume et s’adresse à Mazarin[77]. Ce dernier, fidèle aux intérêts de Margarit, signifie au vice-roi son peu de chaleur pour l’ouverture[78]. La lettre que Le Tellier lui envoie de son côté, conforme aux volontés de son maître, montre que les ministres se rendaient compte de l’aspect litigieux de l’affaire. Peut-être sentaient-ils que la demande n’était pas conforme à l’opinion de l’intégralité des députés mais d’un secteur particulier de la Generalitat, piloté avec une visée politique : « Il sera apropos de sçavoir si les depputez du Principat et les personnes les plus qualifiées du pays conviennent que monsieur de Chabot doibve estre de ceux a qui lon ordonnera de ces confiscations a cause qu’il est françois et d’avoir vostre advis et celuy de monsieur de Marca de ce dont on pourroit en ce cas le gratiffier »[79]. La méfiance débouchant finalement sur une prescription claire : « Sa Majesté trouvera bon que vous compreniez monsieur de Chabot pour un autre bien que celuy que vous proposiez de luy donner presentement. Sa Majesté laisse a vostre liberté de luy ordonner quelque chose sur les deniers provenant desdictes confiscations »[80]. Ne commettant pas la maladresse d’aller contre un ordre royal, Chabot abandonne alors Aitona, mais porte sa prétention sur l’office de Mestre Racional et la vicomté d’Evol[81] ; en janvier 1646 Harcourt lui fait don du séquestre de tous les biens confisqués dans la viguerie de Tortosa, castellania de Amposta, Ribera del Ebro et baronnies d’Entença, soit les zones dont il était le gouverneur[82]. Ce don, l’un des premiers fait par Harcourt à un Français, est immédiament reçu avec réserve. Le trésorier Bru tarde à apposer son visa, car Chabot n’a pas prêté la caution accoutumée : il reçoit l’ordre d’en faire dresser l’expédition[83] ; quant à l’archivaire Diego Monfar, regent la Real protonotaria et à ce titre gardien du sceau, il refuse de le sceller en raison de ce manque à la procédure, et se voit aussi contraint[84]. Finalement, la cour dévoile qu’elle n’est pas dupe et qu’elle savait bien que lorsque Amat demandait des choses pour Chabot, ce n’était pas la vraie voix du général de Catalogne qui s’exprimait : « Et quant a Messieurs de Chabot et d’Aubigny, comme les traitez de soubmission de la Catalongne en l’obeissance du roy portent expressement qu’il n’y aura que ceux du pays qui pourront estre gratiffiez des biens confisquez, l’on ne peut pas leur accorder ce qui est demandé pour eux, si ce n’est que les deux concistoires feissent faire instance aupres de Sa Majesté pour cet effect apres des deliberations authenticques, en sorte qu’il ne nous puisse jamais estre imputé d’avoir contrevenu aux articles qui leur ont esté accordez par Sa majesté »[85]. Il s’agissait d’éviter les conflits que l’on voyait prêts à éclater…
Tout bascule avec la découverte de la conspiration de Barcelona, au cours des mois de février et de mars 1646. Gispert Amat est dénoncé comme chef des conjurés, et c’est toute la faction d’Ardena qui se voit mêlée aux pires accusations de soulèvement contre l’autorité française. Harcourt est directement fragilisé par la chute du clan qu’il a soutenu depuis son arrivée. Partant, les revendications de Chabot et son prétendu soutien de l’ensemble du peuple catalan se voient entachés de suspicion. Marca, dans une relation très véhémente que nous avons déjà commentée, a donné sa version des tenants et des aboutissants de cette conspiration : Galligans, dit-il, soutenait Chabot pour abaisser le Gouverneur qui le gênait dans ses desseins[86]. Ne revenons pas ici sur ces questions déjà abordées, mais sur l’évolution des relations entre le pouvoir et les Consistoires aux lendemains de ces évènements. Après l’arrestation de l’abbé de Galligans, c’est l’abbé d’Amer, Andreu Pont, qui le remplace comme président de la Generalitat. En connivence avec Marca et le nouveau triomphe de Margarit, sorti renforcé de la découverte d’une conspiration qui avait pour but de l’anéantir, Pont amène la Generalitat à prendre le contrepied de tout ce qui avait été instigué par Amat. La Generalitat dénonce désormais l’illégalité du don du séquestre fait à Chabot, et ce dernier, contrairement à la réputation de bienfaiteur des Catalans qu’il avait jusque là, se voit accusé de persécuter les villageois à l’instar de tous ses homologues…
« Monsieur le viceroy donna au commencement de l’année a monsieur de Chabot les rentes constituées que plusieurs communautez de la Castellanie d’Amposte devoient a divers habitans de Tourtouse : quoyque la deputation pretende que ces biens luy appartiennent. On a logé plusieurs troupes en cette castellanie pandant le quartier d’hyver sous le commandement de monsieur de Chabot, lequel a retiré des communautez des sommes notables pour le payement d’une partie des arrerages, la presence des soldats servant au lieu de sergens. On asseure que ces sommes montent quinze mil escus barcelonois, et que les paysans se plaignent des payemens, d’autant plus qu’ils croyent n’avoir pas payé au vray creancier »[87].
On voit là encore que ce militaire mêlait le service du roi et l’intérêt personnel, utilisant la force de dissuasion de ses soldats pour accélérer la perception de son dû. En réalité, il semble que les seuls biens confisqués restant dans la castellania d’Amposta correspondaient aux rentes dues aux habitants de Tortosa que la Generalitat y avait saisis avant la signature des pactes de 1641, de la même manière que les biens du marquis de Los Velez. Ils étaient donc sous le même régime juridique, c’est-à-dire, ils appartenaient en propre à cette institution[88]. Le 28 avril 1646, les députés se rendent en ambassade auprès du comte d’Harcourt et lui remettent une supplique dont le texte est transcrit dans les Dietaris de la Generalitat : Chabot, disent-ils, a perçu de grandes sommes sur le peuple au titre du séquestre ; comme ce dernier appartient au General, ils demandent au vice-roi que Chabot lui restitue ce qu’il a prelévé et le laisse désormais jouir paisiblement de son bien[89]. Mais une fois de plus, les évènements se précipitent et donnent un nouveau tour à l’affaire. En mai, Harcourt se lance dans les opérations pour reprendre Lleida, à la tête de 20000 hommes, et partage leur conduite entre Couvonges, Saint-Aunez et Chabot. Au cours du mois, les combats sont durs et indécis. A la fin du mois, les Espagnols du général Brito prennent l’avantage et multiplient les sorties, déroutant les soldats français qui étaient postés dans des tranchées autour de la ville ; au cours d’un de ces épisodes, le 22 mai, Chabot est abattu, ce qui cause un grand découragement parmi les troupes. De désertions en maladies, le siège sera levé quelques mois après.
La mort de Charles de Chabot n’éteint pas la difficulté de l’affaire, bien au contraire. Il laisse un héritier, son frère Henri, dont la position à la cour a brusquement été poussée par son mariage, depuis 1645, avec Marguerite, unique héritière des ducs de Rohan et premier parti de France. La régente avait autorisé le mariage et donné sa bénédiction à l’héritage à condition que les enfants soient élevés dans la religion catholique, Marguerite, petite-fille de Sully, professant la foi réformée. Henri de Chabot revendique immédiatement la jouissance du séquestre donné à son frère. Comment la Generalitat et les villageois de ces provinces reculées de l’Ebre pouvaient-ils lutter contre un si puissant seigneur ? Au cours du mois de mai, croyant que la mort du titulaire leur apporterait définitivement la tranquillité, la Generalitat avait envoyé dans la Ribera del Ebro le séquestre de ses biens confisqués, un nommé Bonaventura Closa, afin d’obtenir des jurés des villes le versement des sommes dues, et de les effrayer un peu en disant que, maintenant, les sommes dont ils avaient reconnu la dette aux hommes de Chabot devaient lui être versées à lui seul, sous peine de deux cent livres d’amende payables sur leurs biens propres[90]. Il est intéressant de noter que Closa passe dans les villes de Mora, Flix, Sco, Benissanet, Miravet, Ginestar, Tivissa, Garcia et Falset, mais évite de se rendre dans les autres villes de la castellania « per temor dels Castellans » (par peur des Castillans). On voit bien les conséquences sur place des conflits entre les différentes forces politiques : loin des yeux de la cour, les populations terrorisées se voyaient contraintes à verser des ponctions à celui qui, pour l’heure, était le plus fort ; elles étaient ainsi souvent amenées à se dédire lorsqu’un potentat succédait à un autre. Défendant officiellement les intérêts de l’ensemble des Catalans, la Generalitat n’était rien de plus, en ce contexte précis, qu’un nouvel exacteur protestant la légitimité de ses exactions. En juillet, au moment où le séquestre Closa fait son rapport aux députés, Henri de Chabot « servant en madite armée en Luxembourg en qualité de mestre de Camp » obtient de la régente la reconnaissance de ses droits à l’héritage de son frère, mais pour six ans : cette période doit servir à ce que les revenus du séquestre éteignent les dettes que le feu comte avait contractées en Catalogne. Harcourt reçoit une lettre missive du roi lui ordonnant de s’assurer que le nouveau bénéficiaire jouisse de son bien « pourveu toutes fois que les deputes du Principat de Catalogne et les conseillers de Barcelonne en demeurent d’accord et donnent sur cela leur advis favorable par escrit »[91]. L’apparition de la clause des six ans montre une volonté de concilier les deux parties tout en assurant une satisfaction immédiate au courtisan. Cependant, l’obtention d’un avis favorable par écrit semblait tout à fait illusoire vu la combattivité que la Generalitat montrait sur ce terrain. A l’automne, la voix des députés se fait plus forte, profitant de l’affaiblissement d’Harcourt sur le champ de bataille de Lleida où il n’obtenait aucune avancée. Ils lui envoient une ambassade, alors qu’il est sur le front, et lui font remettre un papier contenant les points à ajuster avec, cependant, une ouverture : nommer une personne afin de trouver une voie moyenne. La réponse d’Harcourt est dilatoire : « L’affaire des biens confisqués de la viguerie de Tortosa est d’une telle importance, et le Régent la connaît si bien pour en avoir déjà traité et conféré plusieurs fois, qu’il ne semble pas expédient d’y nommer une autre personne, plus encore parce que nous sommes déjà sur la fin de la campagne et que, assistés de la toute-puissance de Dieu, nous reviendrons tantôt à Barcelona, où nous pourrons alors traiter de la matière comme il se doit et la résoudre selon ce que la raison et la justice dicteront. Et au surplus, Leurs Seigneuries peuvent être certaines que la grâce du duc de Rohan dont Elles parlent ne sera pas exécutée, ni autrement ne sera innové au détriment de la justice. »[92]…
Réponse au goût aigre-doux, donc, qui semble certes faire fi de la volonté royale de faire jouir Henri de Chabot du séquestre pour six ans, mais ne donne pas non plus satisfaction immédiate aux députés, les entretenant dans l’espérance de l’avoir dans le futur. Toujours plus favorable aux intérêts d’Henri de Chabot qui, entre temps, avait été autorisé à prendre le titre de duc de Rohan, la cour produit une nouvelle lettre missive à l’intention du vice-roi, reprenant mot pour mot les termes de la précédente missive qui lui prescrivaient de donner la jouissance du séquestre pendant six ans. Une seule différence dans la rédaction : le passage « pourveu toutes fois que les deputes du Principat de Catalogne et les conseillers de Barcelonne en demeurent d’accord et donnent sur cela leur advis favorable par escrit » est légèrement modifié en « pourveu toutesfois que les deputés du principat de Catalogne et les conseillers de Barcelonne en demeurent d’accord, comme ils ont fait cy devant lorsque la meme chose fust accordée a son frere »[93]. Signe manifeste que la crispation de la Generalitat n’avait pas joué en sa faveur, et avait davantage attiré l’attention sur ses contradictions internes. De Paris, il était difficile de comprendre qu’après avoir défendu bec et ongles, jusqu’en mars 1646, la gratification de Chabot sur les biens confisqués, l’institution se battait désormais contre ce qu’elle semblait avoir réclamé… En novembre 1646, encore, des dissonances s’élevaient à l’intérieur même du Consistoire, plusieurs députés jugeant que les assesseurs et avocats fiscaux n’avaient pas été suffisamment zélés dans le traitement de l’affaire de Chabot, dont ils étaient chargés, négligeant ainsi à la fois les intérêts du roi et ceux de leur propre corps[94]. Peut-être une partie des membres était-elle encore proche de l’ancien président Amat, ou du moins, réfractaire aux orientations du nouveau ; en tout cas, la conjuration avait laissé des traces indélébiles parmi la compagnie. En décembre 1646, après avoir honteusement levé le siège de Lleida, Harcourt rentre à Barcelona. A son arrivée, il est circonvenu par le procureur du duc de Rohan, Léonard Poullart, qui, fort de l’assurance obtenue par son maître auprès de la régente, est venu sur place pour lui montrer la lettre royale. Harcourt, qui en ce début d’année 1647, a d’autres affaires plus pressantes à régler avant son prochain départ – notamment se défendre contre les calomnies répandues contre lui avec la bénédiction de Marca et les conclusions accablantes de l’enquête de Nicolas Fouquet –, ne fait qu’aquiescer et ordonne d’expédier un décret allant encore plus loin que la volonté royale : il concède au duc tous les biens et revenus confisqués dans la baronnie d’Entença et viguerie de Tortosa, sans aucune limite de temps[95]. Une semaine après, à peine, il quitte définitivement la Catalogne. L’opposition des Consistoires est alors à son comble puisque, à tous les sujets d’incompréhension mutuelle déjà abordés, s’ajoute une méfiance extrême sur les véritables menées diplomatiques de Mazarin, qu’on accuse de vouloir faire la paix avec l’Espagne en troquant la Catalogne contre les Pays-Bas.
La brève vice-royauté du prince de Condé, d’avril à novembre 1647, malgré les espoirs soulevés, n’améliore guère la situation. Il ne fallait pas attendre du prince, personnellement lié à Chabot dont il avait arrangé le mariage avec Marguerite de Rohan et à qui il avait fait obtenir le brevet de maréchal de camp[96], qu’il abandonnât en Catalogne la cause de son ami. Il cherche dans un premier temps l’accommodement, inventant une habile formule afin de désamorcer le conflit : Rohan pourra jouir des revenus des biens situés dans les baronnies d’Entença et viguerie de Tortosa, mais seulement de ceux appartenant au roi, c’est-à-dire ceux que la Generalitat n’avait pas saisis avant 1641 ; comme Sangenís et Bru en assuraient la recette, c’est à eux que s’adresse l’ordre de mettre le duc de Rohan en possession des biens[97]. Cela en attendant qu’un accord soit trouvé au sujet de la prétention des députés. Condé obtient ainsi de ces derniers la promesse de nommer des commissaires spéciaux pour examiner l’affaire. Cependant, les mois passent, et le prince quitte la province avant qu’ils aient tenu leur promesse. Le président de la Generalitat, profitant de la fragilité juridique de l’interrègne de Marca pendant l’absence de vice-roi, revient en arrière et abandonne toute ouverture, dans l’espérance de voir enfin triompher sa position traditionnelle : la pleine propriété de tous les biens confisqués dans la Ribera del Ebro. L’argument avancé est très sensible : toutes les confiscations étant passées au patrimoine royal, il ne reste à la Generalitat qu’un maigre patrimoine, les biens de Los Velez et ceux de Tortosa[98]… Sous-entendu, il serait juste qu’elle en ait davantage. Le Tellier fait savoir qu’il ne sera rien changé pendant l’interrègne[99]. Cette ultime volte-face de l’abbé d’Amer dessert finalement la cause de la Generalitat. Lorsque le Cardinal de Sainte-Cécile arrive comme vice-roi de Catalogne, son frère Mazarin lui écrit de favoriser les intérêts du duc de Rohan[100] ; il faut dire que le ministre sent son autorité affaiblie depuis le début de la fronde parlementaire en janvier 1648, et ne néglige pas de s’attirer les soutiens de la haute noblesse. Marca lui-même a fini par être échaudé par les palinodies de la Generalitat : « J’assisteray autant qu’il me sera possible, dit-il, le procureur de M. le duc de Rohan, pour obliger les deputez d’entrer en la conference qu’ils ont une fois promise, et depuis refusée »[101]. En mai 1648, sous la vice-royauté de Schomberg, des lettres royales trancheront définitivement en faveur du duc, que le maréchal fera appliquer[102]. Il semble que Rohan ait alors réussi à jouir de son bien, au moins jusqu’à son passage du côté des Frondeurs après 1650. Cette affaire, la principale parmi les nombreuses opposant les autorités françaises aux institutions catalanes, mettant directement en jeu la question des confiscations, montre bien l’origine et l’arrière-plan des troubles majeurs qui surviendront en Catalogne en 1648 et opposeront, cette fois de façon irréversible, les Catalans et les Français.
Bien que compliquée par les nombreuses chicanes, une lecture politique de ces évènements est possible. Il faut rappeler la vraie signification, pour des corps comme les Consistoires, de la possession d’un bien confisqué et de l’exercice d’un droit de propriété. Au début de notre réflexion, nous avons mentionné la possibilité en 1641 et 1642 d’un débat autour de la question des confiscations, la monarchie française à laquelle la Catalogne venait de se soumettre souhaitant exercer pleinement le droit de confisquer et de redistribuer, et la Generalitat, qui l’avait exercé de fait depuis le retrait de l’obédience à l’Espagne, ayant vocation à le conserver au moins en partie. Conservant les baronnies du marquis de Los Velez, saisies durant l’ « interrègne » en 1640-1641, la Generalitat était la seule à posséder encore des biens confisqués. Entre 1644 et 1648, période où l’autorité royale s’enracine mais aussi se redéfinit en permanence face aux prétentions des vice-rois et aux échecs militaires répétés, le Conseil des Cent ne cesse de rappeler son importance à la monarchie, la ville de Barcelona bénéficiant depuis des temps immémoriaux, en plus de nombreux privilèges, de la première place économique et commerciale de la Catalogne. Plusieurs mémoires sont envoyés par l’intermédiaire de l’agent Isidoro de Pujolar, afin de défendre ces privilèges à travers les bouleversements et d’en obtenir de nouveaux eu égard à l’engagement du Conseil à la révolte de Catalogne. Au cours de l’année 1644, d’abord, sous la vice-royauté de La Mothe, puis après son départ. Les conseillers demandent premièrement la confirmation à Barcelona du privilège de monnayage, d’autres villes, nous l’avons vu, ayant repris le droit de frappe. Afin de réparer le préjudice, ils sollicitent aussi l’autorisation de pouvoir donner aux monnaies frappées une plus grande valeur que l’argent qui y est contenu. Et ils demandent au roi de légiférer afin que les monnaies d’or et d’argent qui arriveront en Catalogne soient déposées à la table de Barcelona pour que la ville puisse les acheter à un taux modéré décidé par lui. Sur le plan judiciaire, ils voudraient obtenir la pleine juridiction de la ville, afin qu’elle puisse « connaître de toute cause civile comme criminelle » en matière de police ; ils voudraient aussi le privilège, pour les membres du Conseil des Cent, d’échapper à la peine d’emprisonnement. Enfin, ils demandent le don, « au vu de la qualité et de la grandeur qu’elle [la ville de Barcelona] a devant son roi et seigneur, de l’un des patrimoines (« estados ») confisqués et vacants, avec le titre qui paraîtra la plus convenable à S.M. » [103].
Cette revendication, lancée au moment de la première explosion des brigues, tant du côté des nobles que des communautés religieuses comme le chapitre d’Urgell[104], est très significativement justifiée par Pujolar qui, dans un autre mémoire à usage des ministres, développe plus précisément les points soulevés par les conseillers : la ville de Barcelona est lésée par l’usurpation du monnayage, qui a fait augmenter la monnaie de 60% et autant baisser les rentes ; aucune ville « n’a servi, ni même tous les autres ensemble, comme Barcelona, car cette ville a servi en donnant ses rentes, ses armes, ses habitants, ses conseils, ses résolutions, envoyant deux fois son conseller en cap à la guerre comme colonel, avec un bataillon de 1500 hommes : chose qu’elle n’a pas faite une seule fois pour le Roi Catholique ; il faut considérer que le conseiller de Barcelona a en Espagne la qualité de Grand. Ainsi, Sa Majesté doit honorer la Ville avec un grand patrimoine d’entre ceux qui ont été confisqués ; et, finalement, parce que la Generalitat a les biens confisqués du marquis de Los Velez, il paraît juste que la Ville de Barcelona soit honorée par Sa Majesté avec un autre des biens confisqués »[105]. Par ces justifications, on voit que, pour les conseillers, la possession d’un bien confisqué assurait, à la fois sur le plan matériel et symbolique, la pleine reconnaissance d’une égalité avec la Generalitat, et donc d’un rôle politique déterminant. Ne pas en avoir en leurs mains leur apparaissait comme une injustice, et en 1645 encore, l’ambassadeur de la ville demandait au roi l’attribution d’un tel patrimoine[106]. Pourtant, le fait que la monarchie ait laissé perdurer la Generalitat dans sa possession après la fin de l’intermède « révolutionnaire » de 1640-1641 n’était qu’une exception confirmant la règle : cette dernière institution n’avait obtenu depuis aucun privilège de ce type.
Entre 1644 et 1648, semble-t-il, le Conseil des Cent cesse de porter cette revendication sous les yeux mêmes du roi. Cependant, dans le jeu interne aux institutions catalanes, on découvre qu’il était fort loin de l’abandonner totalement. En février 1645, lorsqu’Harcourt, annoncé en Catalogne, s’apprête à entrer en campagne pour réparer les désastres de Lleida, et que les préparatifs militaires s’intensifient, Marca multiplie les demandes d’aide financière et militaire aux Consistoires. On sait que le bataillon catalan était famélique et que les financements manquaient autant que les volontaires. L’organe décideur de ce corps, la junta del batalló, s’interroge alors sur les moyens de financer les prochaines levées et la subsistance des soldats déjà engagés, le montant nécessaire s’élevant à 12000 livres. Ayant délibéré, elle fait savoir aux députés de la Generalitat que « pour pouvoir subvenir et satisfaire aux dépenses du bataillon ils n’ont d’autre solution en cette occasion que de vendre une ou plusieurs des propriétés, rentes et lieux ou juridictions qu’ils ont confisquées sur les mal affectes, et entre autres les baronnies de Martorell, car il est évident que de celles-là on tirera un gain de grande consistance »[107]. Après avoir fait énumérer au cours d’une session extraordinaire (Divuytena del balanç dels effectes del General) les fonds accessibles à la Generalitat, on arrive à la conclusion que, en raison de l’occupation par les ennemis de nombreuses localités qui versaient avant 1640 des impositions ordinaires, les recettes sont inférieures aux sommes nécessaires. Le 13 février, les députés décident donc d’envoyer une ambassade aux conseillers de la ville afin de leur demander d’avancer les 12000 livres le temps que soient vendues les baronnies de Castellví et de Rosanes, car on ne pourrait pas réunir la somme suffisamment vite pour répondre à la preste nécessité du bataillon[108]. Deux détails sont importants pour la suite de l’affaire : d’une part, la somme provenant de la vente des baronnies sera mise à la table de Barcelona à disposition des conseillers ; d’autre part, la vente est faite à pacte de rachat (« a carta de gràcia »). En effet, dans les mois qui suivent la délibération, le Conseil des Cent prête (en totalité ou au moins partiellement) la somme demandée, et les baronnies sont vendues à d’importants notables dont les noms sont familiers : Andreu Pont, abbé d’Amer – futur président de la Generalitat –, Barthomeu Viver, chanoine d’Urgell, Francesc de Miquel commandeur de Saint-Jean de Jérusalem – qui avait été ambassadeur en France –, Narcis Ramon March, Pau Amat, Josep Ximenis, Josep de Urrea. Cependant, en novembre 1645, la totalité des sommes dues à la ville ne sont pas réunies, pas même par la vente des baronnies. Il faut dire que la Generalitat avait également émis des censals, dont certains étaient achetés par des particuliers, mais d’autres par la ville de Barcelona. La solution envisagée d’un commun accord semble alors de revenir sur la vente faite aux particuliers, et de procéder à la vente en faveur de la ville[109]. Par là, les conseillers pouvaient enfin réaliser leur dessein d’entrer en possession d’un bien confisqué. Il n’est pas impossible que la manœuvre ait été préméditée et que les belles formules reproduites dans les Dietaris de la Generalitat où l’on voit les députés humblement solliciter auprès des conseillers de bien vouloir leur prêter la somme cachent en réalité une proposition des conseillers visant in fine à réaliser une opération avantageuse. Nous avons vu que les biens confisqués vendus aux enchères étaient généralement achetés en-dessous de leur valeur… Il semble qu’après 1645, les baronnies de Los Velez soient cependant restées aux mains de la Generalitat qui, en 1651, était encore sollicitée, au titre de seigneur, par les universités des villes comprises dans ces baronnies afin de pouvoir lever des contributions pour participer au bataillon[110]. On peut conclure, avant de nouvelles recherches nécessaires, que la volonté relevée au sein de chacun des deux Consistoires de s’approprier des biens confisqués est strictement parallèle à leur perte de confiance réciproque de l’autorité royale. C’est sous le comte d’Harcourt, alors que le vice-roi s’oppose pour la première fois fermement aux institutions traditionelles en exilant d’autorité des chanoines de Barcelona malgré leur immunité ecclésiastique, que s’enracinent les affaires que nous venons de résumer. Dans ce sens doivent être interprétés ces propos que l’abbé Pont, président de la Generalitat en 1648, écrira à Mazarin sur la possession des biens de la Ribera del Ebro :
« Il n’est pas juste ni convenable à l’Etat qu’on enlève [ces biens] à ladite province, car, alors qu’elle aurait pu conserver de nombreux patrimoines, elle n’a plus que celui de Tortosa et celui du marquis de Los Velez, laissant le duché de Cardona et le comté de Santa Coloma et tous les autres à Sa Majesté pour qu’il puisse en récompenser ceux qui servent »[111].
Discours très sensible, aux limites de l’orthodoxie monarchique à la française, invalidant presque – quoique du bout des lèvres – la légitimité de la couronne à posséder ces biens. Comme si l’institution représentative du general de Catalogne passait avant par une sorte de supériorité démocratique…
Les institutions catalanes avaient pour role éminent de recueillir les plaintes du peuple et de veiller à la réparation des préjudices commis contre les Constitutions de Catalogne. A côté des revendications qu’elles portaient pour leur propre compte, elles ont désormais beaucoup à faire dans ce domaine, le mouvement de confiscation et de réattribution entraînant des bouleversements sociaux à plusieurs niveaux. Au-delà de la légalité, ou du simulacre de légalité, c’est selon, représenté par le respect de la procédure judiciaire de confiscation et par l’enregistrement des actes dans les registres de la chancellerie ; au-delà même des litiges entre possesseurs, les confiscations se jouent parfois « de facto », sans référence à l’autorité royale et par la force de coercition, largement facilitée par le contexte de guerre et la présence de troupes nombreuses dans le pays. Jordi Vidal Pla cite l’exemple de patrimoines confisqués à Joan-Baptista Giner, l’un des protagonistes de la répression philippiste de Tortosa, dans la localité d’Ulldecona au sud de cette ville, où les « miquelets » se sont postés, empêchant les paysans d’aller travailler aux champs comme à leur habitude[112]. Ce type d’abus de pouvoir devait se rencontrer plus encore qu’il n’apparaît dans la documentation, et devait être réellement plus pénible aux populations que les affaires de clientélisme et les brigues de la cour. Un autre exemple est celui de Josep de Rocabruna[113], nommé gouverneur de Tremp et de la sous-viguerie de Pallars par le maréchal de La Mothe, et donc responsable militaire de tout le Pallars. C’est là qu’il entre en conflit avec des seigneurs locaux, comme Josep Sullà, dont nous avons déjà parlé. Il s’attribue certaines prérogatives et des juridictions appartenant de droit aux seigneurs, alors que Sullà, pour sa part, n’est même pas passé du côté des ennemis. La discorde est si grave que Sullà est déclaré mal affecte en 1646 – il rentrera ensuite en grâce. Au cours de l’année 1645, les plaintes que la Generalitat enregistre contre Rocabruna sont légion. Il est constamment accusé d’être responsable des excès de la soldatesque contre les populations. En février 1645 les députés, menés par l’abbé de Galligans, instruisent une enquête établissant que Rocabruna a enfreint la Constitution 20 du titre « De Vectigals » en levant des contributions et d’avoir emprisonné plusieurs ecclésiastiques. Ils envoient une ambassade au Gouverneur Margarit, alors exerçant vice regia (en attendant l’arrivée d’Harcourt), afin qu’il ordonne la révocation de tous les actes commis par Rocabruna en infraction avec les Constitutions de Catalogne, ce qu’ils obtiennent[114]. Mais, à son arrivée, Harcourt se laisse circonvenir par Rocabruna et lui expédie un nouveau privilège de gouverneur. Une autre ambassade des députés lui est alors envoyée pour tenir la main à l’exécution de la révocation qu’ils avaient obtenue. Ils tiennent pour avéré que Rocabruna a fait saisir chez les habitants de la paille, du bois, de l’avoine ; qu’il a tenu sa propre cour de justice « fulminant des procès, publiant des sentences, faisant des actes de composition et de mainlevée, de confiscation et de séquestre contre des militars et des habitants de la province, publiant des cridas avec peines pécuniaires et de confiscations de biens… »[115]. On voit que Rocabruna avait repris dans son district les droits régaliens normalement délégués par le souverain au vice-roi – à l’exception du droit de confisquer qui restait à la disposition du roi seul. Il avait largement profité de la période de vice regia. Les plaintes contre lui émanaient des consuls et des universités du Pallars qui se voyaient condamnés personnellement à des peines pécuniaires pour avoir manifesté une opposition. Mais en novembre 1645, rien n’avait été encore fait contre Rocabruna, et les députés adressaient une nouvelle requête à Harcourt, reprenant exactement les mêmes termes que la précédente, insistant sur la restitution de tout ce qui avait été saisi et confisqué[116]. La découverte de la conspiration et l’emprisonnemment de l’abbé de Galligans discréditent les combats de ce dernier, même ceux qui pouvaient sembler les plus justes, et les fait passer pour des ferments de sédition. Rocabruna passe à travers les mailles du filet : il conservera ses fonctions, au grand malheur des populations semble-t-il, au moins jusqu’à la chute de Barcelona. En janvier 1646, Harcourt lui fera don de l’intégral usufruit des biens de la comtesse d’Erill[117], très possessionnée dans les alentours de Tremp et dans le Pallars, augmentant encore plus son pouvoir dans la région.
Les plaintes venant des habitants des fiefs confisqués puis confiés à un nouveau seigneur ou à des gouverneurs et administrateurs ne sont pas moindres. Les méfaits du marquis de La Trousse sont aussi conséquents que ceux de Rocabruna, et dénoncés avec autant de véhémence. Selon la même logique qui avait rendu Rocabruna quasi maître du Pallars et des fiefs confisqués dans l’étendue de son gouvernement militaire, François Le Hardy, marquis de La Trousse, gouverneur militaire de Rosas depuis la prise de cette ville par les Français en 1645, reçoit en surplus le titre de « procureur général » du comté d’Empúries[118], fief appartenant traditionnellement au patrimoine de la maison de Cardona mais détaché du duché éponyme, et sur lequel se trouvait l’importante forteresse de Rosas. De ce voisinage dépendaient évidemment la subsistance de la garnison, son approvisionnement et sa sécurité. La Trousse n’entendait pas se limiter à cela, puisqu’il tenta d’obtenir jusqu’à la pleine propriété du comté lui-même, sans succès[119]… Dans les mois qui suivent la prise de possession, il donne de premiers sujets de plainte. En septembre, les députés de la Generalitat ouvrent une enquête au sujet de saisies de pièces de laine qu’il a ordonnées sur des habitants du comté, ainsi que son lieutenant M. de Marché ; ils envoient une ambassade à Harcourt, alors occupé au siège de Lleida, et lui remettent une requête pour faire révoquer les ordres en question. Si le vice-roi répond en octobre de façon dilatoire, à la fois sur l’affaire de Chabot, dont nous avons traité plus haut, et sur La Trousse, disant qu’il y pourvoira[120] – entre temps, La Trousse s’est plaint à lui du procédé des députés[121] – c’est sans doute sur son intervention que le marquis finit par rencontrer en personne, le 24 décembre, l’avocat fiscal du General de Catalunya, Vicenç Viladomar, et qu’il signe avec lui un acte validé par le notaire Miquel Marquès portant révocation de tous ses mandements contraires aux Constitutions. Au cours de la séance, Viladomar expose les faits : « ledit sieur avait donné par le passé des mandements aux habitants et tenant terre du comté d’Empúries, contenant en effet qu’ils mettent sous séquestre toutes et quantes laines qu’ils avaient en leur pouvoir, attendu qu’il les voulait pour faire des matelas aux soldats que Sa Majesté a dans la forteresse de Rosas » ; il signifie à La Trousse que c’était contraire aux Constitutions. Ce dernier se justifie : « il n’avait pas entendu ni pensait que cela fût contraire aux Constitutions, mais, vu ce que lesdits seigneurs députés lui faisaient savoir, il croyait que ça l’était. Et par conséquent, en observation desdites Constitutions, il a dit de sa propre bouche qu’il révoquait, cassait et annulait lesdits mandements »[122]. La Trousse participe ensuite, comme les principaux hauts officiers français, aux opérations de Lleida. Après le désastre, en suite de l’enquête menée en novembre et décembre 1646 par Nicolas Fouquet pour déterminer les responsabilités de ces officiers, il est arrêté ainsi que La Baume, Rebé et Mérinville[123] ; durant sa captivité, le comté d’Empúries est administré par un marchand de Figueres[124]. Mais il est finalement relâché, et survit au départ du comte d’Harcourt, puisqu’il est confirmé dans ses fonctions par le prince de Condé[125] puis par le Cardinal de Sainte-Cécile. Il ne fait plus parler de lui pendant quelque temps.
Mais le pouvoir se voit affaibli par la mauvaise conduite de Sainte-Cécile et, avant et après sa vice-royauté, par les deux périodes d’interrègne de Marca. On retrouve ainsi La Trousse en avril 1648, en opposition avec les habitants du comté d’Empúries : les consuls de Castelló d’Empúries, la capitale historique du comté, l’empêchent de faire le fermage du moulin d’Armentera, et Sainte-Cécile les déboute[126]. Rapidement le députés reprennent leur campagne contre le marquis et, au vu des nouveaux éléments qu’ils ont pu rassembler, dénoncent ce qui constitue le mobile et le principal scandale de ses agissements : la revente, à haut prix, des grains saisis sur les habitants du comté d’Empúries. Alors que le Conseil des Cent combat pour faire fixer les prix du marché afin d’empêcher la spéculation, et pour faire interdire la vente des grains hors du Principat afin d’éviter la famine, les députés prient les conseillers de se joindre à eux dans leur dénonciation auprès du vice-roi Schomberg[127]. Le 7 juillet, un « Sommaire des contraventions qui sont prouvées par les informations reçues par ordre des très-illustres seigneurs députés, commises et faites par le marquis de La Trussa et monsieur Merxer [sic] » lui est donc soumis. C’est un très long document où, après avoir rappelé que La Trousse a été nommé gouverneur en infraction des Constitutions qui prescrivent que tous les officiers doivent être Catalans naturels, on liste toutes ses contraventions et on les rapproche avec les Constitutions qu’elles enfreignent : empêcher les habitants de cultiver leurs terres et de pêcher librement ; saisir leurs récoltes pour les vendre ; former un cheptel bovin et ovin à leur détriment ; acheter des marchandises à vil prix, interdire la concurrence et l’exporter sur des navires français ; prélever en sa faveur les loyers des tavernes et des boulangeries… En plus des nombreux excès relevés dans le logement des soldats et des emprisonnements indus[128]. Au mois de juillet, La Trousse prend part à la nouvelle campagne militaire menée par Schomberg, et dirige l’un des corps de l’armée de 7000 hommes qui se dirige vers la région de l’Ebre. Les Espagnols finissent par céder le 15 juillet. Mais, au cours des combats, La Trousse trouve la mort[129]. Cet événement n’arrête pas les députés qui soutiennent les habitants du comté d’Empúries dans leur lutte pour la révocation générale de toutes les exactions du gouverneur. Quelque temps après le retour de Schomberg à Barcelona, ils lui présentent à nouveau leurs mémoriaux, contenant toujours plus de nouvelles accusations graves à l’encontre du défunt. Au début du mois de septembre, ils obtiennent la révocation qu’ils demandaient. Pour les affaires concernant la ville de Rosas en soi, il se soumet à l’argument majeur que La Trousse n’était pas alcayt de Rosas mais seulement gouverneur des armes (fonction militaire). Pour les saisies de bêtes et de récoltes faites dans le comté d’Empúries, il choisit une solution d’apaisement en déclarant que les villageois lésés seront payés sur les biens du défunt[130]. Ces résolutions, prises alors que le coupable des exactions est décédé, après des années de plaintes, sont d’une grande facilité. On trouve bien dans les registres de la chancellerie de Catalogne, le 29 octobre 1648, un ordre de Schomberg afin d’exécuter la saisie des biens de La Trousse. On y apprend que la mesure avait été réclamée par le syndic de Rosas ; d’ailleurs, dans le même ordre, figure la prescription de nommer un batlle pour la ville. Les biens du marquis resté sur place seront donc vendus à l’encan afin de rembourser les 1250 livres qui, selon l’estimation du syndic, étaient dues pour les profits faits sur les récoltes au préjudice des habitants (« de las herbas dels naturals »). Mais les biens qui restaient, lit-on, étaient principalement des arquebuses et des chariots. Cela ne permettait pas de rembourser la somme ; plus encore, le syndic avait dû dépenser 50 livres pour les faire saisir ! Schomberg accédait donc à sa demande de percevoir les créances du marquis, et de reprendre à son compte les boutiques qu’il avait fait édifier dans Rosas[131] ! Mais malgré ce démantèlement apparent du spoil system mis en place par le feu gouverneur, Schomberg n’apporte aucun changement à la politique générale de ses prédécesseurs, et fait exactement comme eux en nommant immédiatement, comme gouverneur et receveur général (« exactor general ») du comté d’Empúries, celui qui a succédé à La Trousse comme gouverneur de Rosas : Charles de La Fare, marquis de Montclar[132]. Dans une lettre à Mazarin, Schomberg montre son vrai état d’esprit :
« Je suis obligé de donner avis a Votre Eminence, encor que je suis tres particulierement amy de M. de la Fare, que si elle luy donne le gouvernement et administration de la comte d’Ampurias et la Cabrera, toute la deputation qui m’avoit desja accablé de mille informations criminelles et d’autant de charges contre le pauvre feu M. de La Trousse, et le tout n’estoit pas tant pour ce qu’il faisoit, ou il y avoit neantmoins bien quelque chose a redire, que parce que le Traitté porte que les gouverneurs de justice ne peuvent estre que Catalans [sic] »[133].
Quels que soient les vice-rois, la ligne politique semblait davantage de donner ponctuellement satisfaction aux députés et de fermer les yeux sur le détail des exactions afin de conserver la fidélité des plus hauts officiers, à l’heure où les désertions étaient nombreuses et où, en France, la contestation montait. Invariablement, les gouverneurs, y compris ceux nommés avant 1644 par Argenson et La Mothe, continuaient à être invariablement maintenus dans leur charge[134], un successeur étant désigné seulement à leur décès. Les privilèges des nouveaux gouverneurs égrainaient des fonctions toujours aussi étendues : créer ou révoquer les officiers, recevoir leur serment de fidélité, faire observer les coutumes écrites et non écrites des universités, dresser le capbreu des personnes et des biens sur la seigneurie, contrôler les ventes et contrats des villageois, administrer la juridiction civille et criminelle, mère et mixte empire, faire exécuter les amendes et les peines, dresser des fourches patibulaires[135]…
La vicomté de Canet en Roussillon est un autre exemple de gestion conflictuelle d’un bien confisqué. Cela pour deux raisons : premièrement, après 1646, l’usufruit en est confié à un personnage de haut prestige, mais très décrié et désireux d’augmenter sa puissance par toutes sortes de moyens : le Régent Fontanella ; deuxièmement, c’est sur cette vicomté que se situent les premières salines du Roussillon, qui sont aussi l’une des principales sources de richesse (et de conflit) de cette région. Tout d’abord, le 4 avril 1646, vient ce privilège par lequel le comte d’Harcourt, alors sur le départ, donne à Fontanella l’usufruit de la vicomté. On sait combien il fut difficile à admettre pour Marca, qui soupçonnait le Régent d’avoir sombrement manœuvré pendant la conspiration de 1645, et combien il était malvenu sur le plan politique compte tenu de l’affaiblissement du vice-roi et de la faction Ardena/Fontanella, alors discréditée. L’usufruit, lit-on dans le privilège, était attribué en attendant que le roi donne la propriété de la vicomté… Fontanella recevait les « fruits, émoluments, rentes, cens, dîmes, tasques, lluismes, foriscapes, droits de pêche, salines, eaux, étangs, sources, rivières, maisons, bois, forêts, deveses, mines, minéraux et autres droits et rentes » que le roi y percevait[136]. Soit un certain nombre de droits seigneuriaux que Marca, selon ses avis, voulait expressément réserver au roi afin de préserver l’emprise du lien féodal. Deux mois plus tard, Harcourt complète la donation en nommant Fontanella gouverneur général de la vicomté, une charge comprenant, comme nous l’avons vu, le droit d’exercer au nom du roi toute la juridiction civile et criminelle, mère et mixte empire, et de créer des officiers[137]. Véritable seigneur de fait, sans en avoir pourtant le titre, le Régent Fontanella avait, en plus d’un intérêt financier indéniable – selon Marca, la vicomté avait plus de 2000 écus de revenu –, une raison symbolique pour vouloir se parer de ces attributs nobiliaires : fils d’un grand juriste, lui-même né dans un milieu artisan d’Olot, Fontanella était par sa mère, Margarida Garraver, issu d’une famille de riches terriens de Saint-Nazaire, en Roussillon, dont la plupart des terres se situaient sur ou près de la vicomté de Canet. Les Fontanella semblent fortement liés à cette zone, gérant les propriétés venues des Garraver, au point que Mariangela Fontanella, sœur de Josep, se maria avec Jeroni Jaubert, docteur en droit de Perpignan mais lui aussi possessionné à Canet[138]. La confiscation de la vicomté à la comtesse de Vallfogona, puis sa disponibilité en 1646 lui permettent à la fois de parachever son ascension sociale et de remplacer un seigneur toujours absent et éloigné.
De fait, Fontanella se soucie immédiatement de la gestion de la vicomté, comme le prouve le petit dossier d’actes concernant Canet conservé aux Archives Départementales des Pyrénées-Orientales. Quelques jours après sa nomination, il envoie le procureur juridictionnel, le juriste roussillonnais Francesc Flos, faire la prise de possession des fruits et émoluments : dès le 12 avril, les parts situées dans la localité même de Canet – moulin à farine, four à pain, pièces de terre avec leurs tenanciers, salines – sont reconnues, le 2 mai, les eaux et le droit de pêche, cens, décimes et foriscapes, et le 19 juillet, le four de Sainte Marie la Mer[139]. Il est intéressant de préciser que Francesc Flos est son propre beau-frère[140]. Quand le Régent est nommé gouverneur, il choisit immédiatement le même Flos pour exercer à sa place ses fonctions juridictionnelles[141]. Cependant, il apporte un certain nombre de changements. Il révoque le viguier qui avait été nommé en 1645 alors que la vicomté était encore dans le patrimoine royal : Galceran Aylla[142]. Ce dernier était à l’origine un cultivateur de Canet, dont le frère était curé de la paroisse. Les raisons invoquées : « certaines raisons justes qui l’y poussaient » (« certis de causis animuum suum juste moventibus »)… Aylla n’accepte pas la décision, injustifiée, et fait rédiger par un notaire de Perpignan un acte attestant qu’il n’a pas l’intention de s’y plier, et qu’il entend bien continuer jusqu’en 1648 l’exercice de sa fonction, à lui donnée en trienne par un privilège qui ne saurait être révoqué qu’après approbation du roi ; il le remet au notaire de la vicomté accompagné du privilège de nomination[143]. Nous ne savons pas la suite de cette affaire, mais elle montre bien son intention d’exercer la plénitude de ses pouvoirs et, peut-être, de remplacer une partie de l’ancien personnel par des individus à sa dévotion. Il faut y ajouter enfin la supplique envoyée par les consuls de Torreilles en 1648, dont l’original est conservé dans le même dossier des Archives des Pyrénées-Orientales : ils demandent à Fontanella de leur donner l’autorisation de faire paître leurs bêtes sur les herbes dépendant de la vicomté car les communaux ne sont pas assez fournis : dans la marge (il s’agit probablement de l’écriture de Fontanella), on lit : « les herbes sont comprises dans la ferme de la vicomté, et une fois fini celui-là, on y pourvoira comme il se pourra »[144]. Il fallait encore attendre deux ans la fin du contrat… Peu de temps avant, Fontanella, désirant ardemment obtenir son titre de vicomte, écrivait à Mazarin une lettre où il estimait de façon fallacieuse les revenus de la vicomté à 1500 « livres », sans préciser s’il s’agissait de livres barcelonaises ou françaises, ce que Mazarin ne manqua pas de lui reprocher[145]. Il ne semble pas que le Régent ait été une seule fois distrait dans son administration ni dans ses comptes. Bien informé de la consistance de la vicomté, il fait déjà état dans une autre lettre à Mazarin de la « Font de Salses », un ensemble de deux sources naturelles qui se jetaient dans l’étang de Salses et qui constituaient un lieu de pêche privilégié depuis l’Antiquité. Ce site dépendant directement de la vicomté avait été, à la faveur de la guerre, de la confiscation de la vicomté puis d’une période de quatre ans de gestion pour le roi par Francesc Sangenís et ses procureurs, illégalement réquisitionné par le gouverneur du fort de Salses, dont on sait l’importance dans les évènements de 1639-1640[146]. Le Régent n’allait cesser de réclamer la réintégration de ce bien, au moins jusqu’en 1652…
La question des salins de Canet est beaucoup plus brûlante et conséquente. Là encore, ce bien, l’un des plus convoités du Roussillon – estimé à plus de 1200 livres catalanes de revenu dans l’état de 1643[147] – a été géré pour le roi dès après la confiscation de 1642. Si les anciens vicomtes de Canet de la maison de Castro-Pinós étaient en possession de ces salins et en percevaient les revenus par l’intermédiaire d’un procureur, le passage du Roussillon à l’obédience française complique les choses, et la couronne semble placer les salins – dont l’un s’apelle le « salin du comte » – sous sa mainmise. Il est certain que le thème du sel est beaucoup plus sensible en France, les années 1630 ayant été traversées d’innombrables révoltes contre la gabelle. Cet impôt, qui touche certaines régions et non d’autres, et est d’autant plus mal reçu qu’il touche un bien de consommation courante, n’existe pas en Catalogne. Pour la couronne, contrôler à la fois la production du sel et son imposition est une affaire intéressante. Sophie González a parlé d’une « tentative d’instauration de la gabelle en terres catalanes » dans les années 1640, et s’est demandé si le roi avait réussi à « imposer une passation de bail au profit de ses fermiers du Languedoc » comme cela avait été le cas dans les provinces protégées par la France au même moment : Metz, Toul, Verdun, par exemple[148]. Nous ne pensons pas qu’il y ait réellement eu une volonté d’imposer la gabelle, du moins nous n’en avons pas trouvé une seule trace dans la documentation. En revanche, les conflits autour du bail des salins sont nombreux et préoccupent hautement les autorités. En 1644, un bail avait été conclu pour quatre ans avec des marchands de Barcelona[149]. Il n’est pas douteux que ces derniers aient pensé à quelque profit sur le sel produit. Du moins, en 1646, les fermiers des gabelles du Languedoc envoient à Harcourt une supplique où ils se plaignent que le sel de Canet entre illégalement en Languedoc, portant préjudice à leur monopole en raison de son prix beaucoup plus bas. Tel était l’effet sur le commerce de la prise du Roussillon par les Français et de l’abolition pratique de l’ancienne frontière des Corbières.
La réaction du vice-roi est de préserver les intérêts des Français. Il donne ordre au gouverneur de Roussillon, Tomàs de Banyuls, de livrer le bail des salines de Canet aux fermiers du Languedoc. L’ordre porte cependant une limite claire : le bail sera au tarif accoutumé pour Canet, et le sel sera vendu uniquement en Roussillon, Conflent et Capcir, aux habitants de ces territoires et non aux Français, pour un prix n’excédant pas l’actuel[150]… En avril 1646, les fruits de la vicomté de Canet sont donnés à Fontanella. Nous ne savons pas exactement quelle fut dès lors son emprise sur les salins, s’ils étaient détachés dans la pratique de la vicomté et si leurs revenus allaient à la couronne. Cependant, tous les actes dressés au nom de Fontanella précisent bien que les salins sont toujours compris dans le bail qui court depuis 1644, et ne devra cesser qu’en 1648. De fait, les bénéfiaires du bail et les exploitants refusent de faire la passation qui leur est ordonnée par le gouverneur, et portent l’affaire devant la Reial Audiència… Le conflit remonte alors jusqu’à la cour, qui, là encore, statue en faveur des Français :
« Lesdits fermiers ayant fait assigner les proprietaires et fermiers des salins pour consentir a la passation dud. bail a la charge de remettre apres le temps d’icelluy lesd. salins en l’estat qu’ils sont et de payer par advance le prix de leur ferme, ils seroient rendus appelantz de la procedure dudit de Bagnols. Et desirant procurer autant qu’il est possible le bien d’une ferme si importante a cet Estat et a nos affaires qu’est celle des Gabelles de ma province de Languedoc, je vous faits cette lettre pour vous dire que mon intention est que sans avoir esgard a lad. opposition et appellation, vous ayés a faire preferer lesd. fermiers de mes gabelles en la ferme desd. salins de Canet a tous autres pourveu qu’au lieu de V cent livres a quoy se monte le prix dud. bail ils en doivent VI cent par advance toutes les années a qui il apartiendra selon l’offre qu’ils en ont fait »[151].
Mais, malgré les ordres, et pendant que l’affaire était portée en justice, le sel continuait à passer en Languedoc, sans doute autant sur l’initiative des marchands privilégiés par le bail que sur celle des vrais contrebandiers. Harcourt venait en même temps d’ordonner à Tomàs de Banyuls de l’empêcher par la force, arguant que ce trafic était « préjudiciable au patrimoine royal » (« danyós a son Real patrimoni »)[152]. Le gouverneur fait alors afficher partout des cridas prohibant la vente du sel de Canet en France ou à un Français, sous peine de confiscation du sel et de tous les véhicules ayant permis de le transporter et d’une amende de 50 écus ; les récidivistes encourront, pour les non nobles, les galères pendant trois ans, pour les nobles, l’exil dans une forteresse pendant la même durée[153]. Les députés de la Generalitat réagissent alors et envoient le 18 août une requête à Tomàs de Banyuls, lui rappelant que, selon les Constitutions de Catalogne, le commerce par mer et par terre est libre, les habitants du Principat et des Comtés ayant la faculté d’apporter les marchandises qu’ils veulent dans les villes et ports de leur choix. Par conséquent, ses cridas sont contraires à plusieurs Constitutions. Ils le prient de les annuler et de les rayer des registres sous trois jours, ou bien de notifier son désaccord par écrit[154]. Banyuls ne répond pas. La Generalitat utilise donc la solution de dernier recours prévue par l’article 14 du traité de Péronne : former elle-même un acte de « dubte », c’est-à-dire une liste des griefs trouvés contre l’accusé, qui lui est de nouveau notifiée, et donne lieu, cette fois, à un procès. Celui-ci doit être jugé par treize juges, qui se partagent entre membres de l’Audiència, représentants élus des trois estaments, Régent et chancelier[155]. Le 20 février 1647 les juges sont élus au cours d’une très longue cérémonie, après quoi ils sont appelés à siéger dans la maison de la Députation ; les docteurs de l’Audiència – Josep Queralt, Francesc Vidal, Hierònym Fabrega, Pere Joan Rossell, Jacint Pallarès, Jacint Roca – les rejoignent, prêtent serment avec eux avec menace d’excommunication, et s’asseoient sur « des sièges en vachette de Moscovie »… Après avoir écouté les informations de l’assesseur et de l’avocat fiscal du General, les juges procèdent au vote au moyen de boules blanches et noires. Tout ce cérémonial pour déboucher sur une confirmation de ce qui avait été dit par les députés : oui, il y avait bien eu infraction aux Constitutions[156].
La suite des évènements doit se déduire et se reconstituer, car elle n’apparaît pas aussi directement dans les Dietaris de la Generalitat. A la fin février 1647, au même moment que la consultation du 20 au sujet de l’infraction de Banyuls, l’angoisse des députés croît de jour en jour devant la perspective d’une trêve entre la France et l’Espagne. Le thème diplomatique devient le centre de leurs préoccupations : on répand même que la France gardera le Roussillon en propriété et cédera la Catalogne, ce pourquoi elle multiplie ses efforts autour de Canet[157]. Le 24, incroyablement, Marca parvient à les rassurer et obtient un succès relatif mais concret en leur faisant accepter que le roi conserve l’initiative de la diplomatie[158]. Peu après, le 27 mars, Harcourt quitte Barcelona dans un climat de défiance généralisée. Si le prince de Condé arrive rapidement, le 11 avril, soulevant un courant d’espoir et d’enthousiasme dans la province, les conflits des mois précédents ne s’effacent pas, et rien n’a été réglé. Les propriétaires des salins et les syndics des universités concernées par le sel de Canet affluent à Barcelona pour soutenirs leurs intérêts et adresser leurs suppliques aux membres du Consell Reial, où l’affaire, semble-t-il, est passée, ainsi qu’au Chancelier Llorenç de Barutell. Du moins, une lettre de ce dernier au gouverneur Banyuls est conservée parmi les papiers de la vicomté aux Archives des Pyrénées-Orientales, visiblement au sein d’un dossier consacé au contentieux des salins. Même si l’ensemble paraît incomplet, la lettre a été insérée comme pièce jointe à une requête ou supplique de deux représentants de l’université de Canet, le consul Jaume Garriga et le syndic Jaume Vergnia.
« Ainsi sont venus certains propriétaires de salins et syndics de Perpignan et de Conflent, avec qui on a conféré pour ajuster les choses comme le Conseil le jugeait bon pour tous. Ils n’ont pas voulu s’y plier, malgré le fait que cela soit très opportun, et malgré notre avis. Mais comme notre procédé n’est pas d’user de moyens violents, nous leur avons dit de s’en retourner chez eux, nous remettant pour cela à la cause qui est traitée au Conseil, où il sera dit avec justice qu’en la matière vous avez, depuis de nombreuses années, produit une bonne partie des efforts pour une semblable besogne »[159].
Les dernières phrases, assez obscures, font penser à une entente sur le fond entre le chancelier et le gouverneur de Roussillon, ce dernier exécutant la politique royale que le Conseil était censé défendre : en clair, le Consell Reial était juge et partie, son membre le plus éminent ayant un contact direct avec l’accusé… Produire un tel document servait peut-être à montrer l’importance de l’entorse aux lois de la terre. Malheureusement les archives du Conseil ne nous sont pas parvenues et nous ne pouvons pas retracer le déroulement exact du procès ni son issue. Cependant, la gravité de l’affaire est relevée dans une note écrite par Isidoro de Pujolar le 8 octobre 1647, quelques jours à peine après la lettre de Barutell et en plein procès. Dans cet écrit, appelé « Papel conveniente al Real servitio », Pujolar évoque la rumeur que la France, en forçant la livraison du bail aux fermiers des gabelles et en interdisant la libre vente du sel, a des visées bien précises et délétères…
« La Reial Audiència s’est interposée en cette affaire pour l’accommoder et pour rassurer les esprits, mais tout le peuple est très inquiet parce qu’il ne manque pas de mal affectes pour l’enflammer en lui insinuant qu’on veut introduire la gabelle sur le sel […].
Je vois les affaires de notre province plus confuses qu’elles ne l’ont jamais été, parce que même si on laisse de côté les mauvais esprits qu’elle compte, encore on voit se profiler un problème comme celui des salines, qui à lui seul suffit à perdre la Catalogne française (« Francia Cataluña »), comme sans doute il la perdra s’il éclate ; et que Votre Majesté soit certaine que c’est là la politique de Castille, de faire que les Catalans ne soient pas en bons termes avec les Français, comme de fait ils ne le sont pas […]
Je ne sais pas quelle utilité Sa Majesté peut tirer de la fin des salines de Canet, au contraire, je trouve qu’il serait très utile au service royal de les conserver, parce qu’en les ruinant, on abattra toutes les terres du Roussillon, Conflent, Cerdagne, et côte de Catalogne, parce qu’avec le sel on faisait descendre du fer, du bois et beaucoup d’autres choses […].
En faisant cela, on ôte la vie à des milliers de personnes tant pauvres que riches, sans en tirer aucune utilité : de cela, seuls quatre particuliers du Languedoc tireront profit, et on détruirait toute une province, en l’exposant à perdre tout »[160].
Le texte porte la certitude, sans douté répandue dans le peuple – d’où l’extrême opposition qui semble dépasser le cercle réduit des anciens fermiers de la vicomté –, que la reprise du bail par les fermiers français va les inciter à ruiner matériellement les salines, pour en finir avec le sel du Roussillon et ainsi conserver le monopole de celui du Languedoc[161]. Il est frappant de voir que c’est exactement ce qui se produira lorsque, une fois annexé le Roussillon, la gabelle sera réellement introduite et les salins abandonnés dans les années 1670 sous la pression des fermiers. En 1648, il nous suffira de faire remarquer, toujours d’après le même dossier des archives roussillonnaises, que l’ancien bail de toute la vicomté de Canet que les marchands de Barcelona avaient obtenu de Louis de Niort de Bélesta, sous la vice-royauté de La Mothe et l’administration de Sangenís, n’est pas renouvelé. Un certain « Claude Genon », tour à tour lyonnais (« domicelli Lugdunensis ») et narbonnais (« Narbone populato »), dans tous les cas Français, obtient le nouveau[162] : il restera en place au moins jusqu’en 1650. Il est fort probable que ce « Genon » soit à rapprocher du Jeannon qui fut fermier des gabelles du Languedoc de 1645 à 1652[163]…
La place des veuves : Isabel Lacavalleria et les autres
Nous avons déjà noté que, durant la période 1642-1644, les veuves ont une place de choix parmi les bénéficiaires des gratifications. Sous la vice-royauté du maréchal de La Mothe, elles avaient obtenu 14 paiements de pensions, soit 10% du total, mais 12 de ces pensions avaient été versées pour les rembourser d’une créance ou d’une rente que leur mari possédait[164]. Le fait reste toutefois significatif : il montre la capacité des veuves à connaître et faire valoir leurs droits, comme un véritable chef de famille qu’elles sont devenues, devant parfois veiller sur un patrimoine qui reviendra à leurs enfants. Elles étaient protégées par les Constitutions de Catalogne au titre de leur dot, qu’elles peuvent récupérer en cas de condamnation de leur mari pour crime de lèse-majesté – point sur lequel le juriste Joan Pere Fontanella, père du Régent, était largement revenu dans ses ouvrages et qui n’était contesté par personne[165]. Ainsi, il semble tout à fait pertinent de se demander, à travers quelques exemples, en quoi et comment ces veuves ont pu elles aussi profiter des confiscations de Catalogne, et ainsi donner quelques éléments pour esquisser une étude du rôle des femmes à cette période, qui reste encore à écrire. Pendant la période 1644-1648, la question reste toujours centrale : sous le comte d’Harcourt (voir les graphiques précédents), les veuves obtiennent 4 donations de biens, occupant la deuxième place derrière les nobles et cavallers qui en ont 9 ; elles reçoivent 53 paiements de pensions, soit 24% du total. Plus encore : sous le prince de Condé, elles sont les premières bénéficiaires de tous les paiements, obtenant 13 actes sur 41 en tout… Nous n’allons pas nous appesantir ici sur le cas de ces veuves qui, pas plus que leur défunt mari, n’ont eu aucn rôle significatif dans les affaires politiques et ne font que se faire payer des créances ; nous avons plus haut quelque peu analysé ce mécanisme. Nous étudierons des cas beaucoup plus notables, quoiqu’assez particuliers, un surtout (celui de la veuve Lacavalleria), pour leur rapport étroit avec la politique des vice-rois et leur récurrence durant toute la période.
L’attention se fixe premièrement sur la veuve d’une grande victime profrançaise des Castillans : le docteur Onofre Anglesill. Ce dernier s’est signalé en 1642 sous Argenson dans le jugement des premiers procès des mal affectes. Membre du Consell Reial, il est chargé de sauvegarder l’autorité française dans la place de Lleida, qui, au cours de l’été 1644, menaçait de se soulever en faveur des Castillans. Les partisans de ces derniers sont durement réprimés et emprisonnés. Le 7 juillet 1644, il tente de réprimer le premier juré de la ville qui crie partout « Viva el Rey de España ! ». Il est assailli par un notaire nommé Algaro qui lui porte des coups de couteau. Anglesill succombe immédiatement. Par la suite, après la capitulation de la garnison française, Philippe IV entrera dans la ville[166]. Sa veuve Candia Ferrer i Anglesill doit quitter la ville, où sa famille possédait tous ses biens et où elle est à présent haïe, pour Barcelona. Elle y est alors particulièrement cajolée par les Français. Marca la prend sous son aile ; c’est sans doute sous son intervention que lui sont attribués deux cadeaux, le 31 juillet (de 500 livres)[167] puis le 24 septembre 1644 (25 livres)[168], « pour les grands services de feu son mari ». Entre temps, il s’est occupé de défendre ses intérêts auprès de Le Tellier qui, sans attendre, lui fait expédier un brevet de pension de 3000 livres (tournois) à vie sur les biens confisqués[169]. Marca reçoit la latitude de délivrer l’acte à la bénéficiaire quand il le souhaitera[170] ; sur sa proposition, ses enfants sont envoyés à Paris étudier au collège de Clermont, où, dit-il, ils seront habillés à la française[171]. Dans l’esprit du visiteur général, la fin tragique d’Anglesill doit servir d’exemple, et le traitement de faveur que l’on réserve à sa famille doit en imposer. La veuve en question ne laisse pas non plus d’attirer la pitié sur son sort. Pendant quelques mois, comme la plupart des bénéficiaires des biens confisqués, elle n’obtient pas le versement de sa pension. Mais un nouveau coup de semonce lui permet d’être satisfaite, à l’inverse de tous les autres…
« Estant pressé par la misere et les importunitez de la dame Anglesil, dit Marca, je luy ay fait payer sa pention en trois cens louys d’or, ce qui a fait un grand esclat dans la ville, ou l’on alleguoit son exemple pour veriffier que les biensfaits de France se reduisoient en fumée »[172].
Marca, sur les instances de Le Tellier, a tiré les trois cent louis d’or du fonds de l’armée, ce qui a été jugé nécessaire au service du roi ; on voit aisément l’importance donnée à cette affaire. La somme sera rapidement renvoyée par la cour[173]. L’année 1646 n’est pas payée : début 1647, Le Tellier se soucie à nouveau de la veuve Anglesill et ordonne à Marca de faire payer l’année due sur les revenus du duché de Cardona, au même titre que les pensions des serviteurs les plus importants comme Fontanella[174]. Le 28 avril 1647 une lettre missive du roi est envoyée au comte d’Harcourt pour y tenir la main. C’est l’abbé Faget, en charge de Cardona, qui reçoit donc l’ordre de payer cette pension, convertie en 1620 livres barcelonaises[175] ; la pension avait bien été acquittée au 1er décembre 1647[176]…
Pendant les deux années qui suivent, on ne trouve guère de traces de la veuve Anglesill, mais on peut penser que sa pension a été encore plus difficile à faire payer, étant donné qu’après 1648, l’envoi des fonds en Catalogne a cessé pour cause de banqueroute et de Fronde. Il faut dire que cette pension était la plus élevée parmi toutes celles reçues par des particuliers, d’un montant égal à celui que le roi avait voulu ordonner en 1644 en faveur du chapitre d’Urgell[177]… A titre de comparaison, la pension prévue pour Tomàs de Banyuls, gouverneur du Roussillon, s’élève à 1500 livres tournois seulement[178]. Seul le docteur Morell obtient presque autant que Candia Anglesill avec ses 1000 livres barcelonaises[179]. Que ce soit dans les actes établis par la chancellerie royale ou dans les décrets du vice-roi, aucune pension à un particulier, à l’exception de ces dernières, n’excède 500 livres barcelonaises. Plus encore, Candia Anglesill, à deux reprises au moins, est le seul exemple de particulier à avoir obtenu la satisfaction intégrale de son dû… En 1650, elle aura encore l’habileté de s’attirer les grâces du vice-roi Mercoeur : après lui avoir adressé une supplique bien sentie, elle obtiendra pour elle et son fils (peut-être pour compenser un non-paiement depuis 1648 ?) jusqu’à l’usufruit des baronnies de Baga, Pinós et Mataplana, qui avait été donné à Josep Amat par Harcourt mais lui avait été retiré depuis lors de son incarcération dans une forteresse en France[180]. Et Marca de noter :
« Il (Mercoeur) a faict don de la baronnie de Baga de 1000 B. de revenu que Joseph Amat possede en sequestre a la veufve Anglesil et son fils, qui est un don excessif, y ayant du fond pour contenter plusieurs »[181].
Il est donc tout à fait remarquable que, dans une période où l’argent manquait, voire ne se trouvait pas du tout comme après la banqueroute de 1648, une période de guerre où il fallait récompenser des serviteurs et éviter les jalousies mortelles, ce soit une veuve qui reçoive la plus haute pension jamais donnée à une personne en Catalogne française.
A différents niveaux, d’autres femmes montrent la même habileté pour défendre leurs intérêts ou mettre à profit les confiscations. Ana Maria de Vilalba i Pol, veuve de Ramon de Vilalba mort au service du roi, et surtout cousine germaine du Chancelier Llorenç de Barutell[182], se voit attribuer par le maréchal de La Mothe le droit d’habiter – à loyer très modéré ou gratuitement, les documents nous manquent pour le savoir – la maison séquestrée de la comtesse de Montagut, dont le séquestre est confié à Joan de Barutell, qui est aussi son cousin germain, frère du chancelier. En 1646, le lloctinent del Mestre Racional se met à réclamer des comptes au séquestre pour l’occupation de cette maison – peut-être avait-il une impression de favoritisme ? Ana Maria de Vilalba présente alors une supplique à Harcourt, qui délivre un nouveau décret lui perpétuant l’autorisation d’habiter paisiblement la demeure[183]. De son côté, Maria de Rajadell i de Peguera, veuve de Lluis de Rajadell, se fait offrir tous les loyers arriérés qu’elle devait pour la maison où elle vivait plaça Santa Ana à Barcelona et qui avait été confisquée à Lluis Descallar[184]. Autre femme très habile entre les habiles, la comtesse de Çavellà : veuve elle aussi d’un noble catalan mort au service de la France, elle gère d’une main de maître, en plus des biens de la famille de son mari dont les frères sont passés du côté des Castillans, la baronnie de Bellpuig confisquée qu’il s’était fait donner par le maréchal de La Mothe[185]. Elle réussira à se remarier avec un des grands capitaines français, le marquis de Marcilly, et à conserver la jouissance de son grand patrimoine malgré les lois catalanes défavorables aux femmes remariées. Nous reviendrons sur son cas très significatif d’une certaine politique d’intégration de la noblesse catalane[186]. Dans un registre dramatique enfin, la supplique de Mariana de Tamarit i de Tafurer. Veuve d’Hug de Tamarit, mort bien avant la guerre, elle avait perdu ses deux fils, Joan et Jeroni, tués sur le champ de bataille, le premier à la bataille de Montmeló en 1642, le deuxième au siège de Lleida en 1646. Jeroni de Tamarit était, comme nous l’avons vu, l’un des favoris du comte d’Harcourt, proche de la conspiratrice Hipolita d’Aragon mais très apprécié par le vice-roi qui lui avait donné la baronnie de Sant Boi de Llobregat[187]. Après la mort de ce fils – maigre consolation – Mariana de Tamarit se retrouvait par héritage en possession de cette baronnie. Mais, en plus de l’aspect sinistre de la situation, le bien était était grevé de dettes qu’elle ne pouvait pas payer. Elle envoie une supplique à celui qui, quelque temps auparavant, avait été le bienfaiteur de sa famille : ce dernier se laisse émouvoir et attribue à la malheureuse une pension de 350 livres à vie, apparemment équivalente aux dettes de la baronnie[188].
Isabel Lacavalleria est l’exemple le plus remarquable et le plus intéressant de ces veuves habiles gestionnaires et, parfois, fines politiques. Cette femme apparaît de façon très récurrente dans la documentation, et il est étonnant que les historiens n’aient pas davantage étudié son rôle tant elle a traversé les périodes, les lieux, les milieux, les sphères du pouvoir, et tant les sommes en jeu sont importantes. Au départ, Isabel Dulach est la fille d’un simple teinturier de Barcelona, Pera Joan Dulach[189]. Dans les années 1630, elle épouse Pere Lacavalleria. Il faut rappeler ici l’importance de ce dernier. Originaire, d’après les recherches inédites de Philippe Lazerme[190], du village de Carnac-Rouffiac dans le diocèse de Cahors, ce personnage qui à sa naissance s’appelle Pierre Lacavalerie – une famille de ce nom existait encore dans le même village au XIXe siècle – se fixe à Barcelona vers 1619, carrer d’Arlet, où il devient imprimeur. En 1628, il se fait connaître par l’édition du Summari, Índex o Epítome dels admirables i nobilíssims Títols d’Honor de Catalunya, Rosselló i Cerdanya, œuvre d’un juriste de Perpignan nommé Andreu Bosch, qui est imprimé dans la ville de résidence de l’auteur. Il s’agit d’un véritable recueil des droits et honneurs de la Catalogne, du Roussillon et de la Cerdagne, premier ouvrage précis sur les institutions qui régissent les Comtés. Dans les années 1630, il se lie fortement avec les milieux hostiles aux Castillans, imprimant notamment à partir de 1639 les Sacri regii Senatus Cathaloniae decisiones de Joan Pere Fontanella, le juriste et idéologue de la révolution de 1640. Sans doute influencé par sa naissance au sein du royaume de France, il soutient donc la soumission de la Catalogne à Louis XIII et réalise un acte hautement symbolique en rédigeant et imprimant en 1642 le premier dictionnaire passant du catalan au français, en réalité un dictionnaire trilingue catalan-français-espagnol. Tous les linguistes et historiens qui ont analysé cet ouvrage et son contexte ont montré que l’initiative n’était pas gratuite : imprimé en petit format d’usage assez aisé, il est dédié au vice-roi français entré à Barcelona cette année-là, Brézé[191]. Ce dernier lui a donné l’autorisation d’imprimer[192]. L’épitre dédicatoire ne laisse pas de doute sur le message politique : « Les fontaines sortent de la mer et y retournent. Catalogne fut tirée du cruel joug des Maures avec l’assistance de France ; et maintenant elle y retourne, afin que la mesme France deffende ce qu’elle luy a donné et restitué, se tournant vers elle et se soubmettant soubs son obeissance en un temps fort dangereux. » Cela dit, sur le plan linguistique et humain, il est tout à fait possible que Pere Lacavalleria, très bel exemple d’acculturation, ait sincèrement voulu favoriser l’apprentissage des langues comme il avait lui-même pu en profiter. Laissons-le parler de sa propre expérience.
« Dedans un si grand bruit des armes, j’ay jugé qu’il estoit necessaire de mettre au jour ce Dictionnaire, principal instrument pour apprendre les langues et reunir les cœurs. C’est une obligation naturelle, puisque je suis né sujet de Sa Majesté. Il y a 23 ans que je suis dans Barcelonne. Dans icelle j’ay appris le Castillan et Catalan, ayant pour maistre l’imprimerie, conservant toujours en moy mesme la langue françoise que j’apprins par art dans les escoles, estant natif de Guyenne »[193].
Malgré la qualité assez médiocre de ses éditions, Pere Lacavalleria devient rapidement l’imprimeur officiel du régime. La Mothe dès son arrivée lui confie l’impression de toutes ses cridas – proclamations solennelles –, notamment celles de décembre 1642 qui consacrent la reprise officielle par le vice-roi de ses prérogatives judiciaires[194], ou encore les cridas récurrentes condamnant les mal affectes. Les archives nous apprennent que le vice-roi fait tirer beaucoup d’exemplaires de ces feuillets pour qu’ils soient affichés partout[195]. Autre tirage officiel : la liste des personnes ayant prêté le serment de fidélité de 1643[196], si utile à la connaissance des fidèles et des transfuges.
Mais dès 1641, l’imprimeur s’attribue une nouvelle casquette et s’approche du cœur des affaires politiques. Dans un mémoire qu’il envoie à Mazarin, probablement au cours de l’année 1644, il revient – peut-être de façon exagérée – sur certains services rendus depuis le début de la guerre : il a conseillé Plessis-Besançon et Espenan, leur a servi d’interprète et de traducteur en catalan, il a donné ses avis à La Mothe et Argenson, « lorsque l’armée de Sa Majesté était au siège de Tarragona et près de la perte par manque d’argent pour le pain de munition, il a avancé tout ce qu’il avait, et obligea ses parents et amis à faire de même ». Quand « Argenson chercha de l’argent par le moyen d’autres marchands et qu’il n’en trouva pas, il ordonna audit Lacavalleria de le faire, lequel s’exécuta et signa les lettres de change en son nom propre. Quand on manqua d’artillerie au début de la guerre, et même de munitions, il les fournit, en obligeant ses biens. Quand, aux occasions, il n’y eut pas d’argent pour les officiers et le train d’artillerie, il prêta le sien ou sa caution. Toutes les traductions de papiers importants sont passées par ses mains. Sa maison a été le refuge des Français, et il a dépensé beaucoup pour les mettre bien : il n’en a tiré aucun autre profit que le nom de père »[197]. On retrouve là les compétences linguistiques de ce personnage authentiquement trilingue – remarquons au passage que, de façon amusante, le basque Carlos de Arismendi se vante aussi d’avoir traduit en français plusieurs capitulations de places[198]… Mais s’y ajoute un rôle essentiel de pourvoyeur de fonds pour les opérations militaires et de prêteur à la couronne. Il semble que le commerce de Pere Lacavalleria ait été suffisamment lucratif pour lui donner d’importants fonds rapidement mobilisables. Depuis presque trente ans, il s’était hissé parmi les premiers imprimeurs de la ville ; dans le même mémoire, il affirmait que les mutations de Catalogne avaient porté un coup sévère à son commerce, car le marché des royaumes de Castille, Aragon, Valence, Majorque, Sardaigne, Sicile et Naples, qui faisaient l’essentiel de ses revenus, lui étaient désormais fermés, et qu’il devait faire une croix sur 5000 écus qu’on lui devait dans ces royaumes. S’il n’est pas impossible que Lacavalleria ait, dès avant la guerre, ajouté d’autres activités au commerce de livres (prêt, banque…), cela montre du moins que son simple commerce était déjà d’envergure internationale et lucratif. Evidemment, le but de ce papier était d’obtenir un remboursement ; Lacavalleria, au passage, se recommandait du Régent Fontanella, correspondant personnel du cardinal… après tout, il n’était rien moins que l’éditeur de son père.
En réalité, depuis le 9 juin 1642 Paris avait déjà ordonné qu’on rembourse Pere Lacavalleria des avances qu’il avait faites, en prenant les revenus des biens confisqués à Ramon de Calders i Ferran, mais ceux-ci avaient été ensuite restitués à ses héritiers au cours d’un procès[199] ; une nouvelle lettre royale du 11 décembre 1643 confirmait la nécessité du remboursement. A cette date la somme s’élevait à 49046 livres tournois. Evidemment, des intérêts couraient ; même si Lacavalleria avait besoin de rentrer dans ses fonds rapidement, ses dons n’étaient pas gratuits. Mais en Catalogne, on le sait, les caisses étaient toujours vides, encore plus peut-être, s’il était possible, qu’à Paris. Aucun paiement n’a donc lieu avant l’arrivée de Marca qui, peu après avoir gagné Barcelona, reçoit le 3 et le 4 mai 1644 deux lettres missives du roi pour accélérer la satisfaction de Lacavalleria, en mettant à jour la dette. L’imprimeur, qui semble bien en cour auprès du maréchal de La Mothe, adresse alors à ce dernier une supplique. Dans les termes de l’acte qui en résulte, on devine peut-être ceux mêmes utilisés dans la supplique : « de cette prétention pouvaient résulter non seulement des difficultés, mais aussi de graves préjudices au patrimoine royal si lesdits intérêts devaient courir jusqu’au jour de la satisfaction totale de la somme » ; à savoir : libre au roi de ne pas le rembourser tout de suite, mais cela serait à son profond désavantage car les intérêts étaient exponentiels. Il est possible que Lacavalleria ait sollicité les dispositions qui sont prises alors par le maréchal : lui consigner les revenus de la vicomté d’Evol et des biens de Ramon de Çagarriga pour six ans, les cinq premières années à raison de 4000 livres barcelonaises par an, et la dernière année 5000 pour satisfaction totale de la dette et des intérêts évalués à 25000 livres barcelonaises. Cette consignation comprend clairement pour Lacavalleria le pouvoir de faire percevoir lui-même les revenus des biens en question, avec la charge de payer les frais de ces biens ; si les 4000 ne pouvaient pas en sortir en un an, il avait le droit de se faire payer ce qui manquait par Francesc Sangenís sur les revenus des autres confiscations[200]. Nous ne savons pas exactement la position de Pere Lacavalleria au moment de la chute du maréchal de La Mothe, mais on peut penser que son lien assez étroit avec ce dernier a pu le mettre en difficulté. Peu après l’arrivée du nouveau vice-roi Harcourt, il parvient à obtenir de lui un nouvel acte en sa faveur, mais qui révèle peut-être en filigrane, à travers les difficultés rencontrées, des implications très politiques : « certains arrendateurs desdits revenus, lit-on, font difficulté à les payer sans un ordre spécial » venant du vice-roi[201]. Peu après, Lacavalleria participe en personne aux opérations militaires du printemps 1645. Les raisons de cette participation peuvent être multiples : désir de montrer son allégeance au nouveau chef, volonté d’acquérir un prestige d’essence nobiliaire cher à beaucoup de marchands de cette époque, ou bien plus prosaïquement poursuite de son activité de munitionnaire et de prêteur. Nous ne connaissons pas exactement ses actions à ce moment-là, mais nous savons qu’il était présent au camp de Termens et Menargas le 14 août 1645, date à laquelle il écrit un récit des affrontements avec les secours espagnols venus pour reprendre Balaguer, qu’il fera imprimer[202]. Il décède sans doute peu après[203], soit dans une escarmouche militaire, soit d’une épidémie au camp de Termens et Menargas, mais par la suite il est toujours dit dans les documents « mort à notre service pendant la campagne ».
C’est là que l’on retrouve sa veuve, Isabel Lacavalleria i Dulach, qui commence à agir de son propre chef et à prendre les choses en main. Tout d’abord, elle continue à faire fonctionner l’imprimerie de son mari pour honorer la commande officielle en cours : un décret de paiement de 1646 nous apprend qu’au cours des mois précédents elle a imprimé pour 1310 livres barcelonaises, soit 52405 feuillets (« fulls de estampa ») à 6 deniers la feuille, sur ordre du vice-roi, de passeports français et catalans, commission, livres et autre « pour le service du roi »[204]. Cette année-là, c’est sous le nom de la Veuve Lacavalleria qu’est imprimé à Barcelona le traité du juriste Narcis Peralta qui justifie l’emprise de la monarchie sur les questions ecclésiastiques, De la potestat secular en los eclesiastichs, per la oeconomica y polytica : il s’agit de défendre Harcourt qui a fait arrêter des chanoines de la cathédrale et multiplie les exils de religieux. Après l’anné 1646 cependant, elle semble abandonner cette activité au profit d’Antoni Lacavalleria, frère cadet de Pere, qui continuera l’essor entamé par le fondateur, déplacera son activité carrer de la Llibreteria et la poursuivra au moins jusqu’en 1700, peu avant son décès[205], avec de nombreux titres de grande importance comme les œuvres de Bartolomé de Las Casas ou de Baltasar Gracián, dont l’examen dépasse les limites de notre sujet. Mais la veuve se consacre surtout à la défense de ses intérêts et de ceux de ses enfants, c’est-à-dire en premier lieu au remboursement des sommes énormes que la couronne devait à son mari. S’ouvre un long cycle d’ordres et de contre-ordres dont la narration peut paraître fastidieuse mais qui est tout à fait symptomatique et exemplaire des affaires financières et politiques que nous étudions. A la fin de l’automne 1645, Isabel Lacavalleria n’avait toujours pas pu toucher sur les revenus d’Evol et les biens de Çagarriga les 4000 livres de l’année écoulée, qui lui avaient été ordonnés en juillet 1644. Elle se tourne vers Harcourt et lui adresse une supplique où elle expose que son mari est mort en lui laissant des dettes contractées pour le service du roi. Surtout, elle montre clairement que ses propres créanciers ne se contentent pas de l’acte royal derrière laquelle elle s’abrite, aussi honorifique soit-il : « Les créanciers pressent le remboursement, elle ne peut parvenir à les satisfaire de l’ordonnance de 4000 livres annuelles ». Ils demandent du concret, alors que la monarchie ne peut pas lui en apporter en cette occasion. Sa demande est qu’on lui fasse payer les 4000 livres sur n’importe quel autre bien confisqué : Harcourt y accède le 18 novembre, ordonnant cela pour un an seulement, les 5 autres restant tributaires de l’assignation précédente. Selon les termes de l’acte, voilà donc une « consignation particulière »[206]. Toujours est-il que la vicomté d’Evol, terre de grande importance, est convoitéee par toutes sortes de gens et qu’Harcourt voudrait bien la donner à son cousin Chabot, mais s’en voit empêché par l’assignation faite par son prédécesseur et qu’il ne peut révoquer. Cette charge annihile tout le profit du bien et le rend comme indisponible pour de nombreuses années[207].
De façon peu surprenante la course au paiement continue, d’impossibilité de tirer les revenus promis en nouvelle assignation, tel le jeu de dominos. Fin 1645, le vice-roi ordonne de consigner les 4000 livres, toujours impayées car Sangenís temporisait, directement sur les revenus du comté d’Erill, baronnies d’Orcau et terme de Prats de Molló[208]. A leur tour, les fermiers s’y refusent : ils s’y voient contraints par un ordre du vice-roi[209], dont on devine le peu d’application. La stratégie de la veuve prend alors un autre tour : loin de se résigner, elle tire au contraire de nouveaux arguments de ses mésaventures, et ne cesse de poursuivre Harcourt de suppliques et de requêtes. C’est un succès : elle obtient rapidement, sur son propre chef et celui de ses enfants, de véritables donations. Elle cesse d’être un simple créancier et obtient premièrement des concessions d’usufruits, d’abord celui des biens de Garau de Guardiola et de Jacint Sala de la Neu, de Barcelona, « en attendant que roi lui en donne la propriété ». A dette exceptionnelle, solutions exceptionnelles. Dans l’acte, la grâce est présentée comme une consolation du don que son mari avait obtenu pour ses services des biens de Ramon de Calders, mais qui était resté sans effet ; l’une des clauses, très conforme à l’esprit du droit catalan, est proche de l’œuvre d’un législateur : la donation est faite « le temps qu’elle conservera le nom de son mari […] déclarant qu’au cas où ladite Isabel Cavalleria se remarierait, la présente grâce [irait] à ses enfants, et qu’alors ladite Cavalleria pourrait seulement prétendre 6000 livres pour sa dot » [210]. Pour ainsi dire, cette veuve – qui avait sans aucun doute directement demandé ces biens – recevait non pas un gage de remboursement, mais un véritable honneur pour elle et sa famille. Du moins, sa volonté d’exercer tous les droits d’un propriétaire sur les domaines qui lui étaient assignés est manifeste : concession à elle et à ses fils de pouvoir faire cultiver une pièce de terre située sur les domaines des Çagarriga[211], autorisation de dresser le capbreu de ses possessions[212], comme un vrai seigneur, extinction de certains censals qui les grevaient[213]. Au même moment son frère Antoni Joan Dulach, nommé adjudant de comptador du duché de Cardona[214], reçoit aussi un privilège de Ciutadà honrat de Barcelona[215]. Autre signe que la veuve Lacavalleria n’était plus un créancier comme les autres : désormais, les nouvelles grâces n’éteignent pas les anciennes mais s’y ajoutent ou les augmentent. En 1647, avant de quitter Barcelona, Harcourt pérennise l’emprise de la famille Lacavalleria sur la vicomté d’Evol en donnant cette fois directement le fermage aux fils d’Isabel, dont elle gère les biens, en remplacement de l’ancien fermier Antoni Generes, un bourgeois de Perpignan[216]. A toutes ces faveurs s’ajoute enfin l’usufruit d’une véritable seigneurie avec sa justice et ses droits, sur laquelle se situe une ville importante : Cubells, près de Balaguer au Nord Ouest de Lleida. Cette fois, la grâce est donné à vie, avec une petite variation : transmission aux fils mâles en cas de remariage, obligation de doter les filles de Pere Lacavalleria pour leur futur mariage… Isabel avait plaidé aupès du vice-roi l’extrême endettement des biens de Guardiola et de Sala de la neu, et avait déclaré qu’elle préférait les rendre au roi plutôt que de continuer à payer des charges supérieures aux revenus et de s’exposer à des procès. Résultat : elle garde tout[217].
Une dernière étape voit l’apogée de ses intérêts et la réalisation de ses efforts. Le maréchal de Schomberg, vice-roi de Catalogne en 1648, montre très rapidement la même volonté que ses prédécesseurs de disposer entièrement de la faveur royale. Renforcé par la prise de Tortosa, il décide au cours de l’été, en totale opposition avec Pierre de Marca, de distribuer la totalité des biens confisqués, ce que les Catalans réclamaient depuis le début de la guerre. Nous reviendrons bientôt sur ces faits. Précisons simplement ici qu’Isabel Lacavalleria fait partie de ces quelques élus qui bénéficient des largesses du vice-roi ; ces derniers sont immédiatement jalousés et cette politique est assez largement montrée comme scandaleuse et injuste. Le 24 septembre 1648 la veuve Lacavalleria se voit offrir par Schomberg la propriété de la seigneurie de Cubells, membre du marquisat de Camarasa, avec toute sa juridiction civile et criminelle. En cas de mort ou de remariage, ses fils hériteront[218]. Rapidement après l’expédition du don, la veuve ne se contente pas de sa nouvelle gratification et elle se plaint que la seigneurie est grevée de plusieurs charges : qu’à cela ne tienne, Schomberg les révoque toutes[219]. Entre temps, Marca donne à Le Tellier une vision épouvantable de la situation : pour lui, le vice-roi agit à la légère, il se laisse circonvenir, donne à qui demande, et en voulant s’attirer l’amitié de tout le monde, ne fait que semer la jalousie et la discorde.
« Pour les autres Catalans, yls ont obtenu ce qu’ils ont demandé, sans considerer les merites ny les services des personnes ny la valeur des choses données. On est venu jusques a ce point que la veufve la Cavalerie, a qui M. le comte d’Harcourt avoit donné avec quelque honte la jouissance de la baronnie de Cubelle, en a obtenu la proprietté pour elle et ses enfans »[220].
La politique était arrivée à un tel degré de crispation que toutes les grâces étaient dénoncées par telle ou telle fraction des élites profrançaises, ce qui rendait la situation intenable. Dans ces circonstances, la veuve Lacavalleria était totalement invalidée dans toutes ses prétentions. Et, de fait, à l’exception des premières lettres royales de 1642 et 1643, toutes les faveurs dont elle avait bénéficié venaient des vice-rois, et étaient juridiquement susceptibles d’être annulées. Du moins, les vœux de Marca allaient dans ce sens. Ephémère apogée, qui se clôt avec le don par Schomberg, peu avant son départ, de la propriété de tous les biens de Garau de Guardiola dont elle avait l’usufruit[221]. Dans les dernières années de la présence française en Catalogne, Isabel Lacavalleria se fait plus discrète dans la documentation. Tout juste la voit-on apparaître en 1650 lorsque le duc de Mercoeur fait don du marquisat de Camarasa au Français Austrein, précisant que ce don ne devra pas faire préjudice à sa paisible jouissance de la seigneurie de Cubells[222].
Lui avait-on enfin remboursé les sommes avancées par son mari en 1641 ? Etait-elle enfin satisfaite ? Pour ainsi dire, avait-elle accepté de se taire et d’abandonner une partie de ses créances légitimes en se voyant revêtir de titres de noblesse ? On peut le penser, même si la documentation manque. Après le siège de Barcelona, elle se repliera à Perpignan. Une nouvelle fois en situation de relative faiblesse, ayant perdu tout ce qu’on lui avait offert, à jamais chassée de la ville qui l’avait vu naître, elle se retournera vers les autorités, et obtiendra à nouveau une kyrielle de biens confisqués : ceux de Joan et Carles de Llupià, ceux de Theresa d’Oms de Santa Pau… Des montagnes de Conflent au pied des Albères, il n’y aura guère de seigneuries en Roussillon qui ne lui aient appartenu. A Perpignan, elle fera résidence dans la superbe maison des Llupià, dite de la Main de Fer, aujourd’hui connue sous le nom de « Casa Xanxo », qu’elle fera remanier. Après avoir attendu dix ans un parti à sa hauteur, elle se remariera en 1655 avec le propre cousin germain d’Omer Talon, le meneur de la Fronde parlementaire : Pierre Talon, surintendant et commissaire général des vivres aux armées du roi, qui se trouvait à la citadelle de Perpignan. Par un singulier coup du destin, elle perdra une nouvelle et dernière fois toutes ces propriétés, lorsque le traité des Pyrénées ordonnera la restitution des biens confisqués [223]. Ce sera alors le moment d’un dernier exil, à Paris cette fois, où elle finira ses jours en 1676, sur la paroisse Saint-Germain l’Auxerrois, après avoir brillamment marié ses deux filles dans des familles françaises[224]… et non sans avoir écrit une pléthore de lettres à Jean-Baptiste Colbert pour obtenir un dédommagement, sans que nous sachions s’il vint jamais. En tout cas, la singulière faiblesse de la monarchie et des autorités françaises en Catalogne avait pu permettre à une fille de teinturier, veuve d’un imprimeur, de se retrouver maîtresse d’un chapelet de seigneuries, et de tenir tête à des maréchaux de France.
2. Communautés contre seigneurs : lutte pour le statut de ville royale
Un vent de liberté très prometteur
Ouverte en 1640 par une révolte populaire, la guerra dels Segadors se poursuit cependant d’une façon bien peu favorable au peuple et aux communautés villageoises. La soumission à la France et la confiscation des biens des ennemis au nom du roi de France poussent la couronne à destiner faveurs et honneurs à un petit nombre de nobles fidèles. Nous avons vu que ce mouvement était loin d’apporter à la noblesse tout le profit qu’elle souhaitait, de la satisfaire et de la fidéliser. Il soulève également au sein des communautés et des institutions catalanes chargées de les défendre une opposition frontale contre les abus des nouveaux seigneurs. Mais durant toute la période de la guerre, les communautés sont loin d’abandonner leur volonté combattive et émancipatrice. Núria Sales, qui a consacré à ce point une partie entière de son volume de l’Història de Catalunya[225], va jusqu’à parler de « lluita per lluïr », ce que nous traduirons par « lutte pour l’émancipation », le verbe « lluïr » signifiant se détacher d’une obédience ou racheter une rente. De fait, durant la guerra dels Segadors, plusieurs communautés catalanes de l’obédience française profitent de l’absence de leurs anciens seigneurs, dont les terres avaient été confisquées, pour cesser le paiement des droits seigneuriaux, et, parfois même, pour « commencer ou réamorcer » des mouvements d’émancipation de toute soumission féodale. Réputée librement soumise à un nouveau souverain, qui s’est engagé par des pactes sanctionnés à Péronne, la Catalogne évolue encore dans une vision politique pactiste qui donne espoir aux élites villageoises d’obtenir le statut de ville royale. Une ville royale ne connaît que la justice du roi et verse tous les droits seigneuriaux au souverain seul, ne devant rendre de comptes qu’à lui ; en Catalogne, les villes royales jouissent de nombreux privilèges, principalement fiscaux et militaires, comparables à ceux qu’elles ont en France.
Précisons cependant, avant toute chose, que la ténacité des communautés ne naît pas du néant, et encore moins de causes propres à la seule guerra dels Segadors : durant tout le Moyen Âge, et beaucoup encore au XVIe siècle, nombreuses furent celles qui s’opposèrent à leur seigneur. En effet, la seigneurie n’était pas du tout en situation de faiblesse en Catalogne, bien au contraire : les obligations personnelles et les liens féodo-vassaliques restaient extrêmement présents dans la vie paysanne ; plus encore, l’essor industriel, le développement des forges, des défrichements et des prises d’eau, avaient été largement dominés par les possesseurs des titres traditionnels. Tendance durcie par les terribles pestes, sécheresses et famines des années 1570-1580, pendant lesquelles les conflits pour les monopoles ou les libertés, selon le côté où on se place, se traduisent en affrontements armés. Les avantages obtenus par les seigneurs aux Corts de la première moitié du XVIe leur furent amèrement disputés par les syndics du braç reial (appelés « homens de vila ») durant les dernières années du siècle : principe des « décimes universelles » (« dècimes universals ») – paiement par les particuliers du dixième de toutes leurs récoltes –, limitation des possibilités d’appel d’un jugement seigneurial… Ils parviennent cependant à écarter diverses mesures réclamées par les seigneurs, comme celle visant à empêcher leurs vassaux en fuite de se réfugier dans une ville royale pour échapper à leur justice. Au même moment, Collioure proteste contre les usurpations des alcayts Sentmenat, Tàrrega contre le don en fief des villages alentour, Alfarràs contre les Boixadors, Vinça contre les Perapertusa, auxquels ils voulaient racheter leur juridiction, Besora contre les Descallar, Reus contre le chapitre de Tarragona, Thuir contre les Llupià, la Bisbal contre l’évêque de Girona… Dans les années 1560-1570, les habitants de Claira en Roussillon construisent un moulin concurrent de celui de leur seigneur, et reçoivent à plusieurs reprises l’ordre de l’abandonner, en vain… La ville de Prades, qui est une seigneurie de l’abbaye de Lagrasse en Languedoc, arrache une transaction à cet établissement qui l’autorise à nommer son batlle et son sots-batlle : le roi valide cela par un privilège en 1589. Au début des années 1600, le procureur des ducs de Cardona, ainsi que plusieurs domestiques ou parents de seigneurs décimateurs sont assassinés au détour des chemins[226]. De telles revendications n’étaient pas que symboliques et honorifiques. Elles se soldaient par le sang.
La « crise du XVIIe siècle » et les calamités apportées par la guerre ne font qu’aggraver cette évolution séculaire. Núria Sales a montré l’enchaînement des évènements et les résultats de ces luttes à travers les deux exemples opposés de Santa Coloma de Queralt et d’Ille sur Têt. Au départ, Santa Coloma est en bons termes avec son seigneur, Dalmau de Queralt, qui est aussi vice-roi de Catalogne. Dès avant son assassinat en 1640, les consuls semblent craindre les suites révolutionnaires possibles des évènements barcelonais et prennent les armes non pas contre les seuls tercios du roi d’Espagne, mais aussi contre les Segadors. Après l’assassinat du comte, c’est un ami du défunt, Josep de Margarit, qui devient le tuteur de sa fille ; à ce titre, il se charge de prélever les droits seigneuriaux. Mais en même temps, comme mestre de camp de la Generalitat, il accentue les pressions sur la ville pour qu’elle réponde aux levées d’hommes et les finance de ses propres deniers. En janvier 1641, tous les hommes de 16 à 60 ans sont mobilisés. Cette même année la Junta de guerra met la seigneurie sous séquestre, à titre de bien « confisquable » à des ennemis de la patrie. Mais les serments de fidélité qui sont demandés aux villageois, devant être prêtés aux séquestres nommés, confirment le vasselage et le paiement des droits seigneuriaux… Seul le seigneur changeait, pas le statut. La ville refuse alors, et, en février 1643, désigne un prêtre de la communauté, Vicenç Requesens, pour aller à Paris afin d’obtenir le privilège de ville royale. Après avoir d’abord hésité et envoyé une réponse dilatoire en avril, Louis XIII l’accorde finalement. Les lettres royales sont reçues et publiées en grande pompe dans la ville en octobre. Le toponyme change alors de « Santa Coloma de Queralt » en « Santa Coloma la Reial »[227]. Les localités appartenant à la seigneurie sont comprises dans le privilège : Aguiló, Bellprat, Queralt Montargull, Raurich. L’acte précise que « les habitants de ladite ville jouiront de tous les privilèges, libertés, usages et coutumes dont notre ville de Cervera, qui est royale, jouit, peut jouir et user » ; la seigneurie ne pourra plus jamais être donnée « en grâce ou en fief de quelque duc, maquis, comte, baron, chevalier, mais restera pleinement sous notre perpétuelle seigneurie ». Parmi les droits des villes royales octroyés à Santa Coloma, celui de participer aux Corts, celui de réunir le Conseil général de la ville, composé de la sanior pars (« Consell general de homens de bé y honrats »), et celui, pour ce dernier, d’envoyer une terne au roi lui proposant des noms pour désigner le batlle de la ville qui, avant cela, était désigné par le seigneur. La victoire des habitants de Santa Coloma est considérable puisqu’au même moment la ville d’Ille en Roussillon, comme nous allons bientôt le voir, demande la même grâce, qu’elle ne parviendra jamais à obtenir malgré l’envoi de nombreuses délégations à la cour et au vice-roi.
Si l’on en croit les divers pamphlets envoyés à la cour aux alentours de 1643, un véritable vent de liberté souffle sur les villes catalanes, qu’il convient de soutenir et d’accompagner pour obtenir le soutien du peuple et exercer un pouvoir juste. Dans son mémorial, que nous avons déjà étudié en détail à la suite de N. Sales, Ramon de Bas dénonce violemment les factions qui essayent alors de s’approprier les biens confisqués : Argenson, s’insurge-t-il, veut le marquisat d’Aitona, Margarit le comté de Santa Coloma, Fontanella les biens du duc de Sessa… A l’inverse, Bas se fait le défenseur acharné des aspirations des communautés. Examinons un peu ses propos à ce sujet, qui, même s’ils émanent d’un noble et sont exaltés comme dans tout pamphlet, peuvent donner une idée des arguments de base qui circulaient au sein des milieux cultivés, rompus de culture pactiste, et probablement au sein des élites villageoises :
« De ces considérations naît l’entrave aux prétentions qu’ont les villes et localités de Catalogne de s’incorporer à la Couronne, avec comme prétexte les inconvénients résultant de leur union, alors que nous avons là le moyen le plus solide et le plus certain pour conserver la Catalogne en France. Parce qu’il n’y a pas d’opposition si naturelle comme celle des villes et localités a leurs Barons et seigneurs, et qu’elles se signalent comme les plus glorieuses et les plus ardentes quand elles sont unies à la Couronne. De cela, on pourrait donner des milliers d’exemples en Catalogne. Et dans l’état présent, qui ne reconnaît pas à quel point les villes d’Ille, Santa Coloma et Pons sont heureuses de cette grâce reçue de la clémence royale de Votre Majesté ? Car il n’y a pas dans ces villes un vassal qui ne soit fou de joie ; et il est plus sûr encore, Majesté, que celles-ci, ainsi que les autres qui viendraient à jouir d’une telle grâce, préfèreraient se perdre mille fois plutôt que de tomber dans les perfidies des ennemis afin de ne pas risquer de perdre leur Liberté, car elles attribuent un grand prix à leurs prérogatives. Voilà le moyen de poser des limites à la volonté du peuple, tout en établissant davantage votre emprise. Et qui prétend le contraire, parle en ambitieux, ou en ennemi de la France. »[228]
Défendre l’intérêt du peuple n’équivaut donc pas à lui donner une totale liberté, à le laisser se déchaîner comme lors des pires excès de la révolution de 1640 – que les habitants de Santa Coloma ont eux-mêmes dénoncés –, mais plutôt à le laisser s’exprimer politiquement dans le cadre bien précis et réglémenté des institutions municipales. Ces institutions anciennes, reposant sur des règles bien antérieures au XVIIe siècle, édictées sous les rois d’Aragon, avaient pour but d’améliorer l’administration et de limiter les différends existant à l’intérieur des cités : d’où le pouvoir de tutelle du roi qui contrôlait toujours in fine les sujets présentés par le corps de ville. Ainsi, Ramon de Bas accuse avec sévérité ceux qui s’y opposent de n’avoir que des arguments captieux et de préférer leurs intérêts personnels à celui du peuple : Margarit, principalement, est désireux de se faire attribuer une des seigneuries qui viennent d’être confisquées. Comme le fait remarquer Núria Sales, « ce n’étaient pas les seigneuries confisquables qui manquaient, vu toute la haute noblesse passée du côté de Philippe IV : avec cela, la moitié de la Catalogne aurait pu récupérer sa juridiction, sans les fortes pressions contraires qui se produisirent, de la part des nobles Catalans affiliés à la Generalitat et à Louis XIII ». Elle rapproche même, des réticences opposées aux villes royales, le rejet des prétentions de la ville de Barcelona – elles aussi justifiées par Ramon de Bas – à obtenir des confiscations[229]. Refus inspiré également, chez les nobles catalans briguant ces seigneuries, par un « esprit de caste » et mépris pour le peuple. Face à cette attitude fautive, insupportable à notre auteur, renaissent les arguments du bon prince et du soulagement du peuple face à ses seigneurs abusifs.
Ces idées paraissent avoir eu, au début de la période, une certaine fortune – y compris parmi les Français. Dans les papiers de Plessis-Besançon, classés dans le volume « Correspondance Politique – Supplément 3 » des archives du ministère des Affaires étrangères, on retrouve un mémoire anonyme écrit en français et adressé au roi, dont on peut émettre l’hypothèse, compte tenu de quelques blancs à l’emplacement des noms propres et de sa grammaire approximative, qu’il fût traduit du catalan ou de l’espagnol. Il s’agit sans doute d’une traduction faite sous les ordres de Plessis-Besançon ou par lui-même. On connaît son engagement profond dans les affaires politiques de Catalogne, au-delà même de son rôle dans la conclusion des pactes de 1641, lors de son retour en 1645 afin de restaurer le calme et la stabilité dans la province après le scandale causé par la disgrâce de La Mothe. Les observations qu’il envoie par ailleurs à Mazarin montrent sa vision extêmement dure de la noblesse catalane, qui se rapproche par beaucoup d’aspects de celle de Ramon de Bas : elle est avide, sans pitié, et le don des biens confisqués ne lui suffira pas « tant a cause que este passion a son objet hors d’elle mesme, que pour estre indeterminée » ; logiquement, le peuple, responsable du soulèvement initial et resté fidèle à la France, selon lui, est « le principal frein des malaffectos »[230]. Revenons au mémoire anonyme vraisemblablement passé par les mains de Plessis. Intitulé « Advertissement donné au roy par un sien tres humble serviteur et sujet pour oster toute sorte de scrupule changeant aux habitans du principat de Catalogne et pour les rendre plus fideles a son service et pour augmenter les forces d’iceluy contre toute opposition »[231], il va exactement dans le même sens que les propos de Bas, mais ajoute un élément cher à Plessis, les bandositats traditionnelles de la société catalane, oppositions de clans nobiliaires favorisés par l’emprise de la seigneurie (Plessis affirme qu’on devient souvent mal affecte « par ressentiment ou participation des vengeances, et oppressions qu’ils pretendent que les haines particulieres des familles (ou de ces deux partis appelles Nieros et Cadells) ont causé dans les pays »)…
« Tous les peuples, particulierement les Catalans, desirent avec passion d’estre plutost soubz l’obeissance d’un prince pere commun que soubz de petits barons ou seigneurs, lesquels ordinairement les tiennent et rongent jusques aux os dans le Principat avec des injustes impots, sement des divisions et font querelles civilles entre eux pour vanger les passions et les obligent de les suivre en icelles se disant les [manque][232] et les autres Cadelles, a la mode d’Italie Goualfes et Gevelines et grenadins, a venger rages et degat ».
Souvent mis en avant dans les pamphlets, les évènements du Val d’Aran sont ici relus du point de vue de la question nobiliaire. Le soulèvement pro-castillan de cette région est expliqué, de façon certes assez simpliste, par le fait que les villes étaient noyautées par leur seigneur.
« Comme l’experience nous l’a fait veoir ceste mesme année 1643 en la vallée d’Aran du mesme Principat, ou il y a 36 villes les trois royalles et les autres 33 de barons, celles cy se rengerent a la violence, force et trahison des barons, les trois Royalles restant fermes ; et par celles cy Votre Majesté a recouvert le reste. Et si toutes eussent esté des Barons, [elles] auroient suivy le mesme party et peut estre la vallée seroit [manque] de convenir, veu qu’il y a peu de nobles affectionnes au service de Votre Majesté. Au contraire, toutes les villes Royalles du Principat sont tres fermes et se feroient sacriffier pour les interests de Votre Majesté. Le General et particuliers d’icelles ont servy a Votre Majesté et aujourd’huy servent utilement et avec grande affection, avec esperance de recompence, et non pour estre de barons qui ont moins servy qu’elles et esperent et demandent la possession et rentes au prejudice de Votre Majesté. Mais pour estre veu qu’elles vous ont donné la Catalogne, et ne despendre d’autre justice ny d’autre seigneur que de Votre Majesté, luy payant les mesmes rentes qu’aux precedants seigneurs, ceste recompence qu’elles esperent est au benefice de Votre Majesté, ce que Votre Majesté ne sçauroit donner sans faire tort a soy mesme. Celles qui ne sont Royalles le desirent estre avec passion. Partant, Votre Majesté doit donner ce contentement a toutes les villes qui sont aujourd’hui de confiscation […]. Au lieu de rendre un homme content, a qui Votre Majesté pourroit donner unne ville, on faira 500 bons et fermes subjects et augmentera la justice, puissance et patrimoine de Votre Majesté ».
Le texte va loin, puisqu’il suggère que donner une ville (comprenons, une ville bien peuplée) en fief cause un préjudice direct au service du roi. Il disqualifie implicitement la gratification des particuliers par le don des seigneuries confisquées, se rapprochant par là de la position de Plessis-Besançon pour qui ces biens ne devraient être donnés que sous forme de pensions ou d’usufruits. Pour ainsi dire, les remous politiques survenus dès 1638 sont précisément ceux qui ont livré la Catalogne aux mains du roi de France – « elles vous ont donné la Catalogne », dit-il –, il doit donc en conserver la teneur et soutenir les villes dans leur émancipation. Enfin, l’une des principales dissensions entre le roi et les communautés, la levée des impôts, est attribuée aux seigneurs qui, dans les villes de Barons, « pour couvrir leur venin et dissimuler leurs mauvaises intentions, se servent ordinairement de 3 ou 4 des plus riches ou ceux de bien auxquels ils souffrent toute sorte de meschanceté pour s’en servir aux occasions, et pour faire reussir ses [sic] intentions dans leurs Conseils, retardent en longueur les deniers de V.M. ; et les villes de ceste qualité toutes sont mal contentes, les plus ruinees […]. »[233]
Au début de la guerre, l’espoir d’émancipation paraissait si atteignable aux communautés qu’elles n’hésitèrent pas à envoyer leurs syndics en délégation auprès du roi. Examinons à présent le cas d’Ille, en Roussillon (actuellement Ille sur Tet), tour à tour abordé par Núria Sales, qui a commenté et donné la première lecture de l’échec rencontré par cette communauté, puis, plus récemment, par Sophie González qui, de façon erronée, a pu croire que la ville avait été « une nouvelle ville royale »[234] alors qu’il n’en fut rien. Cet échec final, au départ, était loin d’être prévisible, et Ille avait autant, voire plus de chances que Santa Coloma ou que n’importe quelle autre ville de Catalogne d’être gratifiée de ce qu’elle souhaitait. De nouveaux documents inédits nous permettent de retracer de façon plus précise et, nous l’espérons, plus fidèle, cette lutte constante qui dura plusieurs années. Ville ancienne, remontant au IXe siècle, Ille fut durant tout le Moyen Âge aux mains de différents seigneurs qui accordèrent des privilèges aux habitants, mais sa situation, à la frontière entre la France et l’Aragon, de l’autre côté des Corbières, obligea le roi à intervenir afin d’y édifier des fortifications. Au XIVe siècle, la seigneurie est acquise par la famille de Fenouillet, pour qui elle est érigée en vicomté en 1314. Par la suite, les Fenouillet deviennent à la fois vicomtes d’Ille et de Canet. En 1385, Andreu de Fenouillet renonce à la seigneurie en faveur de son fils Pere : la liste des 176 chefs de famille ayant prêté le serment montre l’importance de la communauté ; ils ont obligé le nouveau seigneur à valider les privilèges octroyés par leur père, sans quoi ils refusaient cette allégeance. Un noble résidant dans la ville, Bérenger d’Ardena, représente le vicomte qui ne s’est pas déplacé pour l’occasion[235]. Les seigneurs en titre d’Ille ne résideront pas sur place et délègueront beaucoup de pouvoir aux Ardena. Ille et Canet passent par mariage aux Castró-Pinos au début du XVe. Lors de la conquête du Roussillon en 1462, « les revenus et droits des vicomtés d’Ille et de Canet » sont confisqués, puis réunis au domaine : les seigneurs tenant des fiefs du vicomte de Canet les reconnaissent désormais directement au roi[236]. Après la restitution du Roussillon à l’Aragon, deux branches différentes des Castró-Pinós héritent respectivement de Canet et d’Ille, cette dernière vicomté passant finalement, au tout début du XVIIe siècle, à la famille aragonaise des Moncada, marquis d’Aitona. Guillem Ramon de Moncada (1619-1670), gentilhomme de la chambre du roi, conseiller d’Etat de Philippe IV qu’il nommera vice-roi de Catalogne en 1645, se trouvait titulaire de la vicomté en 1640.
Au début de la guerra dels Segadors, Ille a multiplié les titres de gloire. Première ville catalane à opposer une résistance victorieuse aux tercios, elle est aussi la première à accepter les renforts français. Au cours du mois de septembre 1640, elle tient tête à 13 000 hommes dirigés par don Juan de Garay, et soutient pas moins de deux sièges, de façon si héroïque que le courage des femmes de la ville est noté dans les Dietaris de la Generalitat : une brèche énorme ayant été faite dans la muraille, elles empêchent l’entrée aux soldats en la comblant avec des morceaux de bois et des sacs de farine, et les bombardent d’eau bouillante, les forçant finalement à se retirer[237]. Peu de pertes du côté des habitants, beaucoup du côté espagnol. Lors du second siège, la ville est secourue par le maréchal de Schomberg. Le déroulement de son entrée est rapporté dans un factum émané postérieurement des consuls d’Ille : au moment où les consuls lui remettaient symboliquement la ville au nom du roi dont il était le représentant, Schomberg aurait répondu : « Messieurs, vous vous êtes bien défendus et, au nom de Sa Majesté, je vous accepte pour vassaux de mon roi et seigneur, et je vous la remets à mon tour, pour que vous la conserviez comme ses vassaux immédiats »[238]. Parole légère lancée vainement dans un élan de joie ? Acte véritable d’un chef militaire ivre de pouvoir ? Il n’est pas possible de le dire, ni de déterminer si ces paroles furent bien prononcées… Dans les mois qui suivent le dernier siège, des habitants d’Ille participent aux sièges de Millas, aux côtés des troupes commandées par Tomàs de Banyuls, et d’Elne, joints au régiment de Ramon de Bas. Malgré la grandeur de ces épisodes, la communauté d’Ille doit se résigner à un bilan désastreux : les murailles de la ville, jadis si fières, sont dévastées ; tout le pays alentour a été brûlé et dépouillé par l’ennemi ; la ville, qui a perdu beaucoup de bétail dans les pillages et dont les finances ne sont pas claires, doit s’endetter pour se relever.
La première trace de contacts directs entre le roi et la communauté d’Ille date de 1642, lorsqu’au printemps Louis XIII se rend personnellement en Roussillon pour soutenir le siège de Perpignan. Sa présence soulève un profond mouvement d’enthousiasme en Catalogne : les institutions catalanes envoient un ambassadeur, les villes envoient leurs syndics. Ille est l’une d’elles, et sa demande est singulière : afin de participer au remboursement des dettes qu’elle a contractées pour le service du roi, elle demande pour elle-même l’attribution de biens confisqués et la franchise de logement des gens de guerre. Demande couplée, semble-t-il, à celle du privilège de ville royale. Le fait que le marquis d’Aitona, son seigneur, soit l’un des plus grands noms de la noblesse castillane et philippiste n’est sans doute pas étranger à la revendication – ses biens seront officiellement déclarés confisqués par une sentence de la Reial Audiència le 30 octobre 1642[239]. Le roi transfère immédiatement la demande vers le vice-roi Brézé :
« Mon cousin,
Sur l’instance qui m’a esté faite par les sindics de la ville d’Ille en Catalongne de leur accorder la confiscation d’une partie des biens de ceux de ladite province malaffectionnés a leur patrie et qui sont au service des ennemis, comme pour les desdommager de s’acquitter des debtes que ladite ville a contractées pour l’advancement de mon service, et bien du pays, lesquelles ils affirment monter a plus dix mil sous, que pour avoir moyen de reparer leurs murailles et les tours que les ennemis ont minées avec leurs batteries en deux fois qu’ils l’ont en vain assiegée, me suppliant aussy de leur accorder l’exemption de logement de gens de guerre, lorsque les affaires du Roussillon le pourront permettre et qu’ils pourront revenir des pertes et dommages qu’ils ont souffert, j’ay bien voullu vous renvoyer les demandes donnees de ladite ville et vous dire que mon intention est que vous y ayez tout esgard, leur accordant les confiscations que vous verrez estre apropos et ladite exemption de logement au temps et selon que vous verrez qu’il se debvra, les favorisant au surplus autant qu’il se pourra »[240].
Cette lettre, malgré son caractère dilatoire, vaut acceptation, du moins les consuls l’entendent-ils ainsi. En effet, ils avaient envoyé entre 200 et 300 hommes pour participer au siège de Perpignan, dépensant plus de 500 écus, en plus des 2000 dépensés pour les sièges de Millas et d’Elne[241]… Apparemment l’ordre n’a pas été suivi par le maréchal, sans doute parce qu’il écourta son mandat en Catalogne en démissionnant en mai, et qu’ensuite son successeur La Mothe n’alla prêter serment à Barcelona qu’en décembre, laissant l’intendant Argenson dominer les affaires politiques sans aucune légitimité.
Ainsi, la communauté d’Ille décide d’envoyer un syndic à la cour au début de l’année 1643. Gabriel Pujol[242] est choisi, il se rend à Saint-Germain-en-Laye en avril, où il remet une supplique au roi demandant que les grâces qu’il leur avait promises oralement (« de boca » ou « de palabra »[243]) – « 10 000 ducats », l’exemption de logements et le privilège de ville royale – se traduisent enfin par un véritable acte, car elles restaient sans effet jusqu’alors[244]. Cette ambassade est écoutée et, d’une façon assez typique du mécanisme de la faveur royale, les demandes soumises sont découpées et connaissent chacune un sort différent : « les expéditions touchant la somme de trente mil livres » sont délivrées au syndic – il s’agit des lettres patentes du 18 avril attribuant à l’université d’Ille une pension de 3000 livres (tournois) par an pendant 10 ans à prendre sur les revenus des biens confisqués, avec les motifs suivants : « Nous avons este informes par nostre tres cher et bien amé cousin le mareschal de Schomberg gouverneur et nostre lieutenant general en Languedoc des bons services que les habitants de la ville d’Ille ont rendus a leur patrie contre les effects des enemis qui l’ont cy devant attaquee en vain la resistance et valeur desdits habitants aiant prevallu et empesché leurs mauvais desseins, de quoy neantmoins ladite ville a receu des grandz dommages en ses murailles qui ont este extremement ruinees par la batterie des ennemis outre qu’il y ont fait une despense notable en cette occasion »[245]. L’exemption du logement est renvoyée au maréchal de La Mothe « pour donner son avis si cela peut se faire sans prejudice du public ». Quant au privilège de ville royale, il est botté en touche par une pirouette subtile mais très lourde de conséquences comme nous allons le voir. Dans une lettre qu’il adresse le 25 avril 1643 aux consuls et Conseil de la ville, le roi déclare « pour ce qui est de rendre royale ladite ville, vous devés sçavoir que nous avons resolu de ne point disposer pour le présent de la proprieté des biens qui ont esté confisqués sur les mal affectionnés, ny au profit d’autruy, ny au nostre, de sorte que nous ne pouvons vous accorder ce que vous desirés pour ce regard. Neantmoins comme nous ne disposerons desdits biens en faveur de personne, aussi n’aurés-vous cependant aucune dependance que de Nous »[246], ce qui signifie qu’il conserve la seigneurie à disposition afin de la donner à quelqu’un dans l’avenir, sans pour autant vouloir s’opposer directement à la communauté. Cette dernière, à cause du caractère ambigu de la mesure, pouvait l’interpréter en sa faveur : du moins le mémorial de Ramon de Bas comptait déjà le privilège pour acquis, de façon bien présomptueuse[247]… On ne peut pas néanmoins négliger le fait suivant : comme nous l’avons vu, la monarchie n’était absolument pas au courant de la valeur exacte et du statut des biens confisqués ; elle ne pouvait donc pas décider en connaissance de cause et s’exposait à commettre des bévues si elle cédait à toutes les brigues qui commençaient à atteindre la cour en ce printemps 1643. Nous verrons bientôt les interprétations divergentes et très conséquentes qui naîtront de ces lettres royales.
Les évènements de haute politique qui suivent immédiatement cet épisode expliquent, en large partie, le retardement et l’ajournement de toutes les grâces obtenues par la communauté d’Ille. Malade, Louis XIII s’éteint le 14 mai 1643, à peine seize jours après lui avoir écrit la lettre que nous venons de citer, dans ce même château de Saint-Germain-en-Laye où il avait reçu le syndic Pujol. Le commencement d’une régence, la continuation de l’ascension prodigieuse de Mazarin, les réorganisations institutionnelles qui s’ensuivent, brouillent les contacts établis par le roi défunt avec la Catalogne. Peut-être que le souverain avait eu lui-même en tête l’idée de gratifier la communauté d’Ille ? Peut-être avait-il été ému par son courage et son héroïsme ? Par la voix de ses représentants rencontrés à plusieurs reprises en Roussillon, en Languedoc et à Saint-Germain ? Toujours est-il qu’en ce début de régence, peu de gens à la cour s’en préoccupaient, pas même, comme nous allons le voir bientôt, le maréchal de Schomberg qui avait pourtant été si paternel lors de son entrée dans la ville. Au mois de décembre, la grâce donnée par Louis XIII n’avait pas encore été exécutée, même si Louis XIV la confirmait vaguement en priant La Mothe de faire jouir les habitants de « quelque privilege et octroy pour leur donner moyen de reparer l’esglise de lad. ville et les murailles d’icelle »[248]. La communauté ne perd rien de sa combativité et envoie des représentants sur tous les fronts. Début 1644, c’est au vice-roi qu’elle s’adresse donc directement pour réclamer l’exécution des lettres du mois d’avril de l’année dernière. Finalement, un an exact après l’ordre initial, en avril 1644 les lettres patentes sont enregistrées dans les registres de la chancellerie de Catalogne[249]. Le fait que la transcription de l’acte original – qui précise que les lettres patentes étaient scellées sur double queue – soit insérée entre deux ordres de paiement à Sangenís (dont seul le second fut exécutoire, car le premier[250] fut annulé entre temps) montre bien la lenteur de la procédure, et, peut-être, certaines réticences de la part du vice-roi et de son entourage. Dans le premier ordre, la somme demandée à Sangenís était 10 000 livres barcelonaises par an. Le second ordre précise qu’après consultation de personnes qualifiées (« persones intelligentes en la art mercantil ») on s’était rendu compte que les 30 000 livres tournoises faisaient 12 000 livres barcelonaises et non 10 000, d’où l’annulation du précédent[251]. La ville, quoique restant encore dans l’incertitude pour le privilège de ville royale et l’exemption des logements, venait de remporter une victoire réelle : la reconnaissance par les autorités locales d’un ordre royal. Cette joie venait quatre ans après les calamités de 1640, deux ans après que le feu roi eut fait, lors de son passage en Roussillon, ces si généreuses promesses dont il n’imagina jamais les conséquences.
Toutes les portes restaient ouvertes et, de fait, l’arrivée en Catalogne d’un nouvel homme fort, le visiteur général Pierre de Marca, renforca considérablement la position des communautés désireuses de devenir villes royales. Marca, ancien président du Parlement de Navarre et membre du Conseil du roi, ami du chancelier Séguier, était un théoricien de l’autorité royale et un ferme partisan de l’absolutisme. Largement prévenu des abus commis en Catalogne et de l’emprise excessive des coteries, il est envoyé dans la province pour restaurer l’obéissance au souverain et veiller à ce que le vice-roi ne dépasse plus les limites de sa fonction. Une fois arrivé sur place, il prend les mesures de la mission, consulte différents personnages importants, se renseigne sur les lois et les traditions catalanes. Dans ses travaux sur Marca[252], Thierry Issartel a montré la grande finesse et l’ambiguité de ce personnage, dont nous avons analysé plus haut certains aspects politiques[253] : déjà connaisseur de l’histoire occitane, érudit passionné, Marca s’intéressa profondément et sincèrement au peuple catalan et chercha à le comprendre, tout en lui plaquant des analyses trop rapides sur ses « humeurs », ses « passions », sa prétendue paresse… Néanmoins, dans le cadre plus général d’une défense acharnée des prérogatives royales, qui se trouvaient en Catalogne usurpées par deux acteurs principaux – le vice-roi et la noblesse –, Marca reprend volontiers les mêmes arguments que ceux de Plessis-Besançon, considérant que le peuple est celui qui a provoqué les changements de 1640, qu’on lui doit la présence française en Catalogne, qu’il reste le plus fidèle à la cause alors que les nobles gardent leur cœur du côté castillan. Cette méfiance considérable pour la noblesse, bien qu’il ait tenté au début de son mandat de la concilier et de la mettre dans sa dépendance, vaut également pour les religieux, qu’il ne cessera de persécuter. Peu après son arrivée, il se spécialise dans l’arrestation et l’exil des évêques pro-castillans et soulève l’opposition d’une bonne partie du clergé catalan.
Dans sa correspondance et dans ses actes, Marca semble donc plus favorable aux droits du peuple – nous dirons, de façon correcte, de ce qui en Catalogne est appelé le braç reial – que tous ses prédécesseurs et que la plupart de ses contemporains. Dès le 17 juin 1644, il déclarait à Mazarin « La fin des peuples est la conservation de leurs privilèges, soit généraux, soit particuliers, et l’interest d’un chascun ; sur quoi ils mesurent toutes leurs actions »[254]. Ainsi, le respect et la défense de ces privilèges n’étaient pas seulement une mesure morale ou symbolique, mais un vrai moyen d’obtenir adhésion et fidélité, ce qui manquait cruellement à la France depuis le début de son emprise. Il faut sans doute attribuer à l’influence directe de Marca certaines décisions royales en faveur des communautés comme, le 20 mai 1644, le don à la communauté de Lleida d’une rente de 225 livres dont elle était chargée en faveur du comte de Vallfogona et qui à présent était due à la couronne[255]… A l’inverse, la rente de 76 livres roussillonnaises qui était en faveur de la communauté des prêtres d’Ille, assise sur les revenus de la vicomté, leur est reconduite par le vice-roi, et ordre est donné à Sangenís, à l’intention des fermiers de la vicomté, de tenir la main à son paiement[256]. Plus encore, Marca a compris qu’on pouvait utiliser les aspirations des communautés à devenir villes royales, et même tirer un grand profit en les devançant…
« Ayant receu avis certain, écrit-il à Le Tellier, que la ville de Solsone, qui est a cinq lieues d’Agramunt, estoit sollicitée par son evesque et par la duchesse de Cardone pour se mettre sous l’obeissance d’Espagne, j’ay creu que je devois interesser les habitans dans nos affaires. Cette ville est en partie de l’evesque, et en partie du duc de Cardone, la plus grande partie des habitans a une inclination tres forte pour l’ancienne famille des ducs. Pour les detacher de cette affection, je leur ay fait proposer secretement que je leur ferois accorder par Sa Majesté un privilege pour rendre Solsone une ville royalle, qui auroit ses consuls avec les livrées, et l’exercice de la jurisdiction, comme les autres villes royalles de la province, ce que l’on estime en ce pays plus que l’on ne fait en France. Si l’on perdoit cette place, il y auroit du danger que tous les vassaux du duché et des autres estats de Cardone suivissent leur exemple »[257].
En effet, comme Marca le dit dans la suite de la lettre, les états de Cardona sont considérables et comptent de nombreuses communautés, en plus des autres villes dont la fidélité commence à chanceler sous l’influence des ecclésiastiques mal affectes, qui y ont une grande influence. Donner un tel privilège est donc contrebalancer efficacement d’autres voix traditionnellement écoutées dans les villes, en donnant un pouvoir partiellement symbolique et flatteur (« consuls avec les livrées ») à la communauté elle-même.
L’arrivée du comte d’Harcourt après la disgrâce retentissante de La Mothe ne change pas immédiatement les choses. Dans ses instructions, le nouveau vice-roi se voit ordonné de dresser avec l’avis de Marca un mémoire sur les biens confisqués, déterminant notamment « s’il sera a propos de donner les biens des particulier a des communautez »[258]. Dans les mois qui suivent, Harcourt et Marca s’opposent frontalement, le vice-roi voulant exercer de nombreux pouvoirs régaliens que Marca lui refuse au nom de l’autorité royale. Marca crible Le Tellier de lettres vengeresses et dénonciatrices, mais Harcourt semble trouver un malin plaisir à le contrer. Il le trouve prétentieux et outrecuidant, d’une condition bien inférieure à la sienne et partant sans aucune légitimité à lui faire des remontrances. Harcourt a fait connaissance avec les élites locales et a pris fait et cause pour le parti qui hait Marca, la faction du Régent Fontanella et de Josep d’Ardena. Au camp de Guissona, il décide de faire sa propre distribution des biens confisqués et dresse une liste des bénéficiaires, au premier rang desquels Josep d’Ardena, pour qui il propose le don de la vicomté d’Ille avec érection en comté[259]. Nous avons amplement montré comment les luttes de factions, alors arrivées à leur paroxysme, ont déterminé cette liste. Il est fort probable qu’à ce moment-là, Harcourt ignorait tout de la revendication de la ville d’Ille à devenir ville royale. Et peut-être que s’il l’avait connue, il n’aurait rien changé à sa résolution de gratifier Ardena. En revanche, ce dernier ne pouvait l’ignorer ! Josep d’Ardena est le descendant lointain de ce Bernat d’Ardena qui avait reçu procuration du vicomte d’Ille pour prendre possession de la vicomté en 1385. De génération en génération, les Ardena ont possédé des biens dans tout le Roussillon, mais ont continuellement résidé dans la ville d’Ille où ils exerçaient de nombreuses prérogatives. A la fin du XVe siècle, alors que le Roussillon était encore français, la dernière héritière des Ardena, Constansa dez Vivers, avait épousé le représentant d’une grande famille languedocienne, Guillaume du Vivier, fils de Pierre du Vivier et d’Eléonore de Bruyères-Chalabre. Leur fils cadet, Ramon, hérita de tout le patrimoine des Ardena et en releva le nom. C’est son fils Felip d’Ardena, membre fondateur de la confrérie de Sant Jordi à Perpignan, qui épousa à Ille en 1550 Magdalena de Darnius, héritière des baronnies de la famille de Darnius, en Alt Empordà. Deux générations après, Joan d’Ardena i d’Ortaffa épousait à Barcelona Lluisa Çabastida i Bret, et se fixait dans la ville comtale où se trouvait leur fils, Josep d’Ardena i Çabastida, au moment où éclata la révolte de Catalogne[260]. Tout cela pour dire que Josep d’Ardena, sans résider à Ille, y possédait un important patrimoine et un profond enracinement. Comment douter un instant qu’il ait lui-même demandé la vicomté à Harcourt ? On comprend l’envie de se rendre le seul maître d’une ville où il exerçait déjà un certain pouvoir, et dont les seigneurs légitimes étaient absents. Un peu au même titre, toutes proportions gardées, que Fontanella dont la mère était originaire de la vicomté de Canet et qui rêvait de se parer du titre. A cela, il faudrait peut-être ajouter, au bénéfice de nouvelles recherches, d’éventuels conflits que les Ardena pouvaient évidemment avoir avec la famille des marquis d’Aitona. La vicomté d’Ille, estimée à 1944 livres catalanes de revenus sans charges dommageables, était le bien le plus important qu’Harcourt proposait de donner à un particulier.
Cette décision est très mal reçue par Marca qui, dès qu’il a le mémoire sous les yeux, signifie son désaccord au vice-roi. Cependant, les positions ne sont pas encore tranchées et ne se démarquent pas encore avec la question des villes royales. Harcourt défend surtout son pouvoir de gratifier qui il souhaite, et oppose à Marca un argument pour défendre l’exécution de ses promesses : « ce qui est fait est fait ». Mais, dans la même lettre, il lui dit : « j’ecris aussy en faveur de la demande que les communautez de Belpuch et de Linyoles font pour estre mises au rang des villes royales »[261]. On voit à quel point Harcourt se souciait peu des décisions du souverain, puisque Bellpuig et Linyola avaient été donnés au comte de Çavellà par lettres patentes[262], et qu’au même moment sa femme en prenait possession. Pujolar rapporte dans un de ses noticiaires de Catalogne que les habitants de Bellpuig et Linyola se sont opposés à cette prise de possession en disant qu’ils voulaient appartenir à la Couronne, et non à un particulier[263]. Là encore, Harcourt semble avoir donné oralement aux habitants l’assurance qu’il défendrait leur cause : il ne s’encombrera pas de demander au roi le privilège de ville royale, il l’accordera lui-même vers la fin de son mandat, de sa propre autorité, à Bellpuig, Anglesola et Linyola, avec faculté de tenir un syndic aux Corts. Le décret reprend les termes des suppliques envoyées par la communauté : elle aussi a envoyé des contingents pour participer aux opérations militaires, elles aussi sont restées fidèles au roi alors que toutes les villes alentour tombaient dans la trahison[264]. Ce décret va manifestement contre la légitime possession de la comtesse de Çavellà, qui la tenait de son mari décédé entre temps, lui-même l’ayant obtenue par lettres patentes… Il ne sera jamais exécuté. On voit donc ici que, malgré leurs oppositions irréductibles sur de nombreux points, Harcourt et Marca peuvent penser à peu près la même chose au sujet des villes royales ; mais Marca n’ira pas jusqu’à défendre un acte illégal.
Revenons en arrière et étudions plus précisément la réaction de Marca face à la distribution inopinée voulue par le vice-roi. Le 6 novembre 1645, il envoie à Le Tellier l’important mémoire intitulé « De la distribution des biens confisquez », qu’il vient de soumettre à Harcourt. Selon ses instructions, Harcourt aurait dû lui-même envoyer à la cour un document de ce type, mais ne l’avait jamais fait. Marca espérait ainsi le pousser à donner son avis sur la question. Il propose différentes mesures pour limiter l’ampleur des dons faits à des particuliers et pour les contraindre à la modestie et à la reconnaissance : pension à verser à un tiers, foi et hommage obligatoires, paiement des droits de mutation, autorisation royale nécessaire pour transmettre le fief à une fille ou à un collatéral… Les intérêts du peuple sont clairement formulés.
« Il faut observer qu’en donnant les proprietez on ne ruine les affections du peuple. Ce qui a lieu aux seigneuries confisquées, dont les sujets sont maintenant sous la jurisdiction immediate du roy sans estre assujettis aux seigneurs particuliers qui ont des droicts extraordinaires en cette province, pouvans punir de mort sans appel en certains cas, et remettre les crimes moyennant finance. De sorte que comme la liberté dont ce peuple iouyt apresent le rend affectionné au service du Roy, il changeroit d’inclination au cas contraire et se porteroit a souhaiter ses anciens Seigneurs.
[…]
Que l’on ne fera don que de la basse jurisdiction des seigneuries telle que les Constitutions de Catalogne attribuent aux Carlanies, reservant a Sa Majesté la jurisdiction criminele et civile, et la foi et homage des habitans des lieux qui demeureront villes Royalles, lesquelles pourront créer leurs jurats, consuls et officiers avec la mesme authorité dont jouyssent les autres villes royalles. »[265]
Les suggestions de Marca laissaient clairement la porte ouverte à la création de nouvelles villes royales sur le modèle de celles qui existaient déjà ; elles présentaient la chose comme un bien sûr et objectif sur le plan politique, l’argument principal étant la dureté de la juridiction des seigneurs. Mais, au même moment qu’il écrit ce plaidoyer en faveur des communautés, Marca ne semble pas particulièrement sensible à l’affaire d’Ille, et ne s’oppose pas immédiatement aux intérêts de Josep d’Ardena :
« Je ne vous feray pas le recu des services que don Joseph d’Ardenne mestre de Camp de la cavalerie catalane a rendus au roy en cette province, puisqu’ils vous sont assez cognus. Je ne dois pas neantmoings vous taire qu’en les rendant il na pas exposé seulement sa personne, mais qu’il y a encor employé une partie de son bien. Ce qui a obligé monsieur le viceroy de proposer a Sa Majesté une recompense pour luy, du vicomté d’Ille en Roussillon erigé en comté. Cette grace se fera sans envie d’aucun »[266].
Cette lettre est écrite par Marca dans un contexte bien particulier : Josep d’Ardena a été désigné par les Consistoires comme leur ambassadeur à la cour. Le Tellier souhaite s’informer sur ce personnage, et Marca ne l’enfonce pas en cette occasion car il souhaite garder de bonnes relations avec les Consistoires et voudrait amadouer Harcourt en lui montrant qu’il n’est pas partial et reconnaît aussi le mérite de ses favoris. Marca, dont la principale préoccupation est que son pouvoir ne soit pas diminué, passe alors son temps à louvoyer entre les factions et les intérêts divergents pour le conserver. En écrivant ces paroles, il n’a pas encore idée de tous les potentiels litiges qui peuvent survenir d’un tel don.
De son côté, la cour emboîte le pas et, voyant un cas – rarissime – où Harcourt et Marca sont d’accord, décide de valider la pétition de l’un en suivant le conseil de l’autre. En décembre 1645 sont formées, dans les bureaux du secrétaire d’Etat de la guerre, les lettres patentes de don de la vicomté d’Ille, avec érection en comté, pour Josep d’Ardena[267]. Nous avons déjà commenté les implications politiques de la teneur de cet acte : la rédaction prend scrupuleusement en compte toutes les suggestions de Marca, reprenant parfois quasiment mot pour mot ses propres expressions : Ardena reçoit tous les droits que possédaient sur Ille les marquis d’Aitona – seigneurs de la ville, qui se l’étaient vu confisquer le 30 octobre 1642 –, mais aussi les comtes de Vallfogona, leurs cousins éloignés qui avaient hérité de la vicomté de Canet mais auraient pu un jour réclamer un droit légitime sur la vicomté, en tant que descendants des anciens vicomtes d’Ille et Canet – ; le roi se réserve les foi et hommage, droits de mutation, avec la clause spéciale que le comté ne pourra être transmis qu’en ligne masculine et directe, et qu’il faudra solliciter un nouvel acte royal pour y déroger. Toutes ces mesures sont pour limiter le pouvoir des bénéficiaires et les laisser dans une certaine dépendance du roi même si, dans les faits, la monarchie n’a pas à ce moment précis les moyens de le contrôler… Début 1646, Le Tellier, qui réclame à Harcourt pour la énième fois l’envoi d’un mémoire des biens confisqués, lui demande « que vous preniez la peine de marquer les lieu, qu’on doibt eriger en villes royalles »[268], demande répétée dans une lettre royale[269], ce qui montre clairement qu’à cette date, la cour est loin de désapprouver l’idée d’en créer. Mais les évènements s’accélèrent dans les mois qui suivent, donnant un tout autre tour à cette affaire. La découverte de la conspiration de Barcelona jette le trouble au sein des élites profrançaises, beaucoup de grands noms sont accusés. Josep d’Ardena est bientôt éclaboussé, quand on découvre que sa belle-sœur la baronne del Albi est l’une des principales conspiratrices. Du côté de Marca, le masque tombe, et les soupçons qu’il nourrissait pour toute cette faction deviennent quasiment des preuves. Ardena est l’homme à abattre, d’autant que, pendant son ambassade à Paris, il s’est permis de présenter un cahier contenant de graves accusations contre son ennemi mortel le Gouverneur Margarit. Paris fait de la rétention de lettres patentes : Harcourt reçoit une lettre missive du roi lui disant sur un ton de reproche qu’il aurait souhaité, avant de laisser Ardena repartir en Catalogne, « avoir un eclaircissement entier des choses dont vous avés veu par les lettres du sieur Le Tellier, secretaire d’Estat, que l’on estoit en difficulté sur l’expedition du don que j’ay trouvé bon de luy faire du vicomté d’Illes avec creation d’icelluy en comté » [270]. Ardena était en situation de grande faiblesse : il venait de se voir désavoué par les Consistoires qui l’avaient choisi comme ambassadeur, qui lui reprochaient d’avoir accepté l’idée d’une trêve pour la Catalogne entre la France et l’Espagne, contrairement à ses instructions de départ[271]… Il aurait pu tout perdre et se voir privé de son don récent. Mais ce malheur soudain arrivé à l’un des principaux serviteurs de la France fait réflechir. A la cour, on se ravise. Mazarin décide, avec son habileté coutumière, qu’il ne faut pas l’enfoncer davantage, et que le triomphe de Margarit, sorti grandi après la découverte de la conspiration qui visait à l’assassiner, doit lui suffire sans provoquer la chute de son adversaire. On n’avait pas de preuves suffisantes pour prouver qu’Ardena était lui-même un traître. Il se voit donc assurer l’expédition de ses lettres patentes, qui lui sont remises, et avec lesquelles il rentre en Catalogne dans les premiers jours de juin 1646[272].
De toute évidence, un tel don devait produire de nombreux remous. Depuis 1643, la ville d’Ille était restée sous la domination du roi puisqu’il n’en avait pas encore disposé ; et la couronne en percevait les revenus par l’intermédiaire de Francesc Sangenís… Situation sans doute bien agréable et supportable pour la communauté, assez proche somme toute de statut de ville royale qu’elle désirait tant. Souvenons-nous des lettres missives envoyées en avril 1643 : Louis XIII s’était engagé à ne jamais disposer « pour le présent de la proprieté des biens qui ont esté confisqués sur les mal affectionnés, ny au profit d’autruy, ny au nostre », en déclarant aux habitants : « aussi n’aurés-vous cependant aucune dependance que de Nous »[273]. Le don à Josep d’Ardena, s’il comprenait les limites claires que nous avons commentées, comprenait aussi toute la justice seigneuriale de la ville, ce qui était le point le plus difficile à admettre pour les habitants. Dès son retour en Catalogne, peut-être même avant, Ardena entend prendre possession de son bien. Ceux d’Ille reçoivent la nouvelle. Ils portent immédiatement l’affaire devant la Procuració Reial de Roussillon, qui fait retranscrire dans ses registres les lettres adressées par Louis XIII à la ville en 1643[274]. De son côté Ardena, sans doute à l’intention de son procureur qui devait rencontrer sur place une réticence bien concrète, obtient immédiatement d’Harcourt des lettres exécutoires afin de forcer la prise de possession. Ceux qui s’y opposeront encourront une peine de mille livres[275]. Le vice-roi, lui aussi très affaibli et contesté de toutes parts, se replie sur son cercle le plus proche qu’il couvre de présents. Il fait corps avec Ardena, et va jusqu’à lui accorder exemption de tout droit du sceau pour l’enregistrement de ses lettres[276]. Vers la fin de l’été, les Illois envoient une nouvelle ambassade à la cour de France. Ils sont déterminés à se battre.
L’intérêt général s’emmêle dans les querelles de clans
A la fin de l’été 1646, la situation est devenue intenable en Catalogne : alors que, sur le champ de bataille de Lleida, Harcourt est de plus en plus affaibli par les sorties des Espagnols et l’extrême décomposition des troupes françaises, les querelles de clans battent leur plein : le vice-roi assure plus que jamais son soutien au clan Ardena entaché du soupçon de conspiration, il a éloigné Margarit du centre de l’action en l’envoyant à Vilafranca del Panadés, et il ne cesse de bouder Marca. La cour est bien au courant de ces difficultés et tente de ramener tout un chacun sur le chemin de la concorde : début août le comte de Noailles reçoit un mandat du roi pour se rendre immédiatement à Barcelona afin d’accommoder Harcourt, Margarit et Marca. La cour reçoit ensuite l’ambassade de la communauté d’Ille. Mais depuis le don du comté à Ardena, fin 1645, le climat avait changé : Harcourt avait reçu un coup de semonce de Le Tellier, qui lui signifiait sans trop d’ambages que la reine était largement insatisfaite et fâchée de son usurpation du pouvoir de grâce[277] ; il ne faisait plus bon, aux yeux de la cour, être un favori du vice-roi. L’arrivée à Fontainebleau des députés d’Ille fait réflechir. Sans doute se demande-t-on s’il était vraiment juste et judicieux d’avoir expédié un tel don : et si, en fin de compte, ceux d’Ille avaient raison ? La volonté conciliatrice ressort dans la lettre qui est envoyée à Harcourt à ce moment-là : le roi lui dit que, considérant l’ambassade, il veut désormais « sçavoir au vray quel inconvenient il peut y avoir en cela [dans le fait de retenir la justice et la seigneurie d’Ille dans la Couronne] pour mon service et pour le public de ladite ville et ne pas apporter s’il est possible de diminution a la grace que j’ay faite aud. Joseph Dardenne » ; en son absence, Harcourt devra se fonder sur l’avis de Marca[278]. On voit bien que le ton a changé, et que, pour les Illois, l’espoir n’est pas totalement coupé, le roi envisageant du bout des lèvres une solution médiane qui leur donne satisfaction sur l’un des points essentiels de leur combat : la fin de la justice seigneuriale. Mais, concrètement, cette nouvelle ambassade n’obtient jamais qu’une nouvelle réponse dilatoire. On imagine d’ailleurs le peu d’effet que la lettre dut avoir sur Harcourt, qui prenait exactement le contrepied de cette politique de concorde.
La communauté considère que ses envoyés n’ont pas encore obtenu assez. Elle se tourne alors vers la Generalitat, dont nous avons bien vu l’appui constant aux revendications des villes face à l’arbitraire des nobles et des militaires. Les Dietaris de la Generalitat nous permettent d’éclairer cet épisode et montrent bien qu’à partir de là le cas d’Ille s’emmêle inextricablement avec les affaires politiques qui, de Barcelona à Paris, secouent le camp français. Deux syndics d’Ille, Francesc Sabater, docteur en médecine, et Estève Pujol – sans doute un frère de Gabriel Pujol qui fut déjà envoyé à la cour en 1643 –, se rendent à Barcelona et s’y installent pour une durée indéterminée, afin de défendre les intérêts de leur ville. Le 12 novembre 1646, ils remettent aux députés de la Generalitat une supplique, qu’ils demandent de faire consigner dans les Dietaris[279]: d’après le texte, dont on trouvera une édition en annexe, l’agent des Consistoires à la cour (Generalitat et Conseil des Cent), Pujolar, a hautement défavorisé les intérêts d’Ille :
« Les jours passés, nous avons informé oralement Votre Seigneurie de l’opposition qu’avait faite contre la ville d’Ille l’agent de Votre Seigneurie, don Isidoro Pujolar, avec pour fin et effet que la ville ne soit pas satisfaite de sa prétention, et parce qu’il se peut que nous ayons omis quelque chose auprès de vous, nous informons une nouvelle fois Votre Seigneurie de ladite opposition, par écrit, et lui signifions que ladite opposition contient ce qui suit :
Premièrement, que dans la ville d’Ille la justice n’est pas administrée, qu’elle est toute entière séditieuse, et que que tous ses habitants sont des bandolers.
Deuxièmement, qu’ils sont rebelles et conspirateurs.
Troisièmement, qu’ils ne veulent pas loger les soldats, ni obéir aux ordres de Sa Majesté.
Quatrièmement, que ceux qui veulent que la ville d’Ille soit à Sa Majesté sont peu nombreux, et nombreux ceux qui veulent que don Josep d’Ardena en soit seigneur.
Cinquièmement, que pour toutes ces raisons, il faut leur donner un seigneur pour les châtier.
Et enfin, [reproche est fait à Pujolar] d’avoir pris toutes les lettres qui venaient des consuls de la ville d’Ille ainsi que les lettres de change, de sorte que les dépêches et les courriers de Fontainebleau nous demandaient des lettres, alors que toutes les lettres qui venaient de Catalogne étaient remises dans les mains de don Isidoro Pujolar ; et moi, docteur susdit, je certifie qu’on me l’a dit de nombreuses fois, et que l’on sait avec certitude qu’elles sont arrivées à Paris, et de là ont été transportées à Fontainebleau.
Et comme toutes les affaires qui s’expédient pour la Catalogne passent par les mains du secrétaire d’Etat, monsieur Le Tellier, lequel n’expédie rien avant d’en avoir été informé par l’agent de Votre Seigneurie étant et résidant à la cour pour toute la province et les Comtés, il est inévitable que, lui s’y opposant, ce secrétaire d’Etat juge qu’il le fait avec le consentement de Votre Seigneurie. Et comme ladite opposition est infamante et que la ville d’Ille n’a d’autre recours que Votre Seigneurie, nous supplions humblement Votre Seigneurie qu’elle fasse remédier à un si grand préjudice […] »[280].
On retrouve ici les sempiternelles manœuvres de Pujolar, dont l’action principale était de monopoliser toute l’information de la Catalogne, de la filtrer et de la resservir aux ministres français de façon expurgée et parfois détournée. Ces dangereux penchants – qui ne l’empêchèrent pas de rester en fonction à la cour pendant six ans – s’ajoutent ici à une implication particulière dans les querelles de clans en Catalogne. On sait le rôle immense de Pujolar dans la disgrâce de La Mothe : il relayait avec force toutes les plaintes qui arrivaient contre lui, et camouflait les témoignages favorables. Une fois la chute du maréchal consommée, Pujolar s’était fait une joie de soutenir avec enthousiasme le clan d’Ardena, et d’enfoncer autant que possible les débris de l’ancien clan motiste, représentés essentiellement par le Gouverneur Margarit. Il n’est donc pas étonnant de voir l’opposition de Pujolar à la requête de la communauté d’Ille. Ironie du sort, Pujolar, par stricte fidélité clanique et aversion contre Margarit, se retrouvait finalement à embrasser les opinions profondes de ce dernier : une ferme opposition à la création de villes royales.
Un autre passage des Dietaris, postérieur de quelques mois, achève de montrer comment cette affaire pourtant si détachée des querelles partisanes par son principe – émancipation d’une communauté villageoise – se retrouvait finalement mêlée aux intrigues les plus sinueuses. Au cours de l’année 1646, Ardena avait été en ambassade à la cour en compagnie de Francesc Martí i Viladamor, cet avocat barcelonais si célèbre comme publiciste et propagandiste en faveur de la France. Nous reviendrons bientôt sur les conséquences diplomatiques de cette ambassade, au cours de laquelle les deux envoyés désobéirent aux instructions qui leur avaient été données par la Generalitat et le Conseil des Cent, et accordèrent à Mazarin la possibilité d’un traité entre la France et l’Espagne avec une longue trêve pour la Catalogne – ce qui était la hantise de Barcelona. Le retour d’Ardena et de Marti est fracassant : désavoués par les Consistoires, ils sont traînés dans la boue, surtout le second, qui avait déjà un lourd passif et était impliqué dans d’autres affaires. Le scandale diplomatique fait boule de neige. Les députés, dès qu’ils reçoivent de la part des syndics d’Ille le témoignage que leur agent Pujolar a œuvré contre leurs intérêts, écrivent au roi en leur faveur[281], et tancent vertement l’agent en lui disant qu’il est inadmissible qu’il soutienne Ardena, par ailleurs très distingué dans le service du roi, sans leur avis et de façon malhonnête en détournant des courriers[282]… En 1647 le Conseil des Cent fait ouvrir une information contre Marti devant le viguier de Barcelona pour son amitié supposée avec le chef des conspirateurs de 1645, Gispert Amat, abbé de Galligans et, partant, pour sa participation supposée à la conspiration. Les témoignages à charge s’accumulent ; ils sont consignés, comme toute la procédure, dans les Dietaris de la Generalitat. L’un des buts de la conspiration – renverser Margarit – est directement relié au cas du maréchal de La Mothe, cause et moteur des premières divisions de clans : deux témoins, les religieux Pasques et Pozuelo, affirment que Marti a tenté de les soudoyer pour qu’ils témoignent contre La Mothe, afin d’empêcher définitivement son retour. Penchons-nous sur le cas particulier d’un autre témoin, le capitaine Miquel Vilar. Originaire de Ripoll, Vilar s’est fixé à Ille après son mariage en 1626[283] ; en 1640, lors du mémorable siège, il a participé à la défense de la ville contre les Espagnols, puis a rejoint le régiment d’infanterie de Tomàs de Banyuls comme aide de camp. En 1642, il visite Louis XIII lors de son passage en Roussillon, et, sur sa recommandation, est nommé capitaine d’une compagnie dans le bataillon de Catalogne[284]. En 1647, pris dans les coteries catalanes, sans doute membre du clan Margarit, il est radié de sa charge de capitaine sur ordre du comte d’Harcourt. Il se rend alors à la cour, à Fontainebleau, pour obtenir sa réintégration. Mais il n’obtient pas satisfaction, et, dès son retour à Barcelona, témoigne au procès contre Marti. Il charge une nouvelle fois Pujolar, qu’il rend responsable de son échec, et montre sa profonde cohésion avec Marti dans ses calomnies contre La Mothe et Margarit.
Vilar donne une vision très vivante de l’existence de ces Catalans à la cour : ils vivaient ensemble, dînaient ensemble, dormaient dans un même réduit à Fontainebleau, ce qui facilitait toutes les cabales et toutes les dissimulations…
« Après être arrivé à Fontainebleau, où Sa Majesté Très Chrétienne tient sa cour, je m’entretins avec don Isidoro de Pujolar, agent du présent Principat et de la ville de Barcelona, et je vins le saluer en sa maison, dans laquelle se trouvait aussi ledit Francesc Martí i Viladamor. Ils mangeaient tous deux sur une table et dormaient dans un même réduit, ce que je vis, et je mangeai à leur table trois fois. Ledit Pujolar me demanda pourquoi j’étais venu, et je lui répondis : « parce-qu’on ma retiré la compagnie dont Sa Majesté, qu’elle jouisse de gloire, m’avait fait grâce, sans que je me sois rendu coupable contre le service de Sa Majesté ». Il me dit de ne pas me préoccuper, de me confier à lui et de le laisser faire : il négocierait mon affaire, je n’avais qu’à m’en remettre à lui, et je verrais les bienfaits qu’il me ferait donner par Sa Majesté. Il me proposait un cheval pour m’en retourner et de l’argent pour les dépenses du voyage, à quoi je répondis que je ne voulais pas lui nuire. Continuant la conversation, il me pria de dire, au moment où je serais devant monsieur Le Tellier et le duc [d’Orléans], du mal du Gouverneur de Catalogne, qui était un roublard qui n’administrait pas la justice, un grand voleur, un grand traître, et que ceux qui avaient rendu des sentences en Catalogne ne valaient pas mieux ; que messieurs de La Mothe et Marca étaient aussi des traîtres et de grands voleurs, qu’ils avaient mangé l’argent du roi et avaient perdu la Catalogne, qu’ils n’administraient pas la justice ; que ceux de la ville d’Ille étaient tous des traîtres et des rebelles à Sa Majesté »[285].
Supposons que ces paroles soient exactes – du moins, sur le fond, elles sont fort vraisemblables. Pujolar savait-il que l’homme à qui il s’adressait était lui-même un habitant d’Ille, d’où son épouse était originaire ? Peut-être même Vilar faisait-il partie de ceux qui, dans la ville, s’opposaient le plus aux volontés de Josep d’Ardena. La réaction ne pouvait être que négative : Vilar, considérant que « tout ce qu’il disait était totalement contre la vérité », ne répond rien à Pujolar. Quelques jours plus tard, chez l’ambassadeur des Consistoires qui a succédé à Ardena, le sieur Puiggener, Vilar recroise Pujolar : ce dernier ne fait que se mettre en valeur et surenchérit parfois d’une façon hors de mesure. Tout d’un coup, il s’écrie : « tous les Catalans sont des traîtres ! »[286] Le sang de Vilar ne fait qu’un tour : « je n’en revenais pas, s’écrie-t-il, qu’étant catalan comme il l’était, il dise de semblables paroles […] ; ce n’était rien d’autre qu’un renégat. Et, me mettant en colère, tout en parlant, je me levai de ma chaise en disant que, si ce n’était le respect que j’avais pour l’ambassadeur, j’aurais fait un sort à ce Pujolar ». Dès ce moment, la cause de Vilar était perdue à la cour. C’est du moins ce qu’il affirme dans la suite de son témoignage[287]. Malgré une disgrâce relative de la part de ses vrais patrons, les institutions catalanes, Pujolar jouait cavalier seul. La communauté d’Ille ne pouvait pas avoir plus redoutable adversaire, plus redoutable encore par sa plume et sa fourberie qu’Ardena lui-même.
Des arguments que la supplique des syndics d’Ille attribue à Pujolar, retenons deux points essentiels : les habitants ne veulent pas se plier au logement des soldats et, partant, aux ordres du roi ; ceux qui veulent qu’Ille soit changée en ville royale sont une minorité, l’autre partie (silencieuse) des habitant acceptant tout à fait Josep d’Ardena comme seigneur. Nous ne savons pas exactement si ces raisons ont été inventées par Pujolar, homme particulièrement ingénieux dans l’art de la propagande, ou bien si elles lui avaient été soufflées par l’entourage d’Ardena. Nous n’avons pas retrouvé de correspondance entre Pujolar et ce dernier, mais il est fort probable qu’ils aient été en contact. Ces points vont rester des plaies ouvertes durant toute l’année 1647. Revenons un peu en arrière. Le 9 janvier 1647, Harcourt adresse aux consuls d’Ille un ordre dont la teneur reprend exactement l’un de ces arguments. La missive évoque l’ambassade envoyée à Barcelona par la communauté (celle des syndics Francesc Sabater et Estève Pujol), qui vient de se pourvoir devant le Régent Fontanella afin d’ouvrir un procès à la Reial Audiència : « comme la cause pour laquelle vous leur avez ordonné de venir est une affaire particulière et non du commun de ladite ville, nous vous ordonnons de certaine science et d’autorité royale que vous ne donniez ni payiez ni ne fassiez donner ou payer aucune somme sur le compte du commun de l’université d’Ille auxdites personnes pour ce voyage, sous peine de la payer sur vos biens propres… »[288]. Cela revenait à contester la légitimité même des syndics et de l’assemblée des habitants, qui, selon le droit catalan, décidait les grandes affaires en séance élargie (Grand Conseil)… Face à tout cela, la combativité des villageois apparaît de plus en plus manifestement dans la documentation. Une dizaine de jours après le premier ordre, Harcourt édicte un nouveau coup de semonce aux consuls : on a, a-t-il appris, logé des soldats dans la maison que Josep d’Ardena possède à Ille ; il leur ordonne donc de faire cesser immédiatement ces logements, d’extirper les soldats de la maison, et, de plus, de « ne pas recouvrer ni faire recouvrer aucun droit sur les grains et fruits qui sont de la cueillette dudit comte », sans quoi ils devront venir en rendre compte au vice-roi et ils seront déférés en justice[289]. La maison d’Ardena est sans aucun doute cette magnifique demeure qui, encore aujourd’hui, est appelée « la maison du comte », et, malgré son état de dégradation avancée, conserve de très beaux éléments massifs en marbre et pierre de taille du XVIIe siècle. Ardena, absent, ne gérait ses biens que par procureur. Les consuls, qui n’entendaient pas accorder un cheveu au nouveau comte, avaient donc encouragé les soldats à entrer dans la maison, et avaient fait saisir les revenus de la seigneurie, qui auraient dû lui être remis. Dès 1642, Ille avait demandé à être exemptée du logement de gens de guerre ; et voilà que, frustrée, elle devait non seulement accepter cette corvée, mais aussi souffrir que la maison du nouveau seigneur soit la seule, dans la ville, à en être exemptée. La ville, à la mesure de ses moyens, s’était vengée par ce véritable acte de résistance.
La violence éclate lorsque, le 1er février 1647, Jacint Clos, portier de la cour du Patrimoine Royal du Roussillon, désigné par Ardena comme procureur, se présente à Ille afin de porter officiellement aux consuls ces deux ordres du comte d’Harcourt. Les deux lettres originales sont conservées dans les archives de la Procuration Royale, et pour cause, à Ille, on n’a même pas voulu en entendre parler. L’épisode, truculent et digne de roman, est rapporté par un procès-verbal que Clos a fait recevoir le lendemain par un notaire de Perpignan pour montrer qu’il a bien fait son travail ; la relation est écrite au dos même des missives[290]… Parvenu à Ille à cheval, Clos va se présenter au premier consul de la ville, Estève Gros[291]. A peine arrivé, celui-ci, sans doute par signe de défiance, monte lui-même sur un cheval. Il refuse d’examiner la moindre lettre et ne veut même pas savoir ce qu’elles contiennent. On imagine bien une scène proche de l’Ouest américain où les deux hommes se toisent sur leur monture et se lancent des regards noirs. La réaction de Gros est d’envoyer quelqu’un en diligence aux remparts pour donner le mot : toutes les portes de la ville doivent être fermées. Soudain, l’envoyé d’Ardena se sent seul et désemparé. Il est directement menacé par un adversaire qui lui laisse pour seul choix celui d’abandonner, pour sortir vivant. « Il ne put pas davantage, lit-on, porter [les lettres] aux autres personnes du Conseil de ladite université ; plus encore, [il avait] un très grand nombre d’habitants de ladite ville contre lui. Cela produisit un tumulte dans la ville, à cause, croit-on, dudit consul Gros ; ce pourquoi il n’osa signifier et présenter lesdites lettres royales à aucune autre personne de la ville, afin d’échapper à un danger de mort, et pour ne pas être assassiné par des habitants si déchaînés. »[292] Malgré l’aspect théâtral et grandiloquent de l’épisode, c’est un échec cuisant, une importante humiliation pour Ardena et, par ricochet, pour Harcourt.
Le vice-roi, que nous savons peu enclin à se plier aux ordres royaux, avait reçu avec beaucoup de circonspection la lettre missive du roi du 23 septembre 1646, dont le but principal était d’accommoder les parties et d’obtenir son avis en concertation avec Marca avant de prendre quelque décision que ce soit[293]. Si l’on se tient à la substance de la lettre, bien que cela ne soit pas signifié explicitement, cela revenait à surseoir la prise de possession d’Ardena avant qu’on ait déterminé avec précision la nature de sa seigneurie. Harcourt avait interprété la missive à sa façon : il consentait à chercher un terrain d’entente, mais il considérait que, sur le fond, la faute revenait à une minorité d’habitants d’Ille – qu’il avait d’ailleurs pris le parti de blâmer nominalement –, et que cela ne devait pas empêcher la prise de possession par Ardena ; pour ainsi dire, les avantages que la communauté pourrait obtenir n’étaient qu’un détail[294]. Mais lorsque Marca revient à la charge, Harcourt, probablement échaudé par les soubresauts survenus à Ille, a désormais atteint un sommet de colère irréversible…
« Il repondit que c’estoient des refractaires aux volontés du roy, qu’il faloit harceler pour les mettre a la raison, et les faire departir de leur oposition. Je dis que l’ordre de Sa Majesté portoit que l’on traiteroit de les accommoder. Il repliqua qu’il faloit qu’ils obeissent, et qu’il envoyeroit cinq cens et mille chevaux dans la ville pour les y contraindre. »
Marca, voulant préserver son image devant les deux principaux officiers catalans devant qui la dispute éclate, le Régent et le Gouverneur, joue la voix de la raison : il soutient qu’aller à l’affrontement est s’opposer aux volontés du roi, qui, argue-t-il, a clairement signifié qu’il voulait surseoir à la prise de possession d’Ardena. Marca extrapole un peu ici, car la missive, comme nous l’avons dit, n’était pas si explicite. Mais, pour lui, elle contient un « furieux mot » qui n’appelle pas de commentaire. Harcourt, excédé, ressort alors les querelles de clans…
« Il demanda l’explication de cette parole. Je dis que si cette clause n’estoit observée S.M. seroit offensée, d’où il pourroit naistre de tres facheux accidens. Il dit qu’il faloit que je quitasse toute partialité. Je haussay un peu la voix pour repousser cette injure, et luy dis que mes deportemens avoient fait voir jusques a presens que j’estois sans passion, et sans interest dans la Province, et que je n’avois eu autre partialité en l’affaire de dom Joseph d’Arddenne que celle d’escrire en sa faveur, de quoy faisoient foy les lettres de S.M., que j’avois montrées a dom Joseph. Jusques la qu’elles temoignoient que ses lettres patentes avoient esté expediées conformement a mes avis. Il dist que je me mettois bien tost aux champs, et que l’on mettoit dans ces lettres du Roy ce que l’on vouloit. Je repartis que j’estois obligé de me deffendre contre l’accusation d’estre partial, qui m’estoit faite en presence de M.rs les Catalans […] ».
Pour désamorcer la querelle, Marca fait finalement profil bas et assure Harcourt que, quoi qu’il arrive, il se soumettra à son avis.
Cependant, sans doute autant par conviction sincère que pour contrer Harcourt, Marca retrouve rapidement son discours traditionnel favorable aux aspirations des communautés. De fait, dans sa correspondance avec Le Tellier, il est de moins en moins favorable aux intérêts d’Ardena. Selon sa lettre du 27 mars 1647, à la base de tout son argumentaire se trouve le bien-fondé et la justice de la prétention de la communauté d’Ille…
« Il est certain que les habitans de cette ville la ont pris les armes les premiers des Catalans contre le roy d’Espagne, et ont soutenu deux sieges contre une armée de six mille vieux soldats, fortiffiée de six canons de baterie, d’ou ils pretendent tirer cet avantage qu’ils ont racheté leur liberté avec leur sang, et que leur cause est plus favorable que s’ils se fussent rachetés avec de l’argent, auquel dernier cas ils ne pourroient estre alienés et mis hors de la main du roy selon les constitutions d’Espagne aussi bien que selon les ordonnances de France ».
Marca explique ensuite tous les expédients qu’il a tenté de trouver pour mener les parties à un accord. Il s’est renseigné sur la consistance exacte de la vicomté d’Ille : la ville d’Ille par elle-même, plus trois villages qui en dépendent, d’un revenu en dîmes, moulins et droits seigneuriaux montant à 7000 livres tournois déchargées de dettes. Ainsi, comme les habitants refusent qu’Ardena exerce la juridiction, et que, de son côté, Ardena estime que sans juridiction « le titre de comte est sans effet », Marca propose qu’Ardena, en conservant le titre, n’exerce pas la juridiction sur la ville d’Ille mais sur les trois villages qui en dépendent ; quant à la ville, il suggère qu’Ardena conserve la « baillie hereditaire », c’est-à-dire le pouvoir de nommer un batlle choisi entre plusieurs personnes proposées par la communauté. Cette solution médiane, qui donne un avantage à tout le monde et ne fait pas de vainqueur ni de vaincu, est proposée par écrit aux avocats de Josep d’Ardena. Mais Marca reçoit un refus catégorique : « il ne peut accepter l’expedient, parce qu’il luy oste la jurisdiction de la ville d’Ille, et que c’est le pis qui luy peut arriver en plaidant par devant l’audience ». Marca, considérant in fine que « le don fait a dom Joseph d’Ardenne n’est point valable, pour le moins a l’egard de la seigneurie sur les personnes et de l’exercice de la jurisdiction », suggère alors à Le Tellier de faire expédier des lettres royales qui consacrent solennellement la solution qu’il a échafaudée, et, ainsi, de faire taire Josep d’Ardena. Juridiquement, il énonce clairement la distinction entre la seigneurie d’Ille – les revenus seigneuriaux et les droits sur les anciens membres de la vicomté – et la communauté d’Ille qui est indisponible en vertu des lettres authentiques expédiées par Louis XIII. Ainsi, la confirmation du titre de comte à Ardena ne devrait pas empêcher le roi de donner plus tard à la communauté le priviège de ville royale. Distinction qui, pour le nouveau comte, est inacceptable.
« En suite Sa Majesté pourra si bon luy semble gratifier la communauté du privilege de ville royale, et dom Joseph d’Ardenne de la bailie hereditaire de cette ville-la a la charge de n’exercer point jurisdiction par soy même et de ne pouvoir etablir lieutenant que sur la terne des habitans. Car s’il en establissoit un a son gré il seroit absolument maistre de cette ville-la, au lieu qu’il importe au service du roy qu’elle contrepese l’autorité d’un comte »[295].
Définitivement tombé de son estime et de sa confiance depuis la découverte de la conspiration de 1645, favorisé par Harcourt, trop proche du Régent et trop hostile à Margarit, Ardena est une personne dont Marca se méfie hautement et qu’il éliminerait volontiers. Pour lui, c’est l’occasion même d’illustrer cette doctrine que nous avons vu développée chez les publicistes catalans : modérer la noblesse et favoriser le peuple est le meilleur moyen de maintenir la cohésion sociale.
Depuis février 1647, Harcourt sait qu’il ne remettra plus les pieds en Catalogne, puisque la reine a décidé de le relever de ses fonctions. Dans la province, il est désormais honni d’une partie des éléments français et catalans, à la fois pour son échec fracassant au siège de Lleida et pour sa politique partisane. Durant ses derniers jours à Barcelona, il avait tenté d’affirmer sa volonté et d’imposer les intérêts de Josep d’Ardena, mais le résultat était pour l’heure mitigé, la communauté d’Ille opposant toujours une farouche résistance et la cour n’appelant qu’à la conciliation. Sentant leur espoir renaître avec le départ d’Harcourt et l’arrivée annoncée du nouveau vice-roi, le prince de Condé, les consuls d’Ille envoient une nouvelle fois leur syndic à la cour, semble-t-il au tout début du printemps 1647[296]. C’est probablement en vue de cette ambassade qu’ils font imprimer un notable factum, à Paris, et portant la date de 1647 (malheureusement sans nom d’imprimeur) : Memorial y puntos de hecho y drecho tocantes a la pretention tiene la villa de Illa ; para suplicar a Su Magestad (Dios guarde) les mande el Privilegio de villa Real por las causas y razones aqui refferidas. Un exemplaire de cet opuscule – l’un des rarissimes qui furent édités, et sans doute le dernier subsistant de nos jours – est conservé à la Bibliothèque nationale de France, au sein de l’ancienne collection de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés (« Saint-Germain français »)[297]. Nous en donnons la reproduction pour que le lecteur profite de son aspect matériel autant que de son contenu. La page de titre porte une inscription manuscrite « Remonstrances de la ville d’Ille en Catalogne pour estre maintenue dans ses privileges ». Nous l’identifions comme étant de la main de Denis Godefroy (1615-1681), juriste de renom, fils du célèbre érudit et juriste Théodore Godefroy à qui il succédera en 1649 comme historiographe du roi. Durant sa jeunesse, Denis Godefroy semble avoir été, comme son père, au service de Richelieu et de Séguier, dans une véritable entreprise familiale d’archivistes et de fournisseurs de pièces authentiques. De nombreux volumes de la collection Séguier et de la collection de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés sont annotés, ou portent des tables des matières de la main de Denis Godefroy[298]. Ces considérations ne sont pas sans signification pour l’affaire que nous sommes en train d’étudier. Il est permis de penser que le recueil où est conservé le factum des consuls d’Ille faisait partie des papiers de Séguier[299] : peut-être que les consuls, sur recommandation de Pierre de Marca qui était un proche du chancelier et l’un de ses correspondants ordinaires, lui avaient envoyé le papier afin de multiplier leurs chances de réussite ? Godefroy l’aurait donc examiné, peut-être pour le compte du chancelier, résumé et classé… Son annotation pourrait paraître à première vue assez trompeuse : les consuls, si l’on s’en tient aux points les plus évidents de leur revendication, ne demandaient pas que la ville soit « maintenue dans ses privileges », mais bel et bien que le roi lui donne le privilège de ville royale… Cependant, en étudiant plus précisément le contenu de ce factum, très conséquent pour la suite des évènements, on se rend compte que Godefroy l’avait lu avec beaucoup d’attention et qu’il en avait saisi la substance.
Le factum se divise en trois : une première partie (pages 3-12, soit les folios 382-386v du volume), visiblement rédigée sous la direction des consuls, contient un résumé en 9 points numérotés des mérites de la ville d’Ille :
- Le point I aborde la conduite héroïque des habitants lors du siège du 24 septembre 1640 – la ville se présentant comme « une des plus peuplées du Roussillon (car elle atteint 500 habitants) »[300]–, la destruction de maisons, la perte de 800 hommes du côté ennemi.
- Le point II parle de la résistance à un deuxième assaut le 29 septembre, de la destruction d’une tour. Les ennemis perdent 300 hommes, la ville en perd 2 et une femme. Schomberg secourt la ville, les consuls et la majorité du peuple le saluent pour son héroïsme et comme représentant du roi, lui livrent la ville, mais il la leur rend pour que le roi les conserve comme ses vassaux immédiats. Nous avons déjà commenté cet épisode, dont nous ne pouvons pas certifier l’authenticité. Cet acte du maréchal, fondé sur une parole orale, sera l’une des bases de l’argumentation juridique.
- Dans le point III est abordée la participation de 60 naturels d’Ille, aux côtés de 17 chevaux logés dans la ville, à deux escarmouches, dont l’une contre 6 troupes de cavalerie et 200 mosqueteros ; 200 pertes chez l’ennemi, 12 seulement dans la ville ; les ennemis ont fait des ravages dans le plat pays pour une perte de 15000 écus.
- Le point IV explique que plusieurs Illois ont accompagné Tomàs de Banyuls dans son régiment, et ont participé à la prise de Millas.
- Le point V, que la ville a envoyé une compagnie entière pour le siège d’Elne, équivalant à une dépense de 1000 écus.
- Le point VI, qu’elle a envoyé 100 hommes pour empêcher que les ennemis ne secourent Perpignan, dont 6 sont morts dans une escarmouche. 1200 écus dépensés par la ville.
- Le point VII, qu’elle a envoyé entre 200 et 300 hommes pour la prise de Perpignan, pour une dépense de 500 écus.
- Le point VIII, qu’elle en a envoyé pour le siège de Rosas, pour une dépense de 800 écus.
- Le point IX, qu’elle en a envoyé pour le secours de Lleida. La ville est présentée comme la « clef du passage de la Catalogne à la France » (« llave maestra del paso de Cathaluña a Francia »), à la fois au sens figuré (soumission des Catalans à Louis XIII) et propre (la ville d’Ille est un important lieu de passage du Roussillon au Conflent).
Une telle énumération, aussi détaillée et précise dans les pertes humaines et les sommes investies par la communauté, était nécessaire car Pujolar avait calomnié les habitants de la ville à la cour en les dépeignant comme des voyous, et que la violence avec laquelle ils résistaient, incontestable, pouvait très mal passer aux yeux de souverains qui avaient désiré gratifier Josep d’Ardena. Il s’agissait de rappeler que la ville avait un long passé au service du roi (sept ans continus de fidélité et d’engagement armé), et qu’elle était donc dans le camp de la justice. L’accumulation des chiffres, souvent accompagnés des noms des généraux français présents et pouvant faire office de témoins (Brézé, Arpajon), renforce le caractère de preuve authentique, quasiment de pièce de procédure.
La seconde partie du factum rassemble les copies de trois lettres envoyées par les institutions catalanes, et qui, comme l’introduit le point IX de la première partie, sont censées montrer la considération que ces institutions font des services de la ville. Les trois lettres datent de novembre 1646 et ont été écrites la première par les députés de la Generalitat (16 novembre), la deuxième par les conseillers du Conseil des Cent (13 novembre) et la troisième par les conseillers de la ville de Barcelona (13 novembre). Ces lettres ont été sollicitées par les consuls d’Ille en vue de l’ambassade qu’ils s’apprêtaient à envoyer à la cour de France et que nous avons commentée plus haut. Dans la première, adressée au souverain, les députés indiquent explicitement que leur missive accompagnera le syndic. Les deux autres sont encore plus significatives, car elles abordent directement le rôle d’Isidoro de Pujolar. Celle des conseillers du Conseil des Cent s’adresse également au roi, et énumère les griefs publiés à la cour par Pujolar, selon ce qu’on leur a rapporté : il s’agit exactement du contenu de la supplique que les syndics Francesc Sabater et Estève Pujol ont remis aux députés la veille[301] ! Ils l’avaient sans doute également présentée au Conseil des Cent. Ce dernier invalide donc les calomnies et demande au roi de tenir la ville d’Ille en bonne opinion. Plus encore, une lettre est envoyée le même jour à Pujolar lui-même par les conseillers de Barcelona, qui est la troisième copie insérée dans le factum : ayant appris qu’il avait détourné les lettres que ceux d’Ille envoyaient à la cour, ils lui signifient qu’il a démérité de la bonne opinion qu’ils avaient de sa personne et de son office d’agent. Il n’a œuvré qu’en faveur des intérêts de Josep d’Ardena, certes défendables, mais par des voies indirectes et déshonorantes : il est prié d’arrêter sous peine de plus graves conséquences[302]. Notons bien que toutes les lettres citées ne soutiennent pas explicitement la requête de la commuauté d’Ille. Elles ne s’engagent pas pour les intérêts de la ville, mais la recommandent, la lavent des soupçons qui pesaient sur elle à la suite des mauvais offices de Pujolar. Insérées dans ce factum destiné à la nouvelle ambassade du printemps 1647, ces lettres montrent bien les effets de la campagne de calomnie et visent à enlever toute légitimité auxdits griefs, les ramenant dans la catégorie des rumeurs et des bruits de couloir : l’agent restait en fonction (il ne sera révoqué qu’en janvier 1648) et pouvait encore nuire.
La troisième et dernière partie du factum (« Puntos de drecho apoiando (de lo dicho) la incorporacion de la villa de Illa a la Corona Real de Francia ») contient l’essentiel de la démonstration juridique. Il s’agit en fait d’une consultation de droit effectuée par un certain « BOYX V. I. Doctor » (doctor in utroque jure), tel que l’indique la signature insérée à la fin du factum (p.38, fol. 401v). Nous l’identifions à Pere Boix, juriste originaire de Girona (étudié par l’historien Josep Capdeferro), qui travailla de 1612 à sa mort en 1648 comme consultant et avocat pour sa ville natale, s’occupa aux côtés de Joan Pere Fontanella de tous les procès et négociations qu’elle soutenait à Barcelona, en relation avec les grandes juridictions catalanes et la Generalitat, puis entra au service de cette dernière institution. Boix avait commençé à plaider devant la Reial Audiència dès 1601 ; en 1628, il fut avocat de l’estament militar, avant de recevoir en 1635 la charge de commissaire pour la visite des officiers royaux organisée par la Generalitat : dès le premier jour, selon Capdeferro, il aurait agi en grand patriote, défendant l’observance des lois de la terre[303]. Il est peu douteux que les syndics envoyés par les consuls d’Ille à Barcelona, s’adressant en premier lieu aux Consistoires, soient rapidement entrés en contact avec un juriste travaillant dans l’orbite de la Generalitat qui se trouvait de plus, en tant que consultant pour la ville de Girona, expert du droit municipal. On ne s’étonne pas davantage de trouver, sous la plume de Boix, des références constantes aux auteurs traditionnels de la doctrine catalane, surtout Lluis de Peguera et Jaume de Cáncer. Il ne s’agit pas ici de rentrer dans le détail des arguties juridiques, souvent difficiles à saisir dans leur intégralité sans recours approfondi à la longue liste des œuvres des docteurs : les nuances et les concepts utilisés par Boix ne devaient pas forcément être compris de toutes les personnes concernées par l’affaire d’Ille, à l’exception des avocats de Josep d’Ardena et des juges de l’Audience… Nous nous bornerons donc à en étudier la portée politique. Ces arguments sont d’une telle finesse qu’ils en semblent parfois incertains et contestables ; certains énoncés, tout à fait exacts sur le plan du droit, vont totalement à l’encontre de la politique pragmatique des Français et des théories montantes de l’absolutisme. En tout état de cause, ils sont entièrement déconnectés des puissants conflits de force qui, dans les faits, tirent l’avantage d’un côté ou de l’autre.
Le premier point (pages 17-26, folios 389-393v) en appelle en effet au droit des obligations en faisant référence à la Summa obligationum d’Azon, juriste italien du XIIe siècle, dans son titre XIII (De obligatione ex consensu). La matière est très sensible, puisqu’il s’agit de prouver que la ville d’Ille, en offrant ses services, en donnant son sang, en subissant la destruction de ses murailles et de ses édifices, a conclu avec le roi un véritable contrat (« contrato de la incorporacion o union de la villa y terminos d Illa a la corona Real de Francia »). Boix s’emploie donc à montrer que le premier point nécessaire à l’existence du contrat, la présence de deux contractants, est ici satisfait : il fait la distinction entre le « stipulante » (les consuls et chefs de famille) et le « prometiente » (le maréchal de Schomberg). Le premier acteur était là puisque, après le siège, tous les consuls sont sortis de la ville, accompagnés de la plus grande partie du peuple, afin de saluer Schomberg : en se basant sur les Variae resolutiones de Jaume de Cáncer, Boix affirme que la communauté d’Ille en son entier a donné son consentement, soit manifeste par la présence, soit tacite. Quant au « prometiente », Schomberg, sa pleine capacité à lier un contrat au nom du roi est démontrée par sa qualité de maréchal de France « en todas materias de guerra y augmentos por las armas a la Monarchia es otra persona del Rey ». La validité de ses actions est renforcée par le fait que le souverain ne les ait pas révoquées par la suite. Plus encore, en présence des envoyés d’Ille, le roi a répété ce qu’a dit Schomberg – bien que, sur ce point précis, Boix ne puisse pas alléguer d’autre preuve que la bonne foi de ces syndics[304]. Ainsi, si l’on suit cette logique, la ville peut s’appeler ville royale, même s’il lui manque le privilège : « sin algun genero de duda se pudo nombrar como hoy se nombra villa Real : por mas que le faltase (y ahun le falte) el Real privilegio ; como aquel en semejantes casos no sea necessario para mas que para perpetuar la gracia y merced a la memoria de muchos siglos venideros ». Dans ce cas, le privilège n’est qu’un papier, certes de valeur, mais seulement l’un des moyens offerts au roi pour dispenser sa grâce. Un moyen matériel dont le principal intérêt est de rendre tangible la grâce pour les générations futures qui auraient pu en oublier les circonstances précises, mais qui, même pour cet usage, n’est pas le seul qui ait valeur probante. Pour ainsi dire, Boix glose sur l’absence de privilège et appelle en renfort la théorie très ancienne du roi source de loi, titulaire du droit divin, et dont la seule parole fait office d’acte souverain. Le rapprochement de cette théorie avec le principe du contrat fait directement appel au fonds juridique du « pactisme ». Le roi dispense certes une grâce souveraine, mais il agit en tant que partie d’un accord bilatéral. Une sorte de lien direct l’attache à l’ensemble de ses sujets, par l’intermédiaire des pactes conclus avec les communautés. C’est la base même de l’édific juridique catalan, cher aux idéologues de la révolte de 1640. Louis XIII a accepté la soumission de la Catalogne sur la base du pactisme, mais il est permis de s’interroger sur la réalité des chances, pour de telles théories, d’être bien accueillies au début d’une période d’affaiblissement de la monarchie et de renforcement parallèle des principes absolutistes : la régence d’Anne d’Autriche…
L’absence d’acte donnant spécifiquement le titre de ville royale ne veut pas dire que les souverains n’aient pris aucune décision concernant les requêtes de la communauté. Toute la substance du point II (pages 27-36, folios 394-400v) réside dans une minutieuse analyse des deux lettres missives du roi expédiées le 25 avril 1643 en réponse à l’ambassade du syndic Pujol, la première pressant l’expédition du don des 30 000 livres à la communauté d’Ille, et remettant à La Mothe la décision de l’exempter du logement des gens de guerre ; la seconde signifiant que le souverain n’a pas encore résolu de disposer des biens confisqués, mais qu’il n’en disposera en faveur de personne et que la ville n’aura donc aucune autre dépendance que de lui-même. Premièrement, Boix recourt à un curieux procédé : il présente les deux lettres comme deux faits séparés et juridiquement indépendants, alors qu’il n’en est rien. Elles sont datées du même jour et, si elles répondent à des points différents, la première évoquant le don de pension et la seconde la demande (plus délicate) du privilège de ville royale, elles sont toutes deux des lettres missives signées du roi et contresignées par son secrétaire d’Etat Bouthillier. Ainsi Boix force-t-il un peu l’interprétation en affirmant que, si la première ne répond pas aux demandes des syndics sur le point de l’expédition du privilège, elle le fait à dessein : « dexando de hablar de la expedition del privilegio de villa Real (siendo el mas principal) como a cosa assentada y justamente devida conforme a las razones en dicha suplicacion allegada : a la qual se a de atender de drecho ». Si l’on en suit le juriste, la lettre ne mentionne pas le privilège car elle s’occupe d’une affaire bien plus précise et basse (un don d’argent) et que le roi tient déjà l’expédition du privilège pour évidente : il se dispense simplement de le répéter. Il faut opposer à Boix la vraie évidence : la seconde lettre qui, elle, traite du privilège d’une façon ni négative ni positive, date du même jour, et la volonté du roi peut être tenue pour unique dans les deux actes souverains émanés de sa jussio… Le juriste examine ensuite la seconde missive, beaucoup plus conséquente et difficile à interpréter. En rappeler ici le passage majeur n’est pas superflu.
« Pour ce qui est de rendre royale ladite ville, vous devés sçavoir que nous avons resolu de ne point disposer pour le présent de la proprieté des biens qui ont esté confisqués sur les mal affectionnés, ny au profit d’autruy, ny au nostre, de sorte que nous ne pouvons vous accorder ce que vous desirés pour ce regard. Neantmoins comme nous ne disposerons desdits biens en faveur de personne, aussi n’aurés-vous cependant aucune dependance que de Nous »[305].
Là encore avec une extraordinaire souplesse d’esprit, Boix tourne tout – les points favorables comme les défavorables – à l’avantage de la ville. Toute l’astuce de son argumentation est de détourner l’attention de l’expression « nous ne pouvons vous accorder ce que vous desirés pour ce regard », dont le sens est aussi clair dans le texte français que dans sa traduction en espagnol, et de lui enlever toute substance en subordonnant sa signification finale aux autres phrases qui l’entourent.
Pour lui, les deux propositions négatives qui encadrent les paroles royales limitent de façon effective le pouvoir de grâce du roi, et installent une situation de fait qui n’est pas révocable. D’une part, le roi, qui n’a pas encore la propriété des biens, pourrait très bien se laisser la liberté d’en disposer à l’avenir. Mais il ne le fait pas : il affirme qu’il n’en disposera en faveur de personne. Cette dernière clause, selon Boix, a une valeur éternelle, d’où il découle que la ville appartient de facto au patrimoine royal. En effet depuis la date des lettres, explique Boix, les biens des marquis d’Aitona ont été acquis à la couronne par droit fiscal (« drecho fiscal »), c’est-à-dire par une sentence déclarant le crime de lèse-majesté et la confiscation de jure, et par l’effet des lettres, la vicomté se trouve bloquée à ce stade, ne pouvant pas être donnée à quiconque, fût-ce pour récompenser un noble qui a donné son sang et ses biens pour le service du roi : « la qual (segun la disposicion de dicha Real carta) dende aquel tiempo como incorporada a la diadema de Francia goso privilegio de villa Real unida abdicative a otro qualquier vassallo que a los successores de la corona ». C’est donc la fusion des trois dispositions qui fonde le droit de la communauté d’Ille : octroi du privilège de ville royale par contrat oral du roi représenté par le maréchal de Schomberg ; assurance que le roi ne peut pas disposer pour l’heure de la vicomté mais qu’il ne la donnera pas à un autre vassal ; intégration de la vicomté au patrimoine royal par sentence.
L’argumentation de Boix déclare en quelque sorte que la volonté royale, quasi immanente, est au-dessus des dispositions qu’un roi humain peut décider de façon contingente. La force du droit et du pactisme les dépasse. Ainsi, s’il ne s’abstient pas de commenter la syntaxe et le vocabulaire de la lettre d’avril 1643, Boix énonce que la volonté initiale du souverain (« voluntad del principe ») a suffisamment de force pour l’emporter sur la lettre même de l’acte. Ainsi, par la clause négative (« pour ce regard… ») le roi n’a pas refusé le privilège de ville royale, car ce n’est pas la lettre qui fonde le privilège : il a pu refuser de l’expédier sous une forme matérielle, mais le droit est déjà établi. Une nouvelle fois, Boix fusionne cet argument avec un autre qui à première vue peut paraître divergent afin d’annihiler toute la difficulté de l’acte : certes, la lettre de l’acte ne fait pas la disposition ; mais dans une lettre royale comme dans un contrat, il n’y a aucune parole qui n’ait été voulue, et il n’y a que des paroles voulues (« no ay alguna que puesta en alguna disposicion […] no se ponga con expressa demonstracion de obrar segun la voluntad del disponiente »). Le don est inviolable, parce qu’aucune clause expresse ne vient le révoquer, et au contraire, plusieurs clauses empêchent qu’on fasse à l’avenir des dispositions contraires. Partant de là, qui irait contre la clause défendant de disposer de la vicomté d’Ille irait contre la volonté du roi, mais aussi contre les lois municipales acceptées lors de la soumission de la Catalogne en 1641 (et jurées par lui et son successeur par l’intermédiaire des vice-rois). En faisant un perpétuel aller-retour entre le droit municipal, la doctrine et les principes généraux du bon gouvernement, Boix s’inscrit délibérément dans la posture adoptée par l’institution qui l’emploie : la Generalitat. Cette dernière s’est distinguée, particulièrement dans les années 1630, par la défense des Constitutions de Catalogne face aux abus monarchiques et à l’arbitraire des officiers royaux. Toutefois, dans ce factum, il ne parvient pas à convaincre totalement le lecteur. L’historien relève notamment une incertitude : il semble que les biens d’Aitona aient fait l’objet d’une sentence de la Reial Audiència dès octobre 1642, si l’on croit des mentions postérieures indiquées dans les registres de la chancellerie de Catalogne[306]. La vicomté d’Ille aurait donc été effectivement dans les mains du fisc royal bien avant avril 1643, et bien avant l’incorporation postérieure évoquée par Boix. Il est possible que la cour n’ait pas été immédiatement au courant, car, on se souvient, l’intendant Argenson faisait alors de la rétention d’information – il briguait lui même le marquisat d’Aitona. Mais un fait est certain : le roi n’a pas souhaité disposer de la vicomté d’Ille, ni en faveur d’un particulier, ni en faveur de la communauté au titre de ville royale. Il aurait largement eu le temps de le faire, et aurait sans aucun doute renvoyé une lettre royale confirmant la demande qui était précisément énoncée par les syndics de la ville. Les arguments de Boix peuvent être retournés contre lui : la lettre d’avril 1643 ne contient rien d’autre que ce qui y est écrit, et tout ce qui y est écrit a été voulu. Au vu des évènements de 1642 et 1643, que nous avons commentés au début de notre travail, il semble donc que la monarchie ait accepté et perpétué, en attendant plus ample information, la situation d’incertitude et d’entre-deux juridique qui régnait en Catalogne autour de la question des biens confisqués. Comme elle ne savait qu’en faire, elle a déclaré à demi-mot que la vicomté d’Ille ne serait pas donnée ; elle a accepté que la ville soit incorporée au domaine royal sans en faire une ville royale. La monarchie allait-elle se laisser convaincre par les arguments si délicats d’un juriste catalan ? Les lettres patentes qui donnaient la vicomté à Josep d’Ardena (notons au passage que le factum, sûr de son droit, ne les cite même pas), signées par le roi en décembre 1645, allaient-elles être révoquées sur la base qu’un souverain ne pouvait pas se contredire ? Il est permis d’en douter.
Le troisième et dernier point de la démonstration (pages 36-38, folios 400v-401v), qui sert de conclusion, nous ramène aux circonstances de 1647. Il nous permet d’introduire le nouvel état d’esprit des consuls d’Ille et les conséquences directes des ouvertures contenues par le factum. Boix y affirme le désir des habitants et des consuls d’Ille de se soumettre directement à l’autorité du roi, comme une preuve de leur grande fidélité. La reconnaissance du privilège de ville royale, évidence juridique selon le factum, est aussi juste sur le plan moral et humain. En cas d’échec, prévient-il, les habitants souffriront jusque dans leur personne. Mais le principal apparaît dans le même passage : le syndic, qui apporte ce factum au roi, porte aussi une importante ouverture figée par écrit…
« Paraque puesto a los Reales pies de Vuestra Magestad en nombre de todos sea una viva vos del general desconsuelo que padessen y paraque la piedad de Vuestra Magestad cure las lagas (si fuere servido) del intimo dolor de su coraçon, en caso que se mallograra (lo que no esperan) de quedar baxo la jurisdiction mero y mixto imperio de Vuestra Magestad que en lo demas de los intereses y rentas, como sea o pagarlas a Vuestra Magestad o a otro no disminuendo la jurisdiction real, la voluntad de Vuestra Magestad obrara aquelo que fuere de su real servitio ».
Comme on le lit, la communauté accepte donc que les rentes seigneuriales de la vicomté soient versées au roi ou à une autre personne (par exemple Josep d’Ardena), pourvu que la juridiction royale ne soit pas diminuée. On a déjà vu, sous la plume de Marca, à quel point Ille désirait échapper à la justice seigneuriale qui, en Catalogne, était considérée comme particulièrement forte et léonine. A présent, sentant bien que son espoir d’obtenir le privilège de ville royale diminuait, doutant bien du réel succès que pourrait avoir un tel factum, la communauté faisait une vraie concession, et mettait l’accent sur l’essentiel au cas où, par malheur, on ne voudrait pas accéder à l’intégralité de sa requête… Directement exploitable, peut-être inspirée par Marca lui-même, cette ouverture ne tombe pas dans le vide : dès le 6 avril 1647, alors que le nouveau vice-roi Condé est parti vers la Catalogne, le roi lui écrit une lettre tirant les conséquences immédiates de la dernière ambassade ; Marca en reçoit une de la même eau. Les habitants d’Ille, dit le souverain, ont député leur syndic pour la seconde fois afin d’obtenir le privilège, espérant la révocation de « la donnation que j’ay faite a don Joseph Dardenne du comté d’Islles en ce qui concerne la justice et jurisdiction tant au civil qu’au criminel de ladite ville, lesdits habitans consentant quant aux rentes et revenus utiles du domaine dudit comté que ledit don Joseph Dardenne les possede et en jouisse comme ont fait les marquis d’Aytonne ausquels il apartenoit ». Les habitants se plaignent aussi de ce que Josep d’Ardena ait fait « par son credit » contraindre plusieurs d’entre eux à aller à la guerre, et leur ait fait subir « diverses vexations et peynes a l’occasion des differends qu’ils ont contre luy a cause de leurdite pretention ». En clair, Ardena s’était vengé à son tour des affronts qui avaient culminé avec l’accueil très rude fait à son procureur par le consul Estève Gros. Considérant tout cela, au même titre que les grands services d’Ardena, qui avait été grièvement blessé fin novembre 1646 lors de la débandade de Lleida, le roi prescrit donc à Condé de concilier définitivement les parties, ou bien de lui donner son avis pour trancher en cas de désaccord persistant. D’ores et déjà, il considère qu’on peut accorder la demande de la communauté sur le fait de la juridiction : il ordonne de surseoir à l’exécution des lettres patentes « a l’esgard de la justice de ladite ville et des establissements qu’ils pourront faire en consequence de mes lettres de don pour l’exercice d’icelle ». Condé, nous le savons, a été envoyé en Catalogne pour une mission conciliatrice et pacificatrice : il s’agit ici essentiellement « que les uns et les autres n’ayent plus a revenir vers moy pour ce sujet » [307].
Mais, à Barcelona, les coteries et les intérêts divergents des uns et des autres sont trop forts pour permettre à cette disposition royale d’être exécutée paisiblement. Condé, nous dit Marca, refuse de « s’engager a examiner la matiere » car il a beaucoup à faire pour les préparatifs de la prochaine campagne. Cette attitude laisse le champ libre au Régent Fontanella, soutien sans faille de Josep d’Ardena, qui presse alors Condé de diriger les gens d’Ille vers le « rapporteur », c’est-à-dire les inciter à se retourner vers la voie judiciaire, la Reial Audiència. Cette voie donne toute latitude au Régent, qui a une influence immense au sein de la juridiction. Elle est exactement contraire aux prescriptions de la lettre missive du roi qui demandaient à Condé de favoriser le plus possible un règlement à l’amiable. Marca essaye alors d’expliquer au prince que le renvoi de l’affaire serait préjudiciable au service du roi et contraire à sa volonté. Il reprend l’un des fondements du factum de Boix, que l’affaire est directement liée à l’interprétation de la volonté royale – savoir si le roi révoque en faveur d’Ardena la première donation ou s’il considère la grâce faite à Ardena comme « subreptice » -–, pour affirmer qu’elle échappe donc à la compétence d’une juridiction judiciaire. « Que c’estoit une expliquation de la volonté du roy et non pas un procez de justice, où les juges sous ce pretexte se veulent rendre les maistres des graces de Sa Majesté ». Marca, théoricien de l’absolutisme tempéré et de la suprématie de l’autorité royale, se méfie hautement des abus de pouvoir des juges, et ici particulièrement parce qu’il hait le Régent Fontanella… Néanmoins Condé, pourtant plus conciliant qu’Harcourt, après avoir une première fois approuvé Marca, se laisse ensuite convaincre par Ardena lui-même de renvoyer l’affaire devant le rapporteur. Entre temps, le syndic d’Ille a appris l’existence de la lettre missive adressée par le roi à Condé et à Marca pour faire surseoir à la prise de possession de la juridiction d’Ille par Ardena ! L’incident cause des remous. Le syndic demande une copie de la lettre à Marca, qui, prudemment, lui dit de la demander au prince de Condé lui-même. Cela pourrait avoir de graves suites pour Marca : « Sy il parle aux juges pour leur faire savoir les intentions du Roy, s’alarme-t-il auprès de Le Tellier, je serai tenu pour un partial, de sorte qu’il importe, Monsieur, que le roy envoie en diligence sa declaration en faveur de la ville, si elle la trouve bien fondé en la grace que le feu roy luy a faite » [308]. Toute la difficulté de l’affaire réside dans ce jeu subtil entre publication et rétention des ordres de la cour, toujours manié de façon risquée par les acteurs locaux.
Le Tellier, soucieux du maintien de l’autorité française en général, prend de la hauteur et répond à Marca que, sans considérer les détails, le plus important est de conserver tout le crédit du prince en Catalogne…
« Quoy qu’on juge bien que le renvoy qu’a fait Monseigneur le Prince de cette affaire a l’Audiance Royalle pourra donner advantage a dom Joseph d’Ardenne pour se mettre en possession, et qu’il pourra arriver du desordre a l’execution, neantmoins on ne doibt pas destruire icy ce que Monseigneur le Prince a fait, dautant qu’elle pourroit faire tort a son credit et prejudicier en d’autres occasions au service ; mais ce que vous pouvez faire est de luy representer la consequence de ce renvoy, afin qu’il y porte le remede le plus convenable »[309].
Le Tellier venait de valider a posteriori une infraction manifeste à un ordre royal… Une nouvelle fois, le visiteur général se retrouvait seul face à des mouvements beaucoup plus puissants et violents que lui, avec pour mission de réconcilier tout le monde sans choquer personne. Y parvenir était devenu à ce stade quasiment impossible, même pour une personne de ressources comme Marca. Le syndic, n’ayant évidemment pas obtenu du prince qu’il lui délivre la lettre royale, fait exactement ce que Marca craignait : il déclare au rapporteur que cette pièce est nécessaire à l’instruction, ce que le magistrat, aussi partial soit-il, ne peut contester. En conséquence, le secrétaire du greffe vient en demander une copie à Marca … qui temporise et répond qu’il ne délivrera sa lettre qu’avec celle qui avait été envoyée au prince. Il s’agissait, pour lui, de sauver le plus possible les apparences et de montrer qu’il n’était pas le responsable de la désobéissance. Condé accepte, renvoie la lettre, mais s’en remet encore à la dextérité de Marca, avec la même légéreté que le secrétaire d’Etat : il le charge d’ouïr lui-même les parties et de les concilier. Cette fois, c’en est trop : Marca répond qu’il ne peut plus rien faire. « Je repondis que l’absence de don Joseph d’Ardenne et l’opiniastreté des parties empêchoit toute ouverture d’accommodement, qu’estant question de l’interpretation de la volonté de S.M. on ne pouvoit l’expliquer ailleurs si bien qu’à la cour, et partant que j’estimois que S.A. devoit laisser les parties en liberté de se pourvoir ou bon leur sembleroit ». Ultime renvoi de responsabilité, vers la cour cette fois, que Condé approuve et ordonne de signifier à Le Tellier. Marca, s’« acquite de ce devoir par la presente »[310]. C’est un véritable constat d’échec.
Des efforts finalement vains
Au lieu d’être le moment de toutes les réconciliations, de la juste récompense des services, du renouement des liens antiques entre le souverain et les communautés, la vice-royauté du prince de Condé, par son échec, consacre un tournant contraire dans la politique française. Malgré les souhaits de Marca, les querelles nobiliaires l’ont emporté, et, du stade d’interférences, sont devenues des obstacles concrets à la satisfaction des communautés. Un très bon exemple est l’attribution, décidée par Condé le jour même de son départ de Catalogne, de la totalité des droits royaux sur Agramunt[311] au Gouverneur Margarit. Condé s’est avant tout soucié de réconcilier Ardena et Margarit, et s’est donc efforcé d’observer une parfaite égalité dans tous ses actes, ou plutôt, devrions-nous dire, un constant va-et-vient entre l’un et l’autre. Cela l’amène à adopter, pour les satisfaire tous deux, à négliger l’intérêt des communautés, auxquels ils sont, l’un et l’autre, farouchement opposés. Le 6 octobre 1644, la ville d’Agramunt s’était livrée aux Espagnols en se parjurant : en effet, quelques jours avant, La Mothe avait tenté de laisser une garnison dans la ville pour qu’elle ne tombe pas aux mains des ennemis qui s’avançaient dans la région, mais s’était heurté au refus des habitants ; dès que les troupes espagnoles commandées par Cantelmo et Gabriel de Llupià arrivèrent devant les murailles, ils leur ouvrirent les portes et leur jurèrent obéissance[312]. Lorsque le comte d’Harcourt avait repris Agramunt, le 19 avril 1645[313], la communauté avait donc été – comme celle de Tortosa le sera plus tard[314] – déclarée criminelle de lèse-majesté… Margarit, depuis de nombreuses années, était en litige avec elle au sujet de droits de pâture. Il agissait là en tant que père et tuteur de ses enfants, héritiers des seigneuries de Preixens et Myanell, limitrophes avec le territoire d’Agramunt. Du temps du Roi Catholique, Reial Consell avait jugé que, s’il voulait interdire aux habitants de la ville de faire paître leurs troupeaux sur les terres dépendant de ces seigneuries, il devait leur payer la somme de 40 livres barcelonaises par an. Le Gouverneur représente donc à présent la trahison d’Agramunt, qui vide totalement la substance de cette redevance, et obtient de Condé, au titre de ses services et en récompense de ses nombreuses pertes dans le Campo de Tarragona où les ennemis ont saccagé ou occupé ses propriétés, la donation de tous les droits possédés par la communauté d’Agramunt, avec la capacité de récupérer intégralement l’argent versé. Le décret suspend tout procès et invalide toute requête des habitants : Margarit n’aura plus aucun concurrent pour cette pâture[315]. Certes, l’exemple est éloigné de celui d’Ille, car Agramunt n’a pas fait preuve de fidélité pour le roi de France. Cependant, selon l’article 11 du traité de Péronne, « pour les privileges particuliers des dittes villes et communautez et des personnes particulieres, elles en jouiront selon que les habitans d’icelles se comporteront envers Sa Majesté et leur patrie »[316]. Ainsi, toute communauté infidèle, si elle ne jouit pas de ses privilèges particuliers qui lui sont retirés, jouit de tous les privilèges communs et des Constitutions de Catalogne, et garde une possibilité de se racheter et de retrouver ses privilèges particuliers à condition qu’elle montre une parfaite obéissance. Cette clause vient probablement du fait que, dans beaucoup de cas, les décisions communautaires sont prises par des conseils de chefs de famille où l’emporte parfois la voix de quelques-uns ou d’une faction, ce qui ne signifie pas l’adhésion de tous les villageois. Mais, chez les vice-rois postérieurs à Condé, nous ne trouvons aucune bienveillance particulière à l’égard des communautés. Agramunt finit par retrouver ses privilèges particuliers, qui lui sont rendus par le maréchal de Schomberg, mais le décret précise bien que cette grâce n’annule pas celle qui avait été faite à Margarit[317]… Toute révocation d’une grâce faite à ce grand seigneur lui serait apparue comme un affront, d’autant que sa récompense effective sur les biens confisqués se faisait encore attendre.
La cause de la communauté d’Ille, déjà en très mauvaise position lors du départ du prince de Condé, est encore affaiblie par la grande instabilité du gouvernement. Après Condé, Marca reste seul en Catalogne de novembre 1647 à janvier 1648. Bien qu’il soit toujours personnellement favorable à la ville, il ne peut, n’étant que visiteur général, rendre la justice qui reste suspendue en l’absence de vice-roi. A la toute fin de 1647, les députés de la Generalitat essayent d’intervenir en écrivant à Le Tellier[318], mais rapidement les évènements parisiens espacent les rapports entre la cour et la Catalogne : opposition du Parlement aux édits fiscaux, lit de justice de janvier 1648, arrêt d’Union de mai 1648… L’entrée dans la Fronde est inéluctable. Les souverains, si tant est qu’ils s’en soient souciés, oublient tout à fait la petite ville roussillonnaise. Les vice-rois en fonction en Catalogne pendant la Fronde, le cardinal de Sainte-Cécile Michel Mazarin et le maréchal de Schomberg, prennent acte de cette coupure et se comportent en despotes. L’arrivée de Sainte-Cécile en février 1648 produit le même espoir que celle de Condé : il s’agit du frère de Mazarin, c’est un prince de l’Eglise. Mais l’engouement est éphémère. Dès que le syndic d’Ille se rend auprès du cardinal afin d’obtenir qu’il tranche l’affaire, et qu’il lui produit la lettre déjà ancienne où le souverain ordonnait la conciliation, Sainte-Cécile met fin à tout dialogue[319]. Ce cardinal est bien différent de son frère, homme de cour : Michel Mazarin n’en fait qu’à sa tête, il donne un bien confisqué à l’intendant français Goury, il se moque des mises en garde de Le Tellier et méprise Marca[320]. Quelques jours avant son départ, il décide de remettre finalement l’affaire à un règlement judiciaire, au grand scandale du visiteur général.
« Si S.E. m’eut communiqué l’affaire des habitants de la ville d’Ille, je n’eusse pas manqué de luy donner mon advis, suivant que S.M. me l’ordonnoit par sa lettre. Il s’est contenté de conferer sur ce sujet avec M. le Chancelier et a laissé la chose entre les mains des Juges, qui sont fort favorables pour les interests de dom Joseph d’Ardenne […] Je vous ay écrit cy devant, Monsieur, que je tenois le droit de ceux d’Ille fort certain »[321].
Mais la plus grande déconvenue vient du maréchal de Schomberg. C’est lui qui, selon les consuls, avait fait d’Ille une ville royale par ces paroles prononcées devant eux au dénouement du siège de 1640 : « Messieurs, vous vous êtes bien défendus et, au nom de Sa Majesté, je vous accepte pour vassaux de mon roi et seigneur, et je vous la remets à mon tour, pour que vous la conserviez comme ses vassaux immédiats »[322]. Que cet épisode soit réel ou enjolivé, l’attitude de Schomberg huit ans après, une fois nommé vice-roi de Catalogne, est bien différente.
Arrivé à Barcelona le 5 juin 1648, Schomberg reçoit au cours du mois une nouvelle ambassade du syndic d’Ille présent sur place, Francesc Sabater. Son déroulement nous est assez bien connu grâce à la relation qu’en fit ensuite Sabater aux consuls. Peu après son arrivée, le maréchal s’était dirigé vers le Campo de Tarragona afin de préparer le siège de Tortosa, il resta alors quelques jours à Igualada ; le 10 juin, la cavalerie française avait traversé l’Ebre, le vice-roi avait rejoint Tortosa dès le 22, avant de commencer l’assaut le 3 juillet[323]. Sabater arriva en pleine effervescence militaire, ce qui n’était peut-être pas le moment le plus propice…
« [Sabater] trouva Son Excellence dans la ville d’Igualada. Celle-ci lui dit qu’elle voulait concerter la ville d’Ille avec le sieur don Josep d’Ardena, qu’elle voulait lui parler de cette affaire ; et après lui avoir parlé, elle demanda [à Sabater] qu’il la suive au siège de Tortosa. Arrivé au bout de quatre jours, elle le convoqua dans le cloître du couvent de Jésus de Tortosa, en compagnie de son secrétaire Monsieur de Xarmue [sic, de Charmois], et lui dit formellement ces paroles : Que don Josep d’Ardena était un très bon chevalier et un très grand serviteur de Sa Majesté, et qu’ainsi on devait lui assurer l’accomplissement de ce que Sa Majesté lui avait promis, et plus encore car don Josep d’Ardena dit que, dans la présente ville, seules dix ou douze personnes des principales empêchent qu’on lui en donne possession, la majorité du peuple étant de son côté, qu’il était seigneur en partie de ladite ville, et que la cause portée devant la Reial Audiència devait se conclure dans ce sens – nous l’empêchions, disait-il, parce que notre cause n’était pas juste. »[324]
Le texte original en catalan, très condensé et synthétique, peu clair par endroits en raison de l’enchevêtrement des pronoms, montre néanmoins fort bien qu’à ce stade, Schomberg a entièrement fait siens les propos de Josep d’Ardena, et qu’il a rejoint sa cause à la manière du comte d’Harcourt. Apparaît encore l’argument qui était déjà porté par Pujolar en 1646 : la demande de faire d’Ille une ville royale est portée par une minorité des habitants (dix ou douze personnes, comme il est dit ici), alors que la majorité est favorable à Ardena. Cependant, on voit apparaître un nouveau point : Ardena aurait été seigneur en partie d’Ille (avant la date des lettres patentes de décembre 1645). Cette affirmation, sans doute inexacte – du moins on n’en trouve aucune trace par ailleurs – naît sans doute du fait que les Ardena, comme nous l’avons vu au début de cette partie, étaient fixés dans la ville d’Ille au moins depuis le XIVe siècle où ils exerçaient souvent les fonctions de procureurs des seigneurs en titre, et où ils possédaient de vastes propriétés. L’argument, peut-être inventé par Ardena ou ses avocats (malheureusement le dossier du procès devant l’Audience est perdu), a pu aussi être déformé par Schomberg ; mais il était de nature à donner une certaine légitimité à Ardena, antérieure à la date de 1643 et donc opposable à la ville.
Face à ce rejet, le syndic ne se laisse pas intimider et en appelle aux souvenirs du maréchal, qui doivent corroborer les justifications habituelles de la ville. La scène n’est pas anodine si l’on imagine les immenses disparités sociales en place dans la France et dans l’Espagne du premier XVIIe siècle. En l’occurrence, la Generalitat n’ayant, semble-t-il, pas réussi à jouer son rôle de protectrice de l’intérêt général, le syndic Sabater, issu d’une honorable famille de pagesos, devait lui-même s’affronter verbalement au vice-roi, maréchal de France et duc d’Halluin, non sans un certain courage que l’on peut souligner au passage.
« Ledit sieur syndic lui répliqua et lui dit que la ville d’Ille voulait que la cause soit conclue : pour cela Son Excellence devait dire la vérité et informer le Conseil de ce qu’elle entendit en la ville de Narbonne quand Sa Majesté (de glorieuse mémoire) promit aux consuls et syndics de cette ville de la faire ville royale, ce qu’il confirma en sa présence au siège de Perpignan, en même temps qu’il concédait d’autres promesses faites à ladite ville. Et sur cela, ledit sieur de Lui [sic, d’Halluin] dit qu’il ne voulait pas déposer par écrit, parce qu’il serait partie s’il le faisait, et qu’étant Président il était juge et il ne pouvait pas le faire. Alors ledit syndic lui répondit qu’il avait été trompé et qu’il était très mal informé, que jamais ledit Ardena ni les siens n’avaient été seigneurs ni d’une partie ni du quart de ladite ville d’Ille, et que de la même manière il n’était pas vrai que dix ou douze des principaux habitants empêchaient de donner la possession audit Ardena : il pouvait lui apporter la preuve du Sindicat ou Conseil au cours duquel fut résolu par le Conseil dans son entier (per tot lo Conçell ple) qu’on ne donne pas ladite possession sans envoyer [une ambassade] à Sa Majesté, ce que l’on fera. Ensuite, le vice-roi dit que ceux du Conseil étaient des valets et des domestiques des principaux et que par crainte ils adhéraient à leur vote. »[325]
L’échange, devenu plus houleux, pousse Schomberg dans ses retranchements. Appelé à témoigner dans un procès, il argue de sa qualité de vice-roi, et donc de chef de la justice en Catalogne, afin d’écarter cette possibilité. La demande du syndic d’Ille, aussi juste fût-elle, ne pouvait être acceptée sans quelque déshonneur par un grand seigneur titulaire des plus hautes fonctions. C’était quasiment un argument d’autorité. Sabater répliquait alors une nouvelle fois sur le fond de l’affaire : la fausseté des prétentions d’Ardena et la légitimité du Conseil des habitants qui, dans ses sessions plénières, rassemblait tous les chefs de famille de la communauté. La pointe ultime de Schomberg sur le ralliement de la plupart des habitants à l’opinion des factieux montrait clairement que, même si ses arguments étaient faibles et impossibles à prouver (en l’occurrence, il s’agit d’un lieu commun de la critique aristocrate de la démocratie villageoise), il était déterminé à aller jusqu’au bout de sa logique.
Le retour du syndic Francesc Sabater à Ille soulève une vague de désappointement et de révolte. Le 5 juillet 1648, le Conseil de tous les chefs de famille est une nouvelle fois convoqué par les trois consuls en charge Joan Isern, Geroni Davier et Josep Doran, pour entendre la relation de Sabater, dont nous venons de donner des extraits, et prendre une décision en conséquence. L’assemblée a lieu en l’église Santa Maria de la Rodona, après convocation des hommes au son des cloches. Avec tristesse et grandiloquence, les consuls font état du « changement opéré par ledit sieur Viceroy, en qui nous avions confiance pour nous apporter consolation en tout ce que nous demandions, car la plus grande partie des affaires relatives à l’intégration de cette ville comme ville royale était passée par ses mains ; nous ne voyons aucune autre personne qui se soit prononcée avec autant de force »[326]. Les consuls demandent donc aux chefs de famille de prendre une décision : au cas où la cause portée devant la Reial Audiència serait déclarée en leur défaveur, il s’agit de choisir si on acceptera ou pas la prise de possession par Josep d’Ardena. Question gravissime qui amène la communauté à agir contre une sentence judiciaire, et l’oblige à se tourner vers le roi. Après avoir délibéré, le Conseil arrive à la grave décision qu’une lutte de plusieurs années forçait à prendre :
« Même si la Reial Audiència du présent Principat déclare la cause contre la présente ville, qu’en aucune manière on ne donne la possession à don Josep d’Ardena sans que la ville ne soit confirmée ainsi que ses habitants dans sa possession du titre de ville royale ainsi que dans la promesse que ladite ville a de Sa Majesté qu’elle n’aura dépendance de personne sinon de Sa Majesté, et que ladite possession ne soit observée pour toujours. La totalité du présent Conseil protestant auxdits Magnifichs Consuls qu’ils ne laissent ni ne consentent à aucune possession, non seulement celle que veut prendre ledit d’Ardena mais encore d’aucun autre chevalier particulier, ce qui est un décret de nullité, sans être totalement (en cap com en membres) sujets vassaux de Sa Majesté comme ils le sont aujourd’hui. Et pour cela on envoie à Sa Majesté et au sieur vice-roi la résolution du présent Conseil pour qu’ils regardent cette université avec des yeux de clémence, que Sa Majesté lui donne le prix de tant de mérites et ne permette jamais qu’elle soit séparée, mais unie et incorporée à la couronne de France, offrant de perdre mille vies plutôt que d’abandonner Sa Majesté (que Dieu garde) pour seigneur »[327].
La délibération de ce jour-là est consciencieusement enregistrée dans un procès-verbal pris par un notaire de Prades, Francesc Gonella. Ce document, dont nous donnons la reproduction en annexe en raison de son importance et de son intérêt, comporte une liste de tous les chefs de famille présents au Conseil. Ce luxe de précautions juridiques s’explique évidemment par la mise en doute constante de la légitimité du Conseil des habitants par Ardena et ses partisans. Plus encore, le document porte une authentification par Joan Alquer, notaire de Perpignan et scrivà de la cour du Patrimoine Royal de Roussillon, qui atteste que Francesc Gonella, qui a clos et instrumenté ledit procès-verbal (« supraincertum instrumentum clausit et tabellionavit »), est bien un vrai notaire public de la ville de Prades, connu de tous. Quatre prêtres bénéficiers d’Ille, Estève Thomas, Gabriel Viader, Matheu Saleta et Jaume Cert, sont témoins. Selon la délibération, des copies de ce procès-verbal devaient être envoyées au roi et au vice-roi. Nous ne savons pas si Schomberg en reçut une, mais les archives du Ministère des Affaires étrangères conservent la copie que nous éditons, ce qui montre qu’elle avait été reçue à la cour. Elle a peut-être été jointe à une lettre du 31 juillet 1648 envoyée par les consuls d’Ille à Mazarin et calligraphiée de la même main[328]. La missive donne un résumé des évènements, explique le choc représenté par le déni de justice de Schomberg, dénonce les manoeuvres d’Ardena et, par conséquent, justifie la décision qui a été prise par le Conseil des chefs de famille. Cependant, la violence de la résolution est conservée par deux formules qu’il importe de noter : Ardena est appelé l’ennemi capital de la ville (« nuestro capital henemigo ») et cette dernière, réaffirme-t-on, perdra mille vies plutôt que d’accepter de lui être livrée. Mazarin était interpellé en dernier recours pour « que l’on y apporte un remède avant d’en arriver aux mains »…
La ville avait donc dû abandonner une grande partie de son arsenal d’arguments lorque celui qu’elle croyait son protecteur, Schomberg, était arrivé à la réalité du pouvoir. A la cour, le factum de 1647 avait sans doute peu convaincu, et ses grandes envolées juridiques sur le pactisme et la parole immanente du souverain n’étaient plus de saison. Au cours du mois d’août 1648, la Reial Audiència, ce qui était très prévisible, conclut l’affaire en faveur de Josep d’Ardena. Ce dernier obtient toute la jouissance de sa grâce, mais aussi la juridiction qui aurait pu, si les solutions conciliatrices de Marca avaient réussi, rester à la communauté. Cette dernière se trouve de ce fait entièrement déboutée. Les consuls adressent alors une lettre à Le Tellier, que nous n’avons malheureusement pas retrouvée, mais qui devait contenir des plaintes véhémentes : du moins, à la fin du mois, une missive du roi est envoyée à Schomberg qui laisse peu de doutes sur son style…
« Ayant veu dans une lettre que les consuls de la ville d’Isles en Roussillon ont escritte au sieur Le Tellier de ce que l’on a adjugé la jurisdiction de lad. ville au sieur don Joseph d’Ardenne et comme ils en parlent avec peu de respect et de retenue, bien que j’estime qu’il ne faille pas entierement relever ce proceddé, neantmoins comme vous jugerés mieux que personne sur les lieux ce qu’il y faudra faire, je vous addresse coppie de leurs lettres et vous escris cette lettre pour vous dire par l’advis de la reyne regente Madame ma mere que vous entendiés les consuls sur ce sujet et pourvoyés a leurs demandes en la maniere que vous estimerez juste et apropos en sorte que votre auttorité ne puisse estre aucunement commise » [329].
Schomberg n’était pas homme à obéir aux ordres de la cour. Se plier à ceux qui étaient écrits dans cette lettre revenait à faire une circonvolution de plus dans une affaire qui durait depuis trois ans déjà. Nous ne connaissons pas exactement son attitude postérieure dans l’affaire d’Ille, mais il est quasiment certain que le maréchal n’a pas donné de suite favorable à la dernière tentative du roi pour arriver à une voie conciliatrice. Au même moment, la Fronde parlementaire battait son plein, la monarchie devant se plier aux exigences de la chambre de Saint-Louis. Schomberg venait à peine, comme nous le verrons au chapitre suivant, de commencer une énorme distribution de tous les biens confisqués qui restaient à pourvoir, et cela sans l’ordre ni l’autorisation du roi. Une explication possible à cette attitude – et à son possible revirement dans l’affaire d’Ille, huit ans après avoir généreusement (et légèrement ?) accordé à la ville un vasselage direct du roi – est justement l’accession à de nouveaux pouvoirs qu’il n’avait jamais encore pu exercer : le droit de répartir la grâce et d’agir en souverain…
Dans les autres affaires concernant les communautés, Schomberg observe rigoureusement la même politique. Revenons un peu à l’affaire de Bellpuig. Celle-ci était exactement l’inverse de l’affaire d’Ille. En mars 1646, le comte d’Harcourt avait accédé à la supplique de l’université de Bellpuig en lui décernant le titre de ville royale avec capacité d’envoyer un syndic aux Corts[330] ; mais cette mesure venait en concurrence avec le pouvoir royal, qui avait donné en 1643, par des lettres patentes, la baronnie de Bellpuig au comte de Çavellà. Après la mort de ce dernier, sa veuve en avait pris possession, mais la ville s’y était fortement opposée en manifestant exactement le même type d’attitude que les habitants d’Ille. Les habitants avaient porté la cause devant l’Audience… En 1646, Harcourt n’avait aucune prévention particulière contre les intérêts des communautés ; il répondait négativement aux requêtes d’Ille, mais surtout parce qu’il voulait complaire à son favori Ardena, sans avoir une connaissance spéciale de la matière ni un avis très tranché. Schomberg semble beaucoup plus catégorique : il gratifie avant tout des individus, des chevaliers catalans et français ayant servi. Le 7 décembre 1648, alors qu’il avait refusé un simple témoignage pour l’affaire d’Ille, il intervient donc directement dans le procès opposant, depuis plus de deux ans, la communauté de Bellpuig à la comtesse de Çavellà, afin de soutenir décisivement les intérêts de cette dernière : il acquiesce à sa supplique et donne l’ordre à l’avocat fiscal patrimonial de cesser toutes ses poursuites[331]. Le procès durait depuis longtemps et sa conclusion n’était pas si évidente car, semble-t-il, la couronne royale n’avait pas totalement abandonné ses droits sur la baronnie et y prélevait encore des redevances dont l’appartenance n’était pas bien établie. Schomberg, d’un trait, tranchait encore une fois en faveur d’un particulier.
Ce tournant décisif, qui enterre toutes les aspirations émancipatrices des communautés nées de l’esprit révolutionnaire de 1640, ne va faire que s’affermir dans les années qui suivent la vice-royauté de Schomberg et le déclenchement de la Fronde. Entre 1648 et la chute de Barcelona, les conflits ne se taisent pas, mais ils sont beaucoup moins relayés dans les sources des principales institutions. La partie suivante sera pour nous l’occasion d’examiner les circonstances politiques qui entrainent cette coupure décisive de la communication entre la cour et la Catalogne, et face auxquelles Marca se débat de façon méritoire et parfois inefficace. Citons simplement, pour conclure, une affaire peu étudiée par les historiens et que nous n’aurons pas le temps d’approfondir ici autant que l’affaire d’Ille car nous disposons à son sujet de beaucoup moins de documentation : le litige entre les habitants du comté d’Empúries et Emanuel d’Aux. Le 13 septembre 1648, Schomberg, au milieu de ses largesses proverbiales, donne l’usufruit du comté, bien saisi au duc de Cardona, à Emanuel d’Aux, un militaire catalan, originaire de Perpignan, qui s’était distingué aux sièges d’Ille, de Perpignan et dans tous les autres faits d’armes au début de la guerre[332]. Aux n’avait pas été récompensé à sa juste mesure, et personne ne contestait la hauteur de son mérite. Cependant, en 1649, certains habitants du comté d’Empúries s’opposent à la donation. Un factum imprimé, fort comparable à celui d’Ille, mais malheureusement non signé et non daté, est alors envoyé au roi ; il est conservé dans le même volume des anciens papiers du chancelier Séguier[333]. Il est difficile de savoir exactement qui a rédigé ce texte, et qui l’a commandé, même si une lettre du 12 mars 1649, envoyée par les syndics de la ville de Castelló d’Empúries, remontre au roi des arguments du même genre[334] : cette ville était le chef-lieu du comté.
Les arguments utilisés dans le factum rappellent selon certains aspects ceux de Boix. « Ce don, y lit-on, a esté fait contre l’intention de Vostre Majesté, et celle mesme dudit Sieur Mareschal de Schomberg, qui d’ailleurs ne pouvoit, en faisant ce don au prejudice de Vostre Majesté et de son patrimoine royal, ny à la ruïne irréparable d’une si belle Comté, et de tous les habitans, contrevenir si ouvertement aux privileges et Constitutions dudit Principat. » Selon l’auteur, Schomberg, par la substance de son privilège, entendait « accorder ledit don en cas seulement que ladite Comté appartinst a Vostre Majesté en vertu de ladite confiscation et non pas auparavant par autre droict ». Là encore, tout est une question de volonté présidant à un acte : Schomberg ne peut avoir voulu faire le mal, et la faute revient à Emanuel d’Aux qui a demandé cette grâce sans l’informer que le comté d’Empúries avait été déclaré inséparable de la couronne d’Aragon et du comté de Barcelona par des privilèges royaux de Martin Ier d’Aragon le 2 janvier 1402 et d’Alphonse V d’Aragon du 1er décembre 1457, avec tous les lieux, rentes et émoluments en dépendant, avec interdiction de l’aliéner ou de le donner, sauf au second fils de la maison royale. En se référant aux privilèges donnés au XVe siècle, toute partie du comté, y compris les rentes, ne pouvait être aliénée : Emanuel d’Aux ne pouvait donc plaider qu’on lui avait donné seulement l’usufruit ; ni même que les ducs de Cardona possédaient illégalement le comté depuis plus d’un siècle : ils l’avaient obtenu par une « transaction » retenant l’héritage dans leur propre ligne masculine… De plus, « il n’y a pas plus de raison à recompenser les services d’un seul homme que ceux du Public »… Le plus intéressant dans l’affaire est que, à l’instar d’Ille et de Santa Coloma, les habitants d’Empúries (plus particulièrement ceux de Castelló, semble-t-il) entendaient profiter de la situation inédite survenue avec la confiscation du comté à ses anciens propriétaires. En effet, avant cela, les ducs de Cardona étaient les seuls particuliers ayant intérêt à s’opposer à l’incorporation du comté à la couronne qui était, selon les habitants, de toute justice. Ainsi, avec la disparition de ces ducs pro-castillans du territoire de Catalogne et la confiscation de leurs biens, la préexistence de l’incorporation d’Empúries ne pouvait plus trouver de contempteur. Le factum en appelait à la fidélité due par le souverain aux pactes signés en 1641, et, plus encore que celui établi par Boix pour les consuls d’Ille, à des arguments moraux et de bonne politique.
« Les députés desdites villes et comté ne peuvent en façon quelconque se persuader que ces instances publiques, venans de la part de si sages magistrats, et estant si importantes a vostre service, ne prevalent sur celles d’un particulier qui n’a point d’autre raison d’Estat ny de Justice que son propre interest ; estant bien plus raisonnable de laisser un particulier qui n’en a point de sujet mal-content que non pas de mécontenter contre raison tant de magistrats, villes, lieux et habitans qui ont répandu tant de sang et rendu des services si signalez pour cette couronne »[335].
Ainsi, le roi est prié d’expédier des lettres de cachet à l’avocat fiscal et au procureur fiscal afin qu’ils interviennent dans le procès pour conserver les droits du roi. Ce point, et plusieurs autres qui montrent une bonne connaissance des institutions françaises, nous font penser que l’auteur du texte était un jurisconsulte français : le factum ne cite pas les Constitutions de Catalogne et les juristes catalans, mais uniquement les privilèges des rois d’Aragon dont les textes lui avaient peut-être été transmis par les défendeurs, ainsi qu’un ou deux docteurs français. Le fait (unique en son genre), pour une communauté catalane, d’avoir payé les services d’un Français montre une grande détermination à obtenir satisfaction. Mais le temps n’était plus, pour la monarchie menacée dans ses fondations, d’intervenir dans des affaires si picrocholines.
En 1650 encore, le procès était encore ouvert, avec une complication supplémentaire : Schomberg ne s’était pas contenté de faire un don illégal à Emanuel d’Aux, il avait donné l’usufruit du même comté à une autre personne, le marquis de la Trousse, gouverneur de Rosas ! Et, évidemment, son successeur à cette charge revendiquait la proie[336]… Le 9 mai 1650 le roi tranchait définitivement dans l’affaire d’Ille, dans le sens général pris par les évènements : il confirmait, pour Josep d’Ardena et ses descendants mâles et femelles en ligne directe, la jouissance du comté d’Ille[337]. Toute l’industrie de Marca dans les années 1649-1650 serait de réclamer à grands cris la révocation de tous les privilèges allant contre l’intérêt général. Malgré sa profondé inefficacité, sa défense des communautés face aux nobles, basée certes sur de grands principes mais surtout sur une observation très lucide de la société catalane, ne s’était jamais tue…
« La noblesse de sang est en petit nombre dans ce pais, les maisons sont fort limitées, les plus riches font un grand effort pour se pouvoir entretenir honnestement ni en ayant point quatre qui ayent XX mil livres de rente de leur patrimoine. Ceux qui sont seigneurs des villages y ont de l’autorité a cause de la haute justice qu’ils y exercent, avec pouvoir sur la vie, hors les cas reservez. Mais comme ils n’ont point grand nombre de sujets, cette puissance n’est pas considerable pour le general, et s’exerce sur des gens qui recherchent leur liberté. Les peuples des villes et ceux qui sont au roy haissent les nobles y aiant mesme plusieurs laboureurs qui les surpassent en richesses. De sorte qu’au lieu de se joindre a la noblesse pour fortifier leur party, ces gens sont ayses d’avoir occasion de les abbatre »[338] .
3. Explosion de la chicane judiciaire
Les juges défendent les Constitutions de Catalogne contre l’autorité royale : légalisme ou désobéissance ?
Un paragraphe seul ne suffirait pas à donner un aperçu exhaustif du contentieux né du grand mouvement de confiscations et de restitutions entre 1642 et 1652 : il faudrait une thèse entière. En effet, l’extrême difficulté juridique des situations, leur caractère intenable pour certaines familles, d’un côté comme de l’autre, déjà bien examiné sur le plan politique, rend obligatoire l’explosion de la chicane. Les Catalans d’avant 1640 se distinguaient particulièrement par leur caractère procédurier : Josep Capdeferro, dans sa magistrale étude sur l’avocat Joan Pere Fontanella, a montré sa réussite dans l’ombre de grandes municipalités qui avaient besoin d’un bataillon de juristes afin de soutenir leurs nombreux procès[339]. Le procès naît de tout, de la plus mince broutille comme d’une revendication insigne à l’image de celle des habitants d’Ille. Comme nous l’avons déjà dit, nous souffrons pour ce domaine d’étude de la perte quasi totale des archives du tribunal suprême de Catalogne, la Reial Audiència profrançaise, à l’exception de quelques dossiers épars que, pour des raisons de temps et d’efficacité, nous n’avons pas étudiés. Ainsi, tous les grands procès de la période, qu’ils soient politiques ou simplement patrimoniaux, ne nous sont connus qu’à travers des relations ou des actes indirectement liés aux sources judiciaires, comme les registres de la chancellerie de Catalogne où sont enregistrés notamment les décrets des vice-rois ordonnant l’évocation à l’Audiència de telle ou telle affaire, le retrait d’une cause de l’avocat fiscal patrimonal, ou encore les convocations à comparaître. Ainsi, nous nous attacherons davantage ici à donner un aperçu à grands traits des questions juridiques et des procès les plus liés aux confiscations et présentant les plus fortes implications politiques, en nous basant sur les sources habituellement utilisées dans notre travail. Cette esquisse, préalable à d’autres travaux plus approfondis, permettra néanmoins de dégager plusieurs points surprenants insuffisamment relevés par les historiens. Ainsi, à plusieurs égards, les chicanes juridiques de la période française semblent perpétuer une partie des idéaux politiques et moraux de la révolution de 1640. Elles sont étroitement surveillées par le pouvoir royal, autant qu’il le puisse, par l’intermédiaire de Pierre de Marca.
Dans son pamphlet farouchement anti-français, Presagios fatales del mando francés en Cataluña, le comte de Peralada Dalmau de Rocaberti note bien cette multiplication des procès du fait de la confiscation – selon lui, évidemment injuste – des biens des exilés philippistes. Il liste à plus de 300 les familles qui ont quitté la Catalogne (« estan fuera de la Provincia a los pies de su Magestad »). Si l’on en croit Rocabertí, les Français « ne permettent pas aux fils qui vivent en Catalogne de pouvoir jouir des revenus des biens de leurs pères. Ils ne consentent pas à faire restituer leurs dots aux femmes mêmes, ni aux frères qui y ont droit. Ils suspendent les sentences des procès pour pouvoir manœuvrer ceux qui y sont intéressés, et les obliger avec cela à faire quelque démonstration pour le service du roi de France. Et ils leur mettent devant les yeux que c’est pour pouvoir manger. Tout cela est contre toute raison politique : car le vrai Prince, sans le moindre vice, sans partialité, doit juger selon ce qui lui paraîtra le plus juste »[340]. Rocabertí défend donc, dans les intérêts de son camp et de son Prince, l’idée d’un souverain clément et impartial qui laisserait les juges agir selon la seule justice. Mais l’argument est irrecevable du côté français, puisque la justice que l’auteur attribue à la cause des Castillans est précisément la raison pour laquelle leurs biens sont confisqués. Les raisons de Rocabertí, qui défendent la préservation par-dessus tout des intérêts des ayant-droits de la personne victime de confiscation, vident ainsi, bien qu’exactes sur le plan juridique, le principe de confiscation politique de toute sa substance. Les femmes, selon les Constitutions de Catalogne (Constitution 1481/9 promulguée lors de la même Cort où la peine de confiscation de biens fut abolie à l’exception du crime de lèse-majesté)[341], peuvent en effet récupérer les biens compris dans leur dot au moment de leur contrat de mariage si leur mari tombe dans le crime de lèse-majesté. Les propos de Rocabertí montrent bien que les procès qui avaient lieu dans la Catalogne soumise au roi de France, jugés par des magistrats fidèles, étaient bien connus du côté castillan et constituaient un sujet de préoccupation.
Cependant, la situation est beaucoup plus complexe qu’il ne le laisse entendre, et en l’occurence Rocabertí est juge et partie. En 1646, l’année de la publication de son livre – et ce fait, à n’en point douter, lui a inspiré le passage précité –, Joan et Pere de Rocabertí, ses frères cadets restés en Catalogne, obtiennent du vice-roi Harcourt une pension de 400 livres par an sur les biens confisqués à leur frère, pour satisfaction de la rente de 1000 livres barcelonaises que leur père avait légué à chacun par son testament en 1630[342]. Il est probable que l’aîné n’ait pas respecté par le passé toutes les clauses du testament, et que ses frères aient profité de la situation. La famille de Rocabertí semble spécialiste de ce type de manœuvre : l’année suivante, les deux sœurs des précédents, Esclarmunda et Elisendis, obtiennent après réclamation 300 livres de pension « pour leurs aliments »[343] ; l’année d’après, Schomberg offre à Josep Galceran de Pinós, ancien exilé à Gênes finalement soumis à la France, de pouvoir recevoir la moitié des fruits de la baronnie de Llagostera que le comte de Peralada recevait à titre de créancier du marquis d’Aitona : Pinós avait épousé Maria de Rocabertí, une cousine du comte[344]. Le fisc royal abandonnait ce qu’il pouvait recevoir en faveur d’un parent du propriétaire initial. C’était une interprétation fort large du principe de la récupération de dot… On comprend que Rocabertí, voyant ses biens écartelés entre ses parents, n’ait pu qu’accuser la politique française. Il n’est pas non plus exclus qu’une partie de la famille ait stratégiquement décidé de rester afin de conserver au moins une partie des biens.
Toujours est-il que, contrairement à l’accusation portée dans les Presagios, les vice-rois n’hésitaient pas à favoriser les ayant-droits, même lorsque leurs plus proches parents étaient des mal affectes notoires. Les exemples sont très nombreux. Maria de Queralt i d’Alagon – fille du défunt comte de Santa Coloma, le vice-roi assassiné le jour du Corpus Christi de 1640 qui avait déclenché le soulèvement de Catalogne – bénéficie d’une pension de 600 livres sur les biens confisqués à son père – dont ses curateurs Pere d’Aymerich et Cecilia d’Icart obtiennent le paiement en 1645[345]. Au même moment son frère Garau de Queralt i d’Alagon, héritier du titre de comte de Santa Coloma, se trouve du côté espagnol ! C’est aussi le cas du propre père de la curatrice Cecilia d’Icart, Cristòfol d’Icart i de Queralt, cousin germain du comte de Santa Coloma : ses biens ont été confisqués dès 1642[346]. Mais en 1647, la même Cecilia d’Icart et sa sœur Maria envoient une supplique éplorée disant qu’elles ne peuvent plus se sustenter. Harcourt se laisse alors émouvoir et leur attribue une pension de 100 livres chacune sur ces mêmes biens[347]. Même situation chez les Ortaffa : Ugo d’Ortaffa i Girau, noble roussillonnais qui avait pris le parti castillan dès 1642, se trouvait à Zaragoza en mai 1648, date de son testament chez un notaire de la ville[348], un mois seulement après que ses deux filles Cecilia et Theodora aient obtenu du vice-roi Schomberg une pension de 75 livres chaque année sur les revenus des biens de leur père[349]. Il est difficile de ne pas y voir un lien. Quant au vieux Lluis Descallar, ancien gouverneur de Catalogne exilé en Roussillon en 1643, déclaré criminel de lèse-majesté en 1644 pour avoir ourdi sans relâche des conspirations contre la France dans les Pyrénées et la région de Ripoll[350], il était mort avant 1648 en terre castillane, mais avait laissé en Catalogne trois de ses enfants, encore jeunes : Narcis, Joan et Francesca Descallar. Ces derniers réclament les biens de leur père, confisqués depuis longtemps, et intentent un procès contre le fisc royal même, arguant que lesdits biens venaient de leur mère Alvira de Sarriera[351]. En 1647, Condé leur donne une pension de 200 livres chacun à titre d’attente[352]. Comme le procès devant l’Audience traine en longueur, ils n’hésitent pas à envoyer directement en 1648 une supplique au roi :
« Don Narcisse D’Escallar supplie Sa Ma.té d’ordonner aux officiers de l’Audience Royalle de Barcelonne de juger le proces qu’il a intenté contre le fisq royal pour la restitution des biens qui appartenoient a son pere qui ne pouvoient estre confisqués attendus que tous lesd. biens luy appartiennent et a ses freres comme heritiers de a mere en consequence du don mutuel porté par son contrat de mariage»[353].
L’attitude pour le moins bienveillante des vice-rois se retrouve aussi chez Mazarin lui-même qui se soucie en 1647 des intérêts de la veuve de Joan de Sentmenat[354], dont le fils Francesc est en Espagne, et qui intervient pour récupérer les biens confisqués à sa bru[355]. Cette posture s’explique sans aucun doute par le désir de conciliation prôné par le cardinal depuis son arrivée au pouvoir, même lorsque cette conciliation est fort sensible : il veut adoucir la domination de la France. C’est dans cette perspective que Condé arrive en Catalogne. En particulier, les décrets pris par les vice-rois au nom de leur délégation d’autorité royale sont un moyen pour eux de paraître « bon prince » et de s’attirer la fidélité des Catalans tangeants, fussent-ils proches parents des pires ennemis.
Ces gages de la part des Français s’accompagnent, du côté des juges catalans de l’Audiència, d’une attitude allant apparemment dans le même sens, mais obéissant à d’autres motifs. L’Audiència est le tribunal suprême de Catalogne, et il rend des décisions souveraines au nom du roi. Ainsi, à la fois symboliquement et juridiquement, il est attaché aux intérêts du souverain ; en son sein, l’avocat fiscal patrimonial est spécifiquement chargé de défendre les droits du roi au cours des procès – c’est un peu l’équivalent de notre « ministère public ». Il faut préciser que, durant la période française, les magistrats qui participent au jugement des procès relatifs aux biens confisqués sont stipendiés par le vice-roi à titre extraordinaire. En effet, ils sont normalement rémunérés par les « épices » – les frais de procédure – mais se plaignent constamment de leur insuffisance. Mais dès octobre 1644, le maréchal de La Mothe verse à Narcis Peralta, avocat fiscal patrimonial, 200 livres « pour les grands travaux extraordinaires faits cette année dans les causes et affaires des biens confisqués »[356] ; un autre agent, Joan Metge, en reçoit 50 pour avoir classé (« remirar ») les procès et autres papiers touchant aux biens confisqués[357] ; Francesc Miro, notaire, reçoit la même somme pour avoir participé au recouvrement des revenus de ces biens[358]. Ces gratifications se poursuivent dans les années qui suivent. Il est intéressant de noter qu’elles sont tirées de la caisse même des confiscations gérée par Francesc Sangenís ; plus tard, les vice-rois Sainte-Cécile et Schomberg iront jusqu’à distribuer des propriétés aux docteurs de l’Audience[359]… Autrement dit, les magistrats sont intéressés dans les affaires qu’ils instruisent.
Mais cela ne les influence pas nécessairement dans le sens d’une défense aveugle de l’autorité royale, bien au contraire. Au cours de plusieurs passes d’armes remarquables, ils tiennent tête à la cour et à son porte-parole très zélé, Pierre de Marca. Le premier conflit a lieu en 1644 autour de l’épineuse question du duché de Cardona, donné à La Mothe en octobre 1642 sur les instances de son protecteur Richelieu. On a déjà vu[360] combien ce don avait été mal reçu en Catalogne et en France, les pamphlétaires se plaisant à dire qu’on avait trompé Louis XIII sur la valeur du fief – en fait le premier de Catalogne – pour l’inciter à faire cette donation exorbitante. En 1644, un redoutable problème juridique apparaît au grand jour : le duché avait été donné à La Mothe alors qu’il n’avait même pas été saisi, c’est-à-dire, il n’avait pas fait l’objet d’une sentence déclarant criminels de lèse-majesté la duchesse de Cardona et ses deux fils le duc de Lerma et le marquis de Povar. Vestige des confiscations « de fait » pratiqués pendant la période d’Argenson, qui mettait maintenant le maréchal dans une fâcheuse posture. Il fait alors commencer une procédure, vite interrompue par sa disgrâce et sa sortie de Catalogne. La couronne, toujours à cours d’argent et désireuse de corriger les erreurs du passé, décide alors de récupérer le duché : Le Tellier envoie à Marca une lettre pour lui faire saisir les revenus. Mais il se heurte vite à la même question[361]. Bien informé des subtilités juridiques, il fait auprès des magistrats les instances nécessaires pour obtenir une sentence de confiscation, mais ces derniers opposent une résistance inattendue…
« Les juges faisoient difficulté d’ordonner la confiscation parce qu’elle n’a point lieu en ce pais, sinon en cas de leze majesté au premier chef, et que la duchesse ny ses enfans n’estans point sujets de Catalongne, ni a raison de l’origine ni du domicile, nestoient point coupables de ce crime, suivant la Clementine Pastoralis. Qu’il y avoit seulement lieu de les priver du fief dans la jurisdiction de la bailie generale, qui estoit un chemin bien long pour l’obtenir. Je dis a ces messieurs de l’Audience qui me consulterent que les grands fiefs obligeoient le vassal a un homage lige, lequel rendoit la personne subiette aussi bien que le fief, sans avoir egard a lorigine ni au domicile. Qu’on avoit doubté seulement de cette maxime au cas que le possesseur du fief fut roy, comme en l’espece de la Clementine, de quoy il y avoit encor un autre exemple fort remarquable dans Matheus Paris touchant le roy d’Angleterre Jean, qui fut condamné par les pairs de France a confisquer sa personne et les fiefs ; quoyque le pape Innocent troisieme creut que sa qualité royalle l’exemptoit en sa personne. En tout cas, je leur representay qu’ils pouvoient ordonner la confiscation des fiefs sans toucher a la personne, et qualifier la felonnie de la duchesse et des enfants crime de leze majesté puisque cette felonnie estoit faite contre le roy ; ils ont suivy ce temperament dans leur jugement.
Si cette confiscation n’eut esté iugée, il y eut eu de la peyne a faire proceder a la saisie des revenus : parceque suivant les Constitutions du pays, elle ne peut estre ordonnée que sur des informations par lesquelles il conste que le possesseur est convaincu du crime de lese majesté, ou bien sur le refus de se presenter pour servir le fief, si les biens sont feudaux »[362].
Marca, maîtrisant parfaitement les arguments juridiques en question, les retournait contre les magistrats avec autant de clarté qu’il les expliquait à Le Tellier. Le 30 janvier 1645, il obtenait la sentence de confiscation, et faisait procéder à la saisie des revenus par le procureur fiscal dès le 13 mars[363]. Toujours est-il que, pendant quelque temps, les juriste chicaneurs avaient retardé une volonté royale sous un prétexte spécieux (la Clémentine Pastoralis) : nul, en effet, ne pouvait douter de l’inimitié que les membres de la famille de Cardona avaient pour la France et de leur présence à la cour madrilène. Etait-ce alors seulement pour la forme ? Le retentissement de l’affaire est certain : l’effet direct en est l’extrême prudence de la cour, qui pense à réunir le duché au domaine, et son refus final de le donner au comte d’Harcourt, successeur de La Mothe, qui le réclamait comme un dû[364].
Une seconde affaire d’importance touche le comté de Santa Coloma. Il s’agit de cette ville qui, confisquée à la famille de Queralt, déjà citée, avait été réunie au domaine et érigée en ville royale en 1643 par lettres patentes de Louis XIII. L’usage, commencé dès l’époque de la confiscation, d’assigner les gages des vice-rois sur les revenus de ce comté, s’était perpétué par-delà la confiscation, et ces revenus restaient perçus par le trésorier Bru. Comme nous l’avons vu, des membres de la famille de Queralt demeuraient en Catalogne, dont on ne peut pas exactement dire s’ils étaient en relation avec leurs parents pro-castillans. Au cours de l’année 1645, certains parents – il s’agit probablement des curateurs de la jeune Maria de Queralt[365] –, désireux de récupérer leur héritage à la faveur d’une subtilité juridique, probablement avec la certitude que les magistrats recevraient leur plainte avec bienveillance, portent leur cause devant l’Audience. Marca fait une narration détaillé et outrée de cette affaire.
« Ceux qui pretendent a la succession de ce comté ont eu l’industrie de faire introduire une cause en l’Audience pour raison d’un domaine confisqué de cinq cens escus de rente, dont la decision serviroit de preiugé pour l’autre. La question est sur une clause mise dans une substitution, qui exherede l’heritier institué en cas qu’il tombe dans le crime de lese majesté et appelle a la succession le plus proche. Sçavoir si cette clause est valable et doit estre executtée au preiudice du fisque. Dans la plus grande partie des testamens des gentilshommes on trouve cette clause, depuis le temps du Roy Jean, contre lesquels les Catalans prindrent les armes. Pendant que j’estois malade, on jugeait cette question contre le roy en la cause de ce domaine confisqué. Et l’advocat fiscal patrimonial, qui est partie pour le roy, et l’un des iuges, sousrivit la sentence sans laquelle souscription l’execution demeure en surseance comme aussy apres qu’elle est faite, il n’y a lieu de se pourvoir par revision ».
En somme, par cette chicane, les demandeurs entendent faire passer l’héritage, qui aurait dû revenir à l’aîné Garau de Queralt, tombé dans le crime de lèse-majesté, à l’héritière restante : Maria de Queralt. De la part des curateurs, on peut imaginer que c’était pour mieux la manipuler. Marca, alors malade, ne fait que dénoncer les manœuvres de Fontanella et de ses alliés à l’Audiència, qui, selon lui, sont à la base d’un grand nombre d’infractions aux volontés royales. Il les accuse de tout faire pour supplanter son autorité, et notamment de lui cacher toutes les affaires importantes, de profiter de sa maladie, d’inciter Harcourt à le tenir éloigné du gouvernement…
Rapidement, Marca retrouve des forces et convoque l’avocat fiscal patrimonial, Narcis Peralta qui, moins d’un auparavant, avait reçu de l’argent sur les confiscations et se montrait bien peu reconnaissant…
« Apres que j’eus recouvré un peu de force, on m’informe de cette sentence et des consequences qu’elle trainoit. Je tesmoignay de l’aigreur contre le fiscal. Ce qui l’obligea de venir vers moy, pour me rendre conte des motifs de ce jugement. Il avoit une liste de quelques docteurs qui tenoient que l’exheredation faite sous cette condition estoit valable, et qu’elle n’estoit point en fraude des droits de fisque, puisque le testateur use de son droit qui est de disposer de son bien, sous les conditions qu’il estime apropos ; et que celuy qui use de son droict ne fait tort a un tiers ».
L’affaire, en réalité, dépassait les limites du simple droit de succession, sur lequel les magistrats entendaient la juger : Marca avait précisé plus haut dans sa lettre que le comté de Santa Coloma avait une forte valeur (27000 livres tournois de rente) ; plus encore, reconnaître qu’un testament antérieur à l’union de la Catalogne à la France pouvait être juridiquement supérieur à une confiscation ordonnée au nom du roi empiétait sur un domaine de haute politique.
« Je luy repartis que cette question traittée en termes de chicane d’escole pourroit avoir quelque difficulté, mais que si on la proposoit dans l’estat quelle doit estre mise, suivant les regles de droit et de la politique, on ne pouvoit la decider qu’en faveur du roy. Qu’il ne s’agissoit pas de l’interest pecuniaire du fisque, dont la cause est souvent mauvaise sous un bon prince, comme dit Pline, et ou lon panche plutost du costé des particuliers pour ne ruiner pas une maison illustre que non pas du costé du Roy, qui peut se maintenir sans ces parties casueles. Qu’il estoit question de scavoir si cette conclusion choquoit le repos et la tranquilité publique, qui estoit le vray estat de la dispute. Que les maximes receuës du droit vouloient que les clauses et les conditions contraires au bien public fussent de nul effect, que celle cy estoit de cette nature, puis qu’elle estoit au roy et a la province, le plus asseuré des gages qu’il a de la fidelité des vassaux, sçavoir leur patrimoine, lequel est appellé par les juristes dans les loix et par les politiques, pignus Rei, l’autre gage n’estant pas fort asseuré, sçavoir la personne du vassal qui peut se retirer facilement avec les enemis, et prendre les armes contre son Prince ».
Marca répond sur un terrain très subtil. Il évacue d’emblée l’argument, très courant dans les pamphlets comme les Presagios de Rocabertí, que les confiscations ne sont ordonnées par le roi de France que pour s’enrichir aux dépens des personnes privées. Il va jusqu’à concéder – de façon assez rhétorique, et en citant Pline – que juger en faveur du fisc royal est mauvais sous un bon prince, mais c’est pour affirmer ensuite que les patrimoines confisqués forment un « gage » qui favorise la fidélité des vassaux et donc, à terme, le bien public. Cet énoncé produit un effet certain sur son destinataire : « il demeura d’accord que ce raisonnement estoit invincible », mais il le botte en touche et, après avoir ajouté « qu’il n’estoit pas examiné par les docteurs », il renvoie son examen aux trois chambres de l’Audience, qui devront être réunies après le retour du vice-roi, alors éloigné pour cause de campagne militaire.
Néanmoins, lorsqu’on parle d’Harcourt, ne l’oublions pas, on parle en fait d’un farouche adversaire de Marca, peu soucieux de contrevenir en de nombreuses occasions aux ordres de la cour pour favoriser ses factions préférées. Ainsi, si l’on en croit le visiteur général, Peralta n’avait pour but que de se liguer avec le Régent Fontanella, et, dès l’arrivée du vice-roi, barre d’un trait ses anciennes promesses…
« Monsieur le viceroy estant arrivé en cette ville, l’advocat fiscal et le Regent parlerent de cette affaire a Son Altesse en luy taisant ce que le fiscal avoit arresté avec moi, et luy firent trouver bon qu’ils fissent justice. De quoy je fus averty par monsieur le Chancelier, qui me dit que tout aussy tôt le Regent avoit ordonné en sa Sale que la premiere sentence seroit executée, et me donna connoissance qu’il y avoit des juges dont les parens estoient interessez en la question, lesquels preparoient le preiugé pour les autres affaires. Je fus offencé du procedé du fiscal envers moy et du concert de ces officiers, et en portay ma plainte le lendemain a Son Altesse, qui a reconnu la surprise qu’on luy faisoit, et ne trouva pas mauvais que ie luy disse, que je vous porteroit la plainte contre ce fiscal, qui est d’ailleurs mon amy, et bon homme […] »[366].
La conclusion est surprenante. Marca n’est sans doute pas vraiment ami avec Peralta, mais il souhaite éviter de l’accuser auprès du ministre pour parvenir à une concorde sans avoir à déclarer ouvertement les hostilités. Manipulé par le Régent, comme à son habitude, Harcourt rend une décision à la légère, et favorise finalement des mal affectes. Car, selon cette lettre, la rigueur juridique des magistrats n’est qu’une façade pour couvrir une manœuvre bien peu honorable : la défense des intérêts de certains de leurs parents, d’une fidélité peu sûre, qui pourraient bénéficier d’un tel précédent. La réaction de la cour dépasse les souhaits même de Marca. Le 22 décembre, deux lettres missives sont envoyées à Barcelona, l’une pour le comte d’Harcourt[367], l’autre pour Narcis Peralta lui-même[368], dont nous donnons l’édition. Elles montrent directement les puissants effets obtenus par Marca sur Le Tellier, à la faveur de ses sempiternelles mises au point autour de l’application particulière de la doctrine monarchique à la Catalogne. A Harcourt, le roi « prescrit quelle doit être sa conduite », en lui signifiant que le jugement de l’Audience sur le bien dépendant de Santa Coloma est préjudiciable à son service, et qu’il devra intervenir dans le jugement en suivant l’avis de Marca : il s’agit de prendre « en main la deffense de mes droictz ». Peralta, quant à lui, se voit lourdement accusé de ne pas avoir tenu la promesse qu’il avait faite à Marca de surseoir le jugement. Il est blâmé sur un ton solennel : « vous vous estes relasché du soin de la conservation de noz droictz auquel vostre charge vous oblige specialement […] nous en avons esté mal satisfaictz ». Ces mots lourds, rares dans le vocabulaire utilisé par la cour pour s’adresser à des Catalans qu’elle veut cajoler jusque dans les moments tragiques, sonnent comme un avertissement. En effet, un pamphlet anonyme très contemporain montre que d’autres affaires sont jugées dans le même sens par l’Audience, ce qui paraît préoccupant : la sœur de Daniel de Marimon mariée à Francesc de Junyent, lit-on, obtient une sentence lui permettant de récupérer les biens de son frère mort au combat dans l’armée du roi d’Espagne[369]… Peut-être que l’affaire de Santa Coloma avait réellement créé un précédent ? Il est difficile de le dire en l’absence des archives de l’Audience. Elle se réouvrira en 1649, et à cette occasion, Marca proposera une solution tout à fait personnelle pour sortir de l’impasse juridique, nous y reviendrons[370]… En 1647, Marca continue à pester contre les juges : au cours de l’affaire d’Ille, dont nous avons amplement traité au chapitre précédent, il affirme que la cause ne doit pas leur revenir, « que c’estoit une expliquation de la volonté du Roy et non pas un procez de justice, ou les juges sous ce pretexte se veulent rendre les maistres des graces de S.M. »[371]. Dans ce procès, Marca accuse les membres de l’Audience de soutenir honteusement les intérêts de Josep d’Ardena contre la communauté villageoise, et de manier pour cela des arguties ineptes qui s’effacent derrière l’intérêt général.
Mais le remarquable changement d’attitude de Narcis Peralta, au cours des années 1646 et 1647, montre que la question de l’engagement des juges n’est pas aussi simple que Marca ne voulait l’entendre. Peralta publie alors deux livres, édités à Barcelona, évidemment chez la Veuve Lacavalleria : Al serenissim senyor Enrich de Lorena comte de Harcourt… (1646), et surtout De la potestat secular en los eclesiastichs, per la oeconomia y polytica (1647), où il traite abondamment des relations complexes entre l’Eglise et la monarchie. Il y développe un argumentaire conforme en tout point aux aspirations et aux pratiques de Marca, qui fait volontiers condamner les chanoines et les évêques mal affectes : l’emprise du pouvoir royal sur les questions ecclésiastiques y est justifiée. En 1645 Harcourt a fait exiler les chanoines de Barcelona Taberner, Coll, Osona et Rocabertí, les écrits de Peralta sont donc directement liés au contexte politique ; le second livre fut inscrit à l’Index Librorum Prohibitorum dès sa parution, comme le furent certains titres de Pierre de Marca… On voit que l’avocat fiscal patrimonial, défenseur attitré des droits du roi, était revenu à la raison politique. Pourquoi ce changement ? On peut arguer la poursuite des gratifications à titre d’ « aiuda de costa » : fin 1647, 300 livres lui sont attribuées, car de façon peu étonnante on ne lui avait rien donné depuis deux ans[372]… en 1648, on lui en donne 200[373]… Mais on peut aussi penser à une sincère défense des Constitutions de Catalogne, qui s’accomode fort bien, selon la tradition de subtilité juridique des docteurs catalans, d’une inflexion dans le domaine ecclésiastique… Au cours de l’année 1647 même, sous la vice-royauté de Condé, la jurisprudence défavorable aux intérêts du roi dans le cadre des substitutions est tournée en faveur d’un profrançais distingué. Carles de Alemany de Bellpuig, gendre du Régent Fontanella, issu de la même souche que la maison de Çagarriga et substitué à cette famille en cas d’extinction sur un testament de 1633 : Ramon de Çagarriga servant Philippe IV dans le royaume de Naples comme gouverneur de l’Abruzze et gouverneur des armées, sa tante Contesina de Queralt possède ses biens, mais Condé intervient pour assurer leur usufruit à Alemany dès la mort de cette dernière : c’est reconnaître de facto le crime de lèse-majesté comme une mort ; le bénéficiaire entre rapidement en possession[374]. Le fait que nous n’ayons trouvé après 1647 aucune trace de nouveau procès mettant en jeu les substitutions dans une affaire de confiscation ne signifie pas que les juges aient totalement abandonné ce point. Mais les circonstances particulières de 1648, quand Schomberg décidera la distribution de tous les biens, arrosera les juges de donations, et que la Catalogne glissera progressivement vers une situation de quasi-soulèvement avant le siège, expliquent sans doute en grande partie l’atonie postérieure des magistrats.
Une autre dispute de 1647, au sujet d’une institution beaucoup plus spécifique que l’Audience, la Batllia General, montre aussi que les juristes peuvent se rallier aux opinions de Pierre de Marca : mais ils se divisent entre eux par fidélité à leur faction politique, entraînant finalement leur prise de position juridique. La Batllia General de Catalunya, comme nous l’avons vu au tout début de notre travail[375], se charge originellement de l’administration des baronnies dont le roi est seigneur direct, exerce un contrôle sur les liens de féodalité, perçoit les droits d’aliénation, occupe les biens vacants, nomme les fermiers et administrateurs. Mais en 1631 cette institution a été engagée par le roi d’Espagne à la ville de Barcelona au titre d’une dette : à partir de cette date, et au moment de la guerre, les conseillers de Barcelona exercent les fonctions de la Batllia, avec moins de prestige et de pouvoir ; l’institution comporte néanmoins encore des lieutenants, des assesseurs, un avocat fiscal et un secrétaire. Au début de la guerre, certains Catalans estiment que les institutions originelles devraient être restaurées et que le roi devrait reprendre le contrôle de la Batllia en lui réservant la connaissance de toutes les affaires de confiscation. Mais la difficulté des temps et l’enchaînement des circonstances graves éloignent cette possibilité. Au printemps 1647, alors que le prince de Condé commence à assiéger Lleida et se trouve hors de Barcelona, le débat se rouvre sur les donations très contestées faites par le comte d’Harcourt, précédent vice-roi, dont les bénéficiaires veulent obtenir l’exécution. Harcourt avait donné, sur les biens confisqués au conspirateur Joan Josep de Amigant, 150 livres de rente à l’église Nostra Senyora del Pí pour fonder une messe le jour de la saint Polycarpe, jour de la victoire de Montjuic. Nous n’avons pas retrouvé la trace du décret d’Harcourt, mais il est probable que les revenus sur lesquels la rente avait été assignée se percevaient dans la ville. Du moins, l’église bénéficiaire fait rapidement appel à la compétence de la Batllia General, ce qui tourne à l’affaire politique : « Les marguilliers pressans l’enregistrement de ce don en la Bailie generale, les officiers instruits par moy y firent difficulté par ce qu’ils ne trouvoient point dans leur registre aucun exemple de lettres de don qui ayent esté expediées par les lieutenants generaux ». Mais les marguilliers en appellent aux conseillers de la ville, dont l’un des principaux est membre de la faction ennemie de Pierre de Marca…
« Les marguilliers eurent recours aux conseillers, et particulieremet au premier et au second, qui ont l’inspection particuliere de cette Bailie. Le sieur Bosser, beau frere de M. le Regent, est le second Conseiller, qui declara suivant son humeur et les interestz de son beau frere pour persuader que le viceroy estant un Alternos avoit le même pouvoir que la personne du roy, et que cette maxime estoit utile aux Catalans, affin qu’ils ne fussent pas obligés de s’adresser au roy pour leurs affaires, les officiers et particulierement l’advocat fiscal soutenant le contraire. Il fut arresté que l’on apelleroit quelques advocats pour avoir leur avis sur la difficulté qui se presentoit. Ceux cy tombèrent d’accord avec les officiers que les constitutions du roy Alfonce de l’an 1423 et 1444 reservoient a la personne du roy l’autorité d’aliener le patrimoine, que dans les pouvoirs des vicerois la faculté d’aliener ne leur estoit point accordée, qui meritoit une expression particuliere sans que les clauses generales fussent suffisantes, et que l’usage avoit interpretté ces pouvoirs, en ce qu’il n’y a point dans les registres de la bailie generale aucune lettre de don expediée sous le nom du Lieutenant general ».
On en revient donc à un vieux débat datant d’avant même l’arrivée de Marca : certains Catalans ont intérêt à ce que les grâces ne soient pas expédiées à la cour de Paris, mais en Catalogne ; et, en l’occurrence, Alvaro-Antoni Bosser, beau-frère du Régent Fontanella[376], est lié au groupe fidèle à Harcourt, il défend donc les actes de ce dernier. L’opiniatreté de Marca et son influence apparente sur les juristes membres de la Batllia General, en particulier l’avocat fiscal, portent leurs fruits : une consultation juridique aboutit exactement aux positions qu’il défend habituellement, basées de façon très opportune sur des Constitutions du XVe siècle, datant des rois d’Aragon et donc très peu contestables sur le plan de la légitimité.
Mais cette évolution crée surtout une division à l’intérieur même de l’institution, et Bosser ne peut abandonner son camp. L’absence du prince de Condé, sur le front de Lleida, empêche une conciliation qui aurait désamorcé la querelle. Les parties s’accordent à demander l’arbitrage du roi : solution sensible pour les défenseurs des Constitutions, car le roi n’avait pas encore souhaité légiférer au sujet des biens confisqués, ayant même montré une certaine palinodie dans ses décisions à ce sujet, en tout cas, n’ayant jamais envisagé un instant de rehausser la Batllia à son rôle originel.
« Le raport de la consultation estant fait le sieur Bosser se roidit a son opinion, ce qui obligea les officiers a proposer un expedient, c’est assavoir que l’on escriroit a Sa Majesté touchant cette difficulté affin de recevoir la dessus ses ordres, ce qui fut rejeté par le sieur Bosser en sorte que les officiers pour ne rompre point avec les conseillers et pour les decharger aussy de l’importunité des interessés, qui desirent l’enregistrement des dons qui leur ont esté faits, arresterent avec le consentement des conseillers que la Bailie escriroit a Sa Majesté la lettre qu’ils m’ont bailliée pour le roy ».
C’est là que Marca insiste sur l’aspect central de la question. Loin d’être une simple chicane juridique, il s’agit de la conception générale de la confiscation. Il réaffirme ici une fois de plus, avec le soutien des juristes catalans, son souhait de mettre fin à toutes les ambigüités des pouvoirs des vice-rois, en réservant rigoureusement au souverain l’expédition des lettres patentes.
« [La lettre], dit-il, contient une remontrance a ce qu’il plaist au roy de faire tous les dons des biens confisquez a tiltre de fief avec reserve de foy, hommage, lots, et ventes et services personnels. En ce pais il y a plusieurs seigneuries qui sont tenues en franc alleu, c’est pourquoy la reserve de fiefs est necessaire comme ils remontrent. Outre cela ils demandent qu’il plaise a Sa Majesté ordonner que les dons faits par M. le comte d’Harcourt soient enregistrés et cependant ils surceoient l’enregitrement. L’advocat fiscal et le secretaire avec ordre des autres officiers de la Bailie m’ont raporté tout ce que dessus, et m’ont prié de vous en donner avis, Monsieur, affin qu’il vous plaise en repondant a leur lettre faire declarer par le Roy que les alienations du patrimoine soit ancien ou nouveau comme est celuy des confiscations ne peuvent estre faites que par Sa Majesté et non par ses lieutenans generaux suivant les constitutions de Catalogne, et l’usage observé jusques a present. Pour cet effet ils m’ont remis en main les extraits cy joints de ces Constitutions, et le certifficat du secretaire de la Bailie qu’il n’y a point dans leurs registres aucune lettre de don ou d’alienation faite par les vicerois »[377].
Marca en profite donc pour couvrir ses propres prescriptions sur l’expédition des donations, dont la réserve au roi des foi et hommage – comme il l’a conseillé au sujet du don du comté d’Ille pour Josep d’Ardena –, derrière la pétititon des juristes. Il fortifie aussi ses dires d’un recours aux lois anciennes et aux archives authentiques. Marca, à l’image des érudits Pierre Dupuy et Théodore Godefroy, a, au moins partiellement, réussi la réappropriation d’un héritage juridique. Nous ne connaissons pas la suite exacte de l’affaire, mais nous pensons que la cour, désormais secouée par la Fronde, n’a pas davantage souhaité légiférer qu’elle ne l’avait fait jusqu’à maintenant.
Ainsi, jusqu’à la fin de notre période, le dernier grand territoire d’indépendance des juges, et qui ne leur est plus guère contesté, est la question des restitutions de dots : de façon permanente, ce principe continue à contrecarrer la pure application de la faveur royale. Matière chère à Joan Pere Fontanella, qui, dans son De Pactis Nuptialibus, sive Capitulis Matrimonialibus tractatus, publié en 1612 mais constamment réédité, précise les caractéristiques essentiels des régimes matrimoniaux et des contrats de mariage en Catalogne. La préservation des patrimoines prime avant tout : en l’absence de contrat – mais c’est une chose très rare –, le régime matrimonial par défaut est celui de la séparation de biens ; le testateur a une grande liberté, mais par le système des fidéicommis il a la possibilité d’immobiliser une partie de son patrimoine. La clause de restitution des dots et des sommes versées par les épouses au mari selon les termes des contrats va dans le même sens que ces mesures : il s’agit de garder l’intégrité des patrimoines et de préserver l’héritage des enfants en cas d’éventuel remariage de l’époux. Comme dans le cadre des substitutions, lorsque l’époux est criminel de lèse-majesté, sa mort civile entraîne la restitution des biens compris dans la dot à l’épouse[378]. Les exemples sont nombreux après 1648. Il s’agit de décrets ordonnant de surseoir à des séquestres de biens confisqués afin de les restituer aux épouses[379]. Les juges chargés de ces affaires (relators) sont des docteurs de l’Audience comme Benet Ginebreda, Joan Monfort… Ces surséances, prononcées conformément à leurs conclusions, sont donc bien acceptées par le vice-roi au nom duquel elles sont rendues. Concernant des personnes de moyenne importance, voire de purs anonymes, elles n’étaient pas de nature à attirer les commentaires de Marca ou des combats aussi violents que ceux survenus dans le cas de patrimoines immenses.
Entre profrançais, entre Catalans et Français : des procès longs, épineux et politiques
La défense des Constitutions par les juges et les procès pour restitution de biens à leur famille d’origine sont tout de même une exception au milieu d’une foule de litiges qui naissent entre bénéficiaires mêmes, ou entre profrançais. En effet, l’appartenance à un même camp politique ne signifie pas pour autant l’accord dans le domaine privé ; et les convoitises, les concurrences, ainsi que les causes remontant à avant la guerre, pullulent durant notre période. Malgré l’absence d’archives judiciaires, on trouvera néanmoins, là encore, les traces de quelques affaires remarquables à travers les correspondances des hommes d’Etat. Pour commencer, l’une de ces lettres, envoyée à Mazarin par le Chancelier de Catalogne Llorenç de Barutell, nous permet d’introduire la matière et fait observer deux stades successifs : tout d’abord, la gestion des biens confisqués par des séquestres, le trésorier et Sangenís depuis l’interrègne d’Argenson et la vice-royauté de La Mothe, qui fait beaucoup de mécontents et affecte les patrimoines ; puis, après Harcourt et surtout après Schomberg en 1648, la distribution d’un grand nombre de biens en pleine propriété, phénomène qui déclenche une nouvelle vague de procès…
« Je représenterai au vice-roi les clameurs, plaintes et malheurs des couvents de religieux et de religieuses, des ecclesiastiques, des sanctuaires et de beaucoup de bien affectos à la France. La cause de leur malheur est, Eminence, de voir que pour la plupart leur revenu consiste en censals et pensions qui sont sur les biens confisqués, et d’avoir tant peiné à les recouvrer ; du temps où les biens confisqués étaient aux mains du trésorier, ils n’ont rien pu en tirer de valable. Maintenant, ils se trouvent avec de plus grandes difficultés car ces biens sont dans les mains de tous ceux à qui on les a donnés en grâce : impossible d’espérer en tirer quelque chose, sinon avec des procès, des procédures et des sentences, ce qui pour les créditeurs signifie une grande perte. A ce sujet, Son Excellence me dit qu’il avait imposé, à ceux à qui il avait fait ces grâces, la condition qu’ils payent les charges, et c’est une clause conforme au droit. Nous condamnerons les possesseurs quand ils viendront demander justice, mais cela sera par voie de procès. Je jugerais bon, et je considère cela comme un remède, que l’on envoie un ordre pour que ceux qui possèdent ces biens payent les censals et autres charges qui leur ont été assignées par le vice-roi, sans autre jugement que veritate facti inspecta »[380].
En quelque sorte, Barutell demandait de remédier par un sursaut d’autorité royale à une situation qui avait été précisément causée, comme on l’a déjà vu amplement, par un manque de politique ferme et cohérente de la part de la couronne. En effet, à quoi attribuer la multiplication des procès, si ce n’est à l’absence de décision unique et incontestée sur les biens confisqués ? A l’enchevêtrement des assignations et des pensions qui, finalement, revenaient à annuler l’effet des grâces.
Le meilleur exemple de cette situation de litige permanent est l’affaire qui opposa, plusieurs années durant, le noble Josep de Caramany au chapitre d’Urgell, au sujet des baronnies de Peramola et d’Estac. Depuis le début de la guerre, le chapitre d’Urgell avait montré la plus grande fidélité à la cause française en fournissant des soldats, alors que l’évêque en titre était favorable aux Castillans. Ils en sont récompensés en 1643 par une pension sur les revenus de ces baronnies[381], situés dans leur diocèse (comarca de l’Alt Urgell, dans l’actuelle province de Lleida) et confisquées à la comtesse de Quirra. Mais leur avidité ne s’en contente pas, et l’année suivante ils envoient à la cour l’un des leurs, Joan-Baptista Chiavari, afin d’obtenir le don de la vicomté d’Evol[382]. Les ministres montrent alors une grande prudence et hésitent beaucoup à récompenser des communautés avec des seigneuries. L’affaire traîne d’abord, le 19 mars 1644, on pense donner au chapitre les biens confisqués d’u particulier, Francesc Frigola[383]… Mais le 30 mars, la cour franchit un nouveau pas : une lettre missive est envoyée à La Mothe qui lui ordonne faire mettre les chanoines d’Urgell en possession des baronnies de Peramola et d’Estac. Le maréchal, personnellement défavorable aux intérêts des chanoines comme à ceux des communautés en général (il est l’adversaire des moines de Montserrat), tarde à faire appliquer l’ordre, jusqu’à la toute fin du mois de novembre, quelques jours avant son départ. Il demande alors au viguier de la Seu d’Urgell de faire exécuter la grâce faite aux chanoines, en attendant, précise le décret, que le roi envoie « les expéditions de propriété conformément à ce qui est écrit dans sa lettre royale »[384]. Cette mention très intéressante nous permet de rappeler qu’à ce stade la cour n’avait absolument pas choisi de quelle façon elle résoudrait le problème des confiscations, et qu’elle se bornait à faire des grâces que nous pourrions appeler des usufruits – du moins des possessions peu claires soumises à une confirmation postérieure et illusoire. Cette semi-donation, très ténue sur le plan juridique, est une grave erreur politique. Quelques mois plus tard, les chanoines écrivent à Mazarin pour l’informer que conformément aux dernières instances de La Mothe, on les a mis en possesion. Ils prennent, disent-ils, ce cadeau comme venant de ses mains… mais ils le prient surtout de faire envoyer les lettres patentes dont ils ont tant besoin[385]. Elles ne viendront jamais, bien au contraire.
Un coup de théâtre survient peu de temps après. Harcourt, alors en campagne au camp de Guissona, décide, de façon unilatérale, de distriuber un certain nombre de biens confisqués à des gentilshommes de son choix. Il s’agit des membres de la faction d’Ardena et du Régent Fontanella, tous ennemis mortels du Gouverneur Margarit. Ces brigues seront plus tard étroitement rapprochées de la grande conspiration que trament alors la belle-sœur d’Ardena et l’abbé de Galligans[386]. Dans le mémoire qu’Harcourt envoie à Marca et au roi des donations qu’il veut absolument voir confirmées par la cour, figure Josep de Caramany. Ce dernier brigue Peramola, mais il ne peut pas cacher qu’il risque d’avoir maille à partir avec les chanoines d’Urgell. Il semble alors bien optimiste sur ses chances de s’en sortir sans heurts…
« La baronnie de Peramola pour M. le baron de Caraman qui espere s’en acommoder avec messieurs du chapitre d’Urgel qui ont droit sur ladite Baronnie : 1600 livres C.
Chargée de mil livres par an en la faveur cy : 1000 livres »[387].
Caramany, bien que proche parent de Josep de Margarit, était un ennemi personnel de La Mothe qui avait refusé de lui donner l’autorisation d’aller à la cour de France. Dès qu’Harcourt était arrivé en Catalogne, il était venu lui offrir ses services[388]. Il jouissait de la recommandation (qui deviendra plus tard encombrante) du député ecclésiastique de la Generalitat, Gispert Amat, abbé de Galligans[389]. Début 1646, il se rend à la cour en compagnie de Josep d’Ardena. Suivant le mémoire d’Harcourt, et les avis diplomates de Marca qui ne voulait pas paraître faire barrage à tous ses choix, Le Tellier confirme rapidement que, même si « Sa Majesté n’a point encore disposé d’aucune confiscation […], dom Joseph d’Ardenna et le sieur Caraman qui sont par deça seront expediez les premieres »[390]. L’efficacité de ces instances est véridique : on trouve dans les papiers du secrétaire d’Etat de la Guerre, datée de mars 1646, une minute de lettres patentes de don à Josep de Caramany des baronnies de Peramols, Estac et dépendances[391]. Nous ne savons pas exactement quand ces lettres ont été expédiées, mais elles avaient été reçues en Catalogne avant la fin de la vice-royauté d’Harcourt. Ce dernier, quelques jours avant son départ, rendait des lettres exécutoires pour que Caramany puisse voir l’effet de sa grâce[392]. Il faut dire que Josep de Caramany était l’un des plus zélés partisans de la France, et accourait toujours aux campagnes à la tête de nombreux vassaux : pour le siège de Lleida, si l’on en croit Pujolar, il avait rejoint Condé avec 300 cavaliers[393]. Il était difficile de lui contester sa fidélité et ses services…
Avec leur combattivité habituelle, les chanoines s’opposent à la prise de possession. Si l’on en croit un mémoire postérieur, probablement émané de Caramany[394], ils sont alors les maîtres de la juridiction dans les baronnies, qui se situent dans leur territoire d’influence puisqu’au sein de leur diocèse ; mais ils n’ont pas réussi à récupérer les revenus… Ils sont persuadés d’avoir le droit à la propriété en vertu de la lettre missive envoyée à La Mothe et du décret de ce dernier. Ils portent donc la cause devant la Reial Audiència afin d’être conservés dans leur possession. Le prince de Condé tente alors de concilier les parties, malgré la difficulté de l’affaire. Il sait bien que les arguments des chanoines sont très fragiles, puisqu’ils n’ont dans les faits qu’une promesse du roi, alors que Caramany a des lettres patentes. Il prescrit donc d’orienter le débat non vers la propriété des baronnies, mais sur les 20000 écus qui avaient été reservés au chapitre par Louis XIII au chapitre : il fait réunir les parties dans la maison du Chancelier, mais elles ne parviennent pas à s’accorder. Lorsque l’affaire passe en procès dans la sala du Chancelier, ce dernier décide de s’abstenir, étant lui-même un chanoine d’Urgell. Les docteurs tranchent en faveur de Caramany. Selon le mécanisme propre à l’Audience, les chanoines font alors appel et la cause est portée dans la sala du Régent ; le rapporteur désigné est Baltasar Tàpies. Mais l’affaire traîne en longueur… Les chanoines trouvent alors une nouvelle parade : ils vont envoyer l’un des leurs comme ambassadeur à la cour de Paris, le chanoine Jaume Ferran, qui se trouve être aussi l’inquisiteur de Catalogne ; comme c’est un long voyage et que la cause risque d’être résolue avant son arrivée, ils envoient à l’Audience, selon l’usage du droit catalan, des « lettres de contention » pour demander son renvoi à une cour ecclésiastique. La procédure est très complexe : les juges ont cinq jour pour se prononcer sur le renvoi, au bout desquels, s’ils ne le font pas, le Chancelier ou un docteur désigné par le vice-roi doit y pourvoir, qui lui-même a un délai de trente jour après lesquels la cause est directement renvoyée devant la juridiction ecclésiastique… Beau moyen de temporiser, en espérant convaincre le roi entretemps.
Cet inquisiteur Ferran n’est pas un quelconque chanoine pleutre et frileux : « il eut l’honneur de commander les troupes catalanes qui combatirent aux retranchemens de Martorel pour s’oposer a l’entrée de l’armée castillane, en laquelle occasion il ne fist pas seulement voir qu’il avoit de l’affection pour sa patrie, mais qu’il avoit du cœur pour la deffendre au peril de sa vie »[395]. Les mots sont de Marca qui, évidemment, prend tout de suite fait et cause pour le chapitre d’Urgell, par méfiance de base pour la faction d’Ardena à laquelle appartient Josep de Catamany. Ferran entreprend le voyage au printemps 1648, et arrive avant l’été. En réalité, à Barcelona, les chicanes judiciaires durent six mois : comme le fait observer le mémoire de 1649 émané de Caramany[396], il était un peu crédible que les chanoines prétendent relever du for ecclésiastique alors qu’ils avaient eux-mêmes porté la cause devant l’Audience l’année précédente ! Tout d’abord, deux arbitres sont nommés, un pour l’Audience, le rapporteur de la cause Baltasar Tàpies, un pour la cour ecclésiastique, le chanoine de Barcelona Francesc Sans. Mais, durant les cinq jours impartis, peut-être sur les manigances des chanoines, Sans s’enfuit de Barcelona. Caramany se précipite alors à la cour ecclésiastique pour faire nommer un nouvel arbitre ; le docteur Jaume Ferrer est choisi. Le cinquième jour, Tàpies n’arrive toujours pas à se décider. Il demande alors l’arbitrage des docteurs de la sala du Régent : « tous lui conseillèrent, pour satisfaire aux obligations de bon ministre, de chercher tous les moyens possibles pour étendre la juridiction royale […] s’il pouvait réduire l’arbitre de la cour ecclésiastique en déclarant en faveur de la juridiction royale, qu’il fasse conclure l’affaire »[397]. Remarquons au passage que les membres de la sala du Régent comme un grand nombre de membres de l’Audience sont à la botte du Régent et de sa faction – nous l’avons vu dans l’affaire d’Ille. Il valait mieux, pensaient-ils sans doute, que l’affaire soit jugée par l’Audience plutôt que par la cour ecclésiastique qui risquait de favoriser les chanoines. Ils se rangeaient cette fois, pour des raisons d’opportunité, à une posture défendant les droits du roi… Les arbitres se prononcent donc finalement en faveur de l’Audience.
Pendant ce temps, quelles avancées l’inquisiteur Ferran avait-il obtenues à la cour ? Le manque de coordination et de suivi des décisions souveraines était la cause première de ce litige. En agissant de telle ou telle façon, le roi pouvait autant désamorcer le conflit que l’envenimer. Le contexte de Fronde, comme nous le verrons dans la partie suivante, était entièrement défavorable à une prise de position tranchée. Ainsi, après avoir probablement reçu des flatteries et des assurances gratuites, Ferran n’avait gagné que de petits gestes. Le 6 août, une lettre missive du roi est écrite au vice-roi Schomberg, disant que « ledit chapitre qui est en procés pour raison de ce en mon Audience Royale de Catalogne en apprehende l’issue, me suppliant de faire surceoir les poursuittes jusques a ce que j’en aye autrement ordonné » ; et que le chapitre lui a proposé un expédient :
« M’ayant esté proposé par ledit depputé de faire un accommodement avec ledit chapitre et ledit sieur de Caramany pour la possession desd. baronnies a perpetuité, les separant par esgalle portion en laissant aud. chapitre la baronnie Peramola et audit Caramany celles d’Estachs et de Perracolz. Et en cas qu’il y eust de l’inegalité de valeur et de revenu de l’une et de l’autre, en faire compensation au dire d’experts et obliger la terre qui se trouvera de plus grande valeur a payer la rente de ce que monteroit le principal de cette plus valeur en attendant que le payement dud. principal puisse estre fait » [398].
Il est certain que cette ouverture a pour but, de la part du chapitre, ferme dans ses positions, de conserver tout de même une seigneurie en titre quoi qu’il arrive. Mais on n’est pas dans le domaine de la réalité ou du concret : la missive royale rappelle simplement l’ouverture proposée par l’inquisiteur, comme pour montrer que le chapitre est prêt à la négociation, sans ordonner qu’elle soit appliquée, et en ordonnant simplement à Schomberg, de façon traditionnelle, de donner son avis sur la question en consultant Marca… Deux autres lettres missives envoyées postérieurement, alors que Ferran était à Paris, montrent que la cour ne voulait toujours pas s’avancer : l’une, datée du 29 octobre, ne donne que des vœux pieux, puisque la solution de conciliation n’était plus de saison et que les juristes s’échinaient : « mon intention est que messieurs de Marca et Fontanelle continuent a s’en entremettre et que cependant le procés intenté en l’Audience Royalle entre le chappitre et ledit Caramanÿ demeure en surceance »[399] ; l’autre, datée du 24 novembre, mentionne le fait que le Chancelier et le Régent avaient obtenu des parties qu’elle s’accomodent de la façon suivante :
« Par cet accommodement la possession desdites baronnies de Paramola et Peracols devoient [sic] demeurer audit Caramani et celle d’Estac audit chapitre, auquel en outre il seroit payé par ledit Caramani, ses successeurs et ayant cause esdites baronnies de Peramola et Peracols quatre cent livre de pention ou rente fonciere. Et ce faiant ledit Caramani sera quitte desdites III mille livres de pention pendant vingt années qu’il estoit obligé de faire audit chapitre en gardant la possession desdites baronnies »[400].
Ainsi, de façon assez paradoxale puisque les parties étaient censées s’être entendues, Schomberg recevait à nouveau l’ordre de surseoir au procès.
Cependant, les faits tels qu’ils sont évoqués dans les lettres missives du roi semblent différer assez sensiblement de la réalité. Le 17 septembre, Marca écrit à Le Tellier qu’il traitera du suet des missives « avec M. le viceroy suivant l’ordre de la letre, quoy qu’il n’y aye pas beaucoup d’apparence de reussir en cela a cause de la fermeté de Caramain, qui veut jouir de tout le bien, qui est de valeur de sept mil livres tournoises de revenu »[401]. Le mémoire de 1649 favorable à Caramany, quant à lui, continue sa narration avec aussi peu d’illusions et de concessions. Alors que Ferran demeurait encore à la cour, les coups bas continuaient en Catalogne. Toujours dans l’attente d’une décision favorable du roi, mais ne voulant néanmoins pas perdre un pouce de terrain, les chanoines réagissent à la décision de Tàpies de valider la compétence de l’Audience. Légalement, si les arbitres ne se prononçaient pas en cinq jours, la décision revenait de facto au Chancelier ou à un docteur nommé par le vice-roi. Cachant au Chancelier l’arbitrage qui leur était défavorable, ils se tournent vers lui en lui assurant que la balle est dans son camp : Barutell s’en remet au vice-roi pour nommer un nouvel arbitre présumé impartial. Il est tombé dans le piège ; voilà un nouveau tour de manège. Mais Caramany ne reste pas les bras croisés. Il demande audience au vice-roi, lui explique que les chanoines ont menti et que la « contention » est terminée de jure. On comprend que Schomberg ait du se trouver embarrassé et perdu dans un tel labyrinthe. Il ordonne de régler le problème de juridiction en réunissant les trois salas de l’Audience : la tercera sala criminelle, la sala du Chancelier et celle du Régent. C’est peut-être cet épisode qui est interprété dans la lettre missive du roi comme un accord – mais les lettres du roi sont bien éloignées de la réalité. Les trois salas rendent donc une nouvelle fois leur conclusion en faveur de l’Audience, et établissent que le vice-roi ne doit pas nommer de nouvel arbitre : aux yeux de tous, la « contention » est terminée. Enième rebondissement dans l’affaire : « on aurait pu croire, dit le mémoire, que le chapitre se tiendrait pour satisfait – il ne pouvait pas obtenir plus grande satisfaction avec le jugement de tant de doctes personnes – , mais non, le chapitre d’Urgell ne se calma pas »[402]. Arguant des vices de procédure, des erreurs de détail, les chanoines font à nouveau appel à la cour ecclésiastique… Les docteurs de la sala du Régent réitérent leurs grands discours monarchistes polis pour l’occasion, et affirment que rien n’est « plus préjudiciable à la justice royale que, une fois déclarée une contention en sa faveur, de pouvoir en signer une autre »[403]. A nouveau, on réunit les trois salas de l’Audience pour régler le problème. « Tous les docteurs nemine discrepante furent d’avis qu’il ne fallait pas signer le doute, mais écrire à l’official qu’il efface les passages concernés de ses registres, ou comparaisse devant l’Audience pour information, suivant les exemples anciens, et ce qu’écrivent nos docteurs catalans »[404]…
Revenu en Catalogne aux premiers jours de décembre 1648[405], l’inquisiteur Ferran n’aura rien obtenu de concret à la cour. Pas plus que les juges n’auront été capables de trancher et de satisfaire les uns et les autres. En août 1649, l’entourage de Caramany envoie à la cour le mémoire que nous avons abondamment cité, preuve que l’affaire était encore ouverte. En janvier 1650 encore, l’inquisiteur Ferran écrivait à Mazarin en proposant exactement le même expédient de partage qui était évoqué deux ans auparavant[406]… Nous ne connaissons pas exactement le dénouement de l’affaire, mais il y a fort à croire qu’elle s’éternisa encore jusqu’en 1652. Le mémoire émaneé de Caramany conclut sur une note qui pourrait être appliquée à tous les litiges de la période :
« Il ne saurait y avoir de plus grande satisfaction qu’en respectant tout ce qui a été fait ; et faire le contraire condamnerait la juridiction royale à sa perte. Car les ecclésiastiques signeront toujours contention sur contention, interrompant totalement le cours des causes dans lesquelles ils auront intérêt, dans lesquelles ils seront demandeurs ou accusés »[407].
Un tel cheminement est difficile à comprendre pour une intelligence d’aujourd’hui, habituée à une conception contemporaine de la justice. Il n’y a pas là de souci d’efficacité et de rapidité, mais uniquement un désir de respecter – de façon parfois ostentatoire et un peu forcée – les Constitutions de Catalogne et les avis des « docteurs catalans ». Et, de fait, on peut dire que de telles affaires ne s’arrêtent jamais, car elles ne peuvent pas avoir de fin. Voilà l’effet dramatique des palinodies et des bévues politiques sur des classes de privilégiés et de juristes très rompues aux affaires de contrats de mariage, de successions et de droit de pâture. L’essence même de la décision et de la faveur royales – son caractère intouchable et peu adaptable à un droit écrit – est l’élément perturbateur, la véritable quadrature du cercle qui donne naissance à de tels procès et les condamne à tourner en rond à l’infini.
Une seconde affaire mérite l’examen, plus complexe encore car elle mêle des acteurs de différente nationalité, et aborde avec force les problématiques de frontière et de territorialité juridique. Elle concerne l’illustre famille de Perapertusa, dont l’histoire a intrigué Philippe Lazerme qui en donne une généalogie très précise[408]. Cette lignée tire son nom du château de Peyrepertuse, aujourd’hui connu comme l’un des « châteaux cathares », situé à la limite des départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales et très apprécié des touristes. Cette position fut sans cesse disputée par les différentes puissances de la région. Au Xe siècle, les anciens comtes catalans luttaient contre les comtes de Carcassonne pour la dominer, un premier castrum y est construit par le comte de Besalu Oliba Cabreta. La lignée des vicomtes de Peyrepertuse naît ensuite. Elle reste vassale des comtes de Barcelona durant tout le Moyen Âge. Mais au cours de la croisade contre les Albigeois, Guillem de Peyrepertuse refuse de faire allégeance aux Français : excommunié, il doit ensuite se soumettre après l’échec du siège de Carcassonne en 1240. Cette année-là, la famille devient donc vassale du roi de France. En 1258, au traité de Corbeil signé entre les représentants de Jaume Ier d’Aragon et ceux de Saint Louis, les deux souverains renoncent à leurs prétentions respectives sur les Languedoc et sur la Catalogne. La frontière est figée au sud des Corbières, Peyrepertuse devient une forteresse royale française, de même que les châteaux de Termes, Aguilar, Niort, Puilaurens et Quéribus. A partir de ce moment, les différentes banches de la famille de Peyrepertuse – que nous orthographierons Perapertusa – décident de rester dans l’allégeance des rois d’Aragon. Cependant, une des branches possède encore des seigneuries situées en Languedoc, donc dans l’obéissance du roi de France : Rabouillet, Séquère, Prats (Prats-de-Sournia de nos jours) et Trévillach au pays de Fenouillèdes. Bien qu’actuellement situées dans le département des Pyrénées-Orientales, ces localités étaient de langue d’oc. Installés en Roussillon, où ils choisissent toutes leurs alliances, les Perapertusa sont donc à cheval et dans une difficile situation de « tampon » entre les deux couronnes. Après avoir hérité en 1459 de la baronnie de Joch en Conflent, venue des Perellós, les Perapertusa persistent dans leur duplicité en se fondant dans une ancienne lignée française, la famille de Bruyères, descendante d’un croisé[409]. Une génération plus tard, Francesc de Perapertusa, marié à Violant d’Oms, était le principal seigneur du Conflent. Pere de Perapertusa i d’Erill, son fils, est titré vicomte de Joch par Philippe III en 1599, et élu administrateur de la confrérie des nobles de Perpignan fondée sous l’invocation de Saint-Georges. Il réside cependant de plus en plus à Barcelona.
Antoni de Perapertusa i de Vilademany, deuxième vicomte de Joch, fils de Pere de Perapertusa i d’Erill, hérite des seigneuries de ses ancêtres, à la fois en Languedoc (Rabouillet, Prats, Trévillach, Séquère) qu’en Conflent (Joch, Rodés, Ropidera) et en Empordà (Cruilles, Bagur, Taradell, Viladrau, Prohot, Fornils, Santa Coloma de Farners, Gelida…). En 1629, il épouse la fille d’un gentilhomme de Barcelona, Cecilia de Clariana i Descallar. En 1635, lorsque Louis XIII et son ministre Richelieu déclarent la guerre à l’Espagne, Antoni de Perapertusa est l’un des premiers, voire le premier sujet du roi d’Espagne à être inquiété. En effet, peu de Catalans peuvent se targuer de posséder des seigneuries du côté français. Ses terres languedociennes, en tête desquelles la seigneurie de Rabouillet, sont confisquées par la France et attribuées à Louis d’Arpajon, qui avait joué un grand rôle dans le retour du Languedoc et de la Guyenne au catholicisme dans les années 1630. Mais, par un mouvement d’exacte réciprocité, plusieurs abbayes désormais sous l’obéissance du roi de France se trouvent posséder des terres dans la mouvance du roi d’Espagne : c’est le cas de l’abbaye de Lagrasse, dont le patrimoine, comme la plupart des grandes abbayes, s’était formé de donations au cours du Moyen Âge, bien longtemps avant que le traité de Corbeil ne vînt modeler la frontière au sud des Corbières. Ainsi, Antoni de Perapertusa demande immédiatement en représailles le séquestre des fruits et des revenus des seigneuries de Prades, Rivesaltes, Estagel, situées en Roussillon et Conflent, dépendant de la chambrerie de l’abbaye de Lagrasse. Cette grâce lui est expédiée sur les ordres du roi d’Espagne, vraisemblablement par la Procuration Royale du Roussillon ; il touche les fruits des seigneuries jusqu’en 1642[410]. Mais cette année-là les choses changent du tout au tout : la Catalogne s’étant soumise à Louis XIII par le traité de Péronne en 1641, puis le Roussillon étant maîtrisé après le siège de Perpignan en septembre 1642, Antoni de Perapertusa décide, probablement plus par opportunisme politique que par réel soutien de la révolte de Catalogne, de se soumettre au roi de France – il prêtera serment en 1644[411] et plusieurs documents lui attribuent un rôle dans la défense de Cadaqués. Mais il ne faut pas oublier que son épouse est la nièce de Lluis Descallar qui fomentera tant de complots dans le Ripollés…
Pour l’heure, Antoni de Perapertusa profite de l’alliance entre les deux peuples et essaye de récupérer sa seigneurie de Rabouillet qui lui avait été confisquée par la France : cette dépossession n’a plus lieu d’être. Il opte pour une solution qui s’avérera par la suite fort litigieuse en portant la cause devant le Parlement de Toulouse, dans le ressort duquel se trouve la seigneurie. Il soumet une requête à la cour demandant d’être réintégré dans sa propriété et jouissance, en offrant[412] de restituer à l’abbé de Lagrasse, en lui rendant compte, les fruits perçus depuis 1635 sur les seigneuries et membres de l’abbaye, déclarant qu’il ne prétend rien sur les places de Prades, Estagel, Rivesaltes… Le procureur général joint sa requête à celle de Perapertusa. Par arrêt du Parlement du 22 octobre 1642, il est ordonné « que les biens appartenans au vicomte de Joch et aux autres Catalans sujets du roy leur seraient rendus et qu’ils en seroient mis en possession »[413]. Cet arrêt est significatif à plus d’un titre : il a une valeur à la fois particulière car il intervient dans l’affaire du vicomte de Joch, mais aussi générale car il légifère sur tous les biens des Catalans qui se situeraient dans le ressort du Parlement. Même si les exemples sont rarissimes (la plupart des seigneuries sur la frontière étant passées de longue date aux mains de familles languedociennes, Sournia aux Castéras, Caramany aux Mauléon…), on voit que l’autorité judiciaire validait les décisions politiques entérinées à Péronne. En 1643, Perapertusa retrouve sa seigneurie, sans se presser pour rembourser. C’était sans compter l’existence d’un puissant adversaire. Du temps où la guerre avait été déclarée, en 1635, l’abbé commendataire de Lagrasse était Louis de Nogaret, fils du favori d’Henri III le duc d’Epernon, grand seigneur qui avait reçu une myriade d’abbayes à l’âge de six ans, était devenu archevêque de Toulouse à douze ans, puis cardinal en 1621, avant de commander l’armée d’Allemagne aux côtés du duc de Saxe-Weimar. Mais il était mort en 1639 et son héritier, son frère aîné Bernard de Nogaret, deuxième duc d’Epernon, n’entendait pas laisser Perapertusa s’en tirer à bon compte. Epernon présente une requête au Parlement de Toulouse, demandant qu’on le force à restituer les sommes perçues avant de pouvoir être remis en possession. Perapertusa est alors assigné à la cour pour procéder sur cette opposition.
La suite de l’affaire se reconstitue en confrontant différents factums contradictoires qui, selon la partie dont ils émanent, occultent ou mettent valeur telle ou telle étape du litige. Comme il fut interminable, on ne sera pas surpris de trouver un mémoire de… 1688, émané d’un prétendant français à la seigneurie de Rabouillet, Antoine de Pujols, qui, remontant aux moments les plus anciens de la querelle, n’épargne pas la prétendue mauvaise foi du vicomte de Joch en 1644. Cette année-là, lit-on, Antoni de Perapertusa organise sa défense non pas en niant qu’il avait proposé de restituer les fruits perçus et de rendre compte devant l’abbé de Lagrasse, mais en déclinant la juridiction du Parlement de Toulouse. C’est exactement la même tactique qui sera choisie en 1648 par les chanoines d’Urgell afin de mettre le temps de leur côté… Evidemment, le Parlement ne pouvait pas réagir favorablement à cette palinodie. Le 8 mars 1644 il rend un arrêt contradictoire déboutant Perapertusa et le condamnant à rendre les fruits et revenus qu’il avait perçus : la liquidation en est faite à 46700 livres en faveur du duc d’Epernon, confirmée par arrêt du 20 juin 1644. Comme le vicomte ne verse pas la somme, un nouvel arrêt est rendu, le 15 février 1645, à la suite duquel la seigneurie de Rabouillet est saisie réellement et adjugée au duc d’Epernon[414]… Perapertusa réagit et se tourne vers les souverains en demandant l’évocation de sa cause au Conseil d’Etat (ce que les historiens des institutions ont appelé Conseil privé ou des parties)[415]. Il l’obtient, par un arrêt de mai 1645 signé Le Tellier « portant evocation de surceance, qui a interrompu l’execution desdits arrets » du Parlement de Toulouse « lesquels sont nuls et ne peuvent subsister, comme rendus par juges incompetens ». Sans doute la recommandation des députés de la Generalitat, qui ont écrit à la reine et à Mazarin en faveur des intérêts du vicomte[416], n’y est pas étrangère. Notons que cette étape fondamentale est totalement escamotée par le factum adverse de 1688 ! C’est là qu’intervient un premier factum imprimé commandé par le vicomte de Joch à des juristes français, Dorgeval et Garibal – que nous trouvons dans le même volume des anciennes archives du chancelier Séguier que le document envoyé par les consuls d’Ille[417]… Il défend deux positions fermes : Perapertusa n’a jamais proposé de « rendre compte du revenu de ladite Chambrerie », et le fait qu’il se soit rendu à Toulouse ne porte pas reconnaissance de la juridiction du Parlement, contrairement à ce que prétendait Epernon. Sur le point de la reddition de comptes, il s’agit d’une vraie chicane juridique, voire d’une autre méthode de temporisation : en niant ce point précis, les avocats détournent le débat de la vraie question, à savoir le versement des revenus perçus de 1635 à 1642, qui n’a pas été effectué mais dont l’engagement n’est pas non plus explicitement nié : « Il n’est point veritable (sauf correction) qu’il ait jamais fait aucuns [sic] offres de rendre compte du revenu de ladite Chambrerie : Que l’Arrest qui le retablit en la possession de la baronnie de Raboüillet n’en fait aucune mention, et partant que l’induction dudit sieur duc est sans fondement ». Ainsi, puisqu’il s’agit d’une « matiere personnelle », le demandeur doit selon le droit commun intenter son action devant le juge du défendeur : le factum demande donc au Conseil d’Etat, qui vient d’évoquer l’affaire, que les parties soient renvoyées à la Reial Audiència (ici appelée le « Conseil Souverain de Barcelonne »).
Il est certain que Perapertusa espérait un jugement favorable de la part d’un tribunal catalan, où un grand gentilhomme comme le duc d’Epernon aurait eu moins d’influence qu’au Parlement de Toulouse. Mais, à la suite de l’évocation au Conseil d’Etat de 1645, plusieurs nouvelles déconvenues l’obligent à étendre et solidifier son argumentaire. Elles sont rapportées par un deuxième factum imprimé conservé à la suite de celui que nous venons de citer[418]. L’arrêt d’évocation de 1645, dit-il, porte de jure surséance de tous les arrêts prononcés par le Parlement de Toulouse. Mais Epernon a des complicités parmi les avocats au Conseil, et, à la faveur d’un stratagème basé sur une subtile et malhonnête substitution de rapporteurs, facilité par l’arrivée inopinée du nouvel abbé de Lagrasse jusque là silencieux, Perapertusa est doublé…
« Pour l’execution duquel [arrêt d’évocation et surséance] ledit vicomte ayant voulu se servir du ministere du sieur Barbot, advocat en vostre Conseil, pour dresser les memoires et instructions necessaires afin d’eviter les formalitez ordinaire du Conseil, ledit Barbot ayant travaillé contre l’ordre qui luy avoit esté prescript, auroit donné occasion audit vicomte de le revocquer, et d’en substituer un autre a mesme fin. Et comme le sieur abbé de la Riviere, maintenant titulaire de ladite abbaye de la Grasse, pretendoit encore interest en ce differend, il auroit presenté sa requeste afin d’invervention [sic] et fait commettre le sieur de Berules pour en faire son rapport devant Vostre Majesté, comme il auroit desja fait. Ce que ledit sieur duc voulant eviter et engager ledit vicomte aux procedures ordinaires du Conseil, il auroit fait commettre le sieur Poncet, quoy que lors hors de quartier et si partial dudit duc, qu’aussi-tost il donna son ordonnance, portant que ledit vicomte seroit assigné pardevant luy, pour voir dire que ledit Barbot, quoy que revocqué avec substitution d’un autre, occuperoit en la cause. Procedure si extraordinaire qu’il n’y en a aucun exemple. Et neantmoins elle fut dès le lendemain confirmée par arrest rapporté par ledit sieur Poncet. En sorte qu’en execution d’iceluy l’advocat dudit sieur duc s’entendant avec ledit sieur Barbot auroit facilement obtenu au rapport dudit sieur Poncet arrest par deffault, qui deboutte ledit vicomte des fins de la requeste qu’il avoit presentée a Vostre Majesté »[419].
Ainsi, Perapertusa propose dans ce factum de « mettre, ès mains de celuy de vos conseillers d’Estat qu’il plaira a Vostre Majesté commettre, ses memoires et instructions pour en faire son rapport », considérant que l’ « arrest par default » obtenu par Epernon est d’une légalité inférieure à celui de mai 1645. Ce dernier, « signé en commandement » de la main du secrétaire d’Etat Le Tellier, est ce qu’on appelle un arrêt en commandement – le roi présidant son Conseil. L’autre est un « arrêt simple », rendu par le Conseil seulement présidé par le chancelier[420]. Le Conseil devait donc revenir sur l’affaire et, selon la requête, la rediriger vers la Reial Audiència.
Le plus intéressant à cette étape est que ce second factum, pour défendre le renvoi vers le tribunal suprême de Catalogne, allègue non plus le seul droit particulier de Perapertusa mais l’intérêt général des Catalans. Par la sinuosité d’une procédure qui, selon cet argument, devrait être sans équivoque, c’est tout un peuple qui se trouve lésé et menacé. Ce sont ses institutions traditionnelles – pourtant maintenues par le traité de Péronne et les serments des vice-rois, condition essentielle à l’union des deux nations – qui se voient bafouées et non reconnues. En effet, les Constitutions de Catalogne contiennent le droit pour tous les naturels de ne pas être traduit en justice hors du territoire. Ce fut justement l’un des points de litige avec la couronne d’Espagne à la base de la révolte de 1640…
« Quand cette question se reduiroit a ses interests particuliers, et que ceux de la Principauté n’y seroient point engagez, il estime qu’il seroit de la justice de Vostre Majesté de luy accorder son renvoy ; tant pour ce qu’ayant en qualité de sequestre commis par les ministres du roy d’Espagne rendu compte au Rational ou Chambre des Comptes de ladite Principauté du revenu dudit benefice, il ne seroit pas juste qu’il fut tenu d’en conter une autre fois ailleurs.
[…]
Et comme cette affaire est le premier [sic] concernant les privileges des sujets de vostredite Principauté qui ay testé porté devant Vostre Majesté, chacun d’eux y prend mesme interest que ledit vicomte, puisqu’ils sont en possession depuis plusieurs siecles de ne reconnoistre autres juges en deffendant que ceux de ladite Principauté. Privileges que le feu roy d’eternelle memoire a confirmé par le sieur mareschal de Brezé premier vice-roy […]. »[421]
L’importance de ces raisons explique l’intervention des députés de la Generalitat fin avril 1645, bien que cette institution incline davantage à défendre les intérêts et des communautés que ceux des gentilshommes. En août 1645, Pujolar rapporte que la vexation faite à Perapertusa choque la province :
« Le fait que Monsieur de Pernon (sic, d’Epernon), avant que l’arrêt de Sa Majesté n’arrive à Toulouse, ait usurpé et pris contre toute raison les baronnies de Rabouillet et autres que le vicomte de Joch a en Gascogne [sic], que ceux de sa maison possèdent depuis plus de 600 ans, a dégoûté beaucoup de Catalans, parce que c’est contre les privilèges et Constitutions de Catalogne, que le vicomte de Joch a été le premier noble titré qui se soit déclaré et signalé au début de la guerre en faveur de la France, et qu’avec une compagnie d’infanterie de ses vassaux il conserva Cadaqués.
Vu l’injustice qui lui a été faite, des gens peu fidèles (los poco affectos) le sollicitaient pour que, suivant les lois et coutumes de Catalogne et des citoyens de Barcelona, il lançât une menace de marca y represàlia (vengeance en règle) pour récupérer son dû ; ce que ledit vicomte n’a voulu ni ne veut faire, mais plutôt recourir aux députés du Principat et conseillers de Barcelona pour qu’ils interviennent auprès de Leurs Majestés et des ministres suprêmes, de la bénignité desquels il espère toute faveur et grâce »[422].
Le récit de Pujolar vient donc augmenter la puissance et le caractère général des raisons du vicomte de Joch et de ses publicistes. La nouvelle stratégie adoptée par ce dernier était de dramatiser la situation afin de faire peser davantage de poids sur les avocats au Conseil. En clair, jouer sur le contexte de guerre et la sensibilité de la situation en Catalogne menacée de révoltes afin d’influencer la cour en sa faveur.
Un dernier texte émanant de Perapertusa, cette fois manuscrit et non imprimé, datant de 1646 environ, se trouve dans les archives du Ministère des Affaires étrangères. Dû à une plume française que nous ne pouvons identifier, adressé aux souverains, il a été envoyé à la cour[423]. A plusieurs reprises, on le voit, Perapertusa a fait appel à des juristes français. Le fait est suffisamment rare – le seul autre exemple réside dans le factum commandé par les consuls d’Empúries contre Emanuel d’Aux et cité au chapitre précéent – pour être signalé et commenté. Nous ne savons pas si Perapertusa lui-même maîtrisait le français et possédait des relations de l’autre côté de l’ancienne frontière, mais la particularité de sa famille permet de le penser. Du moins il avait suffisamment de commidité avec des Français pour commander ce texte écrit dans une calligraphie tout à fait typique du Nord de la Loire. Ce texte revient abondamment sur la plupart des étapes que nous venons de voir, en leur insufflant à chacune de nouveaux fondements juridiques mais aussi politiques. Pour la première étape – opposition de Perapertusa à la juridiction du Parlement de Toulouse dès 1644 – on voit des thèmes extra-judiciaires (hauteur de la naissance, considération des services) et territoriaux, comme un intéressant concept de citoyenneté barcelonaise ajouté aux dispositions du traité de Péronne…
« Il plaira au roy et a la royne Regente sa mere, de considerer en l’affaire du sieur vicomte de Jocq baron de Rambouillet [sic] et autres places.
1° Que c’est un seigneur de haulte condition dans la Catalongne qui a bien merité de l’Estat dans ceste province en sa reunion a la couronne de France et continue encore ses services pour leurs Majestes.
2° Qu’il est Citoyen de Barcelonne, et doibt jouir des privileges que leurs Majestez ont promis par le serment des vices Roys envoyez de leur part de maintenir et conserver inviolablement, et que pour estre de qualité il ne doibt estre privé des droicts et privileges des autres habitans et Citoyens, au contraire ils doibvent avoir lieu plus inviolablement en sa personne, soit par la consideration de sa naissance, soit par la consideration de ses services […] »
Cette demande de changement de juridiction est affinée au dernier degré : il y a deux affaires, et non une seule. Certes, la demande de Perapertusa pour récupérer Rabouillet avait été portée au Parlement de Toulouse car la seigneurie se trouvait dans son ressort. Mais l’opposition faite ensuite par le duc d’Epernon, portant sur la restitution des fruits de la chambrerie de Lagrasse, est une affaire différente et ne devait pas être portée devant cette cour puisque les seigneuries concernées sont en Catalogne (le mémoire dit que l’abbaye de Lagrasse est en Catalogne, ce qui est faux[424]). Argument très fragile, puisque le mémoire développe au 2° que Perapertusa est citoyen de Barcelona et que c’est une des raisons pour lesquelles il doit être jugé par le tribunal souverain de Catalogne : ce qui de toute façon rend contestable la première requête de Perapertusa en 1642… Autre argument, de nature très différente, très politique : le Parlement de Toulouse est « en la province de laquelle le sieur duc d’Espernon est gouverneur et a tout credit et authorite ».
Lorsqu’il revient sur la seconde étape – les manœuvres déloyales des complices d’Epernon après l’évocation au Conseil par arrêt en commandement de mai 1645 – et sur ses suites, le texte met en jeu des notions propres à la tradition française, qui étaient jusque-là totalement absents de l’argumentaire. Ce métissage de cultures juridiques et politiques, dû à un auteur français, est tout à fait passionnant. On apprend qu’Epernon, qui avait obtenu un arrêt simple du Conseil déboutant le vicomte de Joch, dont la légalité était contestée par les avocats de ce dernier, avait ensuite obtenu des « lettres d’Etat », qui sont des lettres de grande chancellerie contresignées d’un secrétaire d’Etat où le roi ordonne de surseoir toutes les poursuites qui pourraient être faites contre le bénéficiaire, pendant une période de six mois. D’abord Epernon, lit-on, « veut fuir la justice de leurs Majestés ». En effet, selon la loi française, des lettres d’Etat sont adressées à des juges subalternes, mais ne peuvent pas interrompre le cour de la justice suprême représentée par le Conseil.
« Il faudroit qu’elle [Sa Majesté] se mandast de surçoir le cours de sa justice qu’elle rend elle mesme continuellement, ce qui se contredist […]. [Il ne] peult avoir de presumption que la justice ne soit pas sy bien rendu au Conseil de Sa Majesté a cause de l’absence des parties, puis que c’est la source de la justice tousjours une et ayant son cours continuel et salutaire pour toutes sortes de personnes sans aulcune interruption, aussy est-il inouy, et jusques a pnt. n’a point este pratiqué, qu’aulcunes lettres d’Estat ayent esté expediees pour arrester le cours des affaires qui se traictent au Conseil de Sa Majesté »[425].
Le thème de la « source de la justice toujours une », cher aux publicistes français du XVIIe siècle, qui pendant la Fronde sera repris par les parlementaires pour leur propre compte, n’aurait jamais pu sortir de l’imagination d’un juriste catalan, car l’esprit des institutions de la monarchie espagnole et des institutions catalanes sont totalement autres. En passant à la souveraineté française, les Catalans ont juxtaposé leurs propres institutions aux traditions françaises. Cette juxtaposition ne signifie pas annihilation ou travestissement, mais plutôt émulation et enrichissement mutuels des législations.
L’autre argument opposé à la validité des lettres d’Etat mêle lui aussi de façon très serrée les raisons juridiques et les raisons politiques. Il fait directement appel à la conception même de la soumission de la Catalogne à la France, et pose une question fondamentale : les Catalans sont-ils désormais considérés comme des sujets du roi de France à part entière, des régnicoles, ou comme des habitants de seconde zone ?
« Le sieur viconte de Jocq n’estant point demeurant en France, quoy que tres fidele subjet et serviteur de leurs Majestez, mais estant demeurant en la province de Cathalongne, citoyen de la ville de Barcelonne dans l’extremité du royaume, ne doibt pas estre moings favorablement consideré que seroit un estranger d’un Estat ou allié ou en la protection de la couronne qui demanderoit justice dans le royaulme et devant leurs Majestés ; et non seullement il seroit contre la bienseance, mais contre l’ordre qui est en usage et mesme contre le droit des gens et contre la justice commune et universelle d’octroyer des lettres d’Estat a un François estant en France contre un estranger non demeurant dans le royaulme, et qui seroit venu demander la justice au Conseil de Sa Majesté »[426].
Le texte fait une subtile différence entre la France – dans l’étendue de laquelle Perapertusa ne réside pas – et le « royaume » : Barcelona est située en Catalogne, ce qui correspond bien au royaume, à l’ « extremité du royaume ». Perapertusa n’est donc pas un étranger, et pas forcément un régnicole, mais un sujet du roi. La frontière du traité de Corbeil est abolie. La raison principale pour laquelle il se voit défavorisé est encore plus brûlante : le roi est alors âgé de sept ans, l’accusation de détournement de la volonté souveraine est implicite. L’acte, émané de la grande chancellerie, peut avoir été expédié sur les instances du chancelier seul, sans jussio du souverain, en raison du crédit du duc d’Epernon.
« Les lettres d’Estat que le sieur duc d’Espernon a obtenues sont un effect de sa vexation, lequel par la faveur qu’il a aupres de personnes de consideration a faict sceller lesd. lettres, et en cella surpris la religion de Monseigneur le Chancelier, qui n’eust eu garde de sceller lesd. lettres sans un expres commandement de Sa Majesté puisque cella choque les privileges de la province de Cathalongne […] ayant led. sieur d’Espernon madame sa femme et monsieur de Candalle son fils proches de la personne du roy qui peuvent bien mieux agir qu’un seigneur catalan qui est a deux cens cinquante lieues, qui n’a pour la deffence de sa cause que la justice du roy et de sa mere »[427].
Tous ces passages, dont l’examen peut paraître fastidieux et répétitif, montrent l’ingéniosité des docteurs français et leur capacité à mettre à profit dans leurs démonstrations l’aspect exceptionnel et neuf de la situation. Il appert que l’interprétation des lois générales au cours des procès particuliers forme le corps d’une législation que la couronne ne prenait jamais le temps de fixer.
La suite de l’affaire de Perapertusa est d’ailleurs bien symptomatique de l’enchevêtrement du politique et du judiciaire. Le factum de 1688 reprend la narration après avoir passé sous silence tout ce qui s’était déroulé entre 1645 et 1647… Cette année-là, l’abbé de La Rivière, abbé commendataire de Lagrasse et favori de Gaston d’Orléans, fait de nouveau parler de lui : « dans le temps que monsieur l’abbé de la Rivière, lit-on, formoit pour ses interests particuliers des desseins qui ont eu de si malheureuses suites et que monsieur le duc d’Espernon au contraire s’appliquoit d’un autre côté à les prévenir dans la province de Guyenne »[428], Perapertusa se rapproche de La Rivière qui obtient le 29 mai un arrêt signé « Gaston » ordonnant le renvoi de l’affaire à l’Audience de Catalogne. La dernière phrase fait évidemment référence aux agissements de Louis Barbier de La Rivière (1595-1670), qui pendant la Fronde intrigua entre le parti de Gaston d’Orléans, celui de la régente et celui de Condé afin d’obtenir le chapeau de cardinal et finit par recevoir l’évêché de Langres en 1655[429]. Les circonstances toutes particulières du rendu de cet arrêt ne renforcent pas la cause du vicomte de Joch, bien au contraire. Pris dans les grands changements du temps, Antoni de Perapertusa quittera finalement l’obéissance du roi de France en 1652, après la révolte du Conflent selon l’abbé Capeille[430], plus vraisemblablement en raison de la chute de Barcelona qui fera repasser la plupart de la Catalogne sous la coupe de Philippe IV. Opportuniste ou habile, de toute façon soucieux de son patrimoine, Perapertusa ne cessera dans les années qui suivront d’échafauder des systèmes afin de le sauvegarder et de le garantir à travers les changements politiques. En 1653, une fois tous ses biens du Roussillon confisqués, le vicomte utilisera son ami Castéras, baron de Sournia et lui aussi possesseur de terres situées sur la frontière et limitrophes de ses seigneuries, qui prétendra en avoir obtenu le don. Philippe Lazerme insiste aussi sur ce point marquant : en juin 1659 Antoni de Perapertusa mariera sa fille Maria à Benjamin de Bournonville, marquis de Risbourg, veillant bien à ne pas faire de contrat de mariage entre les époux pour parer les changements politiques redoutés, après un cessez-le-feu signé le 9 mai 1659, et avant de savoir que le traité des Pyrénées serait signé le 7 novembre[431]… Après ce traité, la cause sera portée plusieurs fois devant le Conseil par le duc d’Epernon, puis après sa mort en 1661 par monsieur de La Reynie, héritier de certains de ses droits. La propriété lui sera adjugée par un arrêt de 1665, Perapertusa s’engageant à une nouvelle fois à restituer les sommes dont il se trouverait redevable. Mais Perapertusa mourra le 8 novembre 1676 à Barcelona, sans avoir rien versé selon son habitude, mais sans avoir pu recouvrer ses seigneuries du royaume de France[432]. Son petit-fils, François de Bournonville, marquis de Rupit[433], s’opposera encore, jusqu’en 1688 au moins, à Antoine de Pujols, héritier lointain des droits du duc d’Epernon, en se basant sur le nouveau traité signé entre les deux couronnes en 1678 : la paix de Nimègue[434]… De génération en génération, de traité en traité, cette affaire est un défi lancé à toute interprétation hâtive et à toute simplification historique.
[1] VIDAL I PLA, Jordi, Guerra dels Segadors i crisi social. Els exiliats filipistes (1640-1652), Barcelona, Edicions 62, 1984.
[2] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p. 101.
[3] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p.92.
[4] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p. 95 et 109.
[5] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p. 96-97.
[6] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p.79-81.
[7] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p.78.
[8] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p.54-55. Il s’agit de Sant Marçal, château situé sur la commune de Cerdanyola del Vallès (Vallès Occidental, province de Barcelona).
[9] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p.99.
[10] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p. 102. SANABRE, p.609.
[11] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p. 102.
[12] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p. 78.
[13] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p.87.
[14] VIDAL, Guerra dels Segadors i crisi social…, p. 100.
[15] BNF, Baluze 103 (fol.116-130v), Instruction donnée a monseigneur le comte d’Harcourt s’en allant en Catalongne, 18 janvier 1645.
[16] BNF, Français 4200 (fol.218v-219v), Lettre de Le Tellier à Marca, 4 octobre 1645.
[17] ACA , Cancilleria, Intrusos 127 (fol.244), Ordre à Pacia Roca, scrivà de manament et regent de la protonotaria du Principat de Catalogne d’apposer le sceau au privilège de gouverneur et procureur du duché de Cardona donné en faveur de Pau Faget, abbé de Santa Fe, malgré le refus de Jacint de Vilanova et de Jeroni Cornell (après supplique dudit abbé), 2 septembre 1645. Paul de Faget (1608-1688), fils de Jean de Faget et de Marguerite de Lartet, cousin germain de Pierre de Marca (dont la mère, Catherine de Lartet, était la sœur de Marguerite), sera agent général du clergé de France et publiera en 1668, après sa mort, une Vita Petri de Marca, revendiquant contre Etienne Baluze l’héritage de Marca.
[18] BNF, Français 4200 (fol.216-218v), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 4 octobre 1645.
[19] BNF, Français 4216 (fol.202v-204), Lettre de Marca à Le Tellier, 4 octobre 1645.
[20] BNF, Français 4172 (fol.302-302v), Lettre au comte d’Harcourt pour lui faire payer la somme de XX 9 livres sur les revenus du duché de Cardonne, 8 décembre 1645. « […] comme vous estes obligé a diverses grandes despences pour soustenir avec la dignité convenable les charges et le rang que vous tenez » ; (fol.302v-303), Lettre du roi à Marca pour que les 20 000 livres soient versées sans difficulté à d’Harcourt, 8 décembre 1645 ; (fol.303-303v), Ordre au séquestre des revenus du duché de Cardonne de délivrer 20 000 livres au comte d’Harcourt, 8 décembre 1645.
[21] BNF, Français 4200 (fol.265v-267v), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 9 décembre 1645. Il l’informe que Marca lui a écrit qu’il y avait 9000 livres catalanes qui vallent 21000 livres françaises de revenant bon du duché de Cardona, le roi a trouvé bon de gratifier d’Harcourt de 20 000 livres sur ce fonds.
[22] BNF, Français 4216 (fol.227-228), Lettre de Marca à Le Tellier, 12 décembre 1645.
[23] BNF, Français 4201 (fol.15-16v), Lettre de Le Tellier à Marca, 11 janvier 1646.
[24] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.57-57v), Ordre à Bru de payer 100 livres à l’université de la ville de Salas pour « aiuda de costa » afin de construire un pont, qui devaient être payées – décret du 14 décembre – par Pau Faget, procureur général du duché de Cardona et marquisat de Pallars, ce qui n’a pas été exécuté, 10 février 1646.
[25] BNF, Français 4216 (fol.320-322v), Lettre de Marca à Le Tellier, 16 avril 1646.
[26] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.88-88v), Création de Francesch Nin, notari real, ciutadà de Barcelona, comme contador general du duché de Cardona, 17 avril 1646.
ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.88v-89), Création d’Antoni Joan Dulach, ciutadà de Barcelona, comme ajudant de comptador du duché de Cardona, 17 avril 1646. Antoni Joan Dulach est le frère d’Isabel Dulach, veuve de Pere Lacavalleria, qui obtiendra d’Harcourt divers privilèges exorbitants (voir infra).
[27] BNF, Français 4217 (fol.48-53), Lettre de Marca à Le Tellier, 18 mars 1647. « Comme la seule aversion de M. le comte d’Harcourt fut la cause que l’abbé Faget mon cousin fut dechargé de l’administration de Cardonne, je vous suplie, Monsieur, maintenant que cette cause cesse, trouver bon qu’il en continue l’exercice… ».
L’expédient trouvé, qui joue encore une fois sur des nuances juridiques, est de dire que Faget n’avait jamais été révoqué de sa charge d’administrateur général, mais qu’il avait simplement été « absent » et que « d’autres personnes avaient exercé le séquestre pendant son absence ». ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.278v-280), 4 mai 1647, Confirmation de Paul de Faget comme administrateur des états qui furent du duc de Cardona, par le prince de Condé.
[28] Les circonstances politiques de ces évènements seront expliquées plus largement infra en Troisième partie, I. 1. Et 2, dans les chapitres consacrés aux vice-royautés du Cardinal de Sainte-Cécile et du maréchal de Schomberg. Schomberg nommera deux administrateurs généraux parmi ses amis, les sieurs de Pauillac puis, après sa mort, le sieur de Mussy, afin de frustrer Marca, mais Faget récupèrera finalement sa charge.
[29] BNF, Français 4218 (fol.168v-169v), Mémoire pour dresser des lettres patentes en faveur de l’abbé Faget pour l’administration des revenus du duché de Cardone, et sur le choix d’un administrateur pour les revenus dudit duché, 1648. Nous donnons infra l’édition de ce texte, qui montre la défiance de Marca envers les Catalans : Troisième partie, I. 1.
[30] AMAE, CP Espagne 29 (fol.61-62), Lettre de Mario Leoncelli à Mazarin (italien), 20 mai 1648. « Nel privilegio S.E. me concede tutti gli emolumenti soliti, li quali sono […] d’uno reale per lira a ragione di 10 per cento… »
[31] SHD, A1 108 (fol.28v-29), Lettre du Roy a don Francisco Tamarit touchant le sallaire des administrateurs du duché de Cardonne, 27 juillet 1648.
[32] BNF, Français 4217 (fol.416), Lettre de Marca à Le Tellier, 2 décembre 1648.
[33] SHD, A1 108 (fol.237v-238v), Lettre du Roy a don Francisco Tamarit, lieutenant du Mestre Rationnal de Catalogne pour allouer un Real pour livre du maniement de ceux qui seront commis aux sequestres de Catalogne, 18 décembre 1648. « Nous vous avions mandé par notre lettre du XXIII du mois de juillet dernier de repasser dans les comptes que le sieur abbé Faget rendroit devant vous de l’administration qu’il a fait des revenus du duché de Cardonne que la somme de six cent livres Barcelonnoises par an, pour toutes ses vaccations et salaires. Et parce que nous avons esté depuis avertis que dans les comptes de ceux qui ont eu le sequestre des biens tant eclesiastiques que seculiers en Catalogne, il leur a esté alloué un real pour livre de leur maniement, que lr sieur Leoncelly qui a eu depuis led. abbé Faget la meme administration des revenus dudit duché a esté traitté de cette sorte et que nous avons veu par le decret de notre tres cher et tres amé cousin le prince de Condé du quatre may 1647 donné pour restablir led. abbé en ladite administration qui ordonne qu’il ait receu le meme sallaire qu’il a fait aux comptes precdents, et dans les comptes qu’il a rendus de l’année 1645 il luy a esté accordé au real pour livre par l’advis du Conseil tant pour ce sujet, n’y ayant pas d’apparence de traitter led. abbé differemment de ce qu’il a esté cy devant en meme occasion ny autrement qu’a esté ledit Leoncelly, d’autant meme que ledit sieur abbé s’est acquitté de l’administration avec beaucoup de fidelité et de bon menasge, dont il nous demeure une entiere satisfaction ; nous vous faisons cette lettre par l’advis de la reyne regente notre tres honorée dame et mere par laquelle nous vous mandons et ordonnons de passer et allouer aud. abbé un real pour livre des deniers de lad. recette tout ainsy qu’il a esté fait en ses comptes de lad. année 1645, et en conformité tant du decret de notredit cousin le prince de Condé que de la presente en vertu de laquelle vous en demeurerés bien et valablement deschargés… ».
[34] SHD, A1 107 (fol.13-13v), Lettre du roi au Mestre racional pour faire que Marca soit payé de 13 500 livres de ses appointements de conseiller d’Etat pour 1644, 1645 et 1646 à prendre sur les revenus du duché de Cardona, 3 janvier 1648. Une seconde lettre (fol.68-69, 14 février 1648) ajoute l’année 1647, soit 18 000 livres en tout. Une troisième (fol.89v-90), enfin, précise que les gages de conseiller d’Etat devront être payés en monnaie de France…
[35] ACA, Cancilleria, Intrusos 129 (fol.33v-34), Ordre du vice-roi au trésorier général du duché et autres états confisqués de Cardona de lui donner tous les fruits du sel, 2 mars 1647.
[36] SHD, A1 103 (fol.92-92v), Lettre du roy a monsieur le comte d’Harcourt pour lui donner advis de la gratiffication que le roy luy a fait de ce qui peut estre deu du revenu du duché de Cardonne outre le XX.ll que l’on luy avoit accordé sur ledit revenu, 22 février 1647.
[37] ACA , Cancilleria, Intrusos 127 (fol.307v-308), Ordre à Jaume Bru, régent de la trésorerie royale, de payer au vice-roi 1000 livres par mois, commençant leur paiement le 24/12/1644, pour salaire de sa charge « de qualsevol diners a vostres mans pervinguts y que la proxime pervindran de dita Real Traezoraria y spetialmente dels quels prevenen del comptat de Santa Coloma la Real y de la hasienda confiscada de don Luys Descallar », 12 octobre 1646.
[38] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.132-132v et fol.155-155v), notamment.
[39] Dietaris…, vol V, p.1026.
[40] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.315v-316), Ordre de consignation sur les fermiers des biens de Lluis Descallar de 1574 livres en faveur de Leonard Serra, mercader de Barcelona, 22 mars 1647. « … la real tresoreria deventnos quatre mil setcentas vuit y quatre llures y vuyt sous per raho de nostre fou de virrey y capita general y no haventhi ara en ella diner effectiu par a pagarne diversas personas a qui devem nos havem deliberat encarregar ».
ACA, Cancilleria, Intrusos 118 (fol.1-1v), Consignation à Leonard Serra sur les fermiers du comté de Santa Coloma la Real de la somme de 3150 livres 8 deniers à compte du salaire de vice-roi, la trésorerie royale devant au comte d’Harcourt 4724 livres et 8 sous pour son salaire, 22 mars 1647.
[41] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.274v-278v), Don à Leonard Serra, mercader de Barcelona, du terç de Grions, viguerie de Girona, qui était du comte de Vallfogona, pour diverses services, entre autres avoir fait partie de la 24e de guerre au début des hostilités, 21 mars 1647.
[42] ACA, Cancilleria, Intrusos 112 (fol.258v-259v), Ordre à Leonard Serra, trésorier général du duché et états de Cardona, de payer 300 livres à Diego Monfar, cavaller, arxiver y escrivà de manament, pour avoir classé les papiers du duché de Cardona, 10 septembre 1648. Leonard Serra avait fait procéder à ce classement pour favoriser l’utilisation juridique des documents (« seperant los papers utils dels inutils, y recondint aquells en una de las ditas caxas apart »).
[43] Cf. supra : Première partie, II. 3.
[44] VIDAL…, p.108-109.
[45] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.131-131v), 7 décembre 1646.
[46] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.248-252v), 15 avril 1647.
[47] VIDAL…, p.100.
[48]ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.113v-115v), Divers ordres de paiements à Bru en faveur d’artisans et d’ouvriers, sur les 4000 livres qui avaient été déposées par le syndic du lieu de Copons à la table de Barcelona en faveur de Baltasar Cárcer, criminel de lèse-majesté, pour diverses réparations (« ajustar y obrar les cases confiscades del duch de Cardona y comptes de Santa Coloma y de Vallfogona »), 21 juin 1646.
A la fin du mois d’août, le paiement n’ayant pu être fait sur la somme mise à la table de Barcelona, le trésorier Bru reçoit ordre de le réaliser sur les premiers deniers qui viendront des fermages des comté et baronnie de Peralada (ACA, Cancilleria, Intrusos 145, fol.145-147, 30 août 1646).
En 1648, le Cardinal de Sainte-Cécile fera de nouveau appel au charpentier Jaume Llobet pour des travaux dans le jardin du comte de Vallfogona (ACA, Cancilleria, Intrusos 128, fol.196v, 11 avril 1648, Ordre à Sangenís de payer 69 livres à Jaume Llobet pour des réparations sur les ordres de Marca dans le jardin du comte de Vallfogona).
[49] ACA , Cancilleria, Intrusos 127 (fol.261v), Ordre à Francesc Sangenís de payer 250 livres 15 sous à Jean Dupin, secrétaire du sieur de Marca, pour les travaux qui se sont faits dans la maison qu’habite Marca, 9 février 1646.
[50] VIDAL…, p. 100-201. Ramon Berbegal, de Lleida, rapporte qu’on vend ses biens pour 27 500 livres, « a bajo precio ».
[51] Andreu Pont est issu d’une famille distincte de celle du docteur Pere Pont, abbé de Sant Pere de Rodes, avec qui il a été souvent confondu ; il appartient aux Pont d’Osséja. Abbé d’Amer et de Rosas de 1643 à 1658, il mourra en 1658 à Perpignan. LAZERME, t.III, p.80.
[52] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.37v), Ordre à Sangenís de ne pas réclamer les loyers dus pour la maison qu’habite Andreu Pont, abbé d’Amer et Roses, et qui était de Garau de Guardiola, depuis le dernier mois d’avril jusqu’à nouvel ordre de S.A., 13 novembre 1645.
[53] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.312-313), 22 mars 1647. « Establim y en emphiteosis concedem… les dites cases a dit annuo cens… ».. Ordre est donné à Bru d’établir « com a tresorer […] l’acte de stabliment » à Tàpies. L’absence de clause de restitution neutralise quasiment la réciprocité de la concession, aucun contrôle précis n’étant prévu sur le déroulement ou non des travaux dans la maison. Plus encore, Tàpies pouvait faire ces travaux pour son propre profit, ayant semble-t-il la faculté d’augmenter postérieurement le loyer. Il faudrait retrouver l’original de l’acte supplémentaire dressé par le trésorier Bru – s’il a existé – afin de confirmer ou d’infirmer ces hypothèses juridiques touchant au droit des obligations.
[54] La date de la sentence royale faite par Tàpies (28 mars 1647) est donnée dans un ordre de paiement sur ces biens : ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.308v-309), 21 avril 1647.
[55] En 1648, il obtiendra même de Schomberg le don des biens du conspirateur Josep de Amigant (ACA, Cancilleria, Intrusos 120, fol.57v-61, 25 septembre 1648). Voir infra : Troisième partie, I. 2.
[56] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.138v-139), Ordre au trésorier Bru de payer sur les revenus des biens confisqués du comte de Peralada et vicomte de Rocabertí 202 livres à Josep d’Ardena pour « pensions discorregudes y degudes fins a disset del mes de fabrer del any mil sis cents quaranta y sinch de un censal de pensio annual » de 20 livres lesquels biens sont obligés à d’Ardena, 19 août 1648.
[57] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.308v-309), Ordre au trésorier Bru de payer sur les biens confisqués de feu Onofre Aquiles, mercader, 600 doubles d’or à Josep d’Ardena, cf. sentence royale de Balthasar Tàpies promulguée le 28 mars 1647 , 21 avril 1647. Voir aussi les circonstances de la conjuration de Barcelona supra : Deuxième partie, I. 2.
[58] Par exemple, les nombreux censals que le comte de Santa Coloma de Queralt payait au monastère de l’ordre des Mercédaires situés dans cette ville, dont les quittances sont consignées dans le registre des paiements du trésorier Bru (ACA, Cancilleria, Intrusos 140, fol.210v-212, Quittance faite au trésorier Bru le frère Francesc Mas, religieux de l’odre de la Virgen Maria de las Mercedes, commandeur du monastère de Santa Coloma de Queralt, pour des pensions de censals que font les biens du comte de Santa Coloma audit monastère, 2 août 1645).
[59] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.270), Ordre à Sangenís de payer sur les revenus des biens du marquis d’Aitona aux obrers de Nostra Senyora del Pí 24 livres pour 4 pensions impayées pour 1642, 1643, 1644 et pour 1645 « de aquella charitat que dits marquesos acostumaven donar cascun any per dotze ciris, donavan per la luminaria del muniment de dita iglesia », et de payer à l’avenir 6 livres par an pour cette charité, 4 mars 1645.
[60] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.168-169), Ordre à Bru de payer sur les revenus des biens de don Miquel Çalbá, confisqués, 48 livres aux obrers de Nostra Senyora del Pí pour 8 pensions non touchées pour 1639, 1640, 1641, 1642, 1643, 1644, 1645 et 1646, de la charité que don Miquel Çalbá donnait et payait chaque année pour 12 cierges pour le luminaire du monument, qui se fait chaque année les jeudis et vendredis saints (acte reçu par Josep Soldevila not. de Barcelona le 12 mars 1637) ; il paiera 6 livres par an pour cette charité, « y que si les armes de Çalba seran en la brandonera estan quant creman dits ciris las ne faran borrar fenthi posar las de sa Magestat », 18 avril 1646.
[61] BNF, Français 4216 (fol.374-376v), Memoire de la ferme des biens confisquez (par Marca), juillet 1646.
[62] Sur la complexité de la fonction de Sangenís, voir supra : Première partie, III. 2.
[63] BNF, Baluze 123 (fol.271-271v), Project du don de quelques confiscations (envoyé avec la lettre du 5 juin 1645). Nous donnons une édition de ce mémoire (Document n°12) Voir son contexte précis supra : Deuxième partie, I. 2.
[64] BNF, Français 4216 (fol.374-376v), Memoire de la ferme des biens confisquez (par Marca), juillet 1646.
[65] BNF, Français 4217 (fol.85v-89), Lettre de Marca à Le Tellier, 15 mai 1647.
[66] BNF, Français 4217 (fol.262-266), Lettre de Marca à Le Tellier, 25 mars 1648.
[67] ACA, Cancilleria, Intrusos 124 (fol.204-208), Don à Francesc Sangenís de la Torre d’Alella, confisquée au marquis d’Aitona, ainsi que 214 livres 16 sous de rente reçues par le marquis de Villasor, 7 octobre 1648.
[68] ACA, Cancilleria, Intrusos 121 (fol.91-98), 22 octobre 1648. « […] ex abyssu in coelum cum tribus portalibus extra in viis publicis aperientibus duobus scilicet rotundis videlicet uno in vico de Moncada alio vero in vico den Claret et alio quadrato in angulo dictae domus sive en lo Canto in quo est hodie quedam cotxeri cum introhitibus exitibus curibus et pertinentiis suis […]. Et terminantur dicte domus ex una parte cum dicto vico de Moncada ex altera parte cum domibus nobilis Eulariae de Nadal et de Ripoll viduae relictae Hyeronimi de Nadal quondam domicelli ex alia parte cum domibus heredum successorum Magini Vilamajor et cum domibus Josephi Lloreda droguerii et ex alia parte cum domibus nobilis Bernardi Terre partim et partim cum domibus Petri Martiris Caseres civis honorati Barcinonae et ex alia parte cum dicto vico den Claret ».
[69] SANABRE, p. 614.
[70] SANABRE, p. 610.
[71] BNF, Français 4217 (fol.117-122v), Lettre de Marca à Le Tellier, 26 juillet 1647.
[72] BNF, Français 4200 (fol.51v-53), Lettre de Le Tellier à Marca, 5 mars 1645.
[73]AMAE, CP Espagne 26 (fol.89-89v), Razones porque los Cathalanes dezean que su Mag.d honre y aga merced al sr Conde de Chabot del Governamiento de Rosas, avril 1645. « Porque su Mag.d en los pactos con se le entregaron los Cathalanes en el Cap.o 8° prometio que todos los governamientos de Plasas daria a Cathalanes. Y porque esto no es, y el Conde habla Catalan, y estimado de todo el pueblo por tal, y mas amado que si fuera natural.
Porque los Cathalanes se hallan tan obligados a los servicios quel Conde desdel principio de la guerra continuadamente ha hecho al Rey, y Principado, que si su Mag.d huviese tenido Cortes le huvieran suplicado le naturalisase Cathalan, y sin dudo lo pidira a las primeras. […]
Porque quando governo a Flix, y demas lugares de la Castellania de Emposta y Baronias de Entensa, y Ribera de Ebro, fue con tan general aplauso, que haviendo los habitantes tenido noticia havia resuelto de venir a la Corte embiaron sindicos a los Deputados del Principado, y Conselleres de Barcelona porque intercediesen con el M.a de la Motte afin que le ordinase bolviese al govierno de dicha plasa, y villas, cuyos vezinos lloraran de sentimiento.
[…]
Y finalmente por hazer favor y merced a los Deputados del Principado, y Conselleres de Barcelona que lo dezean, y an escrito en su favor, por dar un general contento y alegria a todos los Cathalanes, y que estos vean que su Mag.d y sres ministros supremos honran a los señores francesos que son de los amados por sus buenos terminos, generosidad y virtud ».
[74] AMAE, CP Espagne 26 (fol.106), Lettre des députés du general du Principat de Catalogne (signé de l’abbé de Galligans) à Mazarin, pour attester des mérites du comte de Chabot et appuyer une grâce en sa faveur, 22 mai 1645.
[75] AMAE, CP Espagne 25 (fol.106), Lettre de Mazarin aux conseillers de Barcelona leur disant que la satisfaction qu’ils témoignent du Comte de Chabot l’incite à lui rendre office auprès de la reine, 15 juin 1645. Une autre lettre du même jour aux députés du Principat de Catalogne, sur le même sujet, se trouve au même folio.
[76] Voir supra les circonstances et le déroulement de l’affaire Morell, Deuxième partie, I. 2.
[77] AMAE, CP Espagne 26 (fol.158), Lettre de l’abbé de Galligans à Mazarin le priant, au nom de tout le Consistoire, d’honorer le comte de Chabot dans la prétention qu’il a du marquisat d’Aitona, car il donne toute satisfaction à la province , 10 juillet 1645.
[78] AMAE, CP Espagne 25 (fol.134-137), Lettre de Mazarin à Harcourt (minute de la main d’Hugues de Lionne), fin juillet 1645.
[79] BNF, Français 4200 (fol.154-157), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 20 juillet 1645.
[80] BNF, Français 4200 (fol.162v-164), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 2 août 1645.
[81] BNF, Français 4216 (fol.225-225v), Lettre de Marca à Le Tellier, 8 décembre 1645.
[82] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.48-50), Don à Charles Chabot, comte de Sainte-Aulaye, maréchal de camp, du séquestre des biens confisqués « i secrestats » dans la viguerie de Tortosa, castellania de Emposta, Ribera de l’Ebre, et baronnie d’Entença, 17 janvier 1646. Il s’agit de la zone située à l’embouchure de l’Ebre, entre Tortosa et le littoral, dans l’actuelle province de Tarragona, comarca del Baix Ebre.
[83] ACA, Cancilleria, Intrusos 117, fol.75-75v, 12 janvier 1646
[84] ACA, Cancilleria, Intrusos 117, fol.81-81v, 18 janvier 1646. « […] per quant haveu duptat de posar lo sagell real al dos de unes lletras del segrest que nos havem donat al egregi comte Carlos Xabot comte de St Aulaya mariscal de camp »
[85] BNF, Français 4201 (fol.59v-60v), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 22 février 1646.
[86] Voir supra : Deuxième partie, I. 2. et édition : Document n°14.
[87] BNF, Français 4201 (fol.156-161), Lettre de Marca à Le Tellier, 24 avril 1646.
[88] Voir les premières confiscations sous l’aurorité de la Generalitat supra : Première partie, I. 2.
[89] « Sereníssim senyor. Los deputats del General de Cathalunya han tingut notícia que vostra alteza ha donat lo segre(s)t de las hasiendas confiscades dels habitants en Tortosa al comte Chabot, lo qual, en virtut de dit segrest, ha cobrat molta quantitat. Las quals haziendas, o la major part de aquellas, toca al General de Cathalunya per haver-las confiscades, en dit nom, en temps hàbil. Y axí, demanan que vostra alteza sie servit remediar lo sobredit, fent de manera que lo comte Chabot restituesca lo que té cobrat del General y que lo dit General puga cobrar, ensdevenidor, lo que li toca sens destorp algú ».
(Dietaris…, vol. VI, p.175-176, 28 avril 1646).
[90] « Dissabte, a VII. En aquest die vingué y comparegué, en la tarda, en lo consistori de ses senyories Bonaventura Closa, secrestador dels béns confiscats de mal affectes per lo General, lo qual féu la relació següent, ço és, que ell, en exequució de la deliberació feta per ses senyories a 26 de maig passat de 1646 y de la instrucció dit die feta, insertada al peu de dita deliberació, s’és conferit en la Riera de Hebro y, en particular, en las vilas de Móra, Flix, Sco, Benisanet, Miravet, Ginestar, Tivissa, Garcia y Falset, y en las demés vilas de la castellania diu no ser-hi estat per temor dels castellans, per anarhi molt a menut. Y allí, inseguint dit orde, à secrestat en totas las ditas vilas totas las quantitats que lo General, en lo principi de las turbacions presents, secrestà als mal affectes de la ciutat de Tortosa, de les quals havian firmat debitoris al senyor comte Xabot, dient y insinuant-los que, en manera alguna, paguen las quantitats contengudes en dits debitoris a dit comte Xabot ni a altres persones per ell; ans bé, aquelles pagassen a ell, dit secrestador, per compte de la Generalitat, sots pena de dos-centas liuras de béns propis de dits jurats y de cada hu d’ells exhigidores en cas de contrafacció; y axí bé, insinuantlos y notificant-los que, de aquí al devant, no conegan altra persona si no és lo General de Cathalunya y senyors deputats de aquell. Y de la mateixa manera, ha donat y entregat a ses senyories un acte de requeriment per ell, dit Closa, fet a Pau Giner, notari de Flix, lo qual manaren fos continuat en lo present dietari signat de letra A ». (Dietaris…, vol. VI, p. 186, 7 juillet 1646).
[91] SHD, A1 100 (fol.27v-28), Lettre du Roy a mondit sieur le comte d’Harcourt pour faire jouir le chevalier de Chabot des biens scitués sur la Riviere d’Ebre appartenants a des habitans de Tortoze, 18 juillet 1646.
[92] « Lo negoci de las haziendas confiscadas de la vegueria de Tortosa, sent de tanta importància y lo senyor regent estant-ne molt al cap, per haverne ja tractat y conferit vàrias vegadas, no apar convenient nomenar-hi altra persona, majorment que estam ja sobre lo fi de la campanya que, assistits de la omnipotència divina, tornarem tantost tots a Barcelona, ont de propòsit se podrà tractar y resoldre comforme la rahó y la justícia dictaran. Y, en lo entretant, poden vostres senyories estar certs que la mercè diuen del duc de Rohan no se executarà, ni altrament s’y innovarà cosa en prejudici de la justícia ». (Dietaris…, vol. VI, p.811, Lettre d’Harcourt aux Consistoires, 15 octobre 1646).
[93] SHD, A1 103 (fol.68-68v), Lettre du roy a monsieur le comte d’Harcourt pour faire jouir monsieur le duc de Rohan des biens confisqués sur les habitans de Tortoze dont jouissoit le feu sieur de Chabot son frère, 6 février 1647.
[94] Dietaris…, vol. VI, p.178-180 (17 novembre 1646).
[95] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.266-268), 20 mars 1647. « Nos Henricus etc. cum nobis constat regii licentia ad nos transmissa pro parte sue majestatis gratiam esse factam ex.mo domino Henrico Chabot duci de Roan pluribus de causis regum animum moventibus de omnibus bonis redditibus et juribus quibuscumque ad suam majestatem spectantibus tam in baroniis de Entensa quam in tota vicaria Dertusensi jure confiscatis de illis per suam majestatem fate seu etiam fende (?) et instante Leonardo Poullart procuratore generali dicti ex.mi duci de Roan pro ut de sua procuratione constat instrumento recepto apud Emanuelem Benoist not. oppidi de Fentenabert [sic] Regni Galie dei trigesima augusti millesimi septimi quadragesimi sexti pluris nobis petitum sit pro parte dicti ex.mi ducis quatenus dignaremur de supradicta gratia ei privilegium in forma solita concedere. (…) Consedimus dicto ex.mo duci de Roan omnia et quecumque bona reddita et jura tam confiscata quam confiscanda in baroniis de Entensa… ».
[96] Béguin, Katia, Les Princes de Condé, Champ Vallon, 1999, p.81 et 100. Henri de Chabot, duc de Rohan fera partie des nobles frondeurs aux côtés de Condé. Il sera défait en février 1652 à Angers par les troupes royales (p.143).
[97] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.220v-221v), 29 avril 1647. « […] desiyant que en lo temps setardara a pendrerse acort sobre dita pretensio lo dit Duch de Rohan goze dels fruyts rendes y emoluments tant atrassats y deguts fins vuy com dels que per avant cauran y se deuran de les altres haziendes en dita gracia real compreses y no preteses per dits deputats com son la hasienda de Marca y heretat de Vilanova, las haziendas de Alberto de Torme en la vila de Mora, de Gil de Lenioli en Gardesa, de don Joseph Vaquer y Onofre Parera en Batea y altres qualsevols en las quals constatra no pretendrerse cosa alguna per part de dits Deputats… »..
Les lettres exécutoires sont du 31 mai 1647 (ACA, Cancilleria, Intrusos 145, fol.171-171v).
[98] Voir aussi infra la lettre postérieure de l’abbé d’Amer reprenant ce discours (AMAE, CP Espagne 27, fol.405-405v, 7 avril 1648).
[99] BNF, Français 4203 (fol.7v-9v), Lettre de Le Tellier à Marca, 4 janvier 1648.
[100] AMAE, CP Espagne 28 (fol.190v-191), Lettre de Mazarin au Cardinal de Sainte-Cécile (copie), 27 février 1648.
[101] BNF, Français 4217 (fol.266v-267), Lettre de Marca à Le Tellier, 1er avril 1648.
[102] ACA, Cancilleria, Intrusos 119 (fol.96-97), 30 juillet 1648. Référence est faite à la grâce royale du 26 mai 1648, dont nous n’avons malheureusement pas retrouvé la trace.
[103]AMAE, CP Espagne 21 (fol.483-484v), Supplique des conseillers du Conseil des Cent de Barcelona, (1644). « Quinto supp.ca a V.M. que en consideracion de los grandes servitios que la Ciudad de Barcelona ha echos, y continuamente va haziendo a V.M. sea servido hazerle merced (attendiendo a su calidad y grandesa tiene delante su Rey y señor) de algun estado de los confiscados, y vaccantes con el titulo que parecera mas conveniente a V.M ».
[104] Voir supra Première partie, II. 2.
[105] AMAE, CP Espagne 21 (fol.483-484v), Razones porque la Ciudad de Barcelona pide lo de las monedas y demas articulos y las porque puede su Mag.d concederle lo que le supplica (de la main d’Isidoro de Pujolar), s.d. (1644). « Razones por el 5 Articulo sobre la confiscation. En este se ha de considerar que si su Mag.d reparte las confiscationes entre unos, y otros por lo que le han servido, y sirven ninguno ha servido ni todos juntos como Barcelona pues esta ha servido dando sus rentas, sus armas, sus vezinos, sus consejos, sus resoluciones, embiando por coronel a la guerra por dos vezes su conseller en cap con un tercio de 1500 H.es cosa que por el Rey Catholico no lo hizo sino una, y se ha de considerar que el conseller de Barcelona en España tiene calidad de grande ; y assi deve su Mag.d honrar la Ciudad con un estado grande de los confiscados ; y finalmente pues la casa de la Deputacion tiene los estados confiscados del Marques de los Velez parece justo que la Casa de la Ciudad de Barcelona quede honrada por su Mag.d con otro estado de los confiscados ».
[106] BNF, Français 4171 (fol.152v-153v), Lettre missive du roi aux conseillers de Barcelona, 27 mars 1645. Elle évoque l’instance faite par l’ambassadeur de la part de la ville de « quelque seigneurie et terre de celles qui nous sont confisquées [sic] ».
[107] Dietaris…, t.VI, p.44, 7 février 1645. « Per ço, la dita junta, attesas la ditas rahons y moltas altras que en ella són estades discorregudes, és de parer que los senyors deputats, per a poder subvenir y acudir als gastos de dit batalló, no tenen altro remeny en esta occasió sinó és venent alguna o algunas de las proprietats, rendas y lochs e o jurisdiccions que tenen confiscades de mal affectes, y entre altres las baronias de Martorell, per ésser evident que de aquestas se traurà partida de molt gran substància […] ».
[108] Dietaris…, vol. VI, p.48-49, 13 février 1645. « […] fonch finalment resolt en esta gran junta, als set del corrent mes de febrer, que devien, dits deputats, donar obra ab effecte, ab la promptitut que la necessitat demana, y exequutar cumplidament lo parer y consell que ere estat donat per la dita junta dels balans, en la rahó referida, segons que immediadament après fonch y és estat exequutat per dits deputats en lo que fins ara los és estat possible, pus a tots és notori que, encontinent, han manat fer las tabbas y exposar al subhast y encant públich per a vèndrer a carta de gràcia las baronias de Castellví y Rosans, ab totas sas vilas, lochs y jurisdiccions, que òlim foren del marquès de los Veles y vuy del dit General per las confiscacions que en anys atràs féu dels béns de aquell. Emperò, com la exequució de dita venda denote alguna més larga discusió de temps del que pot suportar la necessitat tant precissa y urgent de la remonta y recrua del dit batalló, que de totas maneras prem tant, y qualsevol dilació, encara que mínima, és tan nosiva com la qualitat de la matèria ho insinua evidentíssimament. Per ço, los dits deputats, affiansats del amor y finesa ab què vostra senyoria ha sempre honrat aquella casa y assegurats sobretot que esta ciutat és lo principal amparo y la mà major dels bons progressos de la província, acuden en esta tan apretada occasió y suplican a vostra senyoria sie de son servey voler-los prestar la summa de ditas dotse mília lliures, per a poder ab ellas acudir a la necessitat del batalló en la rahó sobredita, que estas las restituhiran encontinent a vostra senyoria dels diners procehidors de la venda fahedora de ditas baronias, e o dels altres béns confiscats offerint, si serà del gust de vostra senyoria, expressar-ho axí en la tabba del subhast que·s va fent de aquellas per a què, en est conformitat, tinga vostra senyoria tota major seguretat del resguardo del preu que·n resultarà […] ».
[109] Dietaris…, t.VI, p. 92, 3 novembre 1645. « Divendres, a III. En aquest die ses senyories, conciderant lo quant està exausto lo General per las grans summas de diners que deuen, axí per rahó de una immensitat de pensions de censals com de altres dèbits causats per rahó de la guerra y altras, de tal manera que, per a acudir a la solució y paga de aquells, ha aparegut a ses senyories nomenar las personas devallscritas per a què se conferescan ab las personas anomenades per part de la present ciutat, a fi y effecte de tractar y conferir y posar en exequució de què la dita ciutat compre al General las baronies que lo marquès de los Veles tenia en Cathalunya, les quals té confiscades lo General en virtut de resolucions fetas per los brassos generals, y vuy té y posseheix aquelles, y són las següents: lo molt il·lustre senyor fra Miquel Pont, abat de Àmer; lo doctor Barthomeu Viver, sacristà y canonge de Urgell; fra don Francesch de Miquel, del hàbit de sant Joan; mossèn Narcís Ramon March, donzell; mossèn Pau Amat major; mossèn Joseph Ximenis, ciutadà, y mossèn Joseph de Urrea, ciutadà ».
[110] « La universitat de Sant Esteva Sesrovires, baronia de Martorell, nesesita de imposar un corantéc de tots los grans que·s culliran en lo terme de aquella perd poder pagar la contribusió de batalló, per al dit affecte nessesitan del decret y autoritat de vostra senyoria, per ser senyor de dita baronia, per sò y altrament, suplican a vostra senyoria sia de son servey interposar son decret y autoriat a effecte de poder fer dita imposició, que ho tindran a singular gràcia y marçè. Lo offici, etcètera. Altissimus, et cetera. Gismundus Boffill ». (Dietaris…, vol. VI, p.1132, 8 mai 1651).
[111] AMAE, CP Espagne 27 (fol.405-405v), Lettre de l’abbé d’Amer à Mazarin, 7 avril 1648 « […] no tendra justicia ni tampoco es convenientia del estado que se quiten a la dicha provincia, pues pudiendo quedarse con muchas haciendas, se quedo solo con la de Tortosa y marquesado de Los Veles dexando el ducado de Cardona condado de Sta Coloma y todo demas a su mag.d para que pudiessa hacer mercedes a lo que sirven ».
[112] VIDAL i PLA, Guerra dels Segadors…, p. 101.
[113] Josep de Rocabruna i de Tuxent, issu d’une famille d’origine marchande, avait été anobli par Philippe III en 1616. Rallié aux Français dès les premiers jours, il restera au service de Louis XIV, se distinguant à la défense de la Seu d’Urgell en 1657. Il termina sa carrière avec le grade de maréchal de camp, et se retira en Roussillon, terre d’origine de sa première épouse Maria-Ana de Xammar i Ballaro. Mort à Perpignan le 17 septembre 1680. LAZERME, t.III, p.152.
[114] Dietaris…, vol. VI, p.46-47, 10 février 1645.
[115] Dietaris…, vol. VI, p.69-70, 12 juin 1645. « E com, sereníssim senyor, després del sobredit fet, hagen los deputats justificades més plenament las contrafaccions que lo procurador fiscal del General ha proposades contra dit Joseph de Rocabruna y altres, ab lo procés de la informació novament rebuda ab la qual consta haver dit Rocabruna contrafet a moltas constitucions, ja vexant los provincials, compel·lint-los ha portar-li en sa casa, sens pagar diner algú, pallas, lenyas, civades; ja exercint tota jurisdicció en aquells, fins a mort natural, tenint cort formada, fulminant processos, publicant sentèncias, fent actes de composicions y de manlleutas, de confiscació y segrets contra militars y provincials, publicant cridas ab penas pecuniàrias y de confiscació de béns, firmant y despedint diferents manaments, manant diversas cosas ab penas pecuniàrias y de la vida als cònsols de las universitats de dit districte y altres particulars, fent convocació de somatents generals; ja capturant moltas personas ecclesiàsticas, tenint-las presas en sa casa, ab cadena al coll, imposant-los diferents penas, exercint en aquells tota jurisdicció, formant processos en sa cort, obligant-los ha prestar manlleutas, usurpant-se y retenint-se moltas summas de diner, blats y remats de bestiar dels singulars de dit districte […] ».
[116] Dietaris…, vol. VI, p. 96-97, 27 novembre 1645.
[117] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.217-218), 27 avril 1646.
[118] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.151v-157v), Création de François Le Hardÿ , marquis de la Trousse, comme procureur général du comté d’Empúries, villes, lieux et termes de celui-ci, durant la volonté du roi, 25 février 1646.
ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.166-167v), Caution prêtée par le marquis de la Trousse, 27 février 1646.
[119] BNF, Français 4201 (fol.125-127v), Lettre de Le Tellier à La Trousse, 8 avril 1646. « Sa majesté a fort aprouvé que monsieur le comte d’Harcourt vous ayt donné le sequestre du comté d’Ampourias, mais elle ne vous en peut accorder le don en proprietté, par ce que cela seroit directement contraire au traitté fait par Sa Majesté avec le Principat de Catalongne pour sa soubmission en l’obeissance de Sa majesté par lequel il est dit qu’il ne pourra y avoir que ceux du pays qui pourront posseder des biens confisquez. Et quand il seroit au pouvoir de Sa Majesté d’en disposer en faveur des François, il faudroit touiours que ce fust sur la demande et par l’advis de Monsieur le Comte d’Harcourt et de Monsieur de Marca, suivant l’orde estably pour les gratiffications de quelque nature qu’elles soyent en Catalongne ».
[120] Dietaris…, vol. VI, p.811, Lettre d’Harcourt aux Consistoires, 15 octobre 1646.
[121] Dietaris…, vol. VI, p. 813, 21 novembre 1646.
[122] Dietaris…, vol. VI, p. 184-185. « Divendres, a XIIII. En aquest die se llevà lo acte fet per lo senyor marquès de la Trussa, que·s del tenor següent:
«Divendres, a XIIII de dezembre MDCXXXXVI. Revocacióa del marquès de la Trussa. Constituït personalment lo magnífich doctor misser Vicents Viladomar, advocat fiscal del General de Cathalunya, devant la presència del senyor marquès de la Trussa, lo qual estava en un aposento de les cases en las quals habita, en lo carrer dels Escudallers, al qual, en presència de Miquel Marquès, notari entrevenint en assò en nom y com a substitut de Joan Pau Bruniquer, ciutadà honrat de Barcelona, scrivà major y secretari del General de Cathalunya, y dels reverents Rafel Rivelles, prevere, predicador de sa magestat christianíssima; y Joseph Ferrer, prevere, habitants en Barcelona, testimonis en açò cridats; dit magnífich doctor Vicents Viladomar ha dit y notificat de part, segons dix, dels molt il·lustres senyors deputats del General de Cathalunya, com a tenint orde exprés de aquells, a dit marquès de la Trussa, present, que ell dit senyor havia fets en dies passats manaments als habitants y terratinents del comtat de Empúries, contenint en effecte que tinguessen per secrestades totes y qualsevols lanes que tinguessen en lur poder, attès que aquelles volia per a fer matalassos als soldats que sa magestat, Déu lo guarde, té en la fortalesa de Roses. Dient dit misser Viladomar que dits senyors deputats li havian ordenat li notifficàs que dits manaments per ell dit senyor de la Trussa o de son orde fets a dits provincials, eren contra las generals constitucions de Cathalunya y libertats de la terra, y que per consegüent ell en dit nom li representava dita contrafacció y violació.
A tot lo que dit senyor marquès de la Trussa encontinent respongué de paraula que ere veritat que ell havia fets y despedits dits manaments a dits habitants y terratinents del comtat de Empúries per rahó de ditas lanas, y que no havia entès ni pensava que axò fos contra constitució, però segons que dits senyors deputats le·y feyen a saber, creye que ere axí, y per consegüent y en observació de dites constitucions, ha dit de sa pròpria boca que revocava, cassava y anul·lava dits manaments si y de tal manera que volia y era sa intenció y voluntat, que aquelles fossen de ninguna força y valor, y com si fets no fossen estats, y que en ningun temps se puga haver rahó de aquells. De totas las cosas ha requerit ne fos levat, com ne és estat levat, lo present acte per mi, dit Marquès, notari demuntdit, entrevenint en nom de dit scrivà major, y presents en açò los testimonis sobredits ».
[123] SANABRE, p.315.
[124] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.111-112), Ordre à Maurici Milsocos, mercader de Figueres, « administrador de la hazienda confiscada del comptat de Empúries », de payer à Francesc de Barutell, « governador que fou de la villa de Castelló y comptat de Empúries per su Mag.t », 74 livres 20 sous 10 deniers pour 4 pours 14 jours de son salaire de gouverneur, 200 livres par an, 30 janvier 1647. Il semble que la réalité de la charge de gouverneur était exercée par La Trousse, dont les provisions spécifiaient pourtant qu’il était « procureur général » du comté d’Empúries (voir supra). Il faut rappeler que la charge de gouverneur, dans le cadre d’une seigneurie, était d’ordre judiciaire.
[125] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.293v-294v), Ordre à François, marquis de la Trousse, de payer sur le patrimoine qu’il administre du comté d’Empúries 275 livres au prieur et couvent de Sant Jeroni de la vall d’Hebron, 6 novembre 1647.
[126] ACA, Cancilleria, Intrusos 124 (fol.43-43v), Ordre aux consuls de Castelló d’Empúries de laisser le marquis de la Trousse, administrateur pour le roi du comté d’Empúries, faire l’arrendament du moulin d’Armentera, 8 avril 1648.
[127] Dietaris…, vol. VI, p. 951, 22 juin 1648.
[128] Dietaris…, vol. VI, p.951, Sumari de les contrafaccions que restan provades per les informacions rebudes, per orde dels molt il·lustres senyors deputats, comesas o fetas per lo marquès de La Trussa y mosur Merxer, 7 juillet 1648 « […] 2. De las informacions també rebudas per orde dels molt il·lustres senyors deputats consta que lo marquès de La Trussa no deixa cultivar les terras a sos amos y habitants en dita plassa de Roses, perquè dit marquès ven les erbas y té gran número de bestiar de llana, egües y vaques, les quals té en dit terme de Roses, ab lo qual fet se fa formal contrafacció a la constitució 2 del títol «Que offici de alcayts y capitans», y a la constitució 8 del mateix títol. Axí mateix de ditas informacions consta que dit marquès de La Trussa impedeix lo pescar als naturals, y no·ls deixa fabricar casas ni habitar en lo port ni terme, lo qual fet encontra ab les sobreditas constitucions 1 y 2 «Que tots los officials en Cathalunya sien cathalans» y a la constitució 7 del títol «De offici de alcayts y capitans». També de les sobreditas informacions consta que dit marquès de La Trussa exhigeix dret de la treta del peix, no trahent-lo fora de dit comtat, lo qual encontra ab la constitució 6 del títol «De offici de alcayts y capitans» y a la constitució 20 del títol «De vectigals, lleudes y peatges». Axí mateix consta com lo marquès de La Trussa ha comprat tot lo blat que ha pogut del comtat de Ampúries, y per fer millor la compra ha privat latreta de dit blat, axí per mar com per terra, embarcantne ell molta quantitat ab barques francessas, lo qual fet encontra ab la constitució primera y 4 del títol «De comersi y seguretat de camins». Axí mateix resulta ab les ditas informacions que lo marquès de La Trussa ha comprat y ha fet comprar diversas summa de llana, la qual ha recullida en la fortalesa de Roses y altres parts, embarcant aquella.
De les informacions axí mateix rebudes per orde dels molt il·lustres senyors deputats a 26 de febrer 1648, consta que lo marquès de La Trussa ven les erbas dels particulars y se pren los diners resultants dels arrendaments, los quals havian de servir per la redificació de la iglésia de Roses, y que per son compte y de monsieur Merxer, pasturan més de dos mil bèsties de llana, sens altre bestiar gros, lo que encontra ab las sobreditas constitucions. Axí mateix de las sobreditas informacions consta com los hostals, tavernes y flaquers corren a compte del marquès de La Trussa, privant axí als habitants de la vila de Roses de poder arrendar aquelles, lo que encontra ab la constitució 11, títol «De vectigals, lleudas y peatges». […] »
[129] SANABRE, p.415.
[130] Dietaris…, vol. VI, p. 967, Revocació de contrafaccions, 9 septembre 1648. « […] En quant al primer memorial, signat de lletra A, sa excel·lència revoca, cassa y anul·la tot lo que en ell està contengut. En quant al segon memorial, signat de lletra B, diu y respon, al primer capítol de dit memorial, que lo marquès de LaTrussa no és alcayt sinó governador de las armas y gent de guerra, que sa magestat entreté allí per guardar que los enemichs no tornassen ocupar aquella plassa que tant li costà a sa magestat lo guanyar-la, y tot lo demés en dit capítol contengut sa excel·lència ho revoca, cassa y anul·la com si fet no fos. […]. Y en lo tercer y últim capítol de dit memorial diu que en rahó de vèndrer lo marquès de La Trussa las herbas a particulars y pèndrer-se los diners resultants de dites herbes y dels arrendaments, los quals havian de ser per la reedificació de la iglésia de Roses, diu sa excellència ha ja manat se pague de béns de dit marquès tot lo que ha rebut, axí de dites herbes y arrendaments com de unes campanes y flautes de orga, y per ço ha manat secrestar-li tots sos béns. […] »
[131] ACA, Cancilleria, Intrusos 121 (fol.136-137v), 29 octobre 1648.
[132] ACA, Cancilleria, Intrusos 121 (fol.117-119), 20 octobre 1648.
[133] AMAE, CP Espagne 29 (fol.106-109), Lettre de Schomberg à Mazarin, 12 août 1648.
[134] Par exemple Rafel Antich, ancien client de l’intendant d’Argenson qui avait obtenu des séquestres, puis la charge de gouverneur de Vallfogona (voir supra : Première partie, II. 1.). ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.274), Ordre à Sangenís de payer chaque année à Rafel Antich, donzell, le salaire accoutumé pour le gouvernement du comté de Vallfogona (« de qualsevols diners a vostres mans pervinguts o que de proxim pervindran de dites hasiendes y assenyaladament de les del comte de Vallfogona »), 24 mars 1647.
[135] ACA, Cancilleria, Intrusos 121 (fol.119v-124v), Création de Galceran de Cahors i Soler, donzell de Barcelona, comme gouverneur et procureur général du comté d’Osona et vicomtés de Cabrera i Bas i la Llacuna, 29 octobre 1648.
[136] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.182-185), Don des fruits de la vicomté de Canet à Josep Fontanella, en attendant que le roi lui en donne la propriété ; mention de chancellerie en marge portant exemption de droit du sceau, 4 avril 1646. « […] mercé dels fruits, emoluments, rendes, sensos, delmes, tascos, luysmes, foriscapis, pesques, salines, aigues, estanys, fonts, rius, casses, bosch, selves, deveses, mines, minerals, y demes drets y rendes te Sa Mag.t y tenien los sors. del Bascomtat de Canet, y tots sos districtes ». Il s’agit de l’enregistrement dans les registres de la chancellerie de Catalogne. Une copie authentifiée d’époque (qui était sans doute en possession de Fontanella) se trouve dans le fonds historique de l’Hospital de Santa Creu à la Biblioteca de Catalunya à Barcelona (BC, AH, Capsa 20).
[137] ACA, Cancilleria, Intrusos 145, fol.112-112v, 22 juin 1646. Acte expédié conservé en ADPO, 3 E 3/991.
[138] La famille Garraver, semble-t-il d’origine paysanne, était à Saint-Nazaire (localité attenante à Canet) aux commencements du XVIe siécle. Miquel Garraver, marié à Margarida Aymerich, était le père de Joan Garraver, qui s’établit comme marchand à Perpignan et fut le père de Margarida Garraver. Jeroni Jaubert, avant d’épouser Mariangela Fontanella, était peut-être veuf d’Angela Garraver, cousine germaine de Margarida Garraver de Fontanella. Les Jaubert résidaient déjà à Canet au milieu du XVe siècle. D’après les recherches de M. Marcel Delonca.
[139]ADPO 3 E 3/991, Actes de prise de possession par Francesc Flos des fruits et émoluments de la vicomté de Canet, avril-juillet 1646
[140] LAZERME Inédit (Çafont). Francesc Flos, doctor en drets de Perpignan, avait épousé par contrat du 8 mars 1631 (Josep Çafont, notaire de Barcelona) Maria-Angela Çafont i de Malla, sœur de Madalena Çafont i de Malla, mariée le 10 mars 1627 (contrat devant Francesc Pastor, notaire de Barcelona) avec Josep Fontanella.
[141]ADPO 3 E 3/991, Désignation par Josep Fontanella, gouverneur de la vicomté de Canet, de Francesc Flos comme son procureur, devant Joan Codony, notaire de Barcelona, 3 juillet 1646. Voir le fonctionnement local du fermage et de la procuration, supra Première partie, III. 1.
[142]ADPO 3 E 3/991, Révocation de Galceran Aylla, viguier de la vicomté de Canet, sur l’ordre de Josep Fontanella, 24 août 1646
Notification de sa révocation à Galceran Aylla par Francesc Flos, doctor in utroque jure et burgès honrat de Perpignan, procureur juridictionnel de la vicomté de Canet, 30 août 1646
[143]ADPO 3 E 3/991, Acte remis au notaire de la vicomté de Canet, Thomas Ferriol, sur l’initiative de Galceran Aylla ; devant Joan Albafulla, notaire de Perpignan, 29 octobre 1646. « […] diu y respon que salva pace de la revocatio contengua en dita intima y sens approbatio de aquella no ha en fet abstenirse, com de present continuar enten lo exercissi y carech de veguer en dit Bescomptat conforme ab dit Real privilegi […] fins a tant tinga altre orde de Sa Mag.t, deu lo G.de, ho de sa Altesa en contrari… ».
[144]ADPO 3 E 3/991, Supplique des consuls de Torreilles, 1648. « Las erbas estan arrendades ab lo arrendament del Bescomptat y acabat aquell se procurara fer tot lo que sera possible ».
[145] AMAE, CP Espagne 27 (fol.101), Lettre de Mazarin à Fontanella (minute autographe), 3 mai 1647.
[146] AMAE, CP Espagne 26 (fol.453-454), Lettre de Fontanella à Mazarin, 28 mai 1647. « Es verdad que spero que al primer arrendamiento que se hara montara ( ?) alguna cosa mas, y en este arrendamiento no esta comprendida la fuente de Salses que es del Biscondado y oy la gosa el Governador del Castillo de Salses, y algunos anyos la pesca desta fuente vale muchos ducados y otros no vala nada segun el tiempo ».
[147] Voir supra : Première partie, III. 3. et l’état des biens confisqués de 1643 : document n° 26 (AMAE, CP Espagne Supplément 3, fol.340-346v).
[148] GONZÁLEZ RUGGIERI, Sophie, « La Catalogne de 1640 à 1659 : le rôle du visiteur général dans la mise en place d’une administration française », Del Tractat dels Pirineus a l’Europa del segle XXI, un model en construcció? / Du Traité des Pyrénées à l’Europe du XXIe siècle, un modèle en construction ? [Oscar Jané, ed.], Generalitat de Catalunya-Museu d’Història de Catalunya, Barcelona, 2010, p.243.
[149] Voir infra : Première partie, III. 2.
[150] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.110v-111v), 11 mars 1646.
[151] SHD, A1 99 (fol.250v-251), Lettre du Roy a monieur le Comte d’Harcourt sur la plainte des fermiers des gabelles touchant les salins de Canet, 23 mai 1646. Autre lettre du roi du même jour adressée aux officiers de l’Audience Royale de Catalogne (fol.251-252).
[152] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.84v-85), 24 mai 1646.
[153] Dietaris…, vol. VI, p.159, 18 août 1648. « […] quals se ordena y mana que ninguna persona, de qualsevol grau, estament y condició sie, no gosse ni attente aportar sal de die ni de nits, per mar ni terra, de las salinas de dita vila de Canet ni de altres viles y lochs de dits comtats per vèndrer aquella en lo regne de França, sots pena de confiscació de la sal, bestiars, carros, carretas, barques, vaxells o altres fustes aportaran o tindran carregada aquella, y de sinquanta scuts pagadors per quiscun dels contrafahents, prefigint sis mesos de plaso per inquirir y provar qui haurà aportada sal en dit regne de França. Las quals penas estan imposades per la primera vegada als qui contrafaran en ditas cridas, y per la segona vegada, si aquell contrafarà a ditas cridas serà plebeyo, incorrega en la pena de servir en las galeras de sa magestat christianíssima per tres anys, y si serà militar o gosarà de privilegi militar, encorrega de relegació per tres anys en una fortalesa nomenadora per sa magestat, y altres penes majors o menors a arbitre de sa senyoria y son egregi consell. Axí mateix, en ditas cridas, se prohibeix, veda y mana a totas y qualsevols personas de qualsevol grau, estament o condició sien que, per si ni per interposada persona, per via directa o indirecta, pública ni sacretament, no gose ni presumesca en la dita vila de Canet ni en altre població de dits comtats vèndrer, donar ni per algun altrea contracte alienar quantitat alguna de sal a ningun francès habitant fora de los presents comtats, sots las penas dalt ditas, axí per la primera com també per la segona vegada se provarà haver contrafet a ditas cridas… »
[154] Dietaris…, vol. VI, p.160, « E com, molt il·lustre senyor, per las generals constitucions de Cathalunya, sie líbero lo comerç, axí per mar com també per terra, y als poblats y habitants en lo principat de Cathalunya y comtats de Rossselló y Cerdanya estiga atorgada facultat y sie permès poder aportar qualsevols mercaderies en qualsevols ciutats, ports, lochs o vilas voldran anar, axí per mar com també per terra, sens que per lo rey y sos ministres se’ls puga fer empaig ni impediment algú, pagant los vectigals a qui.s deuran per las mercaderias aportaran, de hont la prohibició en ditas cridas feta prohibint als poblats en dits comtats lo poder tràurer sal de dita vila de Canet, viles y lochs dels comtats, prohibint lo poder aportar aquella hont los aparrà, resulta contrafacció formal a las constitucions 1ª y 9 del títol «De comersis y seguretats de camins», col·locades en lo libre 4, títol 22 del volum primer de las generals constitucions a d’aquelles aplicables, per lo que lo síndich del General, per lo públich y comú interès, zelant la observança de las generals constitucions, a vostra senyoria suplica y, en quant és menester, requereix, per la observança de las ditas generals constitucions y execució del pactat en lo capítol 14 dels pactes jurats per sa magestat christianíssima, que Déu guarde, casse y revoque ab tot effecte ditas cridas; y axí mateix, mane borrar aquelles del registre o registres hont estaran continuades, donant certificatòria de la revocació de aquellas per a què, axí, cesse la contrafacció feta a las ditas constitucions ab ditas cridas… »
[155] Dietaris…, vol. VI, p.195, 16 février 1647.
[156] Dietaris…, vol. VI, p.195-200, 20 février 1647. « Fonch finalment en dit procés feta declaració formiter sobre los mèrits, com en aquell se conté, que en substància és estada haver-hi hagut contrafacció, com ere citat, deduït y pretès per lo síndich del General ». Agustí Alcoberro (ALCOBERRO, Agustí, « Pròleg : 1644-1656, els anys centrals de la Guerra dels Segadors », in Dietaris…, vol. VI, p. XVII) avance que la consultation du 20 février 1647, qu’il appelle une « junta de juristas », a conclu sur l’interdiction de la vente libre du sel de Canet, ce qui semble faux si l’on se reporte au texte.
[157] Voir infra : Deuxième partie, III.
[158] AMAE, CP Espagne 26 (fol.419), Lettre de Marca à Mazarin, 24 février 1647.
[159] ADPO, 3 E 3/991, Lettre de Llorenç de Barutell à Tomàs de Banyuls, 8 octobre 1647 (insérée dans un pli pour requête sur l’initiative de Jaume Garriga et de Jaume Vergnia).
« Molt Illustre Señor,
Assi son vinguts alguns dels proprietaris dels salins y sindichs de Perpinyà y de Conflent ab qui se ha conferit lo ajustar lo modo ab que aparexia al Consell que estaria bé pera tots, no si son volguts ajustar no obstant la convenientia gran y concideravam, pero com nostre intent no es obrar ab medis violents, los avem dit sen tornasen en sas casas remetent nos a la causa se aporta de asso en lo Consell, aont se dira per justitia V.S. ha tingut bona part del treball se ha pres en esta materia vista molts anys per emplearse en semblants obres y pera manarme moltes coses de son gust de V.S. a qui G.de etc. de Barcelona al p.r de 8.bre 1647 ».
[160] AMAE , CP Espagne Supplément 5 (fol.275), Papel conveniente al Real servitio (de la main d’Isidoro de Pujolar), 8 octobre 1647. « […] La Real Audientia se ha interpuesto en este negotio para acomodarlo y asocegar los animos, con todo el pueblo esta muy inquieto porque no faltan mal affectos que le irritan, dandole ha entender que quieren poner gabella sobre la sal, y particularmente que el impedir que los arrendadores catalanes no puedan llevar sal fuera de la Provincia como siempre an acostumbrado, es contra Constitutiones expressas del Principado, que disponen que el libre comercio no se pueda impedir.
Las cosas de nuestra Provintia las veo mas confusas de lo que jamas an estado, porque dexado a parte los malos animos que ella tiene, de nuevo se va empeñando un negocio que es el de los salines, que el solo es bastante para perder Francia Cataluña, como sin duda la perdera si se effectua, y este V.M. cierto que esto es politica de Castilla, hazer que no lo esten corrientes los franceses con los catalanes, como de hecho no lo estan […]
Yo no se que utilidad puede ser a su Mag.d el acabar los salines de Canete, entre bien hallo ser de grande utilidad al Real servitio el conservarles, porque arruinandolas es acabar todas las tierras de Rossellon, Conflente, Serdañia, y costa de Cataluña, porque con la sal baxava hierro, madera, y muchas otras cosas y los que trahian pesca cargavan della, y acabado que sea el contrato y negotiation, acababa todo.
Con esto quitan la vida a muchos millares de personas ansi pobres como ricas, sin sacar desto alguna utilidad su Mag.d que solo desto se aprovecharian 4 particulares de Lengadoch, y destruhirian toda una Provintia, poniendola en contingencia de perderlo todo. […] »
[161] Dans le mémoire écrit postérieurement par Marca en juillet 1650 pour défendre la révocation des donations des biens confisqués (BNF, Baluze 106, fol.80-87v), voir aussi infra : Troisième partie, II. 2 et édition : Document n°23. On lit que la réunion de la vicomté de Canet avait été décidée en 1648 pour permettre les fermiers de la gabelle du Languedoc d’assurer également la ferme des salins de Canet. Cependant, la réunion n’avait pas été réalisée, Schomberg ayant refusé d’enregistres les lettres patentes (voir infra : Troisième partie, I. 2.).
[162] Ce contrat de fermage n’est pas conservé dans le dossier ADPO 3 E 3/991, mais plusieurs actes émis par les procureurs de Claude Genon, notamment Jean Hugonnenc, marchand de Montpellier, le 26 juin 1650, montrent que le fermagea été dans ses mains au moins jusqu’en 1650.
[163] Jeannon fournit en 1653 ses états au vrai des années 1645, 1646, 1651 et 1652. Albisson, Loix municipales et économiques du Languedoc, ou Recueil des ordonnances, édits, déclarations, lettres patentes, arrêts du Conseil, du parlement de Toulouse et de la Cour des aides de Montpellier… concernant la constitution politique de cette province, son administration… ses privilèges et usages…., vol. 2, Rigaud et Pons (Montpellier), 1787, vol. VI, p.220
[164] Voir supra Première partie, II. 3.
[165] Selon la Constitution 1481/9, promulguée lors de la même Cort où la peine de confiscation de biens fut abolie en Catalogne à l’exception du crime de lèse-majesté. FERRO, El Dret Públic Català…, p.390. RIPOLL, Acaci de, Regaliarum tractatus, Barcelona, Gabriel Nogues, 1644, 18.16 (p.123).
[166] SANABRE, p.258-259.
[167] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.179v-180).
[168] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.194v-195).
[169] SHD, A1 85 (n°265), Brevet de 3000 livres de pension en faveur de la veuve de feu Anglesill, 5 août 1644 (minute).
[170] BNF, Français 4198 (fol.138-140), Lettre de Le Tellier à Marca, 5 août 1644.
[171] BNF, Français 4216 (fol.77-77v), Lettre de Marca à Le Tellier, 12 octobre 1644.
[172] BNF, Français 4216 (fol.163-165v), Lettre de Marca à Le Tellier, 10 mars 1645.
[173] BNF, Français 4200 (fol.56v-58), Lettre de Le Tellier à Marca, 6 avril 1645.
[174] BNF, Français 4200 (fol.126-129), Lettre de Le Tellier à Marca, 9 avril 1647.
[175] ACA, Cancilleria, Intrusos 118 (fol.110-110v), 11 juillet 1647.
[176] BNF, Français 4217 (fol.168-178v), Lettre de Marca à Le Tellier, 1er décembre 1647.
[177] A1 88 (n°411), Brevet en faveur des chanoines et chapitre de l’église cathédrale d’Urgell de 3000 l. monnaie de France de pension, 8 mai 1644. Il semble que cet acte, comme ceux conservés sous forme de minute dans le registre cité, n’ait jamais été expédié.
[178] SHD, A1 88, n°405, 23 janvier 1644.
[179] ACA, Cancilleria, Intrusos 113, fol.313v-314, Don au docteur Morell d’une pension de 1000 livres barcelonaises sur la mense épiscopale de Barcelona (enregistrement), 4 mars 1644.
[180] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.248v-249), Autorisation à Candia Anglesill de prendre possession de l’usufruit des baronnies de Baga, Pinós et Mataplana ; le 22 juin 1650 il avait été fait don à Candia Anglesill de l’usufruit des rentes et jurisdictions, et comme l’usufruit de ces baronnies avait été donné à Josep Amat par le comte d’Harcourt le 14 novembre 1645, il avait été décidé qu’elle ne prendrait possession de l’usufruit qu’à la mort ou renonciation de Josep Amat ; mais elle a supplié d’en prendre l’usufruit « per ser vingut lo cas de ser dilat e inculpat de crim de lesa majestat en lo primer cap dit don Joseph Amat i posat en una fortalesa tot lo temps duran las presents guerres », 11 novembre 1650.
[181] BNF, Français 4219 (fol.192-201v), Lettre de Marca à Le Tellier, 6 septembre 1650.
[182] Ana Pol i de Puigmarí était la fille de Jeroni Pol, donzell de Barcelona, et de Paula de Puigmarí i Funes, sœur de la mère du chancelier, Isabel de Puigmarí i Funes. Elle avait épousé (contrat du 22 novembre 1640, Josep Çafont et Ramon-Jaume Huguet, not. de Barcelona) Ramon de Vilalba i Malendrich. Elle se remariera avec Emanuel de Sant Dionis i Ferrer en 1648. LAZERME Inédit (Vilalba, Barutell).
[183] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.112-113), 18 février 1647.
[184] ACA, Cancilleria, Intrusos 118 (fol.134-135), 11 septembre 1647.
[185] ACA, Cancilleria, Intrusos 119 (fol.20v-21), Adjudication à Maria de Blanes i de Boxadors, comtesse de Çavellà d’un censal de pension de 50 livres que faisait le comte de Çavellà au comte de Santa Coloma (par confiscation de ce comté) ; ordre au régent de la trésorerie royale de s’abstenir de prélever ce censal. Son mari est mort à la bataille qu’a livrée La Motte devant Lleida, « dexant a dita comptessa la hasienda molt empenyada »), 6 novembre 1647.
[186] Cf infra : Troisième partie, III. 1.
[187] Cf supra : Deuxième partie, I. 2.
[188] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.105v-106v), 18 février 1647. En 1648, elle obtiendra de Schomberg l’annulation d’un censal de 100 livres pa an qu’elle devait à Bernardí de Marimon et dont elle avait hérité de son père Tafurer (ACA, Cancilleria, Intrusos 121, fol.115v-116). Voir aussi infra : Troisième partie, I. 2.
[189] La parentèle des Dulach est renseignée par un factum imprimé en 1680 par Joan Lacavalleria i Dulach, fils d’Isabel, afin de défendre son droit à l’héritage de son grand-père contre son cousin Josep Jaumar : LACAVALLERIA y DULACH, Joan, Allegacions en dret per Ioan Lacavalleria y Dulach … contra Ioseph Iaumar …, 1680.
[190] LAZERME Inédit (Lacavalleria). Les recherches de Ph. Lazerme sur les actes notariés de Barcelona nous apprennent que les parents de Pere Lacavalleria et de son frère Antoni étaient Giralt – certainement Giraud en français ; son métier de cultivateur est traduit naturellement en « pagès » –- et Jeronima. D’après le site internet « MairesGenWeb » (http://www.francegenweb.org/mairesgenweb/resultcommune.php?id=6913, consulté le 26 avril 2014), on apprend qu’un Louis Lacavalerie fut maire de Carnac-Rouffiac de 1876 à 1884 et de 1908 à 1919.
[191] SÁEZ RIVERA, Daniel, « El Diccionario castellano, francés y catalán (1642) de Pere Lacavallería: indicios de una política lingüística en el siglo XVII », Revista de Filología Románica, n° 22, 2005, p.97‑119.
[192] ACA, Cancilleria, Intrusos 113 (fol.2v-3v), Licence concédée par le vice-roi Brézé à Pere Lacavalleria, imprimeur, pour imprimer un livre intitulé « Diccionari de tres lenguas Castellana, Francesa i Catalana », avec privilège de deux ans, 26 février 1642. Visa Fontanella, Regent la Real Cancelleria, et Bru, Regent le Real Tresoreria.
[193] LACAVALLERIA, Pere, Dictionnario castellano – Dictionnaire françois – Dictionari catala, Pere Lacavalleria, Barcelona, 1647, n.p.
[194] ACA, Cancilleria, Intrusos 143 (fol.219-239), Edictes e crides fetes, y publicades per manament del Excellentissim senyor Phelip de la Motte Houdancourt Mariscal de França, del Consell de sa Magestat, y son Lloctinent, y Capità General en lo Principat de Cathalunya, y Comtats de Rossello y Cerdanya. Ab Llicencia dels Superiors. En Barcelona, en casa de Pere Lacavalleria, Any 1642 (imprimé ; première page aux armes de La Mothe). Ces crides ont été affichées et proclamées par crieur public les 17, 18, 19 et 20 décembre 1642. Nous revenons sur leur contenu supra : Première partie, II. 2.
[195] ACA, Cancilleria, Intrusos 125 (fol.23-23v), Ordre au trésorier Jaume Bru de payer 53 livres barcelonaises 15 sous à Pere Lacavalleria pour 150 copies « de les crides grandes publicades contre los mal affectos », 200 copies de celles contre ceux qui fabriquent de la monnaie, 300 de celles de la prohibition du commerce avec les ennemis, 23 mars 1644.
[196] AMAE, CP Espagne Supplément 4 (fol.466-482), Iuramentum fidelitatis S. Christianissimae Regiae Maiestati Domini nostri Regis, et eius nomine, excellentissimo dominu Locumten. Generali in Civitate Barcinonae praestitum per incolas Principatus Cathaloniae, et Comitatuum Rossilionis et Ceritaniae. Barcinonae, ex Typographia Petri Lacavalleria, Anno M.DC.XXXXIV (imprimé). L’impression originale était « Iuramentum fidelitatis S. Christianissimae Regiae Maiestatis… » et un latiniste distingué (probablement le Chancelier Barutell auteur des annotations de l’exemplaire) a corrigé l’erreur de l’imprimeur en « Iuramentum fidelitatis S. Christianissimae Regiae Maiestati »… Voir édition : Document n° 27.
[197] AMAE, CP Espagne 21 (fol.478), Memoire du nommé la Cavalerie (titre écrit par Hugues de Lionne), s.d. (1644). « […] Que estando el exercito de Su Mag.d en el sitio de Tarragona, y para perderse por falta de dinero para el pan de munition, adelantó quanto tenia, y obligó a lo mismo sus parientes, y amigos, baxo la palabra de los ministros agentes de Su Mag.d
Que en otra necessida apretada por el servicio de Su Mag.d el sr d’Argenson buscó dineros por medio de otros mercaderes, y no hallandoles, dixo à dicho Lacavalleria de buscarselos, el qual lo hizo luego, y firmo las letras de cambio en su membro proprio.
Que faltando artillerias en los principios, y assi mismo municiones de guerra, las procuró, obligandose en proprio.
Que en las ocasiones, que no uvo dineros por los oficiales, y tren de la artilleria ha emprestado el suyo, o salido fiador.
Que todas las traductiones de papeles de importancia han passado por sus manos.
Que su casa ha sido refugio de los Franceses, y ha gastado mucho de lo suyo para acariciarles, y nunca le ha entrado otro provecho, que el apelido de padre.
[…]
Dicho Lacavalleria suplica a V.E.a que ponderados, y examinados los dichos servicios, si ellos, y su justicia lo merecen le mande satisfazer, para que tenga lugar de pagar a sus acreedores ; y quando todo esto no bastasse, mande V.E.a considerar las conveniencias, y daños que pueden proceder de tanta dilacion, en conformidad de lo que informó desto a V.E.a el Regente de Cataluña, que fue à Münster, que sera obligarle a proseguir sus servicios […] »
On conserve une lettre de Lacavalleria à Mazarin du 16 septembre 1644, où il raconte les désastres de Tarragona et de Lleida et engage son correspondant à poursuivre les efforts militaires en Catalogne (AMAE, CP Espagne 21, fol.364).
[198] SHD, A1 98 (n°117), Lettre de Carlos de Arismendi à Le Tellier, 7 août 1645. « Il a pleu a monsieur Chirac de m’employer a tratudiere [sic] les despositions de Cervera, Belpuch, Tarrega, et Girone, ce que j’ay faict avec toute sorte de soin et de deligence… ».
[199] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.108-109v), 13 décembre 1645. Acte en faveur d’Isabel Lacavalleria rappelant l’existence et la date de cet ordre (voir infra).
[200] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.175-177), 11 juillet 1644. « […] de la qual pretensio podien resultar no sols dificultats, pero encara graves pregudiçes al real patrimoni, si dits interessos agessen aguts de correr fins al dia de la total satisfaccio de dita suma. Pertant ateses les dites i altres dificultats, preçeint consulta en nostra real junta, i ab voluntat i consentiment de dit Pere La Cavalleria, avem deliberat que axi, per capital, com per tots los interessos deguts, i devedors, se consigna a dit Pere Lacavalleria cascun any quatre milia lliures dels bens confiscats del vescomtat de Evol, i asienda de Çagarriga per temps de sis anys continuos, de manera que cascun any en los primers sinc anys, se li doneran moneda Barselonesa dites quatre milia lliures, i en lo sise any sinc milia lliures a compliment de vint i sinc milia livres Catalanes, les comprenen dites coranta nou milia coranta i sis lliures tres sous moneda de França ab los interessos, de tal manera que dit Pere La Cavalleria reba dites vint i sinc milia lliures en dits sis anys per tot compliment de paga i per dit efecte a de fer, i faça les apoches, i cauteles que convindran, declarant que a dit Pere La Cavalleria se li consignen lo preu dels arrendaments fets de dites dos asiendes confiscades, por a que propria authoritate puga cobrar aquells, i que en cas pagats los mals i carrecs de dites asiendes, los quals mals i carrecs se obliga a pagar dit Pere La Cavalleria dels preus dels arrendaments sempre que li sera ordonat en la forma acostumada se suxeis, que no restassen dites quatre milia i sinc mil lliures respective en los dits sis anys, en tal cas se li a de pagar lo compliment dels altres bens confiscats cascun any respectivement a la fi del any ab diner efectiu ».
[201] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.279-280), Ordre aux arrendateurs des biens de Ramon de Çagarriga de payer à Pere Lacavalleria ce qui en procèdera, 15 avril 1645. « Per quant Pere La Cavalleria nos ha representat que las rendas de don Ramon Çagarriga confiscadas al real patrimoni li son estades consignades en descarrech del que se li resta devent per lo servey feu a sa Mag.t (Deu lo g.de) en lo any mil sis cents quaranta hu, precehint diversas cosas a la armada, y que alguns arrendadors de ditas rendas fan dicultat [sic] en pagar sens special ordre nostre, supplicantnos tinguesem ha ordenar que en executio de dita consignacio paguen lo que deven… »
[202] LACAVALLERIA, Pere, Relacio de lo que ha passat al exercit de Sa Magestat, governat per lo… Comte de Harcourt, Virrey y General dels Exercits y Armadas en Cathalunya, en los encontres a tinguts ab lo socorro que los enemichs conduyan a Balaguer per los llochs de Santa Ligne y Avellanas, baix la conducta del Duch de Toralta, fet en lo Camp de Termens y Menargas, a 14 agost 1645 (imprimé), Barcelona, Pere Lacavalleria, 1645. De nombreux opuscules imprimés par Lacavalleria sont conservés dans la collection Bonsoms de la Diputació provincial de Barcelona à la Biblioteca Nacional de Catalunya : Catálogo de la colección de folletos Bonsoms, relativos en su mayor parte a historia de Cataluña: Folletos anteriores a 1701, éd. Barcelona, Diputación Provincial de Barcelona, Biblioteca de Catalunya, 1959.
[203] Sa date de décès est comprise entre le 14 août 1645 et le 18 novembre 1645 (voir référence suivante).
[204] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.86-86v), Ordre au trésorier Bru de payer 1310 livres à Elisabeth Lacavalleria, veuve et curatrice de ses fils, pour les impressions faites par ordre du vice-roi, 30 mars 1646. « […] que per orde vostre y de nostre manament ha estampats en sa emprenta de passaports francesos y Cathalans, commissions, libres, y altres coses per servey del Rey nostre sr com mes llargament apar per lo memorial de les dites estampes fetes des de quinse de Abril Mil siscents quorante sinch fins a vint y dos del corrent ».
[205] LAZERME Inédit (Lacavalleria). Antoni Lacavalleria était le fils de Giralt Lacavalleria et de Jeronima, frère cadet de Pere Lacavalleria, né comme lui à Carnac-Rouffiac dans le diocèse de Cahors en France. Certaines sources disent de façon erronée qu’Antoni était un fils de Pere Lacavalleria et d’Isabel Dulach. Nous ignorons à quelle date il s’est installé à Barcelona, mais il est possible qu’il ait rejoint la ville après la mort de son frère afin de reprendre son activité, qu’Isabel sa veuve n’exerça pas. Il épousa dans les années 1660 Jeronima Cata i Fresquet, fille d’un marchand de Barcelona, qui mourut en 1671 ; il se remaria alors par contrat du 15 décembre 1673 reçu par Isidre Vila, notaire de Girona, avec Maria Deu i Garrich, fille d’un avocat de Girona. Il n’eut aucune postérité de ces deux unions et testa le 10 juillet 1696 devant Bonaventura Torres, notaire de Barcelona (fol.217-220v), élut sépulture en l’église Sant Jaume et mourut vers le 24 août 1701. Il avait institué son neveu Joan Lacavalleria i Dulach son légataire universel. A cette date, Antoni Lacavalleria était dit « estamper de Barcelona ».
[206] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.43-44), 18 novembre 1645. « I com los acreedors insten la cobransa, no pot acudir a satisfer los de la paga annual de quatre mil lliures, suplicant nos tingesem a be manar li pagar una paga de quatre mil lliures de qualsevol asienda confiscada, i per constar nos lo sobredit annuim a sa peticio. […] quatre mil lliures per una paga del que aura de cobrar de dita conignacio particular, la qual se li age de deffalcar de la primera consignacio, de manera que tant solament de dita consignacio puga cobrar sinc anyades, la ultima de les quals age de eser de sinc milia lliures conforme esta disposat en lorde de dita consignacio despatxat a onse de juliol mil sis cents coranta quatre ».
[207] BNF, Français 4216 (fol.225-225v), Lettre de Marca à Le Tellier, 8 décembre 1645.
[208] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.111-111v), 20 décembre 1645.
[209] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.55v-57), Ordre à Francesc Oller, mercader de Barcelona, et autres fermiers des rentes et émoluments du comté de Erill, baronnies de Orcau, et termes de Prats de Mollo, de payer 4000 livres à Elisabeth Lacavalleria, 16 février 1646.
[210] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.108v-109v), 13 décembre 1645. « […] nos a aparegut annui a sa petiçio i fer li gracia i merçe a dita Isabel Cavalleria, durant sa vida, o lo temps mantindra lo nom de son marit, del us de fruyt de les asiendes de don Garau Guardiola, i Jacinto Sala de la neu en lo entretant obtindra de sa mag.at la proprietat de dites asiendes. Declarant que en cas dita Isabel Cavalleria casas, la present merçe en favor dels fills, i que tant solament dita Cavalleria puga pretender sis milia lliures per son dot ».
[211] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.174-175), Concession par le vice-roi à Elisabeth Lacavalleria et autres curateurs de ses fils du droit de cultiver et de tirer les fruits d’une pièce de terre hermes dite « La Illa » au bord de la rivière Fluvià, des biens de Ramon de Çagarriga dans la juridiction de Pontós, dont elle possède déjà la consignation des fruits, et durant le temps de ladite consignation, 3 février 1646.
[212] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.173-173v), Territorium ad capibreviandum Elisabethe La Cavalleria vidua Barn.e, 14 mars 1646.
[213] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.68°-68v), Grâce à Elisabet Lacavalleria d’un censal du prix de 560 livres et pension 28 livres que recevait Balthasar Cárcer sur les biens de Jacint Sala de la Neu, biens à elle donnés, 10 mai 1646.
[214] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.88v-89), Création d’Antoni Joan Dulach, ciutadà de Barcelona, comme ajudant de comptador du duché de Cardona, 17 avril 1646.
[215] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.287v-288v), 25 mai 1647.
[216] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.187-188), 26 mars 1647.
[217] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.206v-208), 27 mars 1647. « […] ne feren altra [recompensa] a Isabel La Cavalleria viuda de dit Pere La Cavalleria de las hasiendas de don Garau de Guardiola y Hiacinto Sala de la Neu la qual li es de poch o ningun profit per muntar mes los mals de dita hasienda de Sala de la neu que lo profit de aquella lo, que ha obligat a dita Isabel La Cavalleria a restituhirnos de dita hasienda y la de don Garau de Guardiola esser carregada de mals quen resta poch y a mes de aixo se aportan contra dita hasienda plets de molta consideratio que si se obtenen contra della tampoch no restara cosa ab que la gracia que Sa Mag.d li feu vindria a ser inutil si nosaltres seguint la voluntat de sa Mag.t no la recompensariem per altre cami […] volem que dita gracia dure en quant a dita Isabel La Cavalleria durant sa vida y lo temps mantinra lo nom de son marit, y que en cas que dita Isabel La Cavalleria casas se continue la present gracia en favor de sos fills mascles ab obligacio de dotar les filles que dit Pere La Cavalleria li dexa y en dit cas de tornarse a casar es nostra voluntat que dita Isabel La Cavalleria exhigessa de dits bens sis milia livres per son dot ».
[218] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.207-212), 24 septembre 1648.
[219] ACA, Cancilleria, Intrusos 120 (fol.190-191v), 24 octobre 1648.
[220] BNF, Français 4217 (fol.393v-398), Lettre de Marca à Le Tellier, 11 octobre 1648. Voir aussi infra : Troisième partie, I. 2.
[221] ACA, Cancilleria, Intrusos 123 (fol.171v), 20 décembre 1648.
[222] ACA, Cancilleria, Intrusos 122 (fol.175v-181), 18 juin 1650.
[223] CAPEILLE, Jean, Dictionnaire de biographies roussillonnaises., Perpignan, Imprimerie-Librairie Catalane de J. Comet, 1914, p.599.
[224] De son premier mariage, Isabel Lacavalleria avait eu deux enfants :
- Maria Lacavalleria i Dulach, qui suivit sa mère en France et adopta le nom francisé de « Marie de La Cavalerie », qui, finalement, était un retour à ses origines véritables. Elle épousa par contrat du 24 février 1670 devant Maître Ogier, notaire au Châtelet de Paris, Jean-Baptiste de Bellon de Thurin-Luzarches, lieutenant au régiment des Gardes Françaises, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi puis premier écuyer de la princesse de Condé.
- Joan Lacavalleria i Dulach, baptisé le 2 décembre 1640 à Barcelona, qui se pourvut du doctorat en droit et se fixa dans sa ville natale où il épousa par contrat du 6 novembre 1694 devant Anton Navarro, notaire à Barcelona, fol.280-284, Theresa Moix i Pomadera, fille d’un notaire de Barcelona. Ils eurent au moins une fille Maria Lacavalleria i Moix qui épousa à son tour en 1718 Baltasar Torrent, docteur en droit. Joan Lacavalleria i Dulach se distingua comme auteur d’ouvrages humanistes en latin, tous imprimés chez son oncle Anton Lacavalleria, dont le plus célèbre est Gazophylacium Catalano-Latinum (1696), dictionnaire catalan-latin.
De son second mariage, célébré le 17 janvier 1655 en la paroisse Saint-Jean de Perpignan, elle avait eu une fille unique :
- Catherine Talon, baptisée en la paroisse Saint-Jean de Perpignan le 1er juin 1657, qui épousa le 19 avril 1677 à Paris, en la paroisse Saint-André-des-Arts, Jacques de Manse, seigneur de La Tour, ancien contrôleur des greniers à sel du Languedoc, substitut du procureur général en la cour de Montpellier, trésorier général de France au bureau des finances de Montpellier. Ils eurent une nombreuse descendance, dont un fils Louis de Manse qui fut maire de Montpellier, grand voyer et intendant des gabelles du Languedoc, et un autre, Jacques de Manse, qui fut gouverneur de Blâmont dans la principauté de Montbéliard.
LAZERME Inédit (Lacavalleria) ; ADPO, 1 E 848 ; AN, U 1033.
[225] SALES, Núria, « La lluita per lluïr : el cas de Santa Coloma de Queralt i el d’Illa », dans ID., VILAR, Pierre, TERMES, Josep, Història de Catalunya / segles XVI-XVIII 4, Els segles de la decadència, Barcelona, Edicions 62, 1991, p.365-373.
[226] SALES, « La lluita… », Història de Catalunya…, p. 248-269.
[227] SALES, « La lluita… », Història de Catalunya…, p.365-368. Le privilège sera abrogé en 1653, après le retour de la Catalogne à l’obéissance d’Espagne, en faveur de Lluis de Queralt, héritier des anciens comtes de Santa Coloma.
[228]AMAE, CP Espagne 26 (fol.50-62v), Disposicion del Estado de Catalunya, (1643), que nous attributions à Ramon de Bas. Voir un commentaire étendu de ce texte supra : Première partie, II. 3., et son édition (Document n°33).
[229] SALES, Núria, « La lluita per lluïr : el cas de Santa Coloma de Queralt i el d’Illa », dans ID., VILAR, Pierre, TERMES, Josep, Història de Catalunya / segles XVI-XVIII 4, Els segles de la decadència, Barcelona, Edicions 62, 1991, p.370.
[230] AMAE, CP Espagne 26 (fol.20-25v), Observations et advis necessaires touchant la Catalogne (par Plessis-Besançon), mars 1645. Voir l’explication du voyage de Plessis-Besançon ainsi que le rôle et l’identification de ce texte primordial supra : Deuxième partie, I. 2.
[231] AMAE, CP Espagne Supplément 3 (fol.265-265v).
[232] Le blanc est évidemment à remplacer par « Nyerros ».
[233] AMAE, CP Espagne Supplément 3 (fol.265-265v).
[234] GONZÁLEZ RUGGERI, Sophie, La Catalogne de 1640 à 1659 : l’administration française d’une province placée sous la protection des rois de France, Thèse de doctorat, Université de Perpignan, 2006, p.288-295. Il n’est pas certain que dans sa partie intitulée « L’exemple d’Ille : une nouvelle ville royale », S. González ait réellement voulu signifier que la ville avait obtenu le privilège, mais elle laisse planer le doute, ce que nous voulons ici éclaircir.
[235] D’après Jean Tosti, « Les chefs de famille à Ille-sur-Tet en 1385 », http://jeantosti.com/histoire/ille1385.htm (consulté le 29 avril 2014).
[236] ADPO 1 B 284. D’après ALART, Inventaire…, p. 197. Plusieurs hommages de vassaux de la vicomté de Canet sont consignés dans les registres de la Procuration dès 1464. Voir supra : Première partie, I. 1.
[237] SALES, « La lluita… », Història de Catalunya…, p.369.
[238] BNF, Espagnol 337 (fol.380-401v), Memorial y puntos de hecho y drecho tocantes a la pretention tiene la villa de Illa para suplicar a su Magestad (Dios guarde) les mande el Privilegio de villa Real por las causas y razones aqui refferidas (imprimé), Paris, 1647. Voir la reproduction de ce document dans les annexes, dossier consacré à Ille, Document n° 52.
« Señores, vosotros os haveis bien defendido, y ganado jo en nombre de su Magestad os accepto por vassallos de mi Rey y Señor, y os la buelvo a entregar ; paraque las conserveis como a immediatos vassallos suios » (extrait d’une lettre envoyée par les consuls d’Ille au roi et reproduite dans le factum de 1647, p. 6).
[239] ACA, Cancilleria, Intrusos 124 (fol.204-208), Don à Francesc Sangenís de la tour qu’avait le marquis d’Aitona à Alella avec toutes ses dépendances (les biens du marquis d’Aitona ont été confisqués par sentence royale du 30 octobre 1642, rapporteur Josep Orlau), 7 octobre 1648.
[240] SHD, A1 69 (n°25), Lettre du roi au maréchal de Brézé (minute), 4 avril 1642.
[241] Memorial y puntos de hecho…, p. 6.
[242] Gabriel Pujol, fils d’un marchand d’Ille, Baldiri Pujol, et d’Ana Semaler, est par sa mère cousin avec la plupart des familles importantes de la ville : les Mauran, les Sabater… Il testa le 11 septembre 1651 devant Barthomeu Coll, notaire à Perpignan, son neveu, et mourut le même jour, apparemment sans postérité. Il avait été fait burgès honrat de Perpinyà par les Français à une date inconnue, peut-être au lendemain de sa mission à la cour. ADPO, 3 E 3/727.
[243] Memorial y puntos de hecho…, p.27-28.
[244] Memorial y puntos de hecho…, p. 22-23. « Gabriel Pujol, sindico de la Villa de Illa representa que la merced que en Narbona V.M. fue servido hazer a la dicha villa […] de franqueza de aloyamientos de gente de guerra y de diez mil ducados sobre las confiscaciones de los mal affectos para redificar los muros y torres, que el enemigo derribo con sus baterias y pagar lo que deven por haver acudido al Real servitio de V.M. y como de lo sobredicho ni de la merced que quatro mezes a fue servido hazer a dicha Villa de agregarle a su Real patrimonio pagando a V.M. los mismos drechos que de antes al Marques de Aitona no se le a dado despatxo alguno ».
[245] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.123v-124v), Lettres patentes donnant 3000 livres de pension annuelle pendant dix ans à l’université de la ville d’Ille, Saint-Germain-en-Laye, 18 avril 1643 (enregistrées entre le 16 avril 1644 et le 22 avril 1644).
[246] Memorial y puntos de hecho…, p. 23-24. Le texte de la lettre du roi aux consuls et Conseil de la ville d’Ille se trouve également transcrite (dans un français très catalanisé) parmi les registres de la Procuració reial dels Comtats (ADPO, 1 B 394, fol.72, Carta enviada per Sa Mag.t X.ma de Gloriosa memoria a la Universitat de la villa de Illa, 25 avril 1643, enregistrée entre 7 mars 1646 et 9 juin 1646).
[247] AMAE, CP Espagne 26 (fol.50-62v), Disposicion del Estado de Catalunya, (1643), (Document n°33 « Y en el estado presente ¿ quien no reconoce las Villas de Illa, Santa Coloma y Pons tan contentas por esta gracia recebida de la Real clamencia de V.M. ? » Nous verrons par la suite que la communauté d’Ille tenait le privilège pour établi, car il aurait été donné de façon orale par Schomberg et confirmé ensuite, toujours oralement, par le roi à Narbonne et à Perpignan (voir infra).
[248] ADPO, 1 B 394 (fol.72v), Altre carta enviada per Sa Mag.t X.ma que deu g.de a la Vila de Illa [sic], 10 décembre 1643 (enregistrée entre le 7/3 et le 9/6/1646). En réalité il s’agit d’une lettre envoyée au maréchal de La Mothe.
[249] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.123v-124v), Lettres patentes donnant 3000 livres de pension annuelle pendant dix ans à l’université de la ville d’Ille, Saint-Germain-en-Laye, 18 avril 1643 (enregistrées entre le 16 avril 1644 et le 22 avril 1644).
[250] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.123-123v), Ordre à Sangenís de payer (conformément au privilège fait à St Germain le 18/4/1643) 10 000 livres monnaie de Barcelona sur les biens confisqués, soit 1000 livres par an pendant 10 ans, à l’université de la ville d’Ille (grâce non expédiée), 16 avril 1644.
[251] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.133v-134), Ordre à Sangenís de payer 12000 livres monnaie de Barcelona à l’université d’Ille, 22 avril 1644 (acte expédié).
[252] ISSARTEL, Thierry, Politique, érudition et religion au Grand Siècle : autour de Pierre de Marca (1594-1662), thèse de doctorat ès lettres de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, sous la direction du professeur Christian DESPLAT, soutenue le 16 décembre 2000. Voir aussi du même auteur « Pierre de Marca (1594-1662), l’absolutisme et la frontière », », Del Tractat dels Pirineus a l’Europa del segle XXI, un model en construcció? / Du Traité des Pyrénées à l’Europe du XXIe siècle, un modèle en construction ? [Oscar Jané, ed.], Generalitat de Catalunya-Museu d’Història de Catalunya, Barcelona, 2010, p. 127‑137.
[253] Voir supra II. 1) A), B) et C).
[254] Cité par ISSARTEL, « Pierre de Marca (1594-1662), l’absolutisme et la frontière »…, p. 132.
[255] SHD, A1 88 (n°454), 20 mai 1644.
[256] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.216-216v), 28 novembre 1644.
[257] BNF, Français 4216 (fol.78-87v), Lettre de Marca à Le Tellier, 16 octobre 1644.
[258] BNF, Baluze 103 (fol.116-130v), Instruction donnée a Mgr le Comte d’Harcourt s’en allant en Catalongne, 18 janvier 1645.
[259] BNF, Baluze 123 (fol.271-271v), Project du don de quelques confiscations (envoyé avec la lettre du 5 juin 1645). Nous donnons une édition de ce mémoire (Document n°12). Voir aussi les circonstances de ce mémoire supra : Deuxième partie, I. 2.
[260] LAZERME, t. I, p. 78-83 ; recherches inédites de Bernard Péricon.
[261] BNF, Baluze 123 (fol.251-254), Lettre d’Harcourt à Marca, 1er juillet 1645.
[262] ACA, Cancilleria, Intrusos 113 (fol.208v-209), Lettres patentes donnant à Francesc de Boxadors la baronnie de Bellpuig, septembre 1643 (transcription). Bellpuig, comarca d’Urgell, province de Lleida. Voir supra : Première partie, II. 2.
[263] AMAE, CP Espagne 26 (fol.163), 22 juillet 1645. « Que la condesa de Savalla mujer del dicho conde ha tomado posession de las Baronias de Belpuig, Liñola, y demas que su Mag.d hizo merced al conde su marido, y que los vassallos se le oponen diziendo que quieren ser de la Corona Real, y no de particulares, y que la condesa y sus deudos an resuelto de dar razon dello a los sres ministros supremos ».
[264] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.185-188v), V.A. uneix perpetuament sens separacio a la Corona y Patrimoni Real totes les baronies y honors de Bellpuig y de Anglesola y de Linyola ab facultat de tenir un sindich en Corts, 9 mars 1646. « […] hoc precipue tempore, quo bellum in Campo Urgell et Tarrachone marchis Cathalonie cum Rege Castelle urget cum campus dictarum Baroniarum adeo foecundus, frugiferque sit ut copie exercitusque Regii ali affluenter possint abundent que tote dicte Baronie iis que ad vite cultum necessaria pedestribus, tum equestribus copiis desiderantur, et sit incolarum natura ut semper dominis Baronibus que suis studiosisissimi se prebuerint ; et pro illorum parte etiam nobis reverenter supplicatum est ut eos Regie Corone aggregare inseparabiliter dignaremur : Cumque propter illorum plura et grata servitia favore, et gratia Regia digni visi fuerint, et semper sumptibus et expensis suis plures homines armatos pro servitio sue Magestatis et Provintie sustentaverint in obsdidionibusque Ilerde, Castri de Gardenii, Balagarii, Aytona, Almanar, et in tuitione collium de Cabra, de Lilla, et del Estret de la Riba atque in Liberandis Cathalanis captis in castro oppidi de Gostanti ex doloso bello de Cambrilis, et in oppido de Bellpuig, quod dictarum Baroniarum caput et precipuum earundem est conservata fuerint nedum milites domini Regis verum et Provintie : Tormenta militaria arma, rei frumentarie, et alia ad exercitus sustentationem necessaria, fuerit que semper vulgariter dictum Plasa de armes ; et quod multum laudabile est quando oppidum de Aramunt, quod parum distat a dictis Baroniis, immemor fidelitatis debite sue Majestati, crimen destabile Rebellionis commisset, semper firmiter, et fideliter in Regia perseverarunt obedientia, nullorum consentire voluerunt temerariis consiliis que omnia gratia infrascripta dignissimos reddunt ».
[265] BNF, Français 4216 (fol.213v), De la distribution des biens confisquez, 6 novembre 1645. Nous donnons l’édition de ce texte (Document n°12). Il a également été envoyé à Le Tellier. Voir le commentaire de ce document supra : Deuxième partie, I. 2.
[266] BNF, Français 4216 (fol.217-217v), Lettre de Marca à Le Tellier, 30 novembre 1645.
[267] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.101v-103v), Lettres patentes de don de la vicomté d’Ille et d’érection de cette vicomté en comté, en faveur de Josep d’Ardena i de Darnius, décembre 1645 (acte transcrit entre un acte du 8 et un autre du 11 juin 1646 ; mention marginale de chancellerie portant exemption du droit du sceau). Voir édition en annexe : Document n°50.
[268] BNF, Français 4201 (fol.59v-60v), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 22 février 1646.
[269] SHD, A1 99 (fol.234v-241v), Lettre du Roy a Monsieur le Comte d’Harcourt touchant la distribution des biens confisqués dans la Catalogne, un écrit contre don Joseph Marguerit et touchant Monsr de Marca et autres points, 18 mai 1646.
[270] SHD, A1 99 (fol.234v-241v), Lettre du Roy a Monsieur le Comte d’Harcourt touchant la distribution des biens confisqués dans la Catalogne, un écrit contre don Joseph Marguerit et touchant Monsr de Marca et autres points, 18 mai 1646. Une lettre est aussi envoyée à Marca l’informant du contenu de la lettre précédente (SHD, A1 99, fol.234v-241v, 18 mai 1646).
[271] Pour l’aspect diplomatique de la mission d’Ardena et ses conséquences, lire notre chapitre consacré aux négociations de la paix, infra, Deuxième partie, III., 1.
[272] SHD, A1 99 (fol.213-215v), Réponse du roi au mémoire présenté par Josep d’Ardena, 9 mai 1646 ; SHD, A1 99 (fol.223-223v), Lettre de la reine aux députés de la Generalitat, 13 mai 1646.
[273] Memorial y puntos de hecho…, p. 23-24. Le texte de la lettre du roi aux consuls et Conseil de la ville d’Ille se trouve également transcrit (dans un français très catalanisé) parmi les registres de la Procuració reial dels Comtats (ADPO, 1 B 394, fol.72, Carta enviada per Sa Mag.t X.ma de Gloriosa memoria a la Universitat de la villa de Illa, 25 avril 1643, enregistrée entre 7 mars 1646 et 9 juin 1646). Voir édition dans le dossier sur Ille : Document n°52.
[274] ADPO, 1 B 394 (fol.72), Carta enviada per Sa Mag.t X.ma de Gloriosa memoria a la Universitat de la villa de Illa, 25 avril 1643 (enregistrée entre 7/3/1646 et 9/6/1646, plus probablement dans les premiers jours de juin) ; (fol.72v), Altre carta enviada per Sa Mag.t X.ma que deu g.de a la Vila de Illa, 10 décembre 1643 (enregistrée entre le 7/3 et le 9/6/1646, là aussi plus probablement au tout début de juin).
[275] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.103v-104v), 11 juin 1646.
[276] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.104v-105), 11 juin 1646.
[277] Voir infra : Deuxième partie, I., 2.
[278] SHD, A1 100 (fol.117-117v), Lettre du roi à Harcourt, 23 septembre 1646. La lettre est transcrite (dans un français catalanisé) au sein des registres de la Procuració Reial de Roussillon (ADPO, 1 B 394, fol.73v-74, Carta enviada per sa Mag.t X.ma del Reÿ nostre señor al’ex.mssim s.r compte de Harcourt loct. ÿ capita general en lo Principat de Cathalunÿa ÿ Comptats de Rossello ÿ Cerdanÿa, 23 septembre 1646), accompagnée d’une lettre identique envoyée à Pierre de Marca (ADPO, 1 B 394, fol.74v-75, Altra carta transcrita per dita xp.ma Mag.t del Rey nostre señor al señor de Marca fan les dos per la vila de Illa, 23 septembre 1646)
[279] Dietaris…, vol. VI, p. 178, 12 novembre 1646 : « Dilluns, a XII. En aquest die, en la tarda, fonch presentada a ses senyories en lur consistori, per los magnífichs Francesch Çabater, doctor en medicina, y Steve Pujol, síndichs de la vila de Illa, la suplicació que és assí originalment cusida, signada de letra A, la qual manaren ésser continuada en lo present dietari, perquè en tota occasió se haja la deguda rahó ».
[280] Dietaris…, vol. VI, p. 812-813, 12 novembre 1646. Voir édition dans le dossier d’Ille donné en annexe : Document n°55.
[281] BNF, Espagnol 337 (fol.380-401v), Memorial y puntos de hecho y drecho tocantes a la pretention tiene la villa de Illa para suplicar a su Magestad (Dios guarde) les mande el Privilegio de villa Real por las causas y razones aqui refferidas (imprimé), Paris, 1647, p. 14-15 (fol.387v-388), Lettre des conseillers du Conseil des Cent au roi, 13 novembre 1646. Voir édition dans le dossier d’Ille : Document n°52.
[282] Memorial y puntos de hecho…, p. 15-16 (fol.388-388v), Lettre des conseillers de la ville de Barcelona à Pujolar, 13 novembre 1646. Voir édition dans le dossier d’Ille : Document n°52.
[283] Miquel Vilar a épousé le 15 avril 1646 à Ille Isabel Gelada, fille de Miquel Gelada, habitant d’Ille, et d’Isabel. Ils ont eu au moins un fils, Josep Vilar i Gelada, né vers 1645, qui restera partisan de la France et se fixera dans la ville de Prades en Conflent. Ayant d’abord suivi la carrière des armes comme son père en tant qu’« alferez de caball de la companya del Senyor Marsal del Regiment Cathala » (mention en 1675), il est nommé viguier de Conflent et de Capcir dans les années 1690. Il est mort à Prades le 1er mars 1708. Recherches d’après les registres paroissiaux de Prades (ADPO).
[284] SHD, A1 69, n°242, Lettre du roi aux députés du Principat de Catalogne pour leur recommander Miquel Vilar, 10 mai 1642.
[285] Dietaris…, vol. VI, p. 892-911, 12 octobre 1647. Le témoignage de Miquel Vilar se trouve consigné aux pages 898-899.
[286] Une telle déclaration est à relier aux circonstances particulières de l’année 1647 : Pujolar est partie prenante dans la défense de Martí à la cour. Il est scandalisé, comme tout le clan d’Ardena qui le soutient, par le procès que les Consistoires lui intentent. Il le trouve injuste, et défend l’argument que Martií n’a fait que servir le roi en se rangeant derrière la volonté de la cour : faire la paix avec l’Espagne. Voilà pourquoi une bonne partie des Catalans – celle qui, en lien (ou pas) avec le clan Margarit, s’acharne contre Martí – est montrée comme opposée aux volontés royales, et, par là, coupable de trahison. Nous reviendrons infra sur la question diplomatique : Deuxième partie, III.
[287] Dietaris…, vol. VI, p. 892-911, 12 octobre 1647. Le témoignage de Miquel Vilar se trouve consigné aux pages 898-899. Voir édition dans le dossier d’Ille : Document n°55.
[288] ADPO, 1 B 396, Dirigida als Consols ÿ concell de la villa de Illa, 9 janvier 1647. « Com la causa per la qual nos los haveu manat venir sia per negoci particular ÿ no del comu de dita vila vos manam de nostra certa scientia ÿ Real auctoritat que no doneu ni pagueu ni donar ni pagar fassau quantitat alguna a compte del comu de la universitat de dita vila a les ditas perçonas per tal vinguda sots pena quels donareu haureu de pagar de vostres bens propris ÿ altres penas ».
[289] ADPO, 1 B 396, Dirigida als Consols de la vila de Illa, 22 janvier 1647 (il s’agit de l’original de la lettre, enregistrée dans les registres de la chancellerie de Catalogne : ACA, Cancilleria, Intrusos 116, fol.104v-105) « […] ÿ tambe vos diem y manam que no cobreu ni cobrar fassau dret algu de la treta dels grans y fruits son de la cullita de dit Compte y si lo contrari pretendeu vindreu assi a donar raho e no fassau lo contrari que altrement manarem procehir contra vosaltres segons de Justitia sera trobat fahedor...». Voir aussi édition dans le dossier Ille : Document n°52.
[290] En réalité, il s’agit de deux versions successives du même texte ; nous nous basons sur la plus longue. Il semble que le scripteur ait beaucoup hésité dans la rédaction, d’où de nombreuses ratures et la présence de ces deux versions.
[291] LAZERME, t.II, p. 178-170. Estève Gros est le fils d’un pagès d’Ille, Joan-Estève Gros, et de Clara. Son frère aîné Francesc Gros est marchand, ses autres frères, Pau et Tomàs, respectivement apothicaire et prêtre bénéficier d’Ille. En 1649, Francesc Gros épousera Ana Sabater, alors que sa fille Clara, née d’un précédent mariage, épousera Josep Semaler ; deux conjoints membres des plus grandes familles de la ville. Tous ces gens étaient proches parents ou alliés des différents ambassadeurs envoyés par la ville à la cour ou à Barcelona.
Veuf en premières noces d’une femme prénommée Ana, Estève Gros se remariera le 2 août 1649 à Ille avec Margarida Izern. Après l’annexion du Roussillon à la France, il prêtera serment de fidélité à Louis XIV entre les mains de Francesc Romanyà, viguier de Roussillon, le 3 octobre 1663 (ADPO, 1 B 401). Dès la génération suivante, les Gros des différentes branches s’allient avec des familles de burgesos honrats (Mauran, Dulçat, Bruguera).
[292] ADPO, 1 B 396, Procès-verbal de Jacint Clos pris par le notaire Ferriol, 2 février 1647. Voir l’édition de ce document en latin dans le dossier Ille : document n°53.
[293] SHD, A1 100 (fol.117-117v) ; ADPO, 1 B 394 (fol.73v-74) ; lettre identique envoyée à Pierre de Marca (ADPO, 1 B 394, fol.74v-75, Altra carta transcrita per dita xp.ma Mag.t del Rey nostre señor al señor de Marca fan les dos per la vila de Illa, 23 septembre 1646). Voir supra.
[294] BNF, Français 4217 (fol.20-23), Lettre de Marca à Le Tellier, 6 février 1647. « Il y a six jours que les sindics d’Ille me representent qu’il y avoit dix hommes gens de métier de ladite ville qui avoient esté adjournez personnellement par lettres de chambre parce qu’ils n’avoient pas voulu consentir a la prise de possession, de quoy je fis raport a M. le Viceroy qui trouva bon que l’on renvoyast ces gens, et que l’on travaillast a l’accommodement du principal ».
[295] BNF, Français 4217 (fol.60v-63), Lettre de Marca à Le Tellier, 27 mars 1647.
[296] SHD, A1 103 (fol.221v-223), Lettre du Roy a Monseigneur le Prince de Condé touchant la demande que fait au Roy la Ville d’Islles en Roussillon d’estre mise au nombre des Villes Royalles de lad. Province au prejudice de la donation faite au Sr Don Joseph Dardenne, 6 avril 1647. « Mon Cousin, Les habitants de la Ville d’Islles en Roussillon ayant deputé vers moy expres leur scindic pour une seconde fois afin d’obtenir que je donne a lad. Ville le tiltre et les advantages des Villes Royalles en Catalogne […] ».
[297] BNF, Espagnol 337 (fol.380-402). Nous en donnons la reproduction (Document n°52).
[298] Par exemple, BNF, Français 18431, « Recueil de pièces, manuscrites et imprimées, concernant les crimes de lèse-majesté, et les procès politiques du règne de Louis XIII et des premières années du règne de Louis XIV ; papiers du chancelier Séguier ». (page de titre de la main de Denis Godefroy ; volume aux armes de Pierre Séguier). Ceux qui douteraient de notre attribution de l’annotation faite sur le factum des consuls d’Ille se reporteront à cette lettre du 3 mai 1662, manuscrite et signée par Denis Godefroy, adressée à l’évêque de Luçon Nicolas Colbert (BNF, Baluze 362, fol.33-34), consultable sur Gallica à l’adresse suivante : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90015574/f72.image.r (consultée le 11 mai 2014).
[299] Après la mort du chancelier, une grande partie de ses papiers allèrent à son petit-fils Armand du Cambout de Coislin, puis au fils de ce dernier, Henri-Charles du Cambout de Coislin (1664-1732), évêque de Metz, membre de l’Académie française. Sa collection comptait plus de 4000 manuscrit. Il la légua à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
[300] P.3 (fol.382) : « Una de las mas numerosas de Rosellon (pues llega a mas de quinientos vezinos) ».
[301] P. 14-15 (fol.387v-388), Lettre des conseillers du Conseil des Cent au roi, 13 novembre 1646. « Señor, A nos lastimado el desconsuelo que havemos visto en la villa de Illa y sus habitantes de averseles referido que siniestras informationes hajan querido dezacreditar delante los reales ojos de V.M. el abono y aplauso universal que hasta el dia de hoy an tenido en ser fieles vasallos de V.M., gente pacifica y deseosa de que se administre en aquel pueblo justitia, no de ninguna suerte ni por pensamiento seditiosa, ni gente bandolera, ni de mala vida : antes bien siempre resignados al servitio de V.M. y observantissimos a sus reales mandatos […] » Pour le contenu de la supplique commenté supra : Dietaris…, vol. VI, p. 812-813, 12 novembre 1646. Voir édition dans les pièces annexes (Document n°55).
[302] FOL. 388-388v (p. 15-16), Lettre des conseillers de la ville de Barcelona à Pujolar, 13 novembre 1646. « […] conciderando nosotros que […] a faltado V.M. a la buena opinion que se tiene de su persona y al oficio de Agente desta ciudad que ocupa, y a lo que judicamos anda todo dirigido a la buena direction de los negocios del Señor Don Iusepe de Ardena (del buen succeso de los quales tendremos contento) reconosidos a sus aventajadas partes y servicios de su persona ; pero esso no a de ser por vias indirectas, ni en vilipendio y deshonor de tercero, como lo recibe muy grande dicha villa en dos cosas y nosotros siendo manifestadas por nuestro Agento tenemos justa causa de quexarnos : y ansi dezimos a V.M. que en lo uno y en lo otro se abstenga en hazer essos oficios contra la villa de Illa escusando la causa podriamos tener en major disgusto de V.M ».
[303] CAPDEFERRO i PLA, Josep, Joan Pere Fontanella (1575-1649), un advocat de luxe per a la ciutat de Girona, Universitat Pompeu Fabra. Departament de Dret, 2010, p. 622 et 683-694. A sa mort, à la fin de l’été ou au début de l’automne 1648, Pere Boix eut, pour sucesseur comme avocat consultant de la ville de Girona, le célèbre Acaci de Ripoll.
[304] La supplique présentée par le syndic Pujol en 1643, donnée en copie en tête du Punto II (p.22-23, fol.381v-392), mentionne d’ailleurs que le roi venait depuis 4 mois d’octroyer à la ville d’Ille le privilège de ville royale : « Gabriel Pujol sindico de la Villa de Illa representa que […] ni de la merced que quatro mezes a fue servido hazer a dicha Villa de agregarle a su Real patrimonio pagando a V.M. los mismos drechos que de antes al Marques de Aitona no se le a dado despatxo alguno ».
[305] Memorial y puntos de hecho…, p. 23-24. Voir aussi ADPO, 1 B 394, fol.72, Carta enviada per Sa Mag.t X.ma de Gloriosa memoria a la Universitat de la villa de Illa, 25 avril 1643, enregistrée entre 7 mars 1646 et 9 juin 1646.
[306] ACA, Cancilleria, Intrusos 124 (fol.204-208), Don à Francesc Sangenís de la tour qu’avait le marquis d’Aitona à Alella (la Torre d’Alella) avec toutes ses dépendances (les biens du marquis d’Aitona ont été confisqués par sentence royale 30 octobre 1642, rapporteur Josep Orlau), 7 octobre 1648.
[307] SHD, A1 103 (fol.221v-223), Lettre du Roy a monseigneur le prince de Condé touchant la demande que fait au roy la ville d’Islles en Roussillon d’estre mise au nombre des villes royalles de ladite province au prejudice de la donation faite au sieur don Joseph Dardenne, 6 avril 1647.
[308] BNF, Français 4217 (fol.89v-95), Lettre de Marca à Le Tellier, 27 mai 1647. Voir édition : Document n°54.
[309] BNF, Français 4202 (fol.230-235v), Lettre de Le Tellier à Marca, 18 juin 1647.
[310] BNF, Français 4217 (fol.105-106), Lettre de Marca à Le Tellier, 7 juillet 1647.
[311] Agramunt, province de Lleida.
[312] SANABRE, p. 263-264 et 286.
[313] SANABRE, p. 301.
[314] Voir infra : Troisième partie, I. 2.
[315] ACA, Cancilleria, Intrusos 118 (fol.158-161v-), 7 novembre 1647. « Per quant per part del amat noble y spectable don Joseph de Biure y Margarit portant veus de General Governador en lo present Principat de Cathalunya com a pare y llegitim administrador dels nobles y amats de Sa Mag.t sos fills senyor dels Castell y termens de Praxens y Myanell nos es estat representat que en virtut de certa provisio feta en lo real Consell en temps del Rey Catolich fonch declarat que si volia prohibir als homens de Agramunt de pasturar los bestiars en los termens de dits dos llochs conservant son possessori hagues de pagar fins a tant que altra cosa fos proveida tots anys a dita universitat quoranta lliures Barceloneses les quals fins lo anÿ mil sis cents quoranta quatre son estades deposades en la taula de la Ciutat ab solta. Perso que dit don Joseph sempre ha tingut animo de cobrarlas com ha cosa indebita e injustament pagada y com vuÿ tots los drets privilegis emoluments emprius y perrogatives de dita vila de Agramunt per haver comes lo crim detestable de Lesa Mag.t precehint legitim proces y conclusio feta en lo Sacro Real Consell per lo Mag.ch y amat de Sa Mag.t m.r Felicià Graells toquen y specten al Rey nre. s.or y nos aÿa constat esser pocha iusticia de dita universitat y homens de Agramunt y cosa de poch interes lo ques litiga. Considerant nosaltres lo amor y fidelitat ab que dit Spectable y noble don Joseph ha servit y serveix a sa Mag.t y present Provinsia desdel punt y ora que aquella presta obedientia al Rey nostre senyor Pare de sa Mag.t fins vuy no perdonant a ninguns treballs ni perills de sa persona exposantse en aquells axi en lo Camp de Tarragona com en qualsevols altres parts ahont fossen las forces enemigas, per lo que ha perdut en lo Camp y Ciutat de Tarragona notable part de sa asienda cremant y asolant los enemichs las casas y amenissims jardins, los quals de molts segles a esta part havien conservat los Ill.res predecessors, y confiscat moltas rendas antigas que sa casa rebia en dit Camp y Ciutat […] »
[316] AMAE CP Espagne 20 (fol.214-215). Voir cet article commenté supra : Première partie, I. 2.
[317] ACA, Cancilleria, Intrusos 119 (fol.197-201v), Restitution à la ville d’Agramunt des privilèges qu’elle avait avant l’entrée des Espagnols, à l’exception cependant de la grâce faite par le prince de Condé à Margarit le 7 novembre 1647, 27 septembre 1648.
[318] BNF, Français 4202 (fol.459v-462v), Lettre de Le Tellier à Marca, 8 décembre 1647. « Je vous adresse une lettre, que j’escris aux depputtez du principat en response de celle qu’ils m’ont faite sur le differend d’entre Monsieur dom Joseph d’Ardenne, et la communauté d’Isle, afin qu’il vous plaise de la faire rendre et d’y adiouster ce que vous jugerez apropos, Je la fais laisser ouverte, afin que vous la voyez ». Nous ignorons le contenu de la lettre de Le Tellier aux députés de la Generalitat.
[319] AMAE, CP Espagne 27 (fol.457), Lettre des consuls d’Ille à Mazarin, 31 juillet 1648. Voir édition en annexe dans le dossier Ille : Document n°57.
[320] Voir infra : Troisième partie, I. 1.
[321] BNF, Français 4217 (fol.304-304v), Lettre de Marca à Le Tellier, 13 mai 1648. « Si Son Eminence [Sainte-Cécile] m’eut communiqué l’affaire des habitants de la ville d’Ille, je n’eusse pas manqué de luy donner mon advis, suivant que Sa Majesté me l’ordonnoit par sa lettre. Il s’est contenté de conferer sur ce sujet avec M. le Chancelier et a laissé la chose entre les mains des juges, qui sont fort favorables pour les interests de dom Joseph d’Ardenne. Sa Majesté pourroit terminer ce diferend escrivant une lettre audit sr d’Ardenne pour luy témoigner qu’elle desire que l’on cherche un accomodement en cette matiere qui puisse donner satisfaction aux deux partis. Je vous ay écrit cy devant, Monsieur, que je tenois le droit de ceux d’Ille fort certain : et je pense que l’on peut trouver des expediens pour contenter les une set les autres, comme seroit celuy de pareage ou de conseigneurie pour la jurisdiction entre le Roy et le Comte, sous les conditions que l’on adviseroit… ».
[322] BNF, Espagnol 337 (fol.380-401v), Memorial y puntos de hecho… (p. 6), voir supra.
[323] SANABRE, p. 412-414.
[324] AMAE, CP Espagne 27 (fol.434-437v), Procès verbal (en latin) d’assemblée de l’université de la ville d’Ille dans l’église Santa Maria de la Rodona, avec relation faite par le syndic Francesc Sabater, 5 juillet 1648. Voir édition dans le dossier d’Ille en annexe : Document n°56. Nous avons traduit ici le pronom catalan « ell » par « elle » pour ce qui se rapporte à Schomberg, appelé Son Excellence, afin de bien faire la différence entre les personnes.
« […] havent trobat a sa Ex.a en la vila de Igualada li digue que elle volie aconcertar la vila de Illa ab lo sor. Don Joseph de Ardena que li volie parlar de dit negoci, y apres de haverli parlat li torna dir quel seguis al citi de Tortosa y arribat ques fonch al cap de quatre dies lo crida dins lo claustro del Convent de Jesus de Tortosa junctament ab son secretari Mussur de Xarmue y li digue estes formals paraules que don Joseph de Ardena era molt bon cavaller y molt gran servidor de Sa Mag.t y que aixi se li havie de servar y complir lo que Sa Mag.t li havie promes y majorment dient dit don Joseph de Ardena que dins la present vila noy havie sino deu o dotze persones principals que impedien que no se li donas possessio de ella essent la major part del Poble de sa part y que ere estat en part senÿr de dita Vila y que aixi se havie de declarar la cause que se aporta a la Real Audientia, la qual deia nosaltres impediem nos declaras perque no teniem justicia […] »
[325] AMAE, CP Espagne 27 (fol.434-437v). « […] al que dit sor. Sindich li replica y li digue que la vila de Illa volie ques declaras la causa empero que sa Ex.a havie de dir la veritat y informar lo Conçell del que hoi dins la ciutat de Narbona quant Sa Mag.t (de Gloriosa memoria) promete als Consols y sindichs de esta vila dient que feia vila Real a la vila de Illa lo que confirma en sa Presencia en lo citi de Perpinÿa y conçedi altres promeses que feu a dita vila ; y en asso dit sor. de Lui digue que ell nou volie deposar en scrits Perquant ell serie part si ofeÿa y que essent President ere Jutge y nou podie fer ; y aleshores dit sindich li digue que pelie ( ?) enganÿ y ere molt mal informat que may dit de Ardena nils seus fossen estats senÿors en part ni en quart de dita vila de Illa y que aÿxi mateix no ere veritat que lo fet contrari a la possessio a dit Ardena o impedissen deu o dotze Principals Perquant li amostraria lo Sindicat y Conçell ab lo qual se resolgue per tot lo Conçell ple no se li donas dita possessio sino que se envias a sa Mag.t com ferem ; y apres dit sr Virrey li digue que los de Concell eren Bailets y Criats de dits Principals y que per temor de ells se aderien a llur vot […] »
[326] AMAE, CP Espagne 27 (fol.434-437v). « […] y vehent nosaltres la mudansa a feta dit sr Virreÿ de qui teniem confiança quens aconsolaria en tot lo que demanavem que havie corregut per sa ma casi la major part dels negocis de la Retentio de esta vila de ser Vila Real ÿ no tenir nosaltres altre persona que sens sie assenÿalada ab major veres que dit sor. virreÿ nos a aparegut convocar a v.s m.s y notifficar los lo que a passat ab dit sindich a fi de pendre resolutio si la causa se declara en contrari a la Real Audientia sis donara la Possessio a dit de Ardena y lo admetiem per senÿor, o no, y sobre de asso digan llur votÿ parer ».
[327] AMAE, CP Espagne 27 (fol.434-437v). « Que encaraque la Real Audientia del present Principat declare la causa contra la present Vila que en ninguna manera se done la Possessio a don Joseph de Ardena sino conservada la vila y sos particulars en la Possessio que esta de ser Vila Real ab la promesa que te dita Vila de sa Mag.t que no tindra dependencia de ningu sino de sa Mag.t y que dita Possessio sie pera sempre observada. Protestant tot lo present Conçell als dits Mag.chs Consols que en ningun temps assentigan ni consentigan a Possessio alguna que no tant solament dit de Ardena volgues pendre Pero ni ningun altre Cavaller particular, ço es decret de nullitat, sino tant en cap com en membres subdits vassalls de sa Mag.t com avuÿ son y que Perço se envie a sa Mag.t y al sor. Virreÿ la Resolucio del present Conçell per que miren ab olls de clemençia esta Universitat y Sa Mag.t li done lo Premi de tant ben guanÿat y no permete ser aquella en ningun temps çeparada sino unida e incorporada a la Real Corona de Fransa, offerint Primer perder mil vides que dexar per sor. a sa Mag.t (que deu Guarde) ».
[328] AMAE, CP Espagne 27 (fol.457), Lettre des consuls d’Ille à Mazarin, 31 juillet 1648. Voir édition : Dossier d’Ille en annexe, Document n°57. « […] lo que no quiso hazer el dicho Em.o su hermano, y ahora de nuevo siendo el ditcho sindico enviado al Ex.mo de Schomberch Virreÿ y Lugar Tiniente de estos estados de Cathalunÿa para diligenciar ditchos negoçios, a resuelto con sinistras informaçiones hetchas por parte del ditcho de Ardena como vera a parte con la deliberaçion del Consejo que le enviamos en que se declarasse la causa en la Real Audiençia de este Principado […] hemos determinado en acudir a V.Em.a supplicandole sea servido en representarlo a su Mag.d para que procure el remedio antes que se llegue a los manos »
[329] SHD, A1 108 (fol.94-94v), Lettre du roy a Mons le Mar.al de Schomberg pour pourvoir a la plainte que les habitans d’Isles font de ce que l’on a adjugé le comté d’Isles a don Joseph d’Ardenne qu’ils ne veulent pas recevoir pour seigneur, 25 août 1648.
[330] Voir supra.
[331] ACA, Cancilleria, Intrusos 123 (fol.112-114v), 7 décembre 1648.
[332] ACA, Cancilleria, Intrusos 119 (fol.163v-170), 13 septembre 1648.
[333] BNF, Espagnol 337 (fol.345-348v), La Comté d’Ampuries au Principat de Catalogne contre don Emanuel d’Aux, Capitaine de Cavallerie (imprimé), s.d.
[334] AMAE, CP Espagne 29 (fol.206), Lettre des syndics (de Castelló) d’Empúries au roi, 12 mars 1649.
[335] BNF, Espagnol 337 (fol.345-348v).
[336] SHD, A1 120 (fol.323v-325v), Lettre du roy a M. le duc de Mercoeur pour luy dire d’assembler le conseil d’Estat de l’Audience sur le different qui est entre les habitans du Comté d’Empurias d’une part et don Emmanuel Daux et le marquis de la Fare d’autre pour la jouissance dudit comté et en donner avis au roy, 7 juillet 1650.
[337] SHD, A1 112 (n°352), 9 mai 1649.
[338] BNF, Français 4219 (fol.100-112v), Memoire sur les divisions de Catalogne et du remede qui s’y peut aporter (de Pierre de Marca), vers juillet 1650.
[339] CAPDEFERRO i PLA, Josep, Joan Pere Fontanella (1575-1649), un advocat de luxe per a la ciutat de Girona, Universitat Pompeu Fabra. Departament de Dret, 2010.
[340] De Rocabertí, Ramon Dalmau, Presagios fatales del mando frances en Cataluña, Pedro Lanaja y Lamarca, 1646, p.5-6. « No permiten a los hijos que viven en Cataluña que puedan gozar los alimentos de la hazienda de sus padres. No consienten que a las propias mugeres se les haga restitucion de sus dotes, ni a los hermanos de sus drechos. Suspenden las sentencias de los pleytos, que ponen para tener mano con los que pretenden y obligarles con esto a que hagan alguna demostracion en servicio del rey de Francia. Y les ponen delante que con esto tendran que comer. Es todo lo dicho contra toda razon politica : pues el verdadero Principe, sin el menor vicio y afecto ha de juzgar lo que hallare mas justo ».
[341] FERRO, El Dret Públic Català…, p.390. RIPOLL, Acaci de, Regaliarum tractatus, Barcelona, Gabriel Nogues, 1644, 18.16 (p.123).
[342] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.111v-112), Ordre au trésorier Bru de payer 400 livres de pension par an à Joan de Rocabertí i d’Anglesola et Pere de Rocabertí i d’Anglesola, « germans fills legitims y naturals de don Fransesch Jofre de Rocaberti y Anglesola compte de Parelada y bescompte de Rocaberti y de dona Magalena mullar sua residents en dit Principat y molt effectes a sa Magestat » sur les biens confisqués de Ramon Dalmau de Rocabertí i d’Anglesola comte de Peralada et vicomte de Rocabertí, « en satisfactio de consemblants los ne llega lo dit quodam llur pare durant llurs vidas naturals tinguessen y possehessen mil lliures quiscum de renda annua ecclesiastica y secular com informe llargament apar ab lo ultim y valido estament de dit llur pare, lo qual feu ordena y firmeuen la palau comital de la vila de Parelada del bisbat de Gerona a vint y vuyt de mai y de milsiscents trenta y quatre en poder de Joan Peyro y Ferrer per auctoritat real not. public de dit vila de Parelada », 28 avril 1646.
[343] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.129-130v), 4 février 1647.
[344] ACA, Cancilleria, Intrusos 119 (fol.132-133), 18 août 1648.
[345] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.292-293), Ordre à Jaume Bru de payer 600 livres par an aux curateurs de Maria de Queralt, pour les tranches de 1/8 à 30/11/1644, 1/12/1644-31/3/1645, 1/4/1645-31/7/1645 (comme le précédent vice-roi avait ordonné à Sangenís de donner à Ramon de Queralt, canonge i tresorer de la seu de Barcelona, don Pedro de Aymerich i de Cruilles, et dona Cecilia d’Icart i de Queralt, curateurs des biens de dona Maria de Queralt, fille de Dalmau de Queralt quondam comte de Santa Coloma 600 livres barcelonaises pour les aliments concédés à dona Maria sur les biens du dit comte de Santa Coloma, comme en effet il n’a rien payé, et comme à présent c’est le trésorier royal qui l’administre), 6 juin 1645.
[346] Voir supra : Première partie, II. 3.
[347] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.249-250), Ordre au trésorier Bru de payer 200 livres par an à Maria et Cecilia d’Icart i d’Aguilar (100 chacune), à raison de la pension qu’elles recevaient sur les biens de leur père Cristòfol d’Icart, confisqués, pour leur aliment, après leur supplique ; à consigner sur la meilleure rente de ce patrimoine et la plus facile à tirer, 6 janvier 1647.
ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.320-320v), Ordre au trésorier Bru de laisser jouir Maria et Cecilia d’Icart i d’Aguilar de l’usufruit et habitation des maisons qui furent de don Cristòfol d’Icart leur père et de l’usufruit des meubles qui y sont, 16 février 1647.
ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.208v-209), Caution prêtée par Maria et Cecilia d’Icart i d’Aguilar, filles de Cristòfol d’Icart au roi et à son trésorier royal, promettant de rendre leurs comptes sur les revenus perçus des biens de Cristòfol d’Icart, 6 mars 1647.
Voir aussi LAZERME Inédit (Icart, Queralt).
[348] LAZERME, t. II, p.422. Ugo d’Ortaffa i Girau, fils de Ferran d’Ortaffa i Claret, capitaine du Castillet de Perpignan, et de Cecilia Girau i Torner, avait épousé successivement Inés Joli i Ros, Victoria de Blanes i de Vallgornera, puis Paula Seragut i Garriga. Il testa le 5 mai 1648 devant Francisco Moles, notaire à Zaragoza et mourut en cette cité. Ugo d’Ortaffa avait eu deux filles : Cecilia d’Ortaffa i de Blanes et Theodora d’Ortaffa i Seragut, qui se trouvaient en Roussillon avant juin 1651, date à laquelle elles se marièrent toutes deux respectivement avec Galderich de Foix-Béarn et avec Josep de Sorribes i Rubi.
[349] ACA, Cancilleria, Intrusos 119 (fol.58v-59), Ordre au trésorier Bru de payer la pension de 75 livres par an à Cecilia et Theodora d’Ortaffa sur les biens confisqués à leur père, 31 avril 1647
[350] Voir supra : Première partie, II. 2.
[351] LAZERME, t. II, p.53-54.
[352] ACA, Cancilleria, Intrusos 116 (fol.225-225v), Ordre à Jaume Bru de payer 600 livres, soit 200 livres chacun à Narcis, Joan et Francisca Descallar, enfants de Lluis Descallar, 4 mai 1647, « […] Per quant per part de don Narcis, don Joan, y dona Fran.ca Descallar fills de don Luÿs Descallar y de dona Alvira sa muller deffuncts nos es estat representat que la hasienda de dit llur pare les spectan a raho de vincle en son favor apposat y tambe lo dot de llur mare, y que aquella vuy te occupada lo fisch real y que estan pobres y sens hasienda alguna no sols pera poder prosseguir lo plet aportan contra dit fisch real a cerca la recuperatio de dita hasienda de dit llur pare pero encara sens tenir lo necessari pera passar sa vid, supplicant nos sie de nostron servey entretant tindram constar de sa justitia donarlos alimentos necessaris segons sa calitat y renda de dits bens […] ».
[353] SHD, A1 107 (fol.81v-83), Extrait dudit memoire envoyé par aucuns Catalans au roy ainsy qu’il ensuit, 20 février 1648.
[354] LAZERME Inédit (Sentmenat). Il s’agit de Maria de Perapertusa i Blan, mariée en 1616 à Joan de Sentmenat i de Torrelles. Son fils Francesc de Sentmenat avait épousé en 1645 Emerenciana de Toralla i de Gassol.
[355] AMAE, CP Espagne 27 (fol.56-56v), Lettre de Mazarin à Marca (minute autographe), 18 février 1647. « […] Je vous prie de voir de ma part la veufve de don Jean de Semmenat pour le faict de la confiscation qu’elle me mande que l’on poursuit des biens de feu son mary sous pretexte que son fils aisné est en Espagne pour recouvrer a ce qu’elle dit les biens de dona Emerenziana de Torallas sa femme, et de luy tesmoigner que je vous en ay escrit avec beaucoup de desir de pouvoir contribuer au contentement qu’elle desire. A quoy en effect je m’employeray volontiers selon l’advis que vous me donnerez la dessus, lequel j’attens a la premiere commodité […] ».
[356] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.199v), Ordre à Sangenís de payer 200 livres à Narcis Peralta del Real Consejo et avocat fiscal patrimonial « per los molts treballs extraordinaris presos aquest any passat en las causas y fets de las hasiendas confiscadas », 26 octobre 1644.
[357] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.200v-201), 27 octobre 1644.
[358] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.201-201v), 27 octobre 1644.
[359] Voir infra : Troisième partie, I. 1. et 2.
[360] Voir supra : Première partie, II. 1.
[361] BNF, Français 4216 (fol.165v-167v), Lettre de Marca à Le Tellier, 15 mars 1645. « La lettre du Roy quil vous a pleu m’envoyer pour la saisie des revenus du duché de Cardonne eut esté inutile sans la sentence qui a precedé, donnée par le Conseil Royal contre la duchesse de Cardonne, et ses deux fils, le duc de Lerma qui est laisné, et le marquis de Povar. Vous vous ressouviendrez s’il vous plaist, Monsieur, de l’avis qui vous fut donné que le roy pouvait retirer a soy le duché de Cardonne par les voyes de droit sans faire tort a monsieur le Maréchal de la Motte, d’autant qu’au temps du don, ce Duché estoit seulement saisy (a cause que la duchesse ne s’estoit point presentée, ni excusée, pour faire le serment de fidelité au Roy) sans que la proprieté fut encor acquise a Sa majesté, et partant qu’il n’estoit besoin que de poursuivre le jugement de la confiscation, qui acquerroit a sa Majesté la proprieté de ces estats. Il est arrivé depuis que cet advis fut porté a la cour, qu’a la sollicitation de monsieur le Maréchal de la Motte on fit des procedures criminelles contre la duchesse de Cardonne, et encore contre ses enfans, affin de les faire descheoir du droit qu’ils pourroient pretendre sur le duché en vertu des substitutions qui sont dans cette maison ; pour cet effect on a iustifié dans le proces par les lettres de la Duchesse, qu’elle avoit conspiré contre le Roy et la province, et par des tesmoins que le duc de L’Erma servoit le roy d’Espagne a Leyde ; la prise du marquis de Povar rend notoire son crime ; apres le depart de monsieur le maréchal on a jugé le proces et confisqué ses terres au profit du roy comme vous verrez, Monsieur, par le dictum de l’arrest, que je vous envoye du dernier de janvier de cette année 1645. […] »
[362] BNF, Français 4216 (fol.165v-167v).
[363] ACA, Cancilleria, Intrusos 127 (fol.240-241v), Commission à Joan Curus, procurador fiscal de la regia cort, et à son substitut pour prendre possession du duché de Cardona, marquisat de Pallars, comtat d’Empurias, de Prades, et autres états du duc de Cardona, 1er avril 1645.
[364] BNF, Français 4200 (fol.216-218), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 4 octobre 1645. « […] Pour ce qui concerne le duché de Cardonne, j’ay conseillé a messieurs de Meslin et Farret de faire instance auprez de la royne pour obtenir en vostre faveur le don des revenus dudit duché comme une chose par le moyen de laquelle il est plus aisé de vous gratiffier que s’il falloit tirer de l’argent de l’espargne […] mais je n’ay pas esté d’advis qu’ilz parlassent de la proprieté dudit duché […] bien que la chose se trouve maintenant en estat que leurs majestez en peuvent disposer a cause de la negligence aportée par monsieur le maréchal de la Motte a faire faire ladjudication dudit duché au proffit de Sa Majesté, en quoy il a manqué pour ne sçavoir pas les formes de la praticque, qui est une chose dont on ne peut blasmer un homme de sa condition ; neantmoins cela ne pouvant estre sçeu que de peu de personnes, si vous veniez a en avoir le don, l’on ne manqueroit pas de dire de vous ce que vous avez tesmoigné aprehender, qui est que vous aviez recherché a proffiter du malheur dudit Sr maréchal en demandant une chose dont il a esté gratiffié tandis qu’il estoit dans le service […] ».
BNF, Français 4200 (fol.267v-269), Lettre de Le Tellier à Marca, 9 décembre 1645. « […] il y a eu [dans le conseil] diverses opinions sur cette affaire, dont les unes ont esté de n’aporter aucun changement a la chose afin d’engager par ce moyen les gentilhommes et autres personnes de qualité de la province qui y peuvent avoir interest a demeurer dans la fidellité et l’affection qu’ilz doibvent au service du roy, et les autres ont esté de mesme advis que vous pour la reunion ; aussy ce sentiment auroit il prevalu sur la premiere si dailleurs lon n’avoit mis en doubte que monsieur le marechal de la Motte ayant obtenu le don (quoy que prematurement) dudit duché Sa Majesté n’en doibt pas disposer qu’auparavant on ne voye ce qui arrivera de ses affaires […] ».
[365] Voir supra. ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.292-293), Ordre à Jaume Bru de payer 600 livres par an aux curateurs de Maria de Queralt (Ramon de Queralt, canonge i tresorer de la seu de Barcelona, don Pedro de Aymerich i de Cruilles, et dona Cecilia d’Icart i de Queralt), 6 juin 1645.
[366] BNF, Français 4216 (fol.218-222), Lettre de Marca à Le Tellier, 28 novembre 1645.
[367] BNF, Français 4172 (fol.353v-355v), A M. le comte d’Harcourt sur le suiet d’un jugement rendu en l’Audiance royale de Catalongne pour raison d’un bien confisqué sustitué, et sur autres poinctz concernantz les affaires d’Estat en pareilles occasions dans lesquelles Sa Majesté luy prescrit quelle doibt estre sa conduite, 22 décembre 1645. Voir édition (Document n°5).
[368] BNF, Français 4172 (fol.356-356v), Lettre au sieur Peralta, avocat fiscal patrimonial en Catalogne, sur le jugement à l’Audience royale en raison d’un bien confisqué substitué, 22 décembre 1645. Voir édition (Document n°6).
[369] AMAE, CP Espagne 26 (fol.48-49v), Mémoire anonyme et sans titre (en espagnol), 1645 ou 1646. « […] Don Daniel de Marimon, enemigo declarado de Fransia y Cathaluña, murio sirviendo el ejercito del enemigo, y haviendo dexado hazienda de valor de mes de quarenta mil escudos, y hermana casada con Don Francisco Junyent, esta a pretendido la hazienda en virtud del vincle, y contra toda justicia los ministros an declarado en quatro dias contra al derecho de su Mag.d que el vincle tiene lugar cosa muy prejudicial al Real Patrimonio, tanto por el interes como por las demas haziendas que su Mag.d ha confiscadas pues no ay ninguna que no sea vinclada y con esta declaracion no viene a tener el Rey confiscacion de que hazer merced.
Magi Vilamajor ha patido sobre la hazienda de Boy 20 escudos y se a convenido con el segrestador de que no le hiziesse contrario y el Juez de que le dispidieze la causa, y ha tenido sentencia en favor y contra la hazienda del rey, muchos y muchos otros podria dezirle, y no lo ago por no cansarlo. Dios lo guarde ».
[370] Voir le projet de mariage de Marca pour Maria de Queralt, fille et héritière du comte de Santa Coloma, infra : Troisième partie, III. 1.
[371] BNF, Français 4217 (fol.89v-95), Lettre de Marca à Le Tellier, 27 mai 1647.
[372] ACA, Cancilleria, Intrusos 128 (fol.179-179v), Ordre à Sangenís de payer 300 livres sur les biens confisqués à Narcis Peralta, doctor del Real Consell et avocat fiscal patrimonial, 6 novembre 1647. Peralta a supplié : « en considerar dels molts treballs se li offereixen en lo patrocinar las causas patrimonials que passen de quatracentes y altres diligenties, y que per ser lo salari per raho de les causes fiscals molt poch se li donen tots anys de ajuda de costa sobre de dites haziendas confiscades doscentes lliures per any y que han discorregut any y mitg per lo qual se li deuhen trescentes lliures suplicantnos sie de mon servey manar pagarli aquells en satisfacio dedits sos treballs… ».
[373] ACA, Cancilleria, Intrusos 112 (fol.7-7v), Ordre à Sangenís de payer 200 livres sur les biens confisqués à Narcis Peralta, 31 août 1648.
[374] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.159v-160), Don à Carles de Alemany de Bellpuig de l’usufruit de maisons, tapisseries, meubles et censals de Contesina de Queralt, tante et possesseur des biens de Ramon de Çagarriga, prenant effet après la mort de ladite Contesina de Queralt, 14 mai 1647. Alemany avait argué du testament de Francesc de Çagarriga, père de Ramon, reçu le 26 mai 1633 par Gaspar Pi, notaire de Perpignan, où il est appelé lui et ses descendants à la succession en cas de mort de Ramon et de Contesina de Çagarriga, sa sœur. « […] y que avuy part de aquestos bens posseheix dita dona Contesina com son unas casas en lo carrer ample devant la iglesia de nostra senyora de la Mercé mas tapicerias y altres mobles y uns censals sobre lo comtat de Montagut, los quals despres de la mort de dita dona Contesina hau de tornar al hereu y successor de la casa de Çagarriga, y los demas bens de dita casa estan consignats als hereus de Pere La Cavalleria per cert temps, suplicant nos fossem servits concedirli que en cas que dita dona Contesina moris ans de esser purificat lo fideicomis apposat en son favor o altrament pogues usufructuar de dita casas mobles y censals […] ».
Il obtient finalement l’usufruit plein et entier – après la mort de Contesina ou à son préjudice ? – le 25 septembre 1647 (ACA, Cancilleria, Intrusos 145, fol.224v-225).
[375] Voir supra Première partie, I. 1.
[376] LAZERME Inédit (Çafont). Alvaro-Antoni Bosser i Prats, docteur en médecine de Barcelona, avait épousé par contrat du 2 juillet 1619 (Josep Çafont, notaire de Barcelona) Francesca Çafont i de Malla, sœur de Magdalena Çafont i de Malla, qui épousa le 10 mars 1627 (Francesc Pastor, notaire de Barcelona) Josep Fontanella.
[377] BNF, Français 4217 (fol.99v-103), Lettre de Marca à Le Tellier, 12 juin 1647.
[378] Joan Pere Fontanella, De pactis nuptialibus…, Venise, 1645, p. 477 et 608.
[379] ACA, Cancilleria, Intrusos 129 (fol.226-227v), Provision de surséance de séquestre en faveur d’Anna Rou, femme de Francesc Rou, de Berga, après supplique de sa part, avec estimation d’experts, à raison de censals et d’un héritage qu’elle lui avait versé en dot, 5 janvier 1648.
ACA, Cancilleria, Intrusos 129 (fol.130v-132v), Provision d’annulation du séquestre commencé par le procureur fiscal sur les biens de Joan Treguanÿ, accordé à son épouse Maria Treguanÿ, sur sa supplique, en raison de sommes qui restaient à payer sur sa dot, 12 juin 1648. Voilà le texte de la supplique : « Señor, nonobstant que Maria Treguanÿ muller de Joan Treguanÿ de la vila de Pons bisbat de Urgell per son dit sponsi y altres drets tinga y possehent la heretat y bens de dit son marit, instant la procurador fiscal patrimonial se ha pres inventari dels bens de dit Joan Treguany en forsa de la confiscatio por lo Real Consell feta ut adscritur en dit inventari ; y com dita Maria Treguanÿ es acreadora en dits bens en la quantitat de mil y trescentas lliures per son dot y screx segons lo disposat en la constitution tercera titol de bens de condemnats no pot esser treta de dita pocessio fins que sie pagada en dit dot y screx, donantli axi matex en dit cas la actio segons la pragmatica del Reÿ en Jaume. Pertant dita Maria Treguanÿ exhibint los capitols matrimonials y apocas y partida del bans de dita dit suplica esser sobresegut en la aprehentio de dits bens tant en virtut de dita constitutio et cetera com de altres aplicables y Justitia omni melio si modo ministrada lo ofici etc ».
ACA, Cancilleria, Intrusos 129 (fol.227v-229), Provision de surséance de séquestre en faveur de Margarita, femme de Francesc Claris, parayre de Berga, pour des sommes qu’elle lui avait payé en dot, 5 janvier 1648.
ACA, Cancilleria, Intrusos 128 (fol.238-239), Provision de suréance à la confiscation des biens de Josep de Pons, et de mise en possession de sa veuve Anna, pour raison de sa dot, 6 octobre 1648. Il y avait dans le contrat de mariage une clause de restitution en cas de non paiement de la dot, d’où le fait que les biens doivent appartenir à la veuve ; elle avait par le dernier testament de son mari l’usufruit des seigneuries de Montsonis et de Foradat.
[380] AMAE, CP Espagne 29 (fol.164-164v), Lettre de Llorenç de Barutell à Mazarin, 23 octobre 1648. « […] representare al sr virrei los clamores llantos y desconsuelos de muchos conventos de religiosos, de religiosas, de ecclesiasticos, lugares pios, y de muchos bien affectos a Francia ; la causa de su desconsuelo es, Em.mo sor., el ver que tienen los mas destos librado su sustendo en sensales y pensiones que tienen sobre los bienes confiscados y con aver trabajado tanto en las cobranças dellas en tiempo que las haziendas confiscadas estavan en manos del tezorero no pudieron salir bien dello. Agora se ven con majores dificultades pore star estas haziendas en manos de tantos a quien se les ha hecha merced que no esperan poder cobrar sino con pleitos processos y sententias, cosa que la sienten los acreadores por grande gravamen, dixome a esto Su Ex.a que a los que avia dado merced ja era con condition de que pagassen los males, esto de drecho es, y les condenaremos a los posesores quando vengan a pedir justitia pero esto sera con processo, jusgaria, o considero por remedio desto que viniesse un orden para que los que posseen estas haziendas pagassen los sensales, o otros males que les fueran assenyalados por el sr Virrei sin otro juissio que veritate facti inspecta […] »
[381] ACA, Cancilleria, Intrusos 113 (fol.202-202v), Ordre à Sangenís de payer 1000 livres par an pendant deux ans aux chanoines d’Urgell, sur les revenus des baronnies d’Estach et Peramola confisqués à la comtesse de Quirra, 24 septembre 1643 (conformément au brevet donné par Louis XIII à Saint-Germain-en-Laye le 25 avril 1643).
[382] Voir le développement consacré aux prétentions du chapitre d’Urgell, supra : Première partie, II. 2.
[383] SHD, A1 85 (n°182), Minute de grandes lettres patentes (transformées en petites) donnant les biens de Francesc Frigola au chapitre d’Urgell, 19 mars 1644. Nous commentons cet acte très curieux infra : Première partie, III. 1 Voir figure n°4.
[384] ACA, Cancilleria, Intrusos 114 (fol.210-211), Ordre à Felip Llorens, viguier de la Seu d’Urgell, de mettre en possession les chanoines d’Urgell des baronnies de Peramola et d’Estac, 28 novembre 1644.
[385] AMAE, CP Espagne 26 (fol.74), Lettre des chanoines d’Urgell à Mazarin, 8 avril 1645. Ils demandent de « despachar las patentes necessarias para la conclusion desta gracia ».
[386] Voir supra : Deuxième partie, I. 2.
[387] BNF, Baluze 123 (fol.271-271v), Project du don de quelques confiscations (envoyé avec la lettre du 5 juin 1645). Nous donnons une édition de ce mémoire (Document n°12).
[388] AMAE, CP Espagne 21 (fol.450), « Noticias de Catalunña » (de la main d’Isidoro de Pujolar), 10 décembre 1644.
[389] AMAE, CP Espagne 21 (fol.449), Lettre des députés de la Generalitat de Catalunya (signée de l’abbé de Galligans) à Mazarin certifiant les mérites de Josep de Caramany, ainsi que les dommages causés par ses ennemis sur ses domaines d’Empordà, 9 décmbre 1644.
[390] BNF, Français 4201 (fol. 106-108), Lettre de Le Tellier à Marca, 23 mars 1646.
[391] SHD, A1 96 (n°235), Lettres patentes contenant don en faveur du sieur Baron de Caramani des Baronnies de Peramols, Estach et Paracolls et dépendances (minute), mars 1646.
[392] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.289-290), Lettres exécutoires en faveur de Josep de Caramany pour prendre possession des villes, lieux et honneurs, juridictions, des baronnies de Peramola, Estach et Paracolls, 17 mars 1647.
[393] AMAE, CP Espagne 26 (fol.461), « Noticias de Cataluña » (de la main d’Isidoro de Pujolar), 12 juin 1647.
[394] AMAE, CP Espagne 30 (fol.80-82), Mémoire au sujet du procès entre Josep de Caramany et les chanoines d’Urgell, août 1649 Voir édition (Document n°39).
[395] BNF, Français 4217 (fol.276v-277), Lettre de Marca à Le Tellier, 21 avril 1648.
Voir aussi une autre lettre de Marca du même jour (fol.277v-278).
[396] AMAE, CP Espagne 30 (fol.80-82), Mémoire au sujet du procès entre Josep de Caramany et les chanoines d’Urgell, août 1649 Voir édition (Document 39).
[397] AMAE, CP Espagne 30 (fol.80-82)… « […] todos le aconsejaron que por cumplir con las obligationes de buen ministro havia de buscar todos los medios possibles para alargar la jurisdiction real […] y si podia reduzir el arbitro de la Corte Ecclesiastica a declarar en favor de la jurisdiction real concluyesse el negocio ».
[398] SHD, A1 108 (fol.58v-59v), Lettre du Roy a Mons. Le Mar.al de Schomberg pour prendre connoissance du differend qui est entre le chapitre d’Urgel et le nommé Joseph Caramany sur la possession de Baronnies de Peramola, Peracolz et Estats, 6 août 1648.
[399] SHD, A1 117 (n°109), Lettre du roi à Schomberg (minute), 29 octobre 1648.
[400] SHD, A1 108 (fol.180v-181v), Lettre du Roy a Monsieur le Mar.al de Schomberg sur le differend survenu entre le Chapitre d’Urgel et don Joseph Caramani, 24 novembre 1648.
[401] BNF, Français 4217 (fol.370-376v), Lettre de Marca à Le Tellier, 17 septembre 1648.
[402] AMAE, CP Espagne 30 (fol.80-82)… « Hecha esta declaracion o crehimos todos que el Cabildo se daria por satisfecho por no haverse podido proceder con major satisfaccion, que con el parecer de tanta gente docta, mas no se aquieto el Cabildo de Urgel »
[403] « […] que no podia haver cosa mas prejudicial a la justicia real que declarada una contencion en su favor se pudiesse firmar otra […] ».
[404] « […] y todos los doctores destas tambien nemine discrepante fueron de parecer que no se havia de firmar la duda, sino rescrivir al official ecclesiastico que borrara de sus registros las letras, o compareciera a informa la Audiencia real siguiendo exemplares antiguos, y lo que escriven nuestros doctores practicos Cathalanes […] ».
[405] SHD, A1 108 (fol.215v-216), Lettre du Roy au chappitre d’Urgel touchant le retour de l’Inquisiteur Ferrand, 4 décembre 1648.
[406] AMAE, CP Espagne 30 (fol.283-284), Lettre de l’inquisiteur Ferran à Mazarin, janvier 1650.
[407] « […] no puede haver major satisfaction que la conformidad con que todo se ha hecho, y hazer lo contrario era hechar a perder la jurisdicion real, pues los Ecclesiasticos huvieran siempre firmado tras de una contencion otra, inpidiendo todo el curso de las causas en que ellos tuvieran interes, o fuessen actores o reos ».
[408] LAZERME, t. III, p. 55-64.
[409] LAZERME, t. III, p.56. Constansa de Perapertusa, dame de Rabouillet et de Joch épousa le 3 août 1452 (contrat passé au château de Chalabre devant Bernard-Jean de Soler, notaire à Alet) Roger de Bruyères, baron de Chalabre, fils de Jean de Bruyères, baron de Chalabre, et de Béatrix de Mauléon. Leur fils cadet Gaston de Bruyères « succéda aux nom et armes de la maison de Perapertusa dont il devint le principal héritier du chef de sa mère qui lui fit donation de ses droits sur les baronnies de Joch et de Rabouillet le 15 juin 1485 ».
[410] Pour messire Antoine de Pujols, seigneur de Gères et de Rabouillet, ès noms et qualitez qu’il procede, demandeur, contre messire François de Rupit, marquis de Bournonville, héritier de dom Antoine de Peyrepetuse, vicomte de Joch, défendeur, 1688, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k374742p (consulté le 29 mai 2014), p. 1.
[411] AMAE, CP Espagne Supplément 4 (fol.466-482), Iuramentum fidelitatis S.Christianissimae, Regiae Maiestati domini nostri regis, et eius nomine excellentissimo domino Locumten. Generali in Civitate Barcinonae praestitum per incolas Principatus Cathaloniae, et Comitatuum Rossilionis, et Ceritaniae, Barcelona, Pere Lacavalleria, 1644. Voir la reproduction ce document (Document n°27). La mention d’Antoni de Perapertusa i de Vilademany de Cruilles, vicomte de Joch, est au folio 471v.
[412] Point qui sera par la suite nié par Perapertusa dans ses factums.
[413] Pour messire Antoine de Pujols…, p. 1.
[414] Pour messire Antoine de Pujols…, p. 2.
[415] BARBICHE, Bernard, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne: XVIe-XVIIIe siècle, Paris, France, Presses universitaires de France, 1999, p.298.
[416] AMAE, CP Espagne 25 (fol.78), Lettre des députés de la Generalitat à Mazarin (signée de l’abbé de Galligans), 24 avril 1645. « Avisats de la merce que Sa Mag.t (Deu lo guarde) es estat servit fer a esta Provincia, ab la declaratio o resolucio presa en raho de que lo vescomte de Joch no es obligat en haver de anar a litigar en lo parlament de Tolosa com per les hereters del s.or Cardenal de la Veleta sos adversants era pretés, per obstar en asso las Constituciones y drets de aquest Principat ; y havent tingut intelligentia que ara solo falta la val direct (?) en forma de la dita resolucio : haven scrit a est proposit a la Reyna nostra s.ra y lo mateix fem ab la present a V.Em.a confiats que en esta materia nos fara igual mercé que en totas las demes. Per lo que, attisa la evidentia de la Justicia en dicha pretensio, suplicam molt encaridament a V.Em.a sie de mercé sua volerla favorir y amparar honrantnos ab Sa Mag.t en esta raho ; que a demés de tenirla nosaltres y dit vescomte tant gran en la materia referida la estimarem no les menys a la par de totas las altras que gloriosament rebem cada dia de la generositat y poderosa ma de V.Em.a etc ».
[417] BNF, Espagnol 337 (fol.377-378), Raisons du vicomte de Joch, baron de Raboüillet, demandeur en cassation des Arrests du Parlement de Toulouse, et en renvoy au Conseil Souverain de Barcelonne (imprimé, fin 1645).
[418] BNF, Espagnol 337 (fol.371-373), Au roy et a la reine regente… (imprimé, avant octobre 1645). L’imprimé qui est relié en premier dans le volume vient en fait chronologiqument en second. La datation à avant octobre 1645 est permise par une mention trouvée dans un noticiaire de Catalogne envoyé à la cour (d’une autre main que celle de Pujolar mais peut-être inspiré par lui) : AMAE, CP Espagne 26, « Noticias de Cataluña », 19 octobre 1645. « Quel visconte de Joch ha echo un memorial empresso por dar al sr Virrey y Jueses del parlamento y a todos los deputados y instar por que el real consejo manda entregarle las baronias quel sr abad de la Ribera tiene en Catalunna asta tanto que mons.r d’Espernon le restituia las que contra toda razon y iustitia le ha usurpado en Francia ». Le mémoire imprimé qui est mentionné est très probablement l’un des deux que nous trouvons à la Bibliothèque nationale, et parmi ces deux, celui que nous venons de citer (fol.371-373 du volume BNF, Espagnol 337).
[419] BNF, Espagnol 337 (fol.372).
[420] BARBICHE, Les institutions…, p.306.
[421] BNF, Espagnol 337 (fol.372v).
[422] AMAE, CP Espagne 26 (fol.169v), « Noticias de Cataluña » (de la main d’Isidoro de Pujolar), 9 août 1645. « Que el haver Monsieur de Pernon (antes que llegan el arrest de su Mag.d a Tolosa) usurpado y tomado contra toda razon posession de las Baronias de Rebollet y otras quel Visconde de Joch tiene en Gascuña, quales los de su Casa ha mas de 600 años que las posehen, a desgustado a muchos Cathalanes por ser esto contra los privilegios y Constitusiones de Cathaluña, y haver sido el Visconde de Joch el primer titular que se declaro, y aseñalo a los principios destas guerras en favor de Francia, y el que con un tertio de Infantes Vassallos suios conservo a Cadaques.
Y que visto la injustisia se le ha hecho, los poco affectos le solicitavan porque siguiendo las leyes y Costumbres de Cathaluña y de los Ciudadanos de Barcelona, aya aseñalar marca y represalla por cobrar lo ques suio, lo que dicho Visconde no ha querido ni quiere hazer, sino recorrer a los Deputados del Principado, y Conselleres de Barcelona porque lo representan a sus Magestades y sres Ministros supremos, de la benignidad de los quales espera todo favor y merced ».
[423] AMAE, CP Espagne 24 (fol.17-18), Il plaira au roy et a la royne regente sa mere de considerer en l’affaire du vieur vicomte de Jocq baron de Rambouillet et autres places…, 1646 (la date de février 1644 qui est inscrite est absolument fausse). Voir édition en annexe : Document n° 35.
[424] L’abbaye de Lagrasse est située en Languedoc dans l’actuel département de l’Aude. Elle a été tour à tour sous tutelle des souverains (Charlemagne lors de sa fondation en 779), du pape (après le IXe siècle), du comte de Carcassonne (XIe siècle) puis du roi de France.
[425] AMAE, CP Espagne 24 (fol.17v).
[426] AMAE, CP Espagne 24 (fol.17v).
[427] AMAE, CP Espagne 25 (fol.18).
[428] Pour messire Antoine de Pujols…, p. 2.
[429] MERLET, Lucien, Bibliothèque chartraine antérieure au XIXe siècle, Slatkine, 1971, p. 19. La Rivière multipliait les abbayes, il était notamment abbé de Saint-Père de Chartres.
[430] CAPEILLE, Dictionnaire…, p. 461. Cité par LAZERME, t. III, p. 59.
[431] LAZERME, t. III, p. 59. Maria de Perapertusa meurt intestat en 1660. Le marquis de Risbourg fait un accord avec son beau-père le 13 août 1660 (devant Josep Quatrecases-Sala, notaire à Barcelona) selon lequel ce dernier lui donne en usufruit, jusqu’à la majorité de son fils, les seigneuries de Rabouillet et de Prats, en complément de la moitié des revenus de ces deux seigneuries accordées par Don Anton à sa fille le 29 juin 1659 (même notaire).
[432] LAZERME, t. III, p. 59.
[433] LAZERME, t. III, p. 60.
[434] Pour messire Antoine de Pujols…, p. 4.