III. Confiscations et restitutions dans les négociations de paix de Münster (1646-1648)
1. Apparition d’une question diplomatique dans le jeu international
Préliminaires : craintes des Catalans face à une trêve et fracas de la mission de Fontanella
Les confiscations de la guerra dels Segadors, qui affectent en premier lieu le territoire catalan ainsi que les victimes et bénéficiaires originaires de la province, ont également un retentissement diplomatique et international. Cet aspect demeure très méconnu, en premier lieu car la vision la plus répandue des relations internationales à l’époque moderne impose un découpage à travers de grandes dates : 1648, les traités de Westphalie entre l’empereur et la France d’un côté (traité de Münster) et de l’autre entre l’empereur et la Suède (traité d’Osnabrück), qui terminent la guerre de Trente Ans ; 1659, surtout, le traité des Pyrénées qui termine la guerre entre la France et l’Espagne. Les dispositions du traité des Pyrénées ont abondamment été étudiées au cours des siècles ; ce traité, à juste titre, est passé pour l’un des moments les plus marquants de l’histoire européenne. Parmi les plus célèbres, on pensera à l’annexion du Roussillon et de l’Artois à la France. Mais aussi, moins réputés, aux articles 55 et 58 qui rétablissent tous les Catalans dans leurs biens, annulant toutes les confiscations ordonnées en temps de guerre, et dispensant les ex-bénéficiaires de restituer les fruits qu’ils avaient pu percevoir pendant la durée du conflit. Assez récemment, des historiens ont savamment démonté et examiné ces poncifs historiques, et les ont replacés dans un contexte beaucoup plus large et accidenté jusqu’alors dissimulé par leur célébrité. Le plus significatif, le plus utile pour notre propre réflexion semble Daniel Séré qui en 2007, dans son travail majeur sur La paix des Pyrénées, sous-titré : Vingt-quatre ans de négociations entre la France et l’Espagne (1635-1659)[1], en a magistralement retracé la gestation très fastidieuse, toujours menacée mais jamais définitivement abandonnée, dont l’origine remonte à bien avant les traités de Westphalie et, en quelque sorte, les dépasse. « Le traité et le mariage, écrit-il, sont l’aboutissement d’une succession d’efforts, certains bien connus, d’autres presque oubliés, pour ramener entre l’Espagne et la France la paix rompue depuis 1635. La paix qu’on a imputé au traité des Pyrénées a une histoire qui remonte aux premiers temps du conflit »[2]. Nous ajouterons, pour abonder dans son sens : les dispositions du traité des Pyrénées relatives à la restitution des biens confisqués – qui ne concerne pas seulement les Catalans, puisque dans les autres territoires la résolution a également été adoptée – ne naissent pas de rien, n’ont pas été inventées de toutes pièces pendant les négociations de Mazarin et de Luis de Haro. Nous nous efforcerons donc dans ce chapitre de restituer les étapes, lentes et souvent sinueuses, ayant amené à cette disposition, en réalité traditionnelle dans les traités de paix entre la France et l’Espagne, mais qui, compte tenu du contexte particulier de la Catalogne à cette époque, était loin d’être évidente et acceptable pour beaucoup de personnes concernées.
Il nous faut d’abord replacer la question de la Catalogne dans le cadre général des négociations diplomatiques entre la France et l’Espagne. Même si cet aspect a été étudié par divers historiens[3] – sans qu’ils relèvent cependant la question des confiscations – nous voulons en donner un aperçu pour que le lecteur comprenne les grandes logiques des tractations qui, peu ou prou, inspirèrent des décisions de circonstance, et furent reçues en Catalogne avec la plus grande méfiance. Le premier point est appelé par Daniel Séré « la dynamique de restauration de la paix ». Cet aspect, négligé par les historiens, met en jeu la volonté des grands acteurs diplomatiques et des pouvoirs souverains, dont le roi Philippe IV lui-même : elle « obéit à des règles propres qui lui confèrent la cohésion et l’autonomie d’une réalité à part entière »[4]. Ainsi, en 1635, on passe de la paix, maintenue tant bien que mal depuis le traité de Vervins en 1598, à la guerre ouverte lorsque Richelieu décide de lutter contre la reconstitution de l’empire de Charles Quint rendue possible par la victoire des Habsbourg catholiques d’Autriche et d’Espagne sur la coalition protestante ; mais les premières années de guerre voient les premières tentatives pour renouer le dialogue. Sur l’initiative du pape Urbain VIII, tout d’abord, qui s’efforçait depuis plusieurs années déjà de désamorcer les conflits entre les deux puissances, et tentait d’imposer l’idée d’un congrès de paix. Dès 1635 le Père Joseph suggère à Richelieu d’envoyer le nonce extraordinaire (c’est alors Mazarin) en Espagne pour conclure la paix ; en 1636 le comte de Monterrey, beau-frère d’Olivarès, propose de façon individuelle une négociation directe sous l’autorité du pape avec la participation du maître général des Dominicains qui possède à la fois des relations à la cour de France et à la cour d’Espagne, mais Richelieu y met fin par crainte de la réaction des alliés de la France. Les gouvernements reprennent vite la voie du dialogue : la même année 1636, le comte de Salazar, prisonnier espagnol, est libéré et renvoyé à Madrid avec un papier et une proposition de rencontre faite par Richelieu à Olivarès. Puis en 1637 les deux ministres commencent à utiliser un intermédiaire secret, le baron de Pujols. Simple relais sans pouvoir de négocier, il est cependant la garantie d’un lien permanent.
C’est en juin 1637 qu’apparaît pour la première fois, de la part de Richelieu, l’éventualité de la signature d’une longue trêve de huit à dix ans pendant laquelle la paix pourrait être négociée : transmise par Pujols, l’idée de nommer des plénipotentiaires est bien acceptée de part et d’autre. Mais les adversaires ont des idées bien différentes : Richelieu veut une trêve longue, sur la base du statu quo en repoussant aux futures négociations la reconnaissance des conquêtes et l’échange des territoires ; Olivarès la veut courte, avec retour à la situation ante bellum. D. Séré note qu’il est plus favorable à des restitutions réciproques. En mai 1638 Richelieu rencontre Miguel de Salamanca, envoyé par Olivarès avec le pouvoir de conclure une trêve, mais ils achoppent sur la question des alliés hollandais, que la France ne peut se résoudre à abandonner, et sur celle du duc de Lorraine, dont la France revendique le duché. En 1639, la situation militaire jusqu’alors indécise devient plus favorable à la France : La Meilleraye prend Hesdin, les impériaux sont contenus dans la Meuse et Condé, après avoir repris Leucate, entre en Roussillon. Puis l’Espagne essuie une défaite navale contre les Suédois aux Dunes et perd Brisach si important pour le ravitaillement des Pays-Bas. Cela porte les adversaires à reprendre le chemin du dialogue, et un négociateur espagnol, Jacques de Brecht, vient rencontrer Richelieu en juin 1640. Mais, venu avec les mêmes instructions que Salamanca, il est froidement reçu par le cardinal qui voulait négocier une paix en forçant l’Espagne à céder sur le point des Hollandais. La fortune militaire de la France continue cependant : les Français prennent Arras, le comte d’Harcourt force le marquis de Leganés à lever le siège Casale et d’abandonner Turin, alors qu’au même moment la Catalogne puis le Portugal se soulèvent contre le roi d’Espagne, les deux nouant des alliances avec la France… Mais à ce stade, le bien-fondé des négociations directes et secrètes est mis en doute, alors même que la situation de l’Espagne est de plus en plus catastrophique : progression des Français en Italie, capitulation de Perpignan le 9 septembre 1642, de Salses le 29, de Monzón en Aragon en juin… Olivarès fait proposer des conférences de paix qui se tiendraient sur la frontière, et le mariage de l’infante avec le dauphin, tous deux nés en 1638. Pujols est libéré de sa mission. La mort de Richelieu le 4 décembre, puis la disgrâce d’Olivarès le 17 janvier 1643, créent la véritable rupture qui donne un nouveau tour à la « dynamique » de la paix. L’espoir repose désormais sur le congrès général en préparation[5].
Le congrès avait été prévu à Cologne dès 1636, mais les Français ne voulaient pas envoyer de plénipotentiaires car la présence du légat du pape dissuadait la venue de leurs alliés protestants ; ce qui empêcha l’Espagne d’envoyer ses propres représentants. En 1641 l’empereur décide de déplacer le congrès à Münster en Westphalie ; la Suède ayant accepté de négocier avec lui hors de la présence du légat, le lieu de leurs conférences est fixé à Osnabrück. Le 25 décembre 1641 Claude de Mesmes, comte d’Avaux, signe au nom du roi de France un accord préliminaire avec le baron de Lutsau, représentant de l’empereur et du roi d’Espagne, entérinant le choix de Münster pour la négociation entre la France et les deux branches de la maison d’Autriche. Les conférences doivent commencer le 25 mars 1642, mais après la mort de Richelieu la date est différée au 1er juillet 1643. Entre temps, la disgrâce d’Olivarés, vite remplacé par Luis de Haro, puis la mort de Louis XIII le 14 mai repoussent à nouveau l’échéance. Le nouveau premier ministre, Mazarin, confirme le comte d’Avaux comme plénipotentiaire, et lui adjoint son favori Abel Servien. Du côté espagnol, le principal plénipotentiaire envoyé est Diego Saavedra Fajardo. Mais le rôle des médiateurs sera tout aussi prédominant : il s’agit du nonce Fabio Chigi et de l’ambassadeur de la République de Venise, Luigi Contarini. Mazarin reprend l’héritage de Richelieu : la préférence d’une trêve longue avec conservation de toutes les conquêtes, principe quasiment inacceptable pour l’Espagne qui a davantage de territoires à recouvrer et voudrait un retour à la situation de 1630, en plus de son souci extrême de l’honneur du roi et de la réputation de la couronne. La France, forte de ses victoires, dépend toutefois de ses alliés pour tenir la maison d’Autriche en alerte, tant la Suède que les Provinces-Unies[6].
La Catalogne, en révolte contre son roi depuis 1640, se trouve désormais coincée dans un engrenage puissant et lointain. Selon les mots d’Antoni Simon i Tarrés, « les dirigeants catalans [avaient réalisé] une analyse très limitée des répercussions militaires et géopolitiques de l’entrée de Catalogne dans le grand jeu de la politique européenne ». Aux yeux de l’Espagne, le Principat et les Comtés (Roussillon et Cerdagne) se sont révoltés et sont de facto sous l’obéissance de la France ; le traité de Péronne est illégitime. Dans sa logique diplomatique, ils doivent être restitués au même titre que les conquêtes d’Artois, des Flandres et d’Italie, sans quoi Philippe IV sera humilié. La position française est plus complexe et elle a bien évolué. Richelieu, dont le principal souci était de conserver un front ouvert dans la péninsule ibérique, n’avait pas de volonté annexionniste, à l’exception peut-être du Roussillon déjà réclamé au temps des rois d’Aragon et de Louis XI. Mais Mazarin, quant à lui, adopte une posture que Simon i Tarrés qualifie avec justesse de « jeu possibiliste » : la Catalogne reste pour lui un argument clef, une « monnaie d’échange » pour obtenir des conditions de paix ou de trêve avantageuses, mais il légitime dans le même temps tous les droits du roi de France sur la Catalogne et les Comtés, en encourageant la propagande et les arguments historiques maniés par les juristes proches de la cour[7]. Tout en ne sachant pas si à terme la Catalogne sera restituée ou si elle sera conservée par la France, il ne veut pas laisser croire aux Catalans qu’il les abandonnera, et leur réaffirme sa volonté de respecter les pactes signés par Louis XIII. Ainsi, l’attitude de Mazarin se rapproche davantage de cette équation à deux inconnues que de la vision beaucoup plus caricaturale et déterministe qu’en donnait Sanabre. Mais en tout état de cause, dans cette situation plus que sensible, « les intérêts catalans pouvaient être relégués facilement par d’autres de plus d’envergure pour les puissances dominantes »[8].
Il semble que les institutions catalanes en aient alors profondément pris conscience. Du moins, au cours de l’année 1643, se met en place un sensible dialogue avec Mazarin, mêlant méfiance réciproque, volonté mutuelle de se rassurer et surtout impossibilité de se passer les uns des autres. Au cours du printemps 1643, les conseillers de Barcelona apprennent par l’intermédiaire de l’agent des Consistoires, Pujolar, qu’il serait convenable d’envoyer une personne pour informer les plénipotentiaires du roi à Münster[9]. La demande officielle arrive par une lettre missive du roi aux députés de la Generalitat et conseillers de Barcelona, le 15 juillet 1643 : « bien que les affaires de Catalogne soient très bien assurées par ma volonté et protection et seront dûment défendues par mes ambassadeurs, présumant que les ennemis tenteront de contredire par tous les moyens la soumission de la Catalogne à mon obéissance et les droits antiques de cette couronne sur ladite province, je considère qu’il serait très opportun de désigner une personne capable, fidèle et bien instruite dans les lois et l’histoire du pays pour informer mes ambassadeurs sur cette affaire »[10]. La demande répond peut-être à un véritable souhait de renforcer l’argumentaire juridique déjà travaillé par des juristes français, mais sans doute davantage à une volonté de rassurer les Consistoires en montrant qu’on les implique dans la négociation. En effet, d’après les relations du collecteur apostolique Vicenzo Candiotti, ils redoutent déjà la possibilité d’une trêve ou d’une paix qui comprendrait la restitution de la Catalogne entière, ou du Principat seulement sans les comtés, à Philippe IV, souverain même à qui ils avaient retiré leur obéissance[11]. Les instructions du roi aux plénipotentiaires, datées de septembre 1643, montrent bien que Mazarin souhaite rassurer les Catalans sur ce point :
« Pour ce qui est de la Catalogne, Sa Majesté ne peut l’abandonner, estant engagée à la conserver tant par le droict qui lui appartient que par celuy que les Catalans luy en on donné en ve soubsmettant librement et volontairement soubz sa domination »[12]…
Le choix des Consistoires se porte sur Josep Fontanella, Régent de l’Audience, ancien professeur de droit canon à l’université de Barcelona et assesseur de la Generalitat, « bon connaisseur des lois du pactisme et partisan de la liberté constitutionnelle pour choisir un monarque ». N’oublions pas non plus qu’il s’était rapidement lié avec les plus puissants représentants du gouvernement français en Catalogne : l’intendant Argenson et le maréchal de La Motte. La personne réunit donc une certaine unanimité – d’ailleurs, il est élu à l’unanimité – mais Candiotti note qu’il est « un homme discret et si sagace qu’il en arrive à être retors » [13].
Le déroulement de la mission de Fontanella et son échec, bien que ce ne soit pas le sujet central de notre étude, méritent d’être mentionnés car c’est un épisode important de la méfiance entre Français et Catalans, qui influera durablement sur la perception des négociations. Fontanella part de Barcelona à la mi août, en compagnie de son frère Francesc, et arrive à la cour mi septembre. Il rencontre la reine régente puis Mazarin qui lui réaffirme son intention de conserver la Catalogne unie à la France. Il part ensuite pour la Hollande, où il arrive mi octobre. Après avoir stationné un peu moins de trois mois à La Haye, il arrive à Münster à l’extrême fin de l’année 1643. Mais dans sa correspondance, notamment une lettre envoyée aux conseillers de Barcelona le 15 décembre, on voit bien que le point essentiel de sa mission était de ne pas accepter de paix ou de trêve avant que Tarragona, Tortosa et Lleida n’aient été conquises ou réincorporées au territoire catalan[14] : en clair, on attendait du roi de France qu’il les reprenne ou les demande dans les négociations ; plus encore, on ne voulait même pas envisager l’idée d’une restitution de la Catalogne au roi d’Espagne. Une position bien difficile à concilier avec les vues beaucoup plus labiles du cardinal Mazarin. Autre difficulté qui se présente dès l’arrivée de Fontanella à Münster : le refus de la part des médiateurs, notamment du nonce Fabio Chigi, de reconnaître la légitimité de représentants de la Catalogne et du Portugal, qui s’étaient révoltés contre leur souverain[15]. Sur place, Fontanella n’est guère considéré par les plénipotentiaires français qui ne lui donnent aucune information[16]. Les négociations également sont atones : le congrès est ouvert officiellement le 10 avril 1644, mais avant de négocier avec l’Espagne Mazarin veut être sûr que la Suède reste à ses côtés jusqu’à la conclusion de la paix avec le roi catholique, et que les plénipotentiaires des Provinces-Unies soient arrivés à Münster. On traîne à valider les pouvoirs des uns et des autres, et l’Espagne ne remettra des pouvoirs satisfaisants aux médiateurs que le 22 avril 1645[17]… Cette absence de négociations n’empêche pas les rumeurs de se propager en Catalogne : dès le 3 avril 1644, avant même l’ouverture du congrès, une note de Pujolar avise qu’on écrit à Barcelona qu’une trêve de huit ans est en train d’être conclue[18].
Un coup de théâtre survient à la fin de l’année 1644, avant même que l’on commence à parler de paix : le 14 décembre, une lettre missive du roi est envoyée à Josep Fontanella pour lui ordonner de quitter Münster. Evidemment la formulation n’en est pas aussi directe : la lettre dit que ses services seront davantage utiles en Catalogne, et qu’il est invité à se rendre à la cour pour recevoir des ordres[19]. C’est un violent désaveu pour Fontanella, mais aussi un coup dur pour les institutions catalanes. Les motivations de cette décision ont été diversement expliquées par les historiens. Joan Busquets donne une piste assez candide : « Fontanella, dit-il, cherchait l’intérêt de Catalogne avant celui de la France, et cette conduite ne fut pas tolérée par Paris »[20]. Sánchez Marcos parle plus franchement de possibles contacts entre Fontanella et l’un des représentants espagnols, Saavedra Fajardo, mais indirects, par l’intermédiaire d’un jésuite allemand notamment. Plus encore, la correspondance de Saavedra Fajardo mentionne le fait que Fontanella se montrait partisan du maréchal de La Mothe et contrarié par l’action des Français en Catalogne[21]. Le 7 août 1644 les Espagnols avaient repris Lleida, ce qui risquait de fragiliser la fidélité de certains Catalans profrançais et, peut-être, d’augmenter l’audace de Fontanella avec les plénipotentiaires espagnols ; de plus, La Mothe, décrié par certains courriers venant de Catalogne, défendu par d’autres comme n’ayant pas été assez soutenu (à dessein) par Mazarin, avait été disgrâcié. Des correspondances postérieures donnent des éléments supplémentaires. Il semble que ce soit le nouveau visiteur général de Catalogne, Pierre de Marca, qui ait dénoncé à la cour une lettre que Fontanella avait envoyé aux conseillers de Barcelona, et que cela soit à l’origine de son rappel. Du moins, une lettre envoyée en février 1645 par Le Tellier à Marca tend à le montrer. Elle exprime aussi clairement tous les griefs que la cour avait contre lui.
« Vous m’avez aussi mandé cy devant que le sieur de Montaner, conseiller en cap de l’année derniere, vous avait fait voir une lettre du Regent Fontanelle en datte de Munster du XVIe octobre dernier aux conseillers de la Ville de Barcelonne, par laquelle il leur mandoit qu’il doubtoit s’ils trouveroyent qu’il y eust inconvenient de traicter de la paix pendant que l’ennemy occuppe tant de places dans la Catalongne, et que leur faisant scavoir leurs volontez il les suivra ponctuellement. De quoy la Royne ayant esté informée, Sa Majesté comanda a M. de Brienne d’escrire audit sieur Regent de Fontanelle de revenir en France soubz pretexte qu’un autre moins intelligent que luy peust faire aupres de messieurs les plenipotentiaires, et que luy il sera fort utile en Catalongne dans l’estat auquel les mauvais succedz de la campagne derniere y ont mis les affaires. Et par ce qu’on scayt qu’il arrivera icy bien tost, on desireroit avoir s’il se pouvoit cette lettre ou quelque chose affin de fonder la resolution qu’on prendra contre luy, en sorte qu’elle soit approuvée dans la Province, n’estant pas juste de souffrir qu’un homme qui n’a esté envoyé a Munster que pour fournir de memoires a messieurs les plenipotentiaires pour la justiffication du droict du roy sur la Catalongne et la justice qu’elle a eu de se soubstraire de l’obeissance du roy de Castille face des propositions de traicter de la paix de son chef prenant advantage du mauvais estat des affaires du roy dans la Province »[22].
On comprend aisément que Fontanella ait gardé une durable rancœur à l’encontre de Pierre de Marca. Vu la gravité de la dénonciation, Le Tellier lui demandait cependant des preuves plus tangibles.
Entre temps, Marca se ravise un peu, essaye de refroidir la situation au vu des conséquences néfastes qu’il commence à voir à Barcelona, et écrit à Le Tellier pour lui suggérer de revenir en arrière, ou de toute façon d’apaiser les Consistoires :
« Le moyen duquel on se servait pour seduire les bons est pris de lasseurance qu’on leur donne que leurs maistres veulent rendre la Catalogne faisant la paix, et qu’il vaut mieux les supplier de rendre leur liberté aux Catalans affin qu’ils regagnent les bonnes graces de leur ancien maistre en se remettant librement sous son obeissance, que non pas souffrir qu’on les rende sous des conditions qui offencent le roy d’Espagne. Cette meffiance a esté confirmée par la nouvelle qui est arrivée du commendement que le roy vouloit faire au Regent Fontanella, pour le faire retirer de Munster, et retourner en cette ville. Ce qui a degoutté les plus affectionés en sorte que je juge, sauf vostre meilleur avis qu’il est absolument necessaire, si ce commandement avoit esté a ce regiment [sic, en fait Régent?] que l’on luy envoye un contraire sous les pretextes que l’on avisera. Et mesme que l’on escrive a la Deputation et a la Cité que le roy ne le rappellera pas de Munster, sinon que ces deux consistoires le trouvent apropos pour se soulager des frais de son entretenement, ce que Sa Majesté remet a leur discretion. »
La lettre montre aussi l’ingéniosité déployée par Marca pour dissiper la rumeur que la France, maintenant délivrée de tout droit de regard des Consistoires, s’apprêtait à signer une trêve qui désavantageait hautement les Catalans.
« Je tache d’effacer ces impressions, en representant que le roy ne rendra point tout ce qu’il a conquis, puisque les ennemis n’ont rien gaigné sur la France, quoy que pour le bien de la paix Sa Majesté restituë quelque province, en quoy elle observera cette prudence qu’elle voudra satisfaire aux interestz du plus puissant, qui est l’Empire, en rendant l’Alsace, le pais pres du Rhin et la Lorraine, mais qu’elle retiendra la Catalogne sur l’Espagne pour s’indemniser[23] du royaume de Navare. Ce discours est agreable aux speculatifs, qui le jugent raisonnable. »[24].
Marca sait probablement qu’à ce stade, rien n’a encore été résolu ; au contraire même, Daniel Séré nous apprend que le 24 février 1645 les plénipotentiaires français transmettent aux médiateurs des propositions pour que l’Espagne, si elle continuait à se figer sur la restitution des conquêtes antérieures, accepte de restituer les terres qu’elle avait gagné sur la France au XVIe siècle (Milan, Naples et une partie de la Navarre), propositions évidemment rejetées le 18 avril[25]. Marca pouvait alors se payer de promesses de Gascons pour faire patienter les « speculatifs »…
L’écartement de Fontanella est confirmé au cours du mois de février. Le Tellier approfondit les charges contre ce dernier en ajoutant à la lettre incriminée « les advis certains qu’on a euz de plusieurs endroicts qu’il avoit escouté des propositions qui lui avoyent esté faictes par Sayavestra [sic, Saavedra[26]] l’un des plenipotentiaires du roy catholique pour le faire agir envers les Catalans a ladvantage des affaires de son maistre, qu’il estoit sur le point de former une Inteligence avec luy capable de causer beaucoup de prejudice a celles de Sa Majesté dans la Catalongne », indique-t-il à Marca comme pour le tranquiliser et approuver son action. Ses prescriptions d’apaisement sont toutefois écoutées, malgré la gravité du manquement : le roi, agissant autant pour le bien de la Catalogne que pour « la fortune dudit Fontanelle », décide de le renvoyer en Catalogne après l’avoir détrompé sur « ce que l’on voit luy avoir esté escrit a Munster qu’on nassistoit pas aussi puissamment qu’on pouvoit monsieur le Mareschal de la Motte »[27], ce qui semble retenu comme l’un des éléments moteurs de son attitude. On reconnaît donc officiellement que Fontanella a pêché par mauvaise information, croyant que la Catalogne était abandonnée, mais qu’une fois correctement informé, il ne peut que revenir dans le droit chemin. Afin de montrer aux Consistoires qu’on ne veut pas le disgrâcier, Marca pourra leur proposer de remplacer Pujolar par Fontanella[28]. Enfin, le roi leur écrit pour les inviter à choisir une nouvelle personne à envoyer à la place du Régent, souhaitant leur montrer que cet épisode ne signifie pas la fin de la représentation catalane à Münster[29]. Fontanella tient à sa peau, et accepte la comédie en présence des souverains : pour tous, il aura été mal informé. Il est blanchi.
« Il n’est plus question maintenant de la lettre escrite au Regent Fontanelle parce que lon a sçeu qu’il avoit communicqué a messieurs les Plenipotentiaires tout ce qui luy a esté dit et escrit de la part du roy d’Espagne et d’allieurs, si bien que toute la faute cette affaire procedde de ce que messieurs noz ambassadeurs n’en ont donné aucune congnoissance par deça. En fin ledit Regent Fontanelle demeure extremement satisfait de ce qui luy a esté dit par sa Majesté ou de sa part comme Sa Majesté l’est de son costé de la conduitte dudit Regent » [30].
De tout cela, Marca tire l’attitude politique qu’il juge la plus appropriée et conforme au service de son maître. Le résultat est sans doute à la hauteur de ce que le gouvernement, en donnant l’apparence qu’il suggérait aux Consistoires d’envoyer un nouveau représentant à Münster, désirait en réalité…
« L’honneur du Regent est conservé, l’occasion de son rappel est justifiée. Et j’ay remis a leur discretion d’envoyer quelque autre en sa place a Munster. Ce que j’ay menagé en sorte qu’a cause des fraiz, ils se resoudront a n’envoyer personne, comme ils me declarerent sur le champ. Mais aussy il n’y a point eu d’apparence de leur proposer d’employer le Regent a Paris pour leurs affaires a cause de l’aversion qu’ils ont que les officiers du Roy se meslent des affaires de la ville »[31].
Fontanella quitte Paris à la toute fin du mois d’avril, en compagnie de Plessis-Besançon[32] ; il est de retour à Barcelona le 27 mai[33].
Plusieurs conclusions sortent de cet épisode désastreux. Tout d’abord, l’échec manifeste de la concertation entre la France et les Catalans dans les négociations de paix. Il est important de préciser que jamais plus les Consistoires n’enverront de représentant officiel à Münster, jamais plus aucun Catalan ne se rendra aux conférences. On lit parfois que les ambassadeurs envoyés par la suite à la cour, Josep d’Ardena et Francesc Martí i Viladamor, ont été à Münster, mais il n’en est rien. Leur mission n’aura rien à voir, ni sur le plan de la conception, ni du prestige, ni des modalités pratiques, avec celle de Fontanella. Le Régent eut le rôle délicat et embarrassant de tester une voie de négociation, à un moment des relations internationales où la tenue de tels congrès n’était pas encore formalisée et où les incidents diplomatiques naissaient des incompréhensions mutuelles autant que des questions de protocole et de préséance. Fontanella, visiblement méprisé par les médiateurs mais aussi, sans doute, par les plénipotentiaires français, ne pouvait en réalité exercer aucune mission concrète, à la fois parce qu’il en était empêché par la faiblesse de la Catalogne sur la scène internationale, mais aussi parce que la conférence en elle-même ne donnait rien du tout. Présent à Münster au mauvais moment, Fontanella a donc pâti de cette conjoncture malheureuse. De plus, au-delà d’une déconvenue personnelle, il a reçu de plein fouet le désaveu final, quoique précoce, d’une diplomatie de la concertation conforme aux aspirations pactistes des Consistoires. Ces derniers, à la lettre où le roi leur propose de nommer un nouveau représentant à la place de Fontanella, répondent qu’ils ne veulent plus envoyer personne que le roi n’ait choisi[34]. Le 22 juin, le roi adresse aux députés une lettre missive pour leur dire qu’il est satisfait qu’ils n’envoient personne[35]. Le message est on ne peut plus clair. Sanabre donne à tous ces évènements une lecture qui n’est pas aussi fausse qu’on l’a dit parfois. Il observe avec justesse que la cour a finalement choisi de dissimuler l’incident pour éviter la déflagration qui se produirait assurément si on déclarait Fontanella, l’un des premiers et des principaux partisans de la France, traître à sa patrie[36]. Toute interprétation doit ici prendre la mesure de cet impératif de prudence et de dissimulation. Il appert, que l’on trouve légitimes (comme Joan Busquets, semble-t-il) ou non les motifs de Fontanella, que ce dernier a réellement noué des contacts avec les représentants espagnols, qu’il a peut-être même essayé d’entrer dans le vif du sujet (la paix), dépassant par là de cent coudées les limites de sa mission, du moins l’idée que le gouvernement français s’en faisait. L’antagonisme opposant des institutions révoltées ayant changé de souverain à une monarchie désireuse d’étendre sa puissance et sa gloire trouve là sa première illustration. Les Catalans profrançais eux-mêmes ont bénéficié de confiscations de la part de cette monarchie. Lorsque l’idée de la trêve apparaît, et par là l’éventualité d’une restitution, ils en viennent à craindre pour leur patrimoine, et réagissent dans le climat de méfiance et de circonspection, de rumeurs, inauguré par l’expérience malheureuse de Fontanella.
Ambassade d’Ardena et rôle ambigu de Martí : naissance de la question des restitutions (1646)
Au cours de l’année 1645 la situation de la négociation entre la France et l’Espagne évolue, car deux nouveaux acteurs décisifs font leur apparition. Du côté français un nouveau plénipotentiaire est envoyé : Henri d’Orléans-Longueville, duc de Longueville (1595-1663), prince du sang issu de la maison bâtarde de Longueville par son père et de la famille de Gonzague par sa mère, et surtout marié à la fille du prince de Condé depuis 1642. Il n’est pas connu pour son talent de diplomate et de négociateur, mais son appartenance aux plus hauts lignages en font un personnage de prestige censé donner plus de lustre à la délégation française. Du côté espagnol, le nouveau ministre Luis de Haro a désigné comme plénipotentiaire Gaspar de Bracamonte, comte de Peñaranda (1595-1676), ancien professeur à l’université de Salamanque, esprit brillant et malin. Les deux arrivent à Münster aux premiers jours de juillet 1645[37]. Bien que les rumeurs de trêve aillent bon train en Catalogne, particulièrement à Perpignan, Pujolar ne cessant d’en avertir la cour[38], les dialogues étaient toujours au point mort. Cependant, du côté de Mazarin, plusieurs ouvertures claires commencent à se faire pour la séparation de la Catalogne : dans les nouvelles instructions royales aux plénipotentiaires du 23 novembre 1645, on insiste sur la nécessité de faire une distinction entre le Roussillon et le Principat : il s’agissait « de ne pas souffrir qu’on nous mette en dispute la retention du Roussillon et de Rosas avec toutes les dépendances » ; on envisage aussi une solution conciliatrice avec l’Espagne pour contenter tout le monde : faire en sorte que les Catalans retournent sous l’obéissance de Philippe IV, mais en s’engageant pour la défense de leurs privilèges. Cette solution est accréditée par l’avis des Français qui – échaudés par les relations de Marca et les rumeurs récurrentes de conspiration à Barcelona – pensent que la plupart des Catalans le désirent : « d’autant plus que parmi eux il n’y a que trop de personnes qui quoyqu’ilz ne l’ozent dire en seroient pas marries de retourner soubz la domination d’Espagne à quelque pris que ce fust, et la plus grande partie des autres pourveu que ce fust avec seureté » [39].
Le 22 novembre 1645, le Conseil des Cent se réunit et délibère de l’opportunité d’envoyer un ambassadeur à la cour. Officiellement, il s’agit de rendre grâce au roi des succès militaires obtenus cette année-là (principalement la prise de la place stratégique de Rosas) et de le remercier d’avoir envoyé le comte d’Harcourt comme vice-roi. Toutefois dans la délibaration figure cette circonstance tout à fait particulière : « comme il se traite des paix universelles à Münster »… Les conseillers veulent également prier le roi de continuer ses efforts militaires en Catalogne afin de repousser l’ennemi, et de soulager le peuple des logements des gens de guerre. Ils transmettent leur projet d’ambassade à la Generalitat, qui acquiesce et propose que les deux Consistoires procèdent au choix de la personne à envoyer[40]. Ils désignent peu après Josep d’Ardena[41], lieutenant général de la cavalerie catalane, gentilhomme très bien apparenté et fort apprécié par le vice-roi, le comte d’Harcourt. Précisons maintenant que, contrairement à ce que dit Sanabre[42], il ne s’agit pas d’une ambassade extraordinaire, mais d’une ambassade ordinaire comme les Consistoires en envoient périodiquement à la cour depuis la soumission à Louis XIII. On comprend bien que les Consistoires ne pouvaient envoyer sans crainte un nouveau représentant spécialement chargé des affaires de Münster, vu le fracas de la précédente mission de Fontanella. Envoyer Ardena avait une double signification : on choisissait un noble d’une certaine stature, apprécié du vice-roi français, mais aussi un gentilhomme sans expérience diplomatique précise, d’un profil militaire, et non un juriste qui serait soupçonné de vouloir contester la politique du cardinal. Cependant, le fait que l’ambassade soit ordinaire n’empêche que les circonstances soient extraordinaires. Les différentes instructions pour Ardena, qui sont rédigées dans la foulée, montrent que cette mission n’a rien d’inoffensif et d’anodin.
Conservées en plusieurs exemplaires dans les archives diplomatiques françaises, ces instructions sont fondamentales et doivent être commentées avec soin. Les premières à être rédigées sont celles des députés de la Generalitat, à la date du 29 novembre 1645[43]. Viennent ensuite, le 10 décembre 1645, celles des conseillers de Barcelona[44]. Les instructions des députés ne sont pas les plus bavardes, peut-être parce que l’initiative vient plutôt des conseillers : ils prescrivent surtout de demander l’envoi prompt de troupes supplémentaires et de quantités de grains afin de soulager les soldats et ainsi le peuple de Catalogne, las des logements ; mais ils ordonnent aussi à l’ambassadeur de supplier « au nom des deux Consistoires Sa Majesté, avec la vérité que la gravité de la matière demande, qu’elle ne prête en aucune manière l’oreille ni ne permette que pour quelque raison ou prétexte cette province puisse être séparée ni désagrégée de cette couronne »[45], signe manifeste que les propositions espagnoles n’étaient pas restées aussi secrètes que Mazarin l’aurait voulu. En revanche, les instructions des conseillers sont moins vagues, plus percutantes, et nous y trouvons la première mention explicite d’une crainte relative aux confiscations, mais dont l’objet peut paraître surprenant. En effet, après avoir rappelé directement l’article 13 du traité de Péronne portant que la Catalogne et les Comtés ne pourront être séparés de la couronne de France, ces instructions précisent, dans leur 7e article, que l’ambassadeur suppliera le roi de ne conclure aucune paix ni trêve tant que l’ennemi possèdera les places de Lleida, Tarragona, Tortosa, Ager, Alfachs, ni autres lieux du Principat. L’explication de cette demande est concrète : ces villes, et principalement Tarragona, l’ennemie traditionnelle de Barcelona, étant aux mains des Espagnols, continuent à commercer avec le reste de l’Espagne, l’Italie et les Baléares, comme Barcelona le faisait avant 1640 ; aussi la cité comtale, coupée de ce commerce, était-elle menacée dans sa prospérité économique. Dans la suite de l’article 7, les conseillers, particulièrement soucieux de cet aspect, demandent donc à leur ambassadeur d’obtenir du roi, si jamais il signait un traité, que le commerce soit interdit entre la Catalogne et le reste des territoires castillans, à l’exception de la viande, de la laine et des blés d’Aragon, de la soie et des grains du royaume de Valence, de l’huile, du fromage et des lainages des Baléares, ce qui est une manière de demander le rétablissement de ces échanges traditionnels et indispensables.
L’autre prescription de cet article découle d’un même souci de survie économique : « en ce qui concerne les communautés et les particuliers desdits Principat et Comtés qui ont des biens dans les terres de l’ennemi, qu’il leur soit permis d’en tirer librement bénéfice et d’apporter auxdits Principat et Comtés les revenus et ce qui en procède »[46]. Le point de vue, disions-nous, est surprenant : à l’exception des villes citées plus haut et des parties les plus proches de l’Aragon, la plus grande partie de la Catalogne était contrôlée par les Français ; de plus, Jordi Vidal i Pla a bien montré l’importance numérique du nombre d’exilés philippistes qui avaient quitté leur terre. Aussi y avait-il logiquement plus de biens confisqués à des philippistes dans les territoires contrôlés par les Français (c’est l’objet de notre étude) que l’inverse. En général peu de Catalans, même nobles, pouvaient se targuer d’avoir des biens en Aragon ou en Castille ; cela concernait surtout le royaume de Valence où quelques citoyens de Barcelona étaient possessionnés. Cette clause semble donc a priori émaner de l’intérêt de quelques grands propriétaires barcelonais, dont la voix avait un poids considérable au Conseil des Cent. A ce titre, il serait intéressant de dresser une géographie des possessions de l’élite barcelonaise. Cette infime partie de la société catalane se trouvait touchée par la guerre puisque, par la réciprocité absolue toujours de mise en de telles circonstances, le roi d’Espagne avait ordonné la confiscation des biens des Catalans profrançais dans les territoires sous son contrôle… Un autre signe évident de ce tropisme d’intérêts proprement barcelonais est l’insistance exprimée dans les autres articles des instructions des conseillers sur le remboursement des sommes avancées par la ville au roi de France : il sera important, lit-on, de solliciter le comte de Brienne, secrétaire d’Etat des Affaires étrangères, afin soient payées sur le trésor royal les 670 doubles d’or dues à la ville pour l’aide aux galères, et de rencontrer l’ancien intendant La Berchère afin qu’il appuie le paiement à la ville des 25 000 livres restant sur les 50 000 prêtées au maréchal de La Mothe. Les conseillers se soucient certes du bien commun, mais aussi beaucoup de leur propre bien. Finalement, comme nous le verrons bientôt, le point relatif aux confiscations castillanes, qui est dans les faits totalement anecdotique, aura des extensions touchant l’ensemble des Catalans profrançais.
Du côté de la cour, tous les efforts sont mis afin d’accueillir cette ambassade de la meilleure façon possible. Depuis le printemps, dans son projet de distribution de biens confisqués établi à Guissona, le comte d’Harcourt prévoyait de donner à Ardena la vicomté d’Ille avec érection en comté ; il proposait aussi de lui faire donner le brevet de maréchal de camp. Marca, pour écarter tout soupçon de partialité contre Ardena, soutient ces gratifications. Il semble que la cour, après avoir reçu de Barcelona la nouvelle qu’Ardena serait envoyé, ait soudainement accéléré le mouvement. Il est choisi comme ambassadeur en novembre, et la minute de lettres patentes le faisant comte d’Ille date de décembre 1645[47]. La situation très sensible de la cour, qui tentait de négocier en ne se fermant aucune voie, et surtout en ne se mettant pas à dos les Catalans, n’est sans doute pas étrangère à cette volonté de couvrir l’ambassadeur de prestige et de grâces. C’était une manière spectaculaire d’encourager la concorde et de prouver la considération du roi pour les institutions catalanes… mais sans conscience des difficultés qui, de toute façon, étaient amenées à croître dans les relations mutuelles. Les événements postérieurs internes à la Catalogne, principalement la découverte de la conspiration de 1645[48], allaient particulièrement fragiliser Josep d’Ardena, beau-frère d’une des conjurées.
Ardena se précipite à Paris, où il parvient au cours du mois de janvier 1646. Mais, peu de temps après, le 7 février, Mazarin écrit aux Consistoires une lettre assez vague, où il leur explique que leur envoyé va s’en retourner en Catalogne ; il en profite pour les inciter à hâter les levées de troupes afin de profiter de l’extrême faiblesse des ennemis[49]… Il n’existe quasiment pas de source faisant le récit de cette ambassade et expliquant les agissements d’Ardena à la cour. Il est permis de penser, jusqu’à plus ample informé, soit qu’Ardena ne montra pas d’extraordinaires qualités diplomatiques, soit qu’on était peu disposé à l’écouter, voire les deux à la fois. Ardena, probablement impressionné par le faste de la cour, quelque peu éloigné de sa mission initiale des Consistoires par souci de son prestige personnel et de son avancement, en bon courtisan, avait dû faire l’impasse sur le contenu de ses instructions. Ainsi, n’étant pas non plus un juriste brillant capable d’apporter des arguments de poids aux négociations fançaises, son utilité semblait assez limitée. Trois jours après, une lettre missive du roi était adressée aux Consistoires pour leur demander de dépêcher une ou deux personnes à la cour[50], Le Tellier en expliquant le but officiel à Harcourt : « se rendre et resider prez de sa majesté avec les instructions et memoires suffisantz pour nous pouvoir informer des interests de sa majesté en Catalongne a mesure que nous recevons les advis de messieurs les Plenipotentiaires de ce qui s’advancera a Munster a la negociation de la paix » ; la reine, ajoutait-t-il, serait bien aise que les Consistoires choisissent à nouveau le Régent Fontanella[51]… Comme le fait justement remarquer Sánchez Marcos, on attendait cette fois-ci un Catalan à Paris « prez de sa majesté », et non pas à Münster[52]. Cette nouvelle demande, rattachée comme nous venons de le voir à un réel souci de fortifier les arguments juridiques de la France, s’explique aussi sans doute par les précautions habituellement prises par Mazarin vis-à-vis de la Catalogne depuis l’épisode de Fontanella : rassurer les Catalans, mais aussi leur dissimuler le fond des négociations pour ne pas diminuer les chances de la France d’en sortir glorieusement, position qui ne peut mieux être résumée que par les mots mêmes du cardinal : « necessité du secret, surtout a l’egard des Catalans qui se croiroient trahis »[53].
De fait, au moment même où Ardena se trouve à Paris, le double discours fait son œuvre. L’année 1646 est celle où, pour la première fois, sont lancées des négociations concrètes et où les négociations touchant la Catalogne sont directement abordées, après l’arrivée à Münster des députés des Provinces-Unies, ce qu’attendaient les Français pour pouvoir traiter avec l’Espagne du point des Pays-Bas. Plusieurs projets, bien qu’ « informels » (D. Séré), voient alors le jour. Les Espagnols font faire, par l’intermédiaire du médiateur vénitien Contarini, une proposition de mariage entre Louis XIV et l’infante, qui apporterait en dot les Pays-Bas à condition que la France restitue la Catalogne. L’idée d’un échange de la Catalogne contre les Pays-Bas, où la domination de l’Espagne est de plus en plus faible et que la France convoite pour sa proximité de Paris – souvenons-nous de la panique créée par la menace espagnole après la défaite de Corbie –, est loin de déplaire à Mazarin. Le 20 janvier 1646, il écrit aux plénipotentiaires qu’il agrée « l’acquisition des Païs-Bas si nous pouvions y parvenir par l’eschange de la Catalogne compris mesme le Roussillon »[54]. Mais l’idée effraie les plénipotentiaires, notamment Servien qui la trouve déraisonnable : en effet, obtenir les Pays-Bas était d’une part contrevenir au traité signé en 1635 avec les Provinces-Unies qui comprenait leur partage égal entre les deux alliés, mais aussi susciter l’inquiétude de l’Angleterre. Mazarin prend à cœur ce projet qu’il soutient contre les avis défavorables : il en fait son idée personnelle et enjoint les plénipotentiaires à insister pour qu’elle soit acceptée. Sanabre édite un mémoire du 28 janvier 1646, probablement rédigé sur les ordres du cardinal et destiné à l’ambassadeur de Venise, contenant plusieurs puissantes raisons pour que les Espagnols transigent[55]. Dans l’espoir de réussir, il choisit de dissimuler l’ouverture également à ses alliés : le 17 mars, il fait savoir aux Etats-Généraux que la proposition a été faite par les Espagnols pour diviser. L’attitude de Mazarin a été souvent montrée par les historiens comme une faute politique. Autre erreur de la diplomatie française, au même moment, les plénipotentiaires accordent leur confiance à une proposition du roi d’Espagne de faire d’Anne d’Autriche une arbitre de la paix – proposition captieuse dont le but était essentiellement de faire croire aux Provinces-Unies qu’on faisait la paix sans elles. Résultat : ces dernières accélèrent leurs propres négociations avec l’Espagne et fragilisent la position de la France. Fin mars, l’échange des Pays-Bas est finalement écarté par les Espagnols[56].
En réponse à l’artifice espagnol, Mazarin veut réagir vite et tente de pousser ses adversaires à dévoiler leurs cartes en premier : il fait répondre que ce sera Philippe IV et non la reine régente de France qui sera l’arbitre. Le 24 mars 1646, les Espagnols font immédiatement faire une contre-offre par les médiateurs, qui ne porte que sur les Pays-Bas, où ils sont prêts à céder quatre places en Luxembourg, Hainaut et Artois, déjà de facto dans les mains de la France depuis les années 1630 ; et sur l’Italie où ils proposent de restituer les territoires conquis aux princes Italiens. Bref, ils abandonnent le statu quo ante bellum ; mais, selon les mots de D. Séré, « on est assez étonné, en France, du peu d’ampleur d’une offre qui semble ne pas tenir compte de la situation très détériorée de l’Espagne ». Le volte-face espagnol sur la proposition d’échanger les Pays-Bas et la Catalogne a forcé Mazarin à changer de politique. Il retourne à l’idée initiale d’une trêve en Catalogne et au Portugal dans une instruction adressée aux plénipotentiaires le 31 mars 1646, selon laquelle la France garderait définitivement tout ce qu’elle a conquis en Flandre et au Luxembourg, mais aussi, ce qui est plus important pour nous, le Roussillon et le port de Rosas[57]. Une nouvelle fois, la France s’engage dans une voie absolument contraire aux intérêts des Catalans.
En exécution des demandes du roi du 10 février, les Consistoires délibèrent sur le choix d’une personne à envoyer à la cour comme informateur au sujet de la Catalogne ; mission bien distincte au départ, précisons-le, de celle d’Ardena, envoyé comme ambassadeur ordinaire. C’est un personnage éminent et d’un profil bien éloigné de celui de Josep d’Ardena, le juriste Francesc Martí i Viladamor, qui est désigné pour l’accomplir. Son importance et son rôle postérieur nécessitent que nous revenions brièvement sur son portrait. Il a intéressé et divisé les historiens au cours des siècles, Javier Antón et Montsé Jiménez rappelant en 1991 dans un article à son sujet[58] qu’il avait été vu par l’historiographie catalaniste du XIXe siècle comme un patriote et un ardent défenseur de la souveraineté catalane, et par l’historiographie espagnole comme un faible pantin manipulé par les Français. Martí lui-même revient sur son parcours dans l’un de ses ouvrages : né le 30 août 1616 à Puigcerdà, il étudie à l’université de Barcelona où il décroche le doctorat en droit à l’âge de 17 ans, et commence à plaider à la Reial Audiència comme avocat[59]. Dans la carrière juridique, il a été précédé par son grand-père, notaire de Barcelona, et son père, juge à l’Audiència qui s’était distingué dans les années 1630 contre la politique d’Olivarès ; également appelé Francesc, il ne faut pas le confondre avec son fils. Martí i Viladamor se marie en 1639 avec la fille d’un riche marchand de Barcelona. Dès que commencent les tragiques évènements de 1639, il se distingue rapidement comme un libelliste très zélé : en 1640 il répand dans la salle du Conseil des Cent un premier pamphlet dénonçant le logement des gens de guerre, puis en rédige un autre dénonçant directement Philippe IV et Olivarès. Alors qu’au cours de 1640 les évènements précipitent l’alliance avec la France, Martí rédige son premier et plus grand livre : la Noticia Universal de Cataluña, où il montre des opinions véritablement profrançaises. Comme notent Antón et Jiménez, ce ne sont pas des sentiments de circonstance, ainsi que l’avaient été ceux de Pau Claris, mais une véritable justification du droit des Catalans à choisir un nouveau roi, ce dernier devant être Louis XIII. Bien accueilli par le Conseil des Cent, cet ouvrage lui vaut au lendemain des pactes avec la France sa nomination comme avocat fiscal de la Batllia General, aux mains de la ville. Martí devient alors le propagandiste officiel de la domination française, à travers plusieurs ouvrages : Cataluña en Francia, Castilla sin Cataluña y Francia contra Castilla (1641), Triumphos del amor, glorias del afecto y fiestas de la lealtad verdadera (1642), Praesidium inexpugnable Principatus Cataloniae (1644) [60]. En 1644, Marca fait en sorte de lui procurer des dons sur les biens confisqués pour le récompenser du zèle de sa plume[61]. Il obtient ensuite la charge de « Cronista Reial » (équivalent d’historiographe royal). Bien qu’âgé d’à peine trente ans, il semblait donc tout désigné pour être envoyé à la cour afin de justifier les droits du roi.
La délibération des Consistoires avait été très rapide, désignant Martí dès les premiers jours de mars 1646. A la manière de la grâce accordée à Ardena, pour l’encourager dans sa mission et rehausser son prestige, le vice-roi Harcourt lui fait immédiatement don de l’usufruit des biens de Mencia Pimentel et de sa mère la marquise de Villaverde, du marquis de Orani et du docteur Joan Mir[62] ; en plus de cela, pour le prix de son voyage, une rente de 200 livres barcelonaises par mois lui sera attribuée sur les biens confisqués confiés au trésorier Bru, dont le paiement débutera dès avant son départ[63]. Le 28 mars 1646 les conseillers de Barcelona font rédiger ses instructions pour son voyage à la cour. Le texte revient sur l’événement majeur qui vient de se passer dans la ville, et dont les conséquences vont lourdement influer sur le déroulement de sa mission : la récente découverte de la grande conspiration, fin février 1646. Son propre père, le juge Francesc Martí, est chargé de l’instruction de l’affaire. Ainsi Martí i Viladamor doit représenter au roi comment les manœuvres ont été déjouées, en mettant en valeur la façon exemplaire dont Harcourt a puni les conjurés avec l’assentiment général de la ville de Barcelona. Il doit ensuite s’entretenir avec Ardena pour que ce dernier le tienne au courant de l’état des missions pour lesquelles il avait été envoyé : « une fois ledit don Josep parti de la cour, il s’acquittera avec toute l’application des choses que don Josep n’aura pas encore accomplies ». Les points figurant dans l’instruction d’Ardena sont donc repris quasiment mot pour mot, y compris la clause concernant les biens confisqués dans les terres castillanes[64]. On voit bien ici que la volonté des conseillers était de faire revenir Ardena le plus vite possible. D’une part, il devait être bien coûteux d’entretenir plusieurs envoyés à la fois (rappellons que Pujolar se trouvait toujours à la cour). Mais il semble surtout que les conseillers aient commencé à douter du bon accomplissement de sa mission par Ardena, et qu’ils aient voulu lui demander des comptes pour son inefficacité. Ajoutée à cela, l’implication de sa parentèle dans la conspiration. Ainsi, le maintien d’Ardena à la cour, contre la volonté de ceux qui l’y avaient envoyé, nous en apprend beaucoup sur les circonstances politiques particulièrement sensibles de cette fin d’hiver 1646 : on peut y voir l’œuvre de Mazarin qui, pendant qu’il négociait à distance par l’intermédiaire des plénipotentiaires les conditions d’un échange Catalogne/Pays-Bas puis d’une trêve, ne voulait pas que l’échec d’Ardena dans sa principale mission – concrètement : empêcher de tels procédés – fût interprété par les Consistoires comme l’aveu éloquent de sa propre hypocrisie.
Martí, parti de Barcelona le 11 avril 1646[65], gagne Paris à la fin du mois, et se trouve pris au milieu de cette situation explosive. Il rencontre rapidement Ardena. Les évènements qui se déroulent alors, parmi les plus passionnants de la guerra dels Segadors, sont très discutés par les historiens. Sanabre déclare sans ambages : « durant les mois d’avril et de mai, les ministres français s’employèrent à flatter les représentants catalans, en même temps que ceux-ci espaçaient leur communication avec les Consistoires, Mazarin arrivant finalement à arracher, lors d’une entrevenue célébrée à Compiègne le 9 mai, contre la substance de leurs instructions, leur assentiment à la trêve même si les Espagnols continuaient à occuper de nombreuses places et le commerce avec l’Espagne était absolument prohibé »[66]. Un retour aux sources s’impose. Les archives du Ministère des Affaires étrangères conservent la précieuse minute d’une lettre, de la propre main du cardinal Mazarin, écrite de Chantilly le 10 mai 1646 et adressée à Josep d’Ardena, dont voici le contenu :
« Monsieur,
J’ay receu des nouvelles de Munster sur les quelles il est necessaire que je confere de vive voix avec vous, ce pourquoy je vous prie de vouloir prendre la peine de vous rendre a Compiegne et M.r le docteur Marti le plus vite que votre commodité le pourra permettre. Cependant, dans l’esperance d’avoir le bien de vous y revoir, je demeure… »[67].
C’est un témoignage particulièrement vivant et direct, qui permet également de contester la datation proposée par Sanabre pour la fameuse entrevue entre les deux Catalans et le cardinal Mazarin, en la repoussant du 9 mai au 11 ou au 12, sachant qu’il faut un peu moins d’un jour pour se rendre de Paris à Compiègne et que dès le 13 mai deux lettres de la reine régente, datées de Compiègne, sont envoyées aux députés de la Generalitat ainsi qu’au comte d’Harcourt pour leur signifier qu’Ardena va s’en retourner en Catalogne et qu’elle est satisfaite de sa mission[68].
Voilà donc le décor de l’entrevue planté. Mais que s’y est-il dit exactement ? La seule relation précise en est donnée dans un mémoire du roi envoyé le 20 mai aux plénipotentiaires. Bien qu’elle émane directement de Mazarin – que l’on crédite de la rédaction d’une grande partie de la correspondance avec Münster, heureusement éditée dans les Acta Pacis Westphalicae –, et doive donc être prise avec prudence, elle donne une bonne idée du ton général de la rencontre.
« Monsieur le cardinal Mazarin les a tous deux entretenuz au long en celle-cy. Il leur a dict la proposition que Messieurs les Plénipotentiaires ont faicte à l’assemblée d’une trêve pour la Catalogne de la durée de celle de Messieurs les Estatz pendant laquelle on cherchera les moyens d’accommoder tout s’il est possible avec satisfaction commune, ce qu’il a adjousté quoyqu’il n’en ayt poinct esté faict mention à Munster, affin que sy on convient de quelque eschange ilz ne puissent pas raisonnablement se plaindre qu’on leur ayt celé quelque chose.
Il leur a dict en oultre les raisons pressantes qu’on a eues d’en user de la sorte pour n’attirer pas à cette couronne le blasme et la hayne de toute la chrestienté, et que pendant qu’elle a si grand besoin de repos et d’union pour s’opposer aux progrès de l’ennemy commun[69], nous traictassions avec tant de haulteur et de dureté que de vouloir forcer le roy d’Espagne de renoncer dès à présent par un traicté à tous les droictz et à toutes les prétentions qu’il a sur un Estat dont le changement est encore sy récent, et où il possède mesmes trois places des plus considérables.
Il leur a faict sçavoir aussy l’aigreur avec laquelle les Espagnolz en ont receu l’ouverture, et combien ilz se sont emportez voyant que soit soubs le nom de paix ou de trêve la France est tousjours résolue à se maintenir dans la possession de la Catalogne.
Pour conclusion, ces deux députez sont demeurez très persuadez de tout ce que nous pouvons souhaitter et mesme de la responce qu’ilz ont faicte sur-le-champ nous pouvons tirer deux conséquences très bonnes.
L’une que la proposition de trêve ne les a nullement surpris, et qu’il fault que ces peuples-là s’y fussent attenduz, et par conséquent qu’il n’est pas à craindre qu’ilz se portent là-dessus à aulcune extrémité parce que d’abord don Jozeph d’Ardenne a dict avoir ordre de la députation de demander en ce cas instamment que l’on ne remette point le commerce entre les Catalans et les aultres pays de la domination du roy d’Espagne.
La seconde est que cette instance estant contre leur propre intérest puisqu’il n’y a nul doubte qu’ilz ne tirassent beaucoup d’advantage du restablissement du commerce, on en peult inférer qu’ilz marchent aussy droict qu’il se peult dans le service de Sa Majesté et n’ont nullement leurs pensées tournées vers l’Espagne.
Ledict don Joseph partit hyer en poste pour s’en retourner, et oultre le compte qu’il rendra sur les lieux de ce qu’on luy a dict, on escrit au long à monsieur le comte d’Harcourt sur le mesme subjet affin qu’il soit informé de ce qui se passe, et qu’il ayt moyen de s’en prévalloir pour le service de Sa Majesté, et de se garentir des machines que les ennemis pourroient en cette occasion mettre en jeu dans le pays pour nous y nuire »[70].
Sauf erreur (volontaire ? c’est possible) de la part de Mazarin, un point est à noter immédiatement : Ardena, lit-on, « a dict avoir ordre de la députation de demander en ce cas instamment que l’on ne remette point le commerce entre les Catalans et les aultres pays de la domination du roy d’Espagne », ce qui est vrai sans être vrai, puisque dans les instructions d’Ardena comme dans celle de Martí il est question de l’interdiction du commerce mais, comme nous l’avons vu plus haut, formulée d’une telle manière que les Consistoires demandent de l’interdire à l’exception de certaines marchandises fondamentales à la survie de Barcelona – ce qui équivaut à demander sa réouverture pour ces mêmes marchandises ! Doit-on imputer cette erreur à la faiblesse d’esprit d’Ardena ? Si c’est possible dans son cas, cela ne l’est décidément pas dans celui de Martí…
Tous les autres documents postérieurs montrent bien que cette interprétation particulière (la prohibition générale du commerce) est celle qui a été retenue à la fois par les deux Catalans et par la cour : le mémoire envoyé par le roi à Harcourt et à Marca pour leur rendre compte de l’état des négociations[71] ainsi qu’un mémoire rédigé conjointement par Ardena et Martí et donné au roi – qui sera envoyé à Münster[72] comme nous allons bientôt le voir – , ne mentionnent pas la fameuse exception de marchandises, pas plus que la demande des barcelonais de pouvoir jouir de leurs biens confisqués en terre castillane. Pourquoi, donc, avoir changé le sens du premier point, et avoir totalement passé sous silence le second ? La suite des évènements nous permet d’y répondre. Ardena, enfin relâché par Mazarin, repart en Catalogne quelques jours après la mémorable entrevue de Compiègne, le 19 mai 1646. Dans la crainte des fâcheuses conséquences que pouvait avoir le compromis accepté avec Mazarin, il part chargé de lettres du roi, de la reine, du cardinal, de Le Tellier et de Plessis-Besançon pleines d’éloges de sa conduite et de sa fidélité. Il se rend d’abord au front de Lleida pour rendre ses comptes au vice-roi Harcourt. Mais, lorsqu’il rentre à Barcelona, à la mi-juin, « une réaction si violente se produisit contre les deux ambassadeurs que rien ni personne ne fut capable de les calmer »[73]. Les deux Consistoires nomment immédiatement une junta qui prononce la suspension des missions d’Ardena et de Martí, puis fait rayer leurs noms de toutes les listes de personnes susceptibles d’occuper une charge à la Generalitat et au Conseil des Cent. En attendant son procès, Martí perd sa charge d’avocat fiscal de la Batllia General. Le 16 et le 17 juin 1646, les deux Consistoires écrivent des lettres au roi, à la reine et à Mazarin pour leur signifier leur décision, et précisent qu’ils désavouent également le contenu du mémoire conjoint d’Ardena et Martí, qu’ils disent avoir été donné sans leur autorisation[74]. Directement lié au non-respect manifeste des instructions de départ, ce mécontentement trouve aussi son origine, pour le cas particulier de Martí, dans sa nouvelle ligne politique. En effet, dès son arrivée à la cour de Paris, le pamphlétaire avait retrouvé toute la célérité de sa plume et commis un nouveau pamphlet intitulé Manifiesto de la fidelidad catalana, integridad francesa, y perversidad enemiga de la justa conservacion de Cataluña en Francia : Purgatorio de los engaños que la offenden en el tratado de la Paz general en Munster[75], dont le retentissement atteignit Barcelona avant même sa mise au jour. Alors que dans ses précédents ouvrages, principalement dans la Noticia Universal de Cataluña (1640), Martí défendait la thèse de la libre élection d’un souverain par les Catalans, il bifurquait maintenant brusquement, et affirmait que le roi possédait le Principat et les Comtés de façon héréditaire. Sincère repentir ? Pur opportunisme politique ? Cette dernière possibilité est défendue par Capdeferro[76]. Nous penchons pour une explication plus personnelle qui, dans ses manifestations, nous ramène directement au centre de notre sujet. Martí s’est trouvé fasciné par la cour de France, qu’il ne connaissait pas réellement jusque-là, et s’est forgé la conviction qu’il aurait intérêt à y rester pour avancer sa carrière et obtenir une parcelle de gloire. Parler avec Mazarin, se sentir au centre des enjeux européens avait de quoi impressionner. Cela explique sans doute l’excuse donnée dès le 6 juin aux Consistoires, pour différer son retour en Catalogne, de devoir terminer le livre qu’il avait commencé[77] – livre que le cardinal, pour flatter son orgueil, ferait imprimer à l’imprimerie royale[78]… Enfin, et cette raison explique pour sa part la conduite d’Ardena, Mazarin a dit aux Catalans que c’étaient les Espagnols qui avaient fait la proposition de trêve, alors que c’était son idée à lui, adressée aux plénipotentiaires et contenue dans l’offre donnée aux médiateurs Chigi et Contarini le 31 mars 1646[79] !
Dans un mémoire probablement de la main de Martí, écrit pour justifier sa position sur les instructions qui lui avaient été données, les raisons de son attitude sont expliquées de façon fort éloquente. Sur le premier point, la demande qu’Ardena et Martí devaient faire que les trêves ne soient pas conclues sans que l’Espagne ne livre à la France les places catalanes qu’elle occupait, le mémoire explique la chose suivante : les deux envoyés ont bien fait cette demande-là au cardinal au cours de leur entrevue, mais il leur a répliqué que c’était impossible car contre la nature même d’une trêve qui entraînait le statu quo. Sur quoi ils ont demandé, à titre de compromis, que les Espagnols limitent leur domination auxdites places, sans l’étendre à plus d’une demi-lieue à la ronde autour d’elles. Quant au fait d’avoir tu le troisième point concernant l’exception des marchandises, le silence est clairement assumé (« callaron el tercer punto ») avec l’argument que même une petite fuite favoriserait les entreprises conspiratrices de l’ennemi, et que le fait de se raidir sur l’interdiction montrerait puissamment que les Catalans sont prêts à des sacrifices pour montrer leur fidélité, ce que l’ennemi s’employait à démentir en répandant l’exemple de la récente conspiration. En taisant cela, lit-on, Martí et Ardena n’avaient fait que préserver le service du roi et du Principat[80]. En ce qui concerne les biens confisqués, la démonstration est encore plus puissante et nous ramène au cœur de notre sujet…
« Lesdits de Ardena et Martí ont tu le quatrième point sur la libre jouissance par les communautés et les particuliers des biens qu’ils ont en terre ennemie, parce qu’ici agit la même raison que pour la restitution des places, que si la nature des trêves demande que chacun reste en possession de ce qu’il tient, il est évident que l’on ne peut pas tenter de jouir des biens aujourd’hui possédés par les ennemis. En effet ce point paraît plus favorable aux ennemis qu’au Principat, parce-que si les Catalans prétendent jouir des biens qu’ils ont en terre ennemie, par la même raison les ennemis prétendront jouir des biens qu’ils ont en terre catalane – qui sont beaucoup plus grands et considérables, car la majeure partie de la Catalogne, dont jouissent Sa Majesté et la Députation par droit de confiscation, fut le patrimoine de différents grands de Castille et autres particuliers – ; et si tous ceux-là devaient revenir jouir de leurs anciens patrimoines en Catalogne, administrant les juridictions qu’ils y ont de la même manière que quelques Catalans reviendraient jouir des biens qu’ils ont en terre ennemie, cela amènerait la Catalogne à être gouvernée par les ennemis davantage que par le roi de France. Et comme l’intention du Principat est totalement contraire, on voit bien avec quelle juste raison lesdits de Ardena et Martí ont tu ce quatrième point, sans que l’on puisse dire qu’ils aient contrevenu, ni en une petite chose ni en une grande, à leurs instructions, mais plutôt qu’ils ont entièrement agi pour le plus grand service de Sa Majesté et bénéfice public du Principat, comme le prouvent manifestement toutes ces considérations »[81].
Dans ce texte, dont on ne sait pas exactement s’il a été écrit à l’intention du roi ou des Consistoires – son style de rédaction s’adresse au public en général, et a tout d’une grande plaidoirie de type judiciaire –, apparaît donc pour la première fois une réflexion claire et structurée sur la question des biens confisqués dans un éventuel traité de paix ou de trêve, première trace explicite d’une angoisse des Catalans à ce sujet.
Martí a évidemment enfreint la lettre des ses instructions, mais tout son argumentaire revient à dire qu’il en a respecté l’esprit en oeuvrant pour le bien de la Catalogne. Dans les faits, il a porté un jugement sur le contenu et a pris la responsabilité d’en dissimuler une partie qui lui semblait préjudicable, conjointement avec Ardena certes, mais semble-t-il sur son initiative personnelle. Cet abus de pouvoir, doublé, comme le diront plus tard les Consistoires à juste titre, de l’usurpation du titre d’« ambassadeur » qu’Ardena était le seul à posséder[82], s’explique autant par la durée importante des communications entre Paris et Barcelona, qui obligeait parfois les Catalans envoyés à agir de leur propre chef, que par la volonté de Martí de se faire valoir et d’être perçu à la cour comme un diplomate. Dans un intervalle entre la délivrance au roi (comprendre : à Mazarin) du mémoire coupable et la réception des lettres désapprobatrices des Consistoires ainsi que de la nouvelle de sa révocation, Martí manœuvre encore en écrivant à Mazarin au sujet de la question des évêchés vacants de Catalogne, dont ses instructions ne parlaient pas non plus ; dans la même lettre, il dit au cardinal qu’il a écrit aux Consistoires pour les adoucir à l’idée de la trêve, en leur disant qu’il en va de la paix de la Chrétienté[83]. En plus de lui montrer qu’il s’est totalement rallié à son point de vue, dont il devient le défenseur zélé, il se donne le rôle d’un intermédiaire entre lui et les Consistoires, plus renseigné qu’eux sur le bien de la Catalogne et la politique internationale ; il se propose de les détromper et de les convaincre. En agissant de la sorte, Martí a littéralement retourné le fond de sa mission, en se hissant de la simple place d’informateur, attaché à ses maîtres originels, à celle d’agent dévoué du cardinal. Le pari était risqué, et sans doute Martí savait-il à quoi il s’exposait. Cependant, toutes ces considérations mises à part, ses réflexions sur l’instruction des Consistoires au sujet des biens confisqués sont entièrement fondées. Comment les institutions catalanes n’avaient-elles pas pensé, en faisant figurer ce point dans leur texte, à la réciproque qui serait raisonnablement accordée par un traité, du moins nécessairement demandée par les ennemis ? La restitution aux Catalans des quelques domaines, peu nombreux, qu’ils possédaient en Aragon et à Valence, n’était rien à côté de la tempête que provoquerait celle de tous les biens que les Français avaient confisqués en Catalogne depuis la soumission de 1641. L’ampleur de ces confiscations, qui constituent le centre de notre étude, est saisissante : comme le dit Martí – et on le voit dans les cartes établies par Jordi Vidal i Pla[84] –, il s’agit de la plus grande partie de la Catalogne. Tous les grands partisans de la France, Fontanella, Ardena, Caramany, et une multitude d’autres petits, risquaient de devoir rendre toutes leurs seigneuries, abandonner toutes leurs pensions si âprement briguées. Ce qui était déjà difficile à admettre dans le cas d’une paix, l’était ici encore plus dans le cas d’une trêve ! Martí, bien qu’en état de rupture sauvage de ses limites, agissait cependant avec une certaine clairvoyance politique en évitant de donner aux Français l’occasion d’ouvrir la boîte de Pandore. Le plus grand paradoxe est que, tout en ayant perdu de vue la vraie position des Consistoires – s’opposer à l’idée même de trêve et demander la conservation de la Catalogne dans la couronne de France –, Martí se retrouvait là à défendre occasionnellement les intérêts de ses compatriotes.
La diplomatie française envisage la restitution mutuelle mais fait miroiter un remboursement des biens confisqués
Quelle fut la véritable incidence de toutes ces agitations sur l’évolution des négociations ? Il semble qu’elle fut loin d’être négligeable et que ce moment où la question des confiscations fit irruption dans le débat avec les Catalans fut aussi celui où elle apparut dans le fond des négociations. Prévenons le lecteur d’une chose : nous ne voulons pas augmenter avec excès son importance, ni affirmer qu’elle était une priorité des négociateurs, mais plutôt retracer sa progression et son influence, à mesurer entre Barcelona et Münster. Elle rejaillira bien plus tard lors du traité des Pyrénées, mais c’est à notre époque que nous la voyons naître, dans la défiance et dans la peur. Revenons d’abord à l’examen des conséquences politiques de la conduite d’Ardena et Martí : l’entrevue de Compiègne et le mémoire qu’ils remettent ensuite au roi[85] constituent les bases sur lesquelles la cour juge, en cette fin de printemps 1646, la position des Consistoires. Cela arrange d’ailleurs Mazarin, qui est fort aise d’avoir trouvé deux individus prompts à se rallier à ses vues plutôt qu’un véritable discours militant (mais comment tenir tête à Mazarin ?). Le 16 mai, un mémoire du roi est envoyé à Barcelona, à l’intention d’Harcourt et de Marca, disant que ce sont les Espagnols qui ne veulent pas la paix, mais que la France n’est pas pour autant disposée à abandonner la Catalogne : la trêve de longues années, que la France défend pour ne pas être accusée de mauvaise volonté, signifiera dans les faits une paix, avec la possibilité postérieure pour le roi de reprendre la province par force ; la version de Martí et Ardena est assise, le roi considérant comme eux qu’il faut interdire tout commerce avec les Espagnols. Le vice-roi et le visiteur général doivent parler aux Consistoire pour défendre ce point de vue[86].
Quant aux plénipotentiaires, on leur envoie tout simplement le texte même du mémoire qu’Ardena et Martí leur avaient donné, joint aux instructions royales du 20 mai 1646. Dans cette instruction, l’attitude d’Ardena et de Martí, dont l’entrevue avec le cardinal à Compiègne est résumée (c’est le texte que nous avons cité plus haut), est entièrement interprétée dans le sens des desseins français : ils n’ont pas été surpris par la trêve et ont même demandé la prohibition de tout commerce par danger des cabales ennemies, preuve de leur attachement à la couronne. Ainsi, deux portes de sortie sont envisagées : soit faire de la Catalogne un pays neutre sous la protection des deux couronnes, soit l’échanger contre un autre territoire (avec « beaucoup d’inconvéniens à appréhender par la malice des Espagnolz qui doibt agir sur une matière sy propre que la légèreté et la férocité des Catalans »). Finalement, au vu de l’attitude positive des deux envoyés, le gouvernement se demande – ironie du sort – s’il ne devrait pas dire la vérité aux Catalans…
« Les diposer avec addresse et insensiblement à retourner soubs la puissance d’Espagne moyennant les précautions et les seuretez convenables, et oultre l’amnistie de tout le passé, la confirmation des privilèges et l’augmentation de ceux qu’ils pourroient raisonnablement prétendre ; on pourroit mesme stipuler que le roy d’Espagne seroit tenu de payer en argent dans certains temps les biens de quelques-uns qui peult-estre aymeroient mieux sortir du pays, et aller habiter en d’aultres endroictz »[87].
Martí avait-il communiqué avec Mazarin de la question des biens confisqués ? Leur proximité était-elle si grande qu’il ait pu s’ouvrir à lui sur un sujet si sensible dont il craignait les conséquences ? Il n’est pas possible de le dire, mais notons que cette question, bien que d’une façon contournée (idée d’exiger du roi d’Espagne qu’il rembourse les biens des Catalans profrançais – sans qu’il soit précisé si les biens confisqués et réattribués par le roi de France y seront compris) a également commencé à préoccuper les Français. D’ailleurs, le mémoire que Martí écrit en juin pour se justifier des accusations des Consistoires et où il présente son objection sur les confiscations, conservé dans les archives du Ministère des Affaires étrangères[88], est de toute évidence passé dans les mains de Mazarin ou de quelque ministre français. Un autre fait montre bien que la communication entre Martí et le cardinal débouche par ricochet sur les plénipotentiaires de Münster. Le 6 juin 1646 Martí écrit à Mazarin une lettre, déjà évoquée, contenant des conseils aux sujets des évêchés de Catalogne : en effet, les évêchés sont considérés comme vacants car leurs titulaires nommés par le roi d’Espagne se sont réfugiés en Castille, mais ils ne le sont pas vraiment car le pape ne veut pas entériner les nominations françaises ; le résultat est que « les brebis de Catalogne » sont menacées de rester longtemps « sans pasteurs ». Ainsi Martí prescrit de demander, dans la trêve avec l’Espagne, que le roi d’Espagne nomme à d’autres sièges les prélats anciennement pourvus en Catalogne, et laisse le roi de France exercer ses prérogatives[89]. Le mémoire du roi aux plénipotentiaires, daté du 9 juin suivant, retransmet exactement cette suggestion[90]. Est-ce par proximité typologique de la question des évêchés vacants, ou bien par examen direct ou indirect, que le 25 juin 1646 les plénipotentiaires répondent au dernier mémoire royal que la question même du retour des exilés philippistes est à prendre en compte ?
« Touchant les evesques de Catalogne on fera tout ce qui sera possible pour satisfaire a l’advis du docteur Marti. Il nous semble surtout important de ne souffrir pas qu’aucun de ceux qui se sont retirez dans les terres de l’obeissance du roy d’Espagne retourne en Catalogne pendant la tresve quelque longue qu’on la puisse faire »[91].
Corollaire immédiat du fait des confiscations, cette prise de position montre qu’à ce stade les plénipotentiaires se rangeaient, dans le sens voulu par Martí, à l’intérêt des Catalans profrançais qui désiraient rester dans leur possession. Ils favorisaient pour lors la conception d’une trêve comme statu quo non pas ante bellum mais figé dans la situation actuelle.
Les Consistoires, bien que condamnant en bloc dans leurs lettres l’acceptation par leurs deux envoyés de l’éventualité d’une trêve, ainsi que leur silence au sujet de l’interdiction du commerce pour laquelle ils réaffirment la demande d’exception de marchandises, ne réagissent absolument pas sur le chapitre des confiscations[92]. Par la lettre que Marca écrit à Le Tellier au lendemain de la délibaration des Consistoires, où il relate les mesures prises contre Martí et Ardena, on apprend que ce point – après lecture des justifications convaincantes du docteur, si tant est qu’elles soient arrivées avant cette date, ou pas – a causé un certain tumulte.
« On avoit aussi fait comprendre que tous les Catalans qui sont parmi les ennemis reviendroient dans la province. J’asseuray le Conseil du contraire, et leur fis recognoistre que c’estoit un des benefices qui reussiroit de la treve mieux que de la paix, que d’avoir raison legitime pour tenir eloignez de leurs maisons ceux qui se sont retirez pour estre nos ennemis »[93].
Il est donc fort possible que les Consistoires aient réfléchi plus avant à ce point, et soient quelque peu revenus sur leur requête initiale, suivant dans ce cas l’idée de Martí : on ne les verra plus jamais demander la jouissance des biens situés en terre ennemie… Marca a l’habileté de se servir de la perspective des restitutions, noire et angoissante, comme argument pour faire mieux accepter l’idée de trêve. Cependant il ne cache pas à son correspondant les grands tumultes causés à Barcelona par l’arrivée d’Ardena et les débats houleux au Conseil des Cent, tant par incompréhension des circonstances de l’affaire que par crainte des conséquences. A mesure que les jours avancent, la violence des Consistoires ne se tempère pas, malgré, comme le note Sanabre, « les flatteries de la chancellerie royale, les menaces du vice-roi et les négociations répétées de Marca, la présence du docteur Martí revenu de Paris avec des lettres des plus hauts personnages de la cour louant sa loyauté »[94] : au contraire, l’épisode dure tout l’été. Une nouvelle charge apparaît en effet dans le dossier, typique d’une Catalogne divisée sous la vice-royauté d’Harcourt. Dix jours après, Marca réécrit à Le Tellier pour lui dire que l’aigreur du Conseil des Cent pour Ardena et Martí vient d’un soupçon de partialité. Ils sont accusés d’avoir été choisis par le vice-roi pour perdre le gouverneur Margarit, en faisant passer ce but pour une volonté de la ville. Et Marca, ennemi de la faction d’Ardena, semble se ranger à cet avis. Il ne veut pas, dit-il, « prendre le party de ces messieurs et de les appuyer contre l’inclination de ceux qui croyent dans une mesme deliberation et servir le roy et se vanger », et se satisfait que « le peuple deschargeat sur le papier au lieu de se vanger sur les maisons du sieur d’Ardene et de Marti comme il pretendait le faire ». Pour lui, Martí est un ami de Morell – cet ecclésiastique qu’il accuse d’influencer Harcourt et au sujet duquel il s’est violemment opposé avec lui au sujet de l’évêché d’Urgell[95]. Il est cependant un fait avéré qu’en plus de leur irrespect des instructions d’ordre diplomatique, Ardena et Martí ont profité de leur voyage pour donner au roi un mémoire, fortement soumis à caution, qui réclamait la révocation de Margarit mais aussi de Marca[96]. Même si le souverain n’y a « aucun esgard » et que sa réponse « termine cette affaire a l’avantage de ceux que l’on attaquait par ce memoire »[97], c’est une nouvelle passe d’armes dans la guerre de factions qui, en Catalogne, se superpose à la guerre des Etats.
A la suite des lettres des Consistoires, la cour informe les plénipotentiaires que le mémoire d’Ardena et Martí, qu’on leur avait envoyé pour leur gouverne, a été désapprouvé et ses auteurs révoqués. La prose officielle montre clairement les leçons tirées de l’épisode :
« On adressa de Compiègne ausdits Sieurs Plénipotentiaires un mémoire que les ministres de Catalogne qui estoient à la cour avoient présenté à Leurs Majestez touchant la trêve, mais comme il n’a pas esté approuvé par les consistoires qui ont la direction du principat et qu’ilz ont depuis peu dépesché icy un courrier exprès avec d’autres mémoires, se remettant pourtant comme ilz devoient à tout ce que Sa Majesté treuvera bon de résoudre sur ce qu’ilz ont cru luy devoir representer ; on envoye ausdits sieurs plénipotentiaires les dépesches mesmes qu’a apportées ledit courrier, et oultre cela un mémoire succinct que le sieur Le Tellier a esté chargé de dresser de tout ce qui s’est passé en cette affaire tant à la cour qu’à Barcelonne affin que lesdits sieurs plénipotentiaires y fassent les refflections convenables et que dans la suite de la négociation ilz procurent aultant qu’il dépendra de leur industrie et de leur prudence l’accomplissement de toutes les choses qui vont à l’avantage et à la satisfaction de ces peuples-là, on leur addresse aussy le mémoire qu’a donné depuis icy le docteur Marti sur ce désaveu du Principat »[98].
Les Catalans ne pouvaient parvenir à s’entendre, et le désaccord manifeste entre les différentes factions, dommageable à la bonne marche de la diplomatie, empêchait décidément le roi de se fier à eux. Désormais, moins que jamais, la négociation se déroulerait sans leur avis. La farouche désobéissance des Consistoires aux différents ordres royaux envoyés au cours de l’été et de l’automne 1646 pour mettre fin aux poursuites engagées contre Martí et Ardena envenime la situation : Harcourt menace de faire emprisonner les membres les plus récalcitrants, les conseillers menacent les députés de rompre le dialogue s’ils ne se rallient pas à leurs vues. Les souverains, plongés dans l’inquiétude, envoient le comte de Noailles en août pour réconcilier Marca et Margarit avec le vice-roi, sans succès. Martí, s’étant résolu à rentrer à Barcelona au cours du mois d’août 1646[99], une fois revenu au début de septembre, se voit refuser une audience par le Conseil des Cent à qui il voulait remettre des messages de la part de Mazarin. Ce n’est que sur l’intervention de Marca qu’on la lui accorde finalement le 15, mais seul et à huis clos – selon ses mots, pour que le peuple qui avait été monté contre lui n’apprenne la vérité. Martí demande alors le renvoi de son affaire au Consell Reial, ce qui lui est refusé[100]. Les choses ne se calment qu’après le mois d’octobre, quand l’armée espagnole du marquis de Leganés fait irruption dans le Pla d’Urgell et que les forces d’Harcourt se retrouvent bloquées autour de Lleida. La faiblesse des armes françaises contraint sans doute les Consistoires à plus de retenue et de soutien, car ils seraient les premiers à y perdre[101].
Les défenses de Martí, alors en situation d’extrême difficulté à Barcelona où il se trouve haï de tous ou presque, sont éloquentes car elles montrent sa détermination à être l’un des principaux acteurs du débat diplomatique, et car elles approfondissent d’un degré de plus la nouvelle question des restitutions. Le 20 septembre 1646, il remet aux conseillers de Barcelona une large relation de son voyage à Paris où il raconte en long et en large l’entrevue avec Mazarin, en expliquant pourquoi il a été amené à adapter ses instructions à la situation tout en respectant sa mission. En plus de ses arguments habituels et déjà présentés sur le danger du retour des Espagnols en Catalogne, et sur le bien-fondé de son silence, il insiste sur le fait que cette question est une affaire d’Etat d’une conséquence beaucoup plus grande qu’il n’y paraît :
« On considère que demander pour les communautés et les particuliers de Catalogne qui ont des biens dans les terres de l’ennemi qu’ils puissent en jouir librement et en porter les revenus dans la province est la chose la plus préjudiciable à la Catalogne, parce-que, si sur nos instances Sa Majesté avait fait aux ennemis semblable proposition, je ne doute pas que les ennemis l’auraient acceptée, et encore moins qu’ils auraient fait une égale proposition, savoir que, si les Catalans peuvent jouir des biens qu’ils ont dans les terres du Roi Catholique, de la même façon les sujets de ce dernier puissent jouir des biens qu’ils avaient en Catalogne. Et comme la plus grande égalité doit être observée dans tout traité, il est indubitable que les prétentions correspondantes des ennemis et des Catalans de jouir chacun de leurs biens auraient été assistées par les médiateurs de la paix. »
Puis il rappelle la liste, évidemment connue des conseillers, de tous les grands seigneurs castillans possédant des biens en Catalogne : duc de Cardona, duc d’Alba marquis d’Aitona, marquis de Los Velez, marquis d’Orani, marquis de Camarasa, comte de Peralada, comte de Montagut, comte de Santa Coloma, comte d’Erill, comtesse de Vallfogona… Comment nier, dit-il, qu’il était déraisonnable de faire cette proposition[102] ? C’était tenter le diable, se jeter dans la gueule du loup. Autre point avancé par Martí pour montrer l’importance de l’affaire : les implications politiques de l’aversion du Conseil des Cent contre sa personne, beaucoup plus grandes qu’une simple désobeissance aux instructions. Tous ses tourments, écrit-il à Mazarin quelques jours après, sont fomentés par le conseller en cap Felip de Sorribes. Ce dernier avait accusé en 1640 son livre Noticia Universal de Cataluña, qui prônait la libre élection d’un souverain par les Catalans, et maintenant se retrouvait à condamner son nouvel ouvrage Manifiesto de la fidelidad catalana, qui défendait la thèse inverse – Marti arguant que l’élection de Louis XIII et les pactes de Péronne avaient éteint la possibilité d’une nouvelle élection. Ainsi, Martí pare à l’accusation de palinodie et la retourne contre son ennemi, en faisant de lui un mal affecte par délit d’opinion (condamner le contenu du Manifiesto revenait à trahir le roi de France!), en plus d’être le frère de Josep de Sorribes et l’oncle de Francesc Descallar, tous deux exilés en Castille… Pour Martí, c’est Sorribes qui a inspiré les instructions et particulièrement le chapitre concernant la jouissance des biens dans les terres du roi d’Espagne, et ce faisant, a oeuvré en mal affecte – en pro-castillan qui favorise secrètement l’intérêt de l’ennemi…
« Si, à la cour, on avait mis en pratique et exécuté le chapitre mis par le conseller en cap dans ses instructions touchant le commerce et le fait pour certains Catalans qui ont de petits biens dans les terres du Roi Catholique de pouvoir aller en jouir librement et en apporter le revenu dans la province ; si sur ces instances on avait obtenu cela, par l’égalité qui doit être observée dans tout traité les ennemis auraient gagné la même chose avec les biens confisqués qu’ils ont dans le Principat, et par ce chemin les Grands et seigneurs de la cour du Roi Catholique auraient eu la voie libre en Catalogne […] ; si je n’avais pas travaillé au Manifiesto et autres écrits importants au service de Sa Majesté, si je ne m’étais pas engagé avec une telle ferveur dans mon affection, je serais aujourd’hui le plus agréable aux yeux de ceux qui me poursuivent, je ne me verrais pas si outragé et abattu »[103].
Finalement, le plus grand danger était bien que les plénipotentiaires français, comme les médiateurs vénitien et pontifical, tombent dans la facilité d’entériner immédiatement cette clause de restitution réciproque pour faciliter le traité, considérant que les Catalans – d’ordinaire si pénibles et inflexibles – s’accordaient pour une fois avec les Castillans. D’autant plus que cette clause pouvait apparaître mineure face à tous les échanges territoriaux prévisibles dans un tel traité…
L’extrême duplicité des communications émanées de la cour à ce sujet montrent bien à quel point les craintes du docteur Martí étaient fondées. Le 30 juin, un mémoire du roi est envoyé aux plénipotentiaire de Münster, dont le texte est reproduit dans le recueil des Acta Pacis Westphalicae, et dont nous avons cité un extrait plus haut. « Un mémoire succinct que le sieur Le Tellier a esté chargé de dresser de tout ce qui s’est passé en cette affaire tant à la cour qu’à Barcelonne », lit-on, y a été joint pour les informer davantage[104] . L’éditeur des Acta Pacis Westphalicae indique que les mémoires joints à ce texte ont été perdus, mais il semble que celui de Le Tellier puisse être identifié avec un texte, apparemment inédit, conservé dans le fonds Baluze de la Bibliothèque nationale de France, et lui aussi daté du 30 juin 1646. Dans ce texte, la clause de restitution réciproque est directement présentée comme résolue et acceptée par les Catalans. Une interprétation rapide et forcée des évènements des mois précédents qui faisait pièce aux efforts de Martí.
« Qu’il soit stipulé que les communautez et particuliers dudict Principat et des comtez de Roussillon et de Serdagne qui ont des biens dans les terres des Ennemis pourront les faire valoir, en disposer et en faire porter les fruicts et rentes en Catalongne comme bon leur semblera, ce qui sera reciproque a ceux du pays ennemy qui auront des biens dans ledict Principat. »[105]
Mais quelques jours après à peine, une lettre missive du roi est envoyée à Pierre de Marca, qui lui prescrit de présenter aux Consistoires une version totalement contraire à l’évidence apparente énoncée par Michel Le Tellier…
« Au surplus ayant veu par les Instructions que les Depputtez du Principat et Conseillers de Barcelonne avoient donné a Dom Joseph Dardenne et au Docteur Marti qui leur prescrivoient de faire instance pour obtenir qu’il fust stipulé dans le traicté qui seroit faict a Munster avec les ennemis que les Communautez et particuliers du Principat de Catalongne, et des Comtez de Roussillon et de Cerdagne qui ont des biens dans les terres de l’obeissance des ennemis en jouiront et disposeront plainement et paisiblement, et en feront transporter les fruicts et revenus en Catalongne, en laissant reciproquement la mesme faculté a ceux du pays ennemi qui auront des biens dans ledict Principat et Comtez, et n’ayant pas estimé apropos d’en faire aucune mention dans les responces que je leur donne presentement d’autant qu’ils n’en parlent point dans les lettres qu’ils m’ont escrittes, j’ay voulu seulement qu’en les entretenant dans le temps que vous verez estre a propos sur le subject du traité de paix ou de Treve qui se pourra faire avec les ennemis, vous ayez a leur faire considerer que comme il y a un bien plus grand nombre de Catalans mal affectionnez a la France qui se sont retirez dans le pays ennemy et qui y ont une partie de leurs biens qu’il n’y a de Catalans d’entre ceux qui sont demeurez dans mon obeissance qui possedent des biens qui sont dans les terres qui sont soubz la domination du Roy Catholique, et qu’il est dangereux de donner aucune ouverture au retour dans la Province a ceux qui en sont partis pour avoir esté soubçonnez et convaincus d’intelligence ou d’entreprise contre la France et leur patrie. Il seroit beaucoup meilleur et plus seur pour mon service et pour mes fidelles subjects de faire une compensation et eschanges des biens qui appartiennent aux Catalans residans presentement dans la Province et soubz mon obeissance contre ceux qui appartiennent aux subjectz du Roy d’Espagne et a ceux de laditte Province qui ont suivi son parti, et que chacun demeurast dans la subjection du Prince qu’il a servy pendant la guerre, et eust des biens d’esgalle valleur a ceux qu’il pourront quitter en ce faisant, ce qui seroit discutté par le menu. Sur quoy s’ils goustoyent cet expedient, vous aurez a me le faire sçavoir afin de le mander a mes Plenipotentiaires a Munster, et de traicter en conformité de l’advis de la depputtation et du Conseil de la Ville de Barcelonne »[106].
On voit bien comment, à cinq jours à peine d’écart, le discours pouvait changer selon la personne à qui l’on s’adressait. Il ne s’agissait pas ici tellement de tromper Marca, mais plutôt de le rassurer et de l’utiliser une fois de plus pour tranquiliser les Consistoires. On peut voir la main du cardinal lui-même dans ce nouvel artifice politique et diplomatique, dans la reprise opportune de cette astuce déjà envisagée par la cour à la fin du mois de mai : faire miroiter aux Catalans qu’on soutiendrait dans les négociations un remboursement aux anciens propriétaires de la valeur des biens réattribués, afin que les confiscations ne soient pas restituées et que les partisans de Castille ne reviennent pas infester le Principat. La prose utilisée par la missive royale reprend la propre terminologie de Martí… Rappellons que, fin mai, l’idée d’un remboursement avait été timidement soulevée[107], mais seulement dans le cas où la paix se ferait, avec probable exil d’une partie des Catalans profrançais hors de Catalogne (c’est ce qui arrivera en 1652 après la chute de Barcelona). A présent que la possibilité d’une trêve sortait du flou, il suffisait donc de se payer d’une nouvelle promesse, encore plus large et inconsidérée : un remboursement mutuel. Comment la couronne de France aurait-elle pu assumer une telle dépense ? A peine un an après, en 1647, la seule dépense de la guerre la poussera à la banqueroute… La couronne s’engageait d’autant moins vis-à-vis des Catalans que la promesse n’en était pas vraiment une. Elle devait avoir la forme d’une demande d’avis des Consistoires faite par Marca. Moyen de montrer aux conseillers et députés qu’on était prêt à soutenir leurs intérêts, mais aussi de temporiser en éloignant provisoirement leur colère – capable de nuire à des négociations alors sur le fil du rasoir.
En effet, au cours du mois de juillet, les négociations franco-espagnoles, très indirectes, sont largement influencées et perturbées par celles qui se tiennent directement entre les Provinces-Unies et l’Espagne. Les Provinces-Unies jouent un double jeu : depuis un mois Philippe IV a envoyé des pleins pouvoirs à Peñaranda pour qu’il conclue un traité avec elles, dont les premiers articles ont ensuite été accordés sans en informer la France, pourtant officiellement alliée. Mais tout se sait[108], les plénipotentiaires écrivent au roi « il semble que les Ministres d’Espagne ne soient poinct a l’assemblee pour traiter avec nous mais avec les Hollandais »[109] ; ils insistent auprès de Mazarin pour que le secret des correspondances soit scrupuleusement conservé : s’ils apprennent qu’ils ont le pouvoir de se relâcher pour la Catalogne et le Portugal, les Espagnols se rendront plus difficiles[110]. La France fait savoir son mécontentement aux Provinces-Unies, qui se défendent mollement. Le 16 juillet, les Espagnols, afin de montrer qu’ils jouent le jeu de la paix et sont loyaux, demandent aux Provinces-Unies de jouer le rôle de médiateur entre les deux monarchies[111] : « peu à peu, dit D. Séré, la situation se clarifie : sans cesser d’être les alliées de la France, les Provinces-Unies ont cessé d’être les ennemies de l’Espagne, puisque celle-ci s’en remet à leur médiation »[112]. Afin d’augmenter la portée de ses arguments en faveur de la trêve, la France fait valoir aux médiateurs que le comte d’Harcourt est en train d’assiéger Lleida[113]. La maxime de Mazarin – promettre beaucoup aux Catalans, car cela ne coûte rien – est bien confirmée lorsqu’il approuve le procédé des plénipotentiaires français de proposer aux Espagnols le don de plusieurs places des Pays-Bas en échange de Tarragona, Tortosa et Lleida :
« Nous ferons derechef sonner haut dans la Catalogne cette proposition, et comme nous sommes asseurez que jamais les Espagnols n’y donneront les mains, nous pouvons hardiment offrir le double de ces trois places dans les Pays-Bas, afin que les peuples de cette principauté voyent ce que nous sommes prests de faire pour leurs intérests, et que nous préférons leur conservation à la seureté propre de Paris »[114].
Les Français et les Espagnols communiquent alors par le double canaux des médiateurs Chigi et Contarini et des médiateurs des Provinces-Unies, appellés « interpositeurs ». Alors que les Français, afin d’obtenir le plus de concessions possibles, font mine de se figer sur la défense des intérêts de la Catalogne, les Provinces-Unies proposent une offre plus substantielle de l’Espagne : l’Artois, Cambrai et le Cambrésis en échange de la Catalogne. Mais la France souhaite garder la Catalogne comme porte d’entrée dans l’Espagne comme la Flandre est pour l’Espagne une porte d’entrée en France. De même, l’Espagne voudrait que la paix de l’empereur avec les ennemis de l’Empire se fasse simultanément à celle de l’Espagne avec la France. Comme la paix de l’empereur et de la Suède est ralentie, les Espagnols reculent une nouvelle fois et entendent raccourcir la durée et la portée territoriale de la trêve en Catalogne, tout en restant inflexibles sur le Portugal : « le courant d’optimisme qui se manifestait depuis quelques semaines se trouve soudain comme tari »[115].
Désormais, aucun catalan de l’envergue de Martí ne pouvait plus donner son avis sur la diplomatie française, et tel était bien le désir de Mazarin. Le docteur, empêtré dans l’inextricable procès que les Consistoires menaient contre lui, se débattait de toutes ses forces, multipliant les plaidoyers, accusant le nommé Cisteller, qui avait été nommé à sa place au poste d’avocat fiscal de la Batllia General, d’être un mal affecte[116] : son rôle diplomatique se trouvait pour lors neutralisé. Depuis le mois de juin, les Consistoires avaient envoyé un nouvel ambassadeur à Paris, Francesc Puiggener[117]. Manuel Calvo Rodríguez soutient que sa mission avait pour but de reprendre les instructions initiales des précédents ambassadeurs et de s’opposer une nouvelle fois, toujours avec autant de force, à l’idée d’une trêve[118]. Toutefois, il semble que Puiggener ait eu une personnalité beaucoup moins éclatante et affirmée que Martí, et qu’il se soit assez rapidement accomodé au silence qu’on lui imposait : quoiqu’intéressante sur le plan historique, son ambassade ne débouchera que sur la remise au roi d’un grand mémorial des Consistoires dont l’impact ne sera que secondaire, les négociations continuant à se dérouler dans les seules mains de Longueville, d’Avaux et Servien[119]. Ce dernier, soucieux de n’ajouter aucune entrave à un processus déjà compliqué, fort de son point de vue beaucoup plus large sur la situation internationale, considère d’ailleurs qu’on doit mettre un mouchoir sur les intérêts propres de la Catalogne : ces derniers sont souvent incompatibles avec la signature d’un traité égal entre les deux grandes puissances. Si on écoutait les Catalans, on n’en aurait jamais fini.
« Vous voyez aussy qu’ils appréhendent le comerce des Castillans pendant la trêve, mais comme ceux du pays ne s’en peuvent pas passer entièrement ils voudroient bien le réduire à ce qui leur est nécessaire et qu’il ne s’estendist point plus avant, ce qui est impossible d’obtenir par un traité où il faut que les choses soient esgales et fundées en quelque raison »[120].
Selon lui, on doit surtout « songer a rasseurer les esprits de ce pays-là » et leur montrer tous les efforts que l’on déploie pour eux, en faisant un bruit énorme des concessions prévues dans les Pays-Bas afin de couvrir tout craquement de fond…
Mais la principale inquiétude du gouvernement français, en cette fin d’été 1646, est le déroulement du siège de Lleida mené par le comte d’Harcourt. Cette inquiétude ne fait ensuite qu’augmenter quand ce siège semble tourner en faveur des Espagnols : le tout, disent les plénipotentiaires, est de conclure le traité après la prise de la ville si on y parvient, ou avant sa perte si le siège s’annonce mal[121]. Les Espagnols ne sont pas moins inquiets du sort de leurs armes à ce moment-là : en juin, ils perdent Courtrai, Bergues, Mardyck, et Dunkerque est assiégée. Les résultats de la campagne réchauffent toutefois le zèle négociateur de l’Espagne. Après que la France a offert de se relâcher sur le Portugal[122], fin septembre, l’Espagne semble pendue au sort de Dunkerque et Lleida[123]. Le 25 septembre, les plénipotentiaires, qui se sont transportés à Osnabrück, informent le gouvernement que l’Espagne, par l’intermédiaire des Provinces-Unies, leur a fait des propositions importantes : la France pourra garder ce qu’elle possède dans les Pays-Bas et en Franche-Comté, le Roussillon avec Rosas, et on lui concèdera une trêve en Catalogne. Mais les ambassadeurs des Provinces-Unies exigent de connaître les conditions du traité que la France fera avec l’Espagne[124]. De plus, l’Espagne refuse décidément de lier la trêve en Catalogne à celle qu’elle signerait avec les Provinces-Unies, ce qui était un des objectifs de la diplomatie française désireuse de compter encore sur l’aide de ses anciennes alliées. Après un refus de Mazarin pour une trêve de deux ou trois ans, proposition initiale, elle l’accorde enfin pour 25 ans, contre 30 pour celle des Provinces[125]. A la toute fin du mois d’octobre, une lettre du roi au comte d’Harcourt, alors enlisé sur le champ de bataille où il se trouve coupé de son approvisionnement depuis l’incursion du marquis de Leganés jusqu’à Tàrrega et Pons, explique que le raidissement sur une trêve longue a montré aux Espagnols l’intérêt de la France pour la Catalogne et sa détermination à continuer la guerre, et les a forcés peu à peu à céder ; conformément à l’avis stratégique des plénipotentiaires, Harcourt est chaudement invité à achever le siège et à signer des capitulations avec le gouverneur espagnol avant que la paix elle-même ne soit signée[126]. Alors que la France s’habitue progressivement à l’idée qu’elle ne réussira pas à reprendre Lleida, le roi invite à Harcourt à présenter aux Consistoires une alternative factice pour leur donner l’impression qu’ils sont associés à la diplomatie : si la trêve était signée avant la fin du siège, ou bien on demanderait la conservation de la place à la France (ce que souhaitaient naturellement les Consistoires mais qui semblait désormais bien illusoire), ou bien on la laisserait à l’Espagne, avec pour argument que cette concession de poids engagerait à faire quelque geste sur un autre plan[127]. Le terrible revers infligé à Harcourt les 21 et 22 novembre 1646, qui force les Français, décimés et démoralisés, à se débander vers Cervera, éteint définitivement toutes ces conjectures. Quand la nouvelle arrive à Paris, Le Tellier informe le vice-roi déconfit de la réalité des négociations : « dans la conjoncture presente de la paix, dont nous sommes a la veille » les ennemis resteront en possession de toutes les places qu’ils auront au moment de la signature de l’accord[128]. A la fin de l’automne, les Français, encouragés par les dernières ouvertures de l’Espagne, ont transmis un premier texte en vingt-deux points aux plénipotentiaires des Provinces-Unies, qui « constituaient autant de têtes de chapitres d’un futur traité ». Finalement, la poursuite des déconvenues de l’Espagne – perte finale de Dunkerque et de Longwy, prise par les Français de Piombino et de Porto-Longone, préside toscans, mort de l’infant Baltasar Carlos, prince héritier d’Espagne – n’éloignent pas l’avancée d’un traité qui semble de moins en moins irréaliste[129].
Arrêtons-nous un instant à ce point précis et capital de la longue et difficule progression vers un accord franco-espagnol. On notera un fait profondément marquant : à la fin du mois de septembre 1646, l’Espagne a consenti à une cession du Roussillon à la France. C’est une première depuis l’entrée des troupes françaises dans la province, le Roi Catholique ne reconnaissant ni la soumission de la Catalogne à Louis XIII, ni les droits de ce dernier sur un héritage catalan. La concession n’est pas clairement une reconnaissance de ces droits, mais plutôt un gage de circonstance, destiné à donner une plus grande latitude aux négociations et à favoriser la signature rapide de la paix. A ce moment-là, chaque clause, chaque concession peut être fragilisée par un événement militaire de dernière minute, par un argument miraculeusement retrouvé, mais les négociateurs adverses s’y accrochent et, comme on le voit bien à la lecture transversale de la correspondance diplomatique des plénipotentiaires, notent tout avec grand scrupule afin de pouvoir ressortir la moindre allusion en temps utile. Ainsi, dès 1646 se trouve déjà posée l’une des clauses majeures que l’on pourrait croire, avec une vision trop rapide de l’histoire, inventée par les négociateurs du traité des Pyrénées en 1659. Au même titre, on peut s’interroger sur le caractère inédit ou pas de la clause des restitutions réciproques, qui, dans les négociations que nous étudions ici, est nommément citée pour la première fois la même année 1646. L’hésitation du gouvernement français entre une restitution intégrale mutuelle et une procédure de remboursement des biens confisqués, même si elle appartient largement au registre de la « poudre aux yeux » destinée à rassurer l’opinion catalane, nous invite à poser la question suivante : était-ce une clause évidente et « naturelle » selon le droit des gens et la substance des traités antérieurs ? Pouvait-on réellement envisager une autre voie dans un traité concernant la Catalogne ?
Au moment où la France a déclaré la guerre à l’Espagne, en 1635, et a fortiori au moment où les négociations reprennent, la dernière paix entre les deux pays remonte à 1598 : il s’agit de la paix de Vervins, signée le 2 mai 1598 entre Henri IV, le gouverneur des Pays-Bas, l’archiduc Albert au nom de Philippe II d’Espagne, et le duc de Savoie, sous la médiation du Saint Siège. Bertrand Haan, qui a commenté et édité le texte de ce traité, le qualifie de « dernière paix catholique européenne »[130]. Comme le fait remarquer cet historien, le traité de Vervins est bâti sur les fondements posés par celui du Cateau-Cambrésis (3 avril 1559). Le premier article précise même d’emblée que ce dernier a été « de nouveau confirmé et approuvé en tous ses poinctz » par les signataires « comme s’il estoit icy inseré de mot à aultre et sans innover aulcune chose en iceluy ny ès aultres precedens »[131]. Les articles suivants posent de nouvelles bases importantes dans le respect du traité : l’oubli des faits de guerre (article 2), garantie pour les habitants des provinces françaises et espagnoles de la liberté du commerce et du droit de circuler librement avec confirmation des privilèges en vigueur avant le conflit (articles 3 et 5). Des « mesures d’amnistie » leur succèdent : « abandon des poursuites ou des lettres de représailles pesant sur les sujets des deux souverains, confirmation des détenteurs de charges dans leurs offices et des ecclésiastiques dans leurs bénéfices, restitution des biens mobiliers et des rentes, dans le cas où leur perte était directement liée à l’état de guerre » (articles 4 et 7-9). Viennent ensuite les questions purement territoriales qui ne nous concernent pas ici. Selon les mots de B. Haan, le traité de Vervins est l’ « héritier, et même la forme accomplie des grands traités de paix franco-espagnols depuis l’élection de Charles Quint au trône impérial et le début de la longue rivalité entre maisons de Habsbourg et de France » ; bien que bi-latéraux, ces traités incluent d’autres participants ayant intérêt aux négociations, et peuvent donc être considérés comme « des paix européennes à part entière » [132]. Il apparaît que la longueur des hostilités et des négociations, l’extrême besoin de la France de retrouver une tranquilité, voulue par Henri IV, ainsi que précisément cette implication de nombreux Etats étrangers, aient poussé les auteurs du texte à être particulièrement attentifs aux clauses. Selon l’opinion répandue à l’époque, elles doivent être justes et correspondre au droit des gens, d’où les considérations générales et théoriques du préambule, dont la signification et la portée ne sont pas uniquement symboliques et formelles.
Ainsi, les articles 7 et 8 prescrivent la restitution mutuelle des biens confisqués à des personnes pendant la guerre, et précèdent l’article 10 sur les restitutions mutuelles de territoires par les Etats signataires. Les uns ne sont pas concevables sans les autres. Les mots de Grotius donnent une idée fort exacte de la conception du droit des gens qui est alors en vigueur, et qui permet de remettre ces dispositions dans leur contexte. Bien que postérieurs, ils se basent sur une lecture attentive d’Isocrate, de Cicéron, de Denys d’Halicarnasse, ainsi que de l’Ancien Testament – le Droit des Gens est de nature antique et biblique –, pour qui les meilleures réconciliations sont celles qui ne laissent aucune rancune :
« A considérer uniquement le Droit Naturel, il n’y a rien de plus favorable que ce qui tend à faire que chacun ait le sien, ou ce qui lui est dû. Ainsi les clauses ambiguës doivent être expliquées de telle manière que celui dont la cause étoit juste ne perde rien de ce qui l’a obligé à prendre les armes, ni ce à quoi se montent les dépens, dommages et intérêts, mais non pas en sorte qu’il gagne quelque chose par droit de punition ; car cela est odieux.
Mais comme il n’arrive guères qu’en traitant de la paix l’un ou l’autre des ennemis avouë qu’il avoit tort, il faut suivre, dans l’interprétation de ces sortes de traitez, le sens qui rend égale autant qu’il est possible la condition des parties, eu égard à la justice de la Guerre. Cela se fait principalement en deux manières : car ou l’on veut et entend que les choses dont la possession a été troublée pendant la guerre soient remises sur l’ancien pié, ou bien ou prétend que les choses demeurent dans l’état où elles sont ».
Pour Grotius, le second sens, celui du statu quo, est « celui qu’on présume le plus aisément dans un doute, parce que ce qu’il renferme est plus aisé à faire, et qu’il n’apporte aucun changement »[133]. En effet, on sait bien la difficulté et le peu de garanties jointes à des promesses d’avenir de la part de l’un ou de l’autre des signataires : par exemple, la dot de l’infante Marie-Thérèse, prévue selon les termes du traité des Pyrénées et non versée, sera le casus belli de la guerre de Dévolution de 1667-1668. Il vaut mieux partir sur des bases réalistes et lucides. D’ailleurs, si Grotius lui-même n’écarte pas la possiblité d’un dédommagement des particuliers par l’Etat, il cite cependant l’opinion de Fernando Vázquez de Menchaca (1512-1569), selon qui l’Etat n’est pas « tenu de dédommager les sujets de ce qu’ils ont souffert par les actes d’hostilité exercez pendant la Guerre parce, dit-il, que le Droit de la Guerre permet de causer de tels dommages », ce qui montre bien que sur ce point le consensus n’avait pas encore été atteint à la fin du XVIIe siècle. Ainsi, dans notre cas précis, la possibilité d’un dédommagement a pu être envisagée, mais ce n’est pas la solution choisie lors de la paix de Vervins ; en 1646, les négociateurs de Münster auraient donc dû faire preuve d’imagination pour faire entrer une clause nouvelle et inédite, absente des précédents traités entre la France et l’Espagne, ce qui est douteux.
L’article 7 du traité de Vervins précise donc une restitution réciproque des biens possédés par les sujets des deux puissances avant le début de la guerre, dont le début est fixé assez clairement par l’indication d’une date de temps : « tous et chacuns leurs biens immeubles, rentes perpetuelles, viaigieres et à rachapt saisiz et occupez à l’occasion de la guerre commencée sur la fin dudict an mil cincq cent quatre-vingtz et huyt, pour en joyr dezla publication de cestedicte paix »[134]. Selon des règles également rappelées par Grotius, la guerre n’a pas éteint les droits successoraux ni les droits particuliers des créanciers : les héritages doivent revenir à leur légitime propriétaire, et les débiteurs doivent acquitter leurs dettes, « la Guerre ne fait qu’empêcher qu’on ne puisse en exiger le paiement », dira le juriste hollandais. En revanche, les dettes conclues pendant la guerre sur ces bien confisqués sont éteintes, puisque la restitution de l’état antérieur à 1588 implique un oubli de ce qui s’était passé ensuite ; cela entraîne aussi l’incapacité pour les anciens propriétaires de réclamer les fruits qu’ils auraient dû percevoir pendant la guerre : « sans rien quereller toutesfoiz ny demander les fruictz perceuz dez le saisissement desdicts biens immeubles jusques audict jour de la publication du present traitté, ny des debtes qui auront esté confisquées avant ledict jour […]. Ne pourront jamais les crediteurs de telles debtes ou leurs ayans cause estre receûz à en faire poursuyte en quelque maniere et par quelque action que ce soit contre ceulx ausquelz lesdicts dons auront esté faitz, ny contre ceulx qui, par vertu de telz dons et confiscations, les auront payez »[135]. Cette clause peut se comprendre selon le commentaire généal que Grotius fait sur la restitution des choses dans un traité de paix :
« Les articles par lesquels on a promis de rendre les personnes sont plus favorables que ceux par lesquels on s’est engagé à rendre les choses prises. En matière de choses prises, la restitution des terres est une cause plus favorable que la restitution des biens mobiliaires ; celle des choses possédées par l’Etat plus que celle des choses dont les particuliers sont en possession ; et à l’égard des dernières, les conventions qui engagent les particuliers à rendre ce qu’ils possédoient à titre lucratif sont plus favorables que celles qui les engagent à rendre ce qu’ils possédoient à titre onéreux, comme par droit de vente ou pour la dot d’une femme. Lorsqu’on cède une chose par le traité de paix, on cède en même temps les revenus, à compter depuis la cession faite, et non pas plus haut. »[136]
Grotius fait un usage personnel du mot favorable, dans le sens de réalisable, de facile – en fait, favorable à la bonne exécution des clauses du traité, « car il est de l’humanité de croire que ceux qui font la paix veulent de bonne foi étouffer toute semence de guerre »[137]. On est donc ici dans l’application concrète de cet impératif de réalisme et de lucidité qui doit présider à la confection des traités : on choisit de rétablir la possession antérieure – dont nous venons de voir que, dans la pensée théorique de la fin du XVIIe siècle, elle n’était pas évidence absolue, mais l’une des possibilités, et pas la plus simple –, cependant ce rétablissement pur et simple est tempéré par l’oubli des perceptions de revenus pendant la guerre. Ainsi chaque partie, les anciens possesseurs autant que les confiscataires, peut y voir un point en sa faveur.
L’article 8 de Vervins n’est qu’un développement des dispositions de l’article précédent. Il revient plus précisément sur la notion de confiscation :
« Et se fera ledict retour desdicts subjectz et serviteurs d’ung costel et d’aultre à leurs biens, immeubles et rentes comme dessus, nonobstant toutes donations, concessions, declarations, confiscations commises et sentences données par contumaces et en absence des parties et icelles non oyes à l’occasion de cestedicte guerre […] pourveu que lesdicts subjectz et serviteurs ne se trouvent chargez d’aultres crimes et delictz que d’avoir servy en party contraire. »[138]
Encore une fois, la prescription entraînant un retour à la situation de 1588 repose sur des considérations de balance : les « crimes et delictz » commis pour raison de la guerre entre 1588 et 1598 sont abolis, mais uniquement ceux-là, car les méfaits de droit commun restent à la connaissance des justices des Etats respectifs, y compris pour des affaires matérielles : « Cela n’empêche pas néanmoins que les particuliers qui alors avoient été injustement dépossédez ne puissent avoir recours à la justice ou pour obtenir un arrêt provisionnel par lequel ils soient remis en possession ou pour réclamer leur bien », lit-on chez Grotius ; c’est une exception qui confirme la règle générale : « entre rois ou peuples chacun doit être censé s’être dépouillé lui-même de ce droit de punir, parce qu’autrement ce seroit laisser une ancienne cause de guerre qui feroit que la paix ne pourroit pas bien être regardé comme une véritable paix »[139]. La prescription concerne le bien commun. Le retour des sujets respectifs des deux souverains dans leur patrie, ainsi que leur retour dans la possession de leurs biens est donc assuré théoriquement, mais le réalisme de la situation revient dans cette clause particulière : ils ne pourront le faire « sans avoir premierement sur ce obtenu permission et lettres patentes seellées du grand seel de Leurs Majestez » à faire vérifier par les juridictions compétentes[140]. Certes, le traité consacre un oubli théorique et hautement symbolique des faits survenus pendant la guerre par le droit de la guerre, avec conséquences judiciaires ; mais la situation précise des deux Etats au moment de la signature de la paix – de jure le jour même du 2 mai 1598 – rend nécessaire ce degré de sécurité supplémentaire, permettant à l’autorité souveraine de trancher les cas particuliers des sujets transfuges et criminels de lèse-majesté. On n’est donc pas surpris de trouver dans cet article 8 la référence aux procédures par contumace, dont on a longuement expliqué le fonctionnement en Catalogne dans notre première partie[141], et qui sur ce point ont des implications identiques de part et d’autre des Pyrénées.
Mais quelles confiscations pouvait-il bien y avoir en 1598 ? Le conflit franco-espagnol de 1588-1598 est d’une nature bien spéciale : il a lieu en pleines guerres civiles françaises. Il n’est pas nécessaire de nous y étendre ici, mais simplement de remarquer que ce conflit se joue davantage par une aide de Philippe II aux ennemis du roi de France à l’intérieur même du royaume, que par des affrontements directs. Quelques opérations militaires ont bien lieu en 1595 dans le Nord de la France et aux Pays-Bas. En 1597, la prise d’Amiens par le gouverneur espagnol de Doullens inspire à Henri IV un projet de représailles sur Perpignan : le 18 août, des troupes françaises commandées par le maréchal d’Ornano se dirigent en cachette vers Perpignan, mais le projet avait été éventé et elles doivent refluer ; les Français ravagent ensuite plusieurs villages du Roussillon, prennent Opoul mais se cassent les dents devant Ille. Ce sont les dernières opérations de la guerre terminée par le traité de Vervins[142]. Les articles 7 et 8 de ce dernier sont donc essentiellement formels et théoriques, il ne semble pas que les deux souverains aient eu à se soucier d’importantes confiscations à ce moment-là – contrairement à ce qui se passera après 1635. Revenons maintenant à ce que nous disions plus haut : le traité de Vervins n’est qu’une reprise du précédent traité franco-espagnol, celui du Cateau-Cambrésis, « comme s’il estoit icy inseré de mot à aultre et sans innover aulcune chose en iceluy ny ès aultres precedens »[143]. La chose est rigoureusement exacte. Si l’on remonte au texte du traité du 2 avril 1559, on y trouve deux articles identiques mot pour mot aux articles 7 et 8 de celui de 1598 : il s’agit alors des articles 6 et 7[144]. Les négociateurs de 1598 n’ont rien innové. La paix du Cateau-Cambrésis met fin aux guerres d’Italie commencées en 1494 lorsque Charles VIII était entré à Florence, et que Ferdinand II d’Aragon, avait décidé d’entrer dans la ligue d’Italie contre lui. La situation militaire désastreuse de la France en 1559 avait obligé Henri II à l’abandon de nombreuses prétentions : restitution du duché de Savoie et des principales places du Piémont à Emmanuel-Philibert (à l’exception de quelques unes comme Turin et Pignerol), restitution du marquisat de Montferrat au duc de Mantoue, abandon des prétentions sur le Milanais et la Franche-Comté, évacuation des places occupées en Flandre. Les implications de la clause des confiscations, cette fois, sont donc beaucoup plus consistantes. Les articles 6 et 7 sont des prescriptions générales, l’explosition du droit des gens, mais correspondant à une situation bien concrète : plus loin, les articles 45 et 46 déclinent une longue liste de personnes affiliées à l’un ou à l’autre souverain dont les biens, situés en terre ennemie, pourront leur être rendus[145]. Ces biens sont essentiellement situés en Flandre et en Italie ; postérieurement au traité, plusieurs actes bi-latéraux traiteront les cas particuliers d’un grand nombre d’autres personnages de haute lignée (familles d’Egmont et de Croÿ, connétable de Bourbon…)[146]. Une fois de plus, on voit là un calibrage diplomatique jouant sur une situation réelle – la faiblesse de la France qui, pour l’heure, fait place à la suprématie espagnole du Siècle d’Or –, et une réciprocité voulue par le droit des gens, passant par une égalité théorique. Le règlement des situations particulières indexé sur les concessions et restitutions de territoires.
Faut-il pour autant chercher en 1559 l’origine de la clause des restitutions ? Nous avons vu que les négociateurs n’innovaient pas : le traité de 1598 est un calque de celui de 1559… mais de quel traité celui de 1559 s’inspire-t-il alors ? Lorsque les guerres d’Italie commencent, en 1494, et que Ferdinand II rejoint la Ligue d’Italie, ce roi a en réalité enfreint les clauses d’un traité qu’il venait de signer avec le roi de France, Charles VIII : le traité de Barcelona, signé le 19 janvier 1493[147]. Ce dernier met fin au précédent litige qui opposait les deux couronnes, et sur lequel nous sommes abondamment revenus au début de notre travail parce qu’il est fondateur : la prétention de Louis XI sur le Roussillon. Louis XI s’y était introduit en 1463, à la faveur d’une promesse d’aide faite au roi Jean II d’Aragon contre la Catalogne alors révoltée contre son autorité : les revenus des Comtés de Roussillon et Cerdagne avec la prise en gage des châteaux de Perpignan et Collioure était une garantie en faveur de la France. Le souverain avait décidé de s’y installer durablement. La première action des Français lors de leur entrée avait été la confiscation des biens des habitants ayant défendu la ville de Perpignan ; l’année suivante, tous les biens confisqués en Roussillon avaient été donnés au lieutenant-général Jean de Foix-Candale. En 1475, après une brève rechute de Perpignan dans les mains des Aragonais, tous les nobles demeurant fidèles à Jean II avaient été exilés et leurs biens confisqués, entraînant le passage des patrimoines de plusieurs grandes familles, les Pinós, les Oms, les Llupià, à des gentilshommes français. En 1493, lorsque Charles VIII décide de rompre avec la politique de son père pour diriger tous ses efforts vers les guerres d’Italie, d’importantes confiscations sont donc dans la balance et pèsent dans les négociations. Plusieurs hauts personnages français, eux-mêmes bénéficiaires, tentent de peser pour dissuader le roi de son projet de restituer le Roussillon[148], mais Charles VIII demeure inflexible. Le traité de 1493, s’il comprend une alliance offensive et défensive entre les deux nations, a pour principale clause la restitution du Roussillon et de la Cerdagne, avec pour seules garanties que des arbitres se réuniraient postérieurement pour décider de la propriété de ces territoires et que Ferdinand II ne pourrait marier ses filles à des princes ennemis du roi de France. C’est dans le texte même du traité de Barcelona, originalement rédigé en latin, que nous trouvons l’origine des articles des traités de 1559 et de 1598 : ils en sont la traduction. La clause des restitutions mutuelles et celle de l’abandon de toute réclamation pour les fruits touchés par les confiscataires avant la paix s’y retrouvent quasiment mot pour mot, de même que l’abolition de tous les délits qui auraient été commis par droit de guerre[149]. Pratiquement, cela implique le retour des roussillonnais exilés depuis 1463 et 1475 ou de leurs héritiers. Ce traité, présenté par certains historiens comme une faute politique et une faiblesse du roi de France[150], est en effet largement dominé par les concessions en faveur de Ferdinand II. Il ne correspond pas, cette fois, aux critères d’égalité et de balance repris par Grotius, il est unilatéral : le roi d’Aragon ne fait pas de concession financière ou territoriale. Les restitutions mentionnées ne sont donc mutuelles que sur le papier, dans leur conception. Seul le roi de France rend un territoire qu’il possédait, et revient sur toutes ses donations.
Ainsi, la clause de restitution mutuelle, qui effraie tant les Catalans en 1646 lorsque la perspective d’une trêve ou d’une paix entre la France et l’Espagne s’approche à grands pas, est directement issue de la longue histoire diplomatique et politique des deux nations : elle ne naît pas du néant cette année-là, mais renaît plutôt dans un processus traditionnel de référence à la supposée sagesse des traités anciens. C’est à juste titre que Francesc Martí i Viladamor alerte le Conseil des Cent sur cet aspect des choses, et qu’il tente de corriger le tir à la cour de France. Pourtant, il est très difficile de changer une clause si anciennement admise et dont la modification n’intéresserait que l’une des parties en présence : les Catalans profrançais. Le traité de paix prévu à Münster en 1646 est un traité de paix international, bi-latéral voire multi-latéral, et à l’image de tous les accords des siècles précédents, obéira aux orientations qui dominent alors la politique des souverains. En 1493, Louis XI a cédé le Roussillon pour se consacrer à ses ambitions italiennes, recherchant l’alliance du roi d’Aragon, qui le trahira immédiatement. En 1559, Henri II encore en situation de faiblesse, a abandonné une grande partie des territoires sur lesquels portait son ambition. En 1598, Henri IV a cherché la paix pour reconstruire son royaume. A chaque fois, la restitution des biens confisqués – qu’il y ait eu ou non, dans la réalité, des biens confisqués – suit le mouvement général, l’âme et l’esprit de ces traités, et sacrifie l’intérêt de certains particuliers à un intérêt général hautement conditionné par la nécessité. Pourquoi devrait-il en être autrement à Münster ?
2. Les traités de 1647
La restitution réciproque est acquise dès les premiers projets de traité…
La préhistoire des premiers accords esquissés entre la France et l’Espagne en 1647 se trouve au cours de l’été 1646[151]. Nous avons dit que les représentants des Provinces-Unies étaient devenus « interpositeurs », c’est-à-dire nouveaux médiateurs. A la fin du mois d’août, ils transmettent aux plénipotentiaires français, par écrit, des ouvertures suffisamment importantes et décisives pour attendre une réponse explicite.
« En somme les choses s’avancent bien fort et lesdicts sieurs ambassadeurs nous ont dict mesme qu’ilz estimoient qu’après que nous leur aurions porté notre response, il faudroit réduire en articles tout ce qui s’est négotié et le mettre en la forme qui doit estre couché dans le traicté, à quoi nous n’avons monstré aucune repugnance »[152].
Les Français se sont entendus avec les Hollandais pour les revoir et leur adresser leur réponse sur chaque point. « Articles », le mot est lancé : il s’agit désormais d’entrer dans le fond des problèmes et de donner une forme à des questions qui étaient jusque-là évoquées de façon vague et éphémère. Mais les négociations s’enlisent quelque temps, car les Etats relayent toujours des offres de trêve de 5 puis 8 ans, qui sont refusées par la France, et que les plénipotentiaires français essayent de repousser le traité à après la fin du siège de Lleida[153]. Ce n’est que le 20 septembre, à Osnabrück où viennent de se rendre les plénipotentiaires français, que les ambassadeurs des Etats viennent les trouver et leur font enfin des propositions dignes : conservation par Louis XIV de ce qu’il possède dans les Pays-Bas et en Franche-Comté, du Roussillon avec Rosas, trêve en Catalogne. Longueville, d’Avaux et Servien décident alors de donner ce qui est le premier acte de la genèse d’un traité[154] : ce « texte en vingt-deux points », points qui « constituaient autant de têtes de chapitres d’un futur traité » (D. Séré)[155]. Il leur est donné le 22 septembre. Le seul témoignage subsistant, à notre connaissance, de ce tout premier projet, est conservé parmi les manuscrits de l’Assemblée nationale ; il s’agit du brouillon original du document donné aux médiateurs (aujourd’hui perdu), envoyé avec le mémoire au roi du 25 septembre. Le document fut mis en forme par leur secrétaire, scripteur de toutes leurs dépêches envoyées au roi, et annoté de leur main par endroits. Les articles dixième et onzième sont explicites sur les intentions profondes des plénipotentiaires en matière de restitutions.
« (10) Sera aussy faict raison aux sujets de part et d’autre qui ont esté privés de leurs biens pendant la presente guerre ou au paravant pour avoir servy l’un ou l’autre party ausquels n’a esté faict justice jusqu’à present. (Ajout de la main d’Abel Servien 🙂 Et particulierement au duc d’Atrie.
(11) Le commerce, les confiscations, represailles et autres poinctz semblables seront reglez a l’ordinaire et s’il y eschet quelque chose de nouveau a adjouster, il sera faict d’un commun consentement »[156].
Malgré l’évocation rapide, dans la propagande royale à destination de la Catalogne, d’un statu quo sur la situation présente, ou d’un remboursement aux nouveaux bénéficiaires des donations en cas de restitution, on s’en tient désormais clairement à une option simple et dénuée d’artifices : la voie « ordinaire », c’est-à-dire la restitution réciproque. Au même moment, les plénipotentiaires français négocient avec les impériaux. Dans cette négociation, qui prend des formes identiques – l’échange et le commentaire d’articles –, on voit bien que cette voie est considérée par eux comme la plus naturelle et la plus juste : à l’article 3 des impériaux, qui demandent la restitution réciproque des confiscations, les Français annotent : « Cet article est sy ordinaire dans tous les traitez qu’on n’y a pu faire aucune difficulté »[157]…
L’évolution des négociations, au fil des contacts, éclaircit progressivement la situation. Certes, le contact ne se fait d’abord que par le canal des interpositeurs. Mais ces derniers apprennent rapidement aux Français qu’ils ont montré leurs 22 points aux Espagnols, et leur communiquent les commentaires de ces derniers. Les plénipotentiaires en envoient immédiatemen le contenu, article part article, au gouvernement. On y voit qu’il demeure 6 points de désaccord : le refus de céder Rosas et Cadaquès, la trêve pour la Catalogne (25 ans et non 30), l’inclusion du duc de Lorraine dans le traité, les conditions de libération du prince Edouard de Bragançe, la simultanéité de signature des traités France/Espagne et France/Empire, l’omission du roi de Portugal dans le traité[158]. Evidemment, au milieu de tant de points fondamentaux, la question des restitutions passe sans aucune difficulté.
« Sur le 10.
Que le Roy d’Espagne sera prest et disposé en ce qui le touche que l’on donne toute satisfaction, et se fasse aux subjets de part et d’autre.
Sur le 11 et 12.
D’accord »[159].
Les Français font eux-mêmes immédiatement passer une réponse aux Espagnols, toujours par les interpositeurs. Ils veulent tellement montrer que la France est disposée à traiter qu’ils évoquent la possibilité de mettre en forme, sans plus attendre, l’article des restitutions du futur traité.
« Sur le 11 et 12.
D’accord. Mais il seroit à propos pour gaigner temps d’estendre les articles en la forme qu’ils devront estre inserez dans le traicté.
(En marge, commentaire justificatif destiné à la cour 🙂 A esté mis expres a ce que lesdictz sieurs ambassadeurs voyent que nous ne voulons pas differer »[160].
Le point n’est donc absolument pas litigieux entre la France et l’Espagne. Au contraire, il est d’emblée choisi parmi les exemples mêmes des accords possibles : les premières pierres du traité.
Durant les mois d’octobre et de novembre 1646, le chassé-croisé continue entre plénipotentiaires français et interpositeurs, les Espagnols relâchant petit à petit certains points : ils finissent par céder sur Rosas et sur l’idée d’une trêve de 30 ans[161]. Sur l’article des restitutions, les interpositeurs montrent bien que les Espagnols ne font que confirmer le mouvement déjà entamé, quoiqu’ils se montrent un peu plus sensibles sur la questions des confiscations, jugeant même utile de préciser que les rentes perçues pendant le temps de la guerre ne pourront être réclamées – point qui était pourtant présent dans les traités de Barcelona, du Cateau-Cambrésis et de Vervins…
« Sur le Xe qui parle du restablissement du duc d’Atrie dans ses pretentions au royaume de Naples et des autres ducs, princes et comtes, etc., dans leurs biens etc. Il est respondu que tous les sujets de France seront restablis dans leurs biens qui auront quelque possession soubs la domination d’Espagne, encore que lesdits biens auront esté annotés ou confisqués a condition que le mesme sera fait aux sujets du roy d’Espagne ainsi qu’on a pratiqué ès traittés precedents et que dans lesdits biens ne seront compris des levées et rentes du passé.
Sur le XIe et XIIe pour le fait des represailles, comme ceux qui seront compris dans le traité, et que maintenant on commence de dresser des articles pour ne perdre temps etc., l’Espagne consent a tout »[162].
Dans leur nouvelle réponse aux Hollandais, les Français acquiescent :
« Sur le 10e.
On ne peut en façon du monde se departir du contenu en l’article qui est conforme a ce qui a esté convenu dans les traités precedens
Sur les 11 et 12.
Idem de la part de la France »[163].
Cependant, cette apparente bonne volonté n’empêche pas des dissensions profondes, tant sur les points généraux que sur les points de détail. Tout en publiant, pour des raisons de propagande et de stratégie, que la paix sera bientôt signée, les Français émettent progressivement des doutes sur les choses qui semblaient réglées. Une question apparaît au sein des échanges constants entre plénipotentiaires et interpositeurs durant la fin du mois d’octobre et la première moitié du mois de novembre : il s’agit de savoir si les intérêts de plusieurs grands seigneurs – le duc d’Atrie[164], d’abord, puis, à mesure que les jours avancent, une liste de plus en plus étoffée de noms – doivent être cités nommément dans le traité, au sein de l’article 10, ou bien implicitement compris dans des clauses générales. A ce sujet, des désaccords apparaissent au sein même des plénipotentiaires : alors que le 25 octobre encore, ils parlaient d’une simple reprise des articles des traités précédents[165], validée par la réponse des interpositeurs du 11 novembre[166], le 12, le comte d’Avaux écrit à Mazarin qu’il s’oppose à cette option : « Sur le dixième touchant les réfugiés, je ne voudrois pas coucher l’article en termes si généraux, mais obliger les plénipotentiaires d’Espagne à nommer les François dont ilz demandent le restablissement »[167]. Abel Servien a été chargé de commencer à rédiger le premier projet de traité. Il déteste le comte d’Avaux, qu’il critique dans un mémoire envoyé à son neveu Hugues de Lionne. Selon lui, le traité aurait déjà pu être conclu depuis six semaines, mais d’Avaux le ralentissait en essayant de pousser les intérêts du duc d’Atrie : « m’ayant prié de dresser tout le traicté que nous devons présenter aux députez d’Espagne, il a fallu que j’y aye travaillé pour luy complaire ». Longueville et Servien décident alors de se mettre ensemble au travail. Servien décrit sa méthode, montrant clairement que pour lui l’essentiel réside dans « les anciens traictez qu’il faut veoir, la comparaison de ce qu’ilz contiennent avec ce qui est porté par noz instructions, et la contestation qui pourroit arriver entre nous sur l’ordre des articles, sur la forme de les dresser, et sur diverses clauses qui y peuvent estre adjoustées ou retranchées »[168].
On finit aussi par avoir des doutes sur les points qui concerneront les Catalans. Certes, depuis les douloureux épisodes de Fontanella et de Martí, la cour se dispense de prendre l’avis des Consistoires, qui eux-mêmes ont abandonné l’idée d’envoyer un agent à Münster. Il importe cependant de signaler que le gouvernement n’a pas renoncé pour antant à « consulter » l’opinion catalane, mais d’une façon qui correspond davantage à ses inclinations. Par la correspondance des plénipotentiaires, on apprend en effet que Mazarin leur fait constamment envoyer des mémoires rédigés par des Catalans : dans sa lettre du 15 octobre 1646 au cardinal, Longueville dit qu’ils « représentent des choses fort considérables et fondées en grande raison »[169]. Mazarin laisse circuler des mémoires qui, à première vue, sont contraires à sa vraie politique puisqu’ils essaient d’écarter la trêve avec l’Espagne. De l’un de ces documents, envoyé le 21 décembre 1646 avec le mémoire du roi aux plénipotentiaires, les archives du secrétaire d’Etat des Affaires étrangères conservent l’original, dont la graphie nous permet d’identifier le scripteur – et probablement l’auteur : Isidoro de Pujolar[170]. Pujolar y défend ce qui est l’opinion de tous les Catalans profrançais : l’opposition à la trêve. Cependant, de la part d’un homme ambitieux qui réside à la cour depuis quatre ans, qui a su s’attirer les faveurs d’Hugues de Lionne et, par ricochet, du cardinal lui-même, on ne sera pas étonné de noter un ton beaucoup plus mesuré, beaucoup plus conciliant que ne l’étaient les instructions d’Ardena et de Martí : le principal argument revient à réclamer que les Espagnols abandonnent Lleida, Tarragona, Tortosa et Àger, ce qui revient insensiblement à admettre l’idée de la trêve. Il prescrit aussi que les exilés ne puissent pas revenir ni rentrer en possession de leurs biens[171]. Le texte du mémoire du roi, auquel est joint ce texte, est fort éloquent.
« On leur envoye aussi un mémoire qu’un Catalan affectioné a dressé de quelques précautions à prendre en la conclusion de la trêve, dont ils tireront ce qu’il peut y avoir de bon et de juste, car, en le parcourant, on a trouvé beaucoup de choses qu’il seroit déraisonable de prétendre, ou du moins d’y insister, si l’on trouve trop de difficulté à les obtenir. »[172]
On voit bien là que Mazarin ne prenait pas trop de risques à consulter des Catalans qui avaient tout à attendre de sa faveur. Plus encore, semble-t-il, il voyait d’un bon œil que les plénipotentiaires s’inspirent – en vue du traité dont la signature, du moins la rédaction, semblait imminente – de certains points de détail réclamés par les Catalans, pour leur donner la sensation qu’on les écoutait, tout en ne fléchissant jamais sur les grandes orientations de sa politique.
Le plus lucide sur la difficulté d’une telle situation est Abel Servien qui, sans doute informé par la lecture des mémoires des Catalans, s’interroge rapidement sur le bien-fondé de clauses générales et indéterminées alors que la situation de la Catalogne est explosive et impossible à négliger sans s’exposer à de graves conséquences.
« Le mesme pourra arriver du costé de Cataloigne où je prevoys que nous serons forcés si le traité s’avance de laisser aussy indécises plusieurs choses qui regardent le comerce et la façon de vivre de ce peuple avec leur [sic] voysin pendant la trêve et pour sçavoir au vray quelles terres doivent demeurer sous la domination du Roy et quelles appartiendront à l’Espagne pour avoir esté forcées par les garnisons de Tortose et de Tarragone de luy prester serment de fidélité, toutes ces difficultés et plusieurs autres de pareille nature qui ne peuvent pas estre sitôt terminés sont capables de faire reprendre les armes et laissent le mesme objet d’apréhension que Messieurs les Estatz n’y veuillent pas prendre part. »[173]
Par l’expression « façon de vivre de ce peuple avec leur voysin », Servien veut sans doute évoquer la question épineuse du retour des exilés et de la restitution de leurs biens. C’est le signe évident que les intentions généreuses manifestées au départ, le vent d’optimisme qui avait soufflé depuis les premiers échanges d’articles, venaient à être remis en cause, au moment où les plénipotentiaires commençaient à se diviser.
Il n’en reste pas moins que, même si le comte d’Avaux a insisté pour nommer le duc d’Atrie dans un article du traité (on peut se demander à quel point il ne souhaitait pas, en se saisissant de n’importe quel point de détail, endiguer l’emprise croissante de Servien sur la procédure de rédaction), même si Servien avait émis des doutes, la restitution réciproque était définitivement acquise dès la mi novembre, dans le nouvel écrit envoyé le 16 par les Français aux Etats pour les Espagnols, qui prenait d’ailleurs en compte le souhait d’Avaux[174]. Ainsi, dès que survient l’évènement majeur attendu par tous, l’issue du siège de Lleida – que le comte d’Harcourt abandonne le 22 novembre 1646 –, l’un des plus grands obstacles à la délivrance du projet de traité, laborieusement préparé, disparaît. On considère désormais que les ministres d’Espagne pourront signer la paix avec moins de scrupule ; ils auront même peur, lit-on dans le mémoire du roi du 9 décembre, que les Français ne se vengent de cette déconvenue, aussi doit-on leur faire comprendre qu’on prépare puissamment la prochaine campagne[175]… Le 11 décembre, Servien parle à Lionne du « traicté d’Espagne que j’ay minuté »[176]. Il semble qu’un texte existe alors matériellement, même si cette toute première version, pour l’instant encore conservée dans les papiers de Servien, a été perdue.
A la fin du mois de décembre 1646, les Espagnols se sont progressivement relâchés sur des points importants : ils ont accepté de céder Rosas et ont laissé l’espoir pour Cadaquès, ils ont accepté l’idée française d’une durée de 30 ans pour la trêve. Les seuls points encore en souffrance sont la question duc de Lorraine, qu’ils soutiennent encore, celle du Portugal dont ils veulent casser l’alliance avec la France, et les affaires d’Italie – ils ne veulent pas accepter que les Français conservent leur récente conquête des presidios de Toscane (Piombino et Porto Longone). Les ouvertures espagnoles sont les plus importantes depuis le début des négociations. Le 24 décémbre 1646, les plénipotentiaires français décident donc de franchir un pas décisif et remettent aux ambassadeurs des Etats un premier article, celui de la rétention des conquêtes. Selon eux, c’est un préliminaire obligatoire sans lequel rien ne peut être fait : « quand on auroit arresté ce poinct-là, nous rédigerions par escrit les autres articles, ainsi qu’ils doivent estre couchez dans le traicté », disent-ils dans leur mémoire adressé au roi ce jour-là[177]. Ce ne sont pas encore, contrairement à ce que dit D. Séré, « les articles détaillés d’un véritable traité »[178], mais un seul. Il porte la rétention, pour les deux signataires, de toutes leurs conquêtes au moment de la signature, soit dans les Pays-Bas, la Franche-Comté, la Toscane ; il contient la liste précise des places que la France doit garder, et fixe que « tout le pais et comté de Roussillon » « demeureront pareillement audit seigneur roy Tres Chrestien et a ses successeurs roys de France irrevocablement et a tousjours […] en quoy s’entendent compris tous les pais, villes, places, terres et seigneuries qui sont au deça des monts Pyrenées du costé de la France », ce qui fait donc des Pyrénées la frontière entre les deux pays, Rosas et Cadaquès étant considérés comme des « dependances »[179].
Un retournement de situation, ou plutôt une inflexion, précipite soudain les choses. En janvier 1647, les plénipotentiaires des Provinces-Unies cessent de dissimuler leurs intentions : ils déclarent qu’ils sont prêts à signer un traité avec l’Espagne. La France souhaitait que ces deux puissances s’accordent sur une trêve de même durée que celle qu’elle-même signerait avec l’Espagne, afin de garder toute sa valeur au pacte franco-hollandais conclu en 1644 : les Hollandais seraient forcés d’entrer en guerre aux côtés de la France en cas de rupture par l’Espagne. Mais, en 1647, le masque tombe et on découvre que non seulement les Provinces-Unies négociaient en sous-main avec l’Espagne depuis des mois, mais que c’est une paix qu’elles s’apprêtent de signer avec l’Espagne. Alors que le 24 décembre les Français ont timidement donné un seul article aux interpositeurs, le 27, les Etats et l’Espagne signent des articles provisionnels et 2 articles seulement restent encore indécis. Les Français font savoir leur mécontentement aux Provinces-Unies, qui, afin de préserver les apparences, diffèrent leur signature de dix jours pour laisser le temps aux Français d’exprimer des remontrances. Servien s’en va alors à La Haye pour tenter d’obtenir des garanties, principalement reculer le traité hispano-néerlandais. Après son départ, les relations se refroidissent entre les deux Français restant à Münster (Longueville et d’Avaux) et les ambassadeurs des Etats. Dans le mémoire envoyé au roi le 31 décembre, ils disent que les Espagnols ne veulent pas se contenter de l’article des conquêtes, et qu’ils demandent à voir la totalité des articles français[180]. C’est une mauvaise passe pour la diplomatie française. Longueville et d’Avaux n’ont guère d’autre solution que de transmettre au hollandais De Pauw, le 8 janvier 1647, des Demandes de la France pour la paix, qui sont en réalité la reprise exacte des 22 points qui avaient déjà été donnés aux ambassadeurs des Etats à Osnabrück en septembre 1646[181], portant en marge les mises à jour introduites par les évolutions – certes minimes – des négociations au cours d’octobre, novembre et décembre 1646 : en raison de ces ajustements, l’article des restitutions devient le n°13[182]. Les Français disent attendre la réponse des Espagnols à ces articles et des nouvelles de Servien pour pouvoir admettre la signature du traité imminent entre les Provinces Unies et l’Espagne – ils signent en janvier un accord prévisionnel –, mais la position française ne fait que s’affaiblir lorsque le comte d’Avaux doit quitter Münster pour Osnabrück afin d’intervenir dans les négociations de la Suède et du Brandebourg.
Dans cette situation critique, le duc de Longueville demeure seul à Münster. Les ambassadeurs des Etats, dans une position de force, délivrent une réponse aux 22 points, où l’on s’accorde une nouvelle fois sur les restitutions (« Les deux couronnes en sont d’accord mesme sur l’expression des personnages de part et d’autre »), mais représentent que ces 22 points ne sont pas un vrai traité[183], et réclament de voir le vrai texte qu’ils savent avoir été préparé par Servien. Le 21 janvier, dans son mémoire au roi, Longueville explique que, sur leurs demandes pressantes, il s’est entendu avec les médiateurs pour leur délivrer le traité dans les trois jours. Selon lui, cela ne causera pas de préjudice, et, au contraire, mettra les Espagnols dans leur tort s’ils refusent le fondement de la conservation par la France des presidios de Toscane : on les blâmera de rompre pour cet intérêt[184]. Le duc a certes, dans ce mémoire, prévenu le roi de son initiative. Mais il n’attend pas la réponse de la cour pour la mettre en pratique, ce qui en fait un acte d’audace. Le 25, il donne tous les articles aux ambassadeurs des Etats[185]. Il a sans doute voulu, comme l’explique D. Séré, faire un coup d’éclat : « Longueville, ne se voyant pas désapprouvé, tire un certain orgueil de la réussite apparente de son action et de son importance nouvelle »[186]. Le texte délivré ce jour-là par le duc a été malheureusement perdu[187], de même que les premiers projets façonnés par Servien. Ainsi, il n’est pas possible de savoir exactement à quel point il s’inspirait de ces projets, ni même s’il n’en était que la reprise. Néanmoins, plusieurs vestiges épars et partiels subsistent de ce premier traité, et ils permettent d’esquisser une hypothèse sur son ou ses auteurs. Deux volumes conservés aux Archives nationales vont nous intéresser. L’un d’eux[188] contient plusieurs brouillons de projets postérieurs (après février 1647), sur lesquels nous reviendrons. Nous pensons qu’ils sont de la main de Denis Godefroy, érudit dont nous avons déjà parlé[189], et qui accompagnait probablement son père Théodore Godefroy. Paul Sonnino, probablement le seul historien à avoir utilisé ces documents, atteste la présence de Théodore Godefroy au congrès de Münster comme « archiviste »[190], et a indiqué que des commentaires de sa main figuraient dans les volumes en question. Mais cet historien ne semble pas avoir vu[191] qu’en réalité l’un des deux Godefroy, le père Théodore et son fils Denis, voire les deux en collaboration, était ou étaient le(s) véritable(s) rédacteur(s) de certains documents diplomatiques commandés par les plénipotentiaires (du moins dans le cas des projets traités franco espagnols que nous avons étudiés en Deuxième partie, III. 2.). On identifie sans erreur possible l’écriture personnelle de Denis Godefroy (commentaires en cursive) mais la graphie des passages en capitale est plus problématique, il est fort probable que ce soit l’écriture du père, même si des recherches sont encore à faire à ce sujet. La plupart des brouillons comportent les deux écritures côte à côte. Ces informations ne sont pas sans signification sur le plan historique, notamment pour le fonctionnement interne de la délégation française à Münster. Il n’est pas étonnant de penser que le fils pouvait servir de secrétaire au père et le seconder. Et il est encore moins douteux que Longueville, demeuré seul depuis le départ de Servien qui était le seul diplomate rompu à la rédaction des « instruments de paix », ait fait appel à de tels spécialistes. Les Godefroy pourraient être, après Servien, les auteurs du tout premier texte donné le 25 janvier.
Mais c’est dans les archives du secrétaire d’Etat des Affaires étrangères que l’on trouve le premier vestige matériel du premier traité. Une transcription de ses articles 1 à 21 (sauf le 18, comme nous allons bientôt le voir) y est conservée[192]. Ces articles, rédigés de façon très détaillée et très claire, sont découpés par thème, s’inspirant beaucoup des traités précédents. Après 4 premiers articles réglant les ratifications et des principes généraux censés garantir le respect du traité (engagement des signataires à accomoder les différends entre alliés, oubli du passé pour les dommages reçus), issus du droit des gens et de la guerre, on a une série d’articles sur la liberté personnelle et commerciale : liberté de circulation et de commerce pour ceux des deux pays moyennant le paiement des droits habituels, concession aux sujets du roi de France des mêmes privilèges que ceux qui avaient été accordés par l’Espagne à l’Angleterre, garantie de ne confisquer sur les marchands de l’une et de l’autre nation que les marchandises prohibées (or et argent principalement) en ne saisissant leurs personnes et leurs vaisseaux qu’en cas de justice pour dettes, liberté de transporter l’argent de la vente des blés d’un pays à un autre, restitution des marchandises saisies depuis le début de la guerre, confirmation des dettes contractées avant la guerre, délai de six mois accordé aux sujets pour quitter les royaumes respectifs en cas de nouvelle guerre avec liberté de désigner des procureurs, établissement de consuls, suspension des lettres de marque (articles 5 à 17). A travers ces dispositions, qu’il ne nous appartient pas de détailler davantage ici, on entrevoit une conception de la diplomatie empreinte de principes de stabilité et, à certains égards, très moderne. Ainsi, c’est dans une progression logique qu’intervient l’article 19 qui fixe les restitutions mutuelles.
« 19.
Et se fera ledit restablissement desdits sujets de part et d’autre selon le contenu de l’article precedent, nonobstant toutes donations, concessions, declarations, confiscations, commises, sentences preparatoires ou definitives données par contumace ou en l’absence des parties et icelles non ouyes. Lesquelles sentences et jugemens demeureront nuls, de nul effect et comme non données ny advenues, avec liberté pleine et entiere auxdites parties de revenir dans les pays d’où elles se sont cy devant retirées, pour jouyr en personnes de leurs biens immeubles, rentes et revenus ou d’establir leur demeure hors desdits pays en tel lieu que bon leur semblera, leur en demeurant le choix et election, sans que l’on puisse user contr’eux d’aucune contrainte pour ce regard. Et en ce qu’ils ayment mieux demeurer ailleurs, ils pourront deputer et commettre toutes personnes non suspectes que bon leur semblera pour le gouvernement et jouyssance de leursdits biens, rentes et revenus, mais non au regard des benefices requerans residence qui devront estre personnellement administrés et deservis »[193].
On voit ici que cet article découle logiquement du « contenu de l’article precedent », soit l’article 18 du premier traité qui est manquant sur notre document vestige… ainsi qu’un grand nombre d’articles venant après le 21, de sorte qu’on ne peut pas dire quelle forme exacte avait cet instrument.
Mais au regard de plusieurs documents postérieurs, on arrive à savoir quel était le contenu de cet article 18, et même à comprendre pourquoi il avait été omis à un moment donné. Dix jours après avoir remis le premier traité, le 5 février 1647, Longueville fait savoir à Servien qu’il a fait changer cet article, dont il a remis la nouvelle version aux médiateurs. Il s’agit d’un « Article sur les particuliers »[194], c’est-à-dire traitant à part des intérêts de plusieurs grands seigneurs alliés à la France, dont on sait que les plénipotentiaires, et particulièrement le comte d’Avaux, se souciaient beaucoup. Cette version du 5 février cite le comte d’Egmont, le duc de Croÿ, le duc de Bournonville, le prince d’Epinoy, ainsi que plusieurs gentilshommes de moindre importance, et expose de façon très précise les tenants et les aboutissants de leurs litiges avec l’Espagne, précisant un moyen de règlement dans chaque cas. Le même jour, Longueville fait changer et envoyer les articles 27, 28, 29, 34 et 35[195], le premier concernant l’archevêque de Tarragona et les évêques de Tortosa et Lleida qui, la trêve étant établie en Catalogne, ne pourront se rendre dans les terres d’obéissance du roi de France mais pourront désigner un vicaire général pour administrer les parties de leurs diocèses qui s’y trouvent, les 28 et 29 établissant que la collation des bénéfices se fera pour chacun des souverains dans les terres qu’il possède. Ainsi le premier traité se trouve-t-il augmenté de nouveaux articles et modifié sur d’autres, ce qui change la numérotation. Tout cela nous conduit à une seconde version du traité, cette fois donnée dans sa totalité au sein du registre des documents établis par les Godefroy, délivrée le 21 février 1647[196]. Ce traité compte 58 articles en tout, comprenant une énième rédaction de l’article consacré aux « particuliers », citant simplement leur nom, les détails de leurs situations étant insérés dans une première addition placée après le traité. Cet ex-article 18 devient l’article 17. Quant au duc d’Atrie, son cas est traité dans l’article 54 au sein des dispositions concernant l’Italie.
« 17.
Tous les subjets d’un costé et d’autre tant ecclesiastiques que seculiers entre lesquels s’entendent de la part dudict seigneur Roy Tres Chrestien particulierement compris les comte d’Egmont, duc de Crouy, duc de Bournonville et le prince d’Espinoy avec leurs femmes, enfants, serviteurs et domestiques, seront restablis en leurs charges, honneurs et dignitez et en la jouyssance et possession de leurs benefices et offices, dont ils estoient pourveus au mois de janvier 1634, soit par mort ou resignation, soit par forme de coadjutorerie ou autrement, sans qu’on puisse refuser de part ny d’autre le placet ny empescher la prise de possession à ceux qui auront esté pourveus des prebendes, benefices ou autres dignitez ecclesiastiques avant le temps ny maintenir ceux qui en auront obtenu d’autres previsions pendant la guerre, si ce n’est pour des cures, dont d’autres à présent se trouveroient canoniquement pourveus. Seront pareillement restablis en la jouyssance de tous et chascuns leurs biens immeubles, rentes perpetueles viageres et à rachapt saisies et occupées depuis ledict temps à l’occasion de la guerre que pour avoir suivy le party contraire, pour en jouir dès la publication de ceste paix . Et pareillement de ceux qui leur sont depuis escheus et advenus par succession ou autrement sans toutesfois rien demander ny pretendre des fruicts perceus des le saisissement desdicts biens immeubles jusques au jour de la publication du present traicté, ny des debtes qui auront esté confisquées avant ledict jour. Et se tiendra pour bon et valable le departement qu’en aura faict ou fera faire le prince, son lieutenant ou commis dans la jurisdiction duquel ledict arrest sera faict. Et ne pourront jamais les crediteurs de cestes debtes ou leurs ayans cause estre receus à en faire poursuite en quelque maniere et par quelque action que ce soit contre ceux ausquels lesdicts dons auront esté faicts ny contre ceux que par vertu de tels dons et confiscations les auront payez pour quelque cause que lesdictes deptes puissent estre, nonobstant quelques lettres obligatoires que lesdicts crediteurs en puissent avoir, lesquelles pour l’effect de ladicte confiscation seront et demeureront par ledict traicté cassées, annullées et sans vigueur. Bien entendu neantmoins que dans le restablissement accordé par cest article on n’entend pas comprendre les princes ou autres alliez desdicts seigneurs rois de l’interest desquels il a esté traicté ailleurs, ou convenu de n’en parler point. »
Par conséquent, l’ancien article 19 (dont le texte a été donné plus haut) devient l’article 18 qui est légèrement modifié – le lecteur trouvera cette nouvelle version dans les annexes[197]. Il n’est plus dit que ce dernier article découle de l’article précédent, mais le caractère général est bien affirmé malgré la mention des particuliers : on notera le rétablissement des successions, des possessions des biens immeubles et des revenus telles qu’elles étaient en 1634, soit avant la déclaration de guerre. La mention de l’année 1634 apparaît avec cette nouvelle version. Quelques précisions sont ajoutées, comme l’engagement à ne pas réclamer de comptes pour les « charges et entremises publiques », « les vivres, maniement de deniers ou autrement » confiés pendant la guerre sur les terres ennemies. De même les fruits perçus en ce temps-là ne pourront être réclamés par les anciens propriétaires. Tout cela est identique aux traités de Vervins, du Cateau-Cambrésis, et de Barcelona.
… mais elle est beaucoup moins claire pour la Catalogne
La restitution réciproque des biens confisqués, énoncée dans les articles 17 et 18 du projet de traité au 21 février 1647, est donc bien établie et repose sur des principes généraux dont découlent également la liberté de circulation et de commerce. C’est le minimum pour pouvoir respirer et vivre en bonne intelligence. Une distinction absolument essentielle doit cependant être faite, qui va innerver toute la suite de notre développement. Ces résolutions sont applicables dans l’ensemble des terres appartenant au roi de France et au roi d’Espagne, y compris et particulièrement celles qui ont été conquises et/ou reconnues à l’un ou à l’autre par ce traité. Mais la Catalogne ne semble pas devoir être concernée, puisque ce traité lui donne un statut particulier. L’article 21 – qui est l’« article des conquêtes » –, stipule qu’ « il a esté convenu et accordé en faveur et contemplation de la paix que chascun desdicts seigneurs rois retiendra les pays, villes, places, chasteaux, terres et seigneuries, leurs appartenances et dépendances dont il se trouve presentement en possession, en quelque lieu que le tout soit situé, soit dans les Pays-Bas, Comté de Bourgogne, Roussillon, Catalongne, isle d’Elbe et costes de Toscane », précisant à nouveau que le Roussillon, Rosas et Cadaquès sont transportés « perpetuelement et a tousjours ». Néanmoins, l’article 25 établit une trêve en Catalogne, dont les modalités, concernant essentiellement le mode de vie et les relations entre les habitants des zones d’obéissance respective des deux souverains, y sont réglées ainsi que dans les articles 26 à 33 ; le lecteur trouvera dans les annexes tous les articles touchant la Catalogne[198]. N’éclaircissant pas tout et soulevant, bien au contraire, autant voire plus de problèmes qu’elles n’en règlent, ces dispositions appellent d’importants commentaires.
L’article 25 est très explicite sur l’immense difficulté rencontrée par les deux parties, et donc par les plénipotentiaires, pour arriver à un accord : la trêve est signée, lit-on, « parce qu’il n’a pas esté possible de s’accorder presentement sur les divers droicts et pretentions que lesdicts seigneurs rois entendent leur appartenir sur la Principauté de Catalongne et lieux circonvoisins ». Souvenons-nous d’abord combien l’Espagne rechigna à accepter l’idée de trêve – à laquelle les Catalans étaient également, pour des raisons différentes, farouchement opposés. Puis ensuite comment, une fois cette idée timidement acceptée, elle entendait la limiter à 25 ans pour éviter qu’elle ne soit de la même durée que celle qui était prévue avec les Provinces-Unies (30 ans) et ne puisse donc servir de garantie à la France pour pousser ses alliés hollandais à la soutenir en cas de nouveau conflit. Quand l’Espagne et les Provinces-Unies s’entendirent pour signer une paix et non une trêve, l’Espagne avait pu se relâcher et consentir à fixer la « bonne, ferme, loyale et inviolable tresve », comme dit l’article, pour le terme de 30 ans. Selon la logique générale du traité et de la trêve qui se base sur le statu quo au moment de la signature, la France fait une importance concession : « ledict seigneur Roy Catolique demeurera en la paisible jouyssance et possession des places de Tarragone, Lerida, Tortose et Ager avec leurs territoires, ensemble des autres places ou il se trouvera garnison de sa part le jour de la publication de ladicte tresve ». Cependant, l’importance stratégique de ces places et leur extrême litigiosité (symbolisée par le refus catégorique des Catalans profrançais de les laisser aux Espagnols) ont obligé les rédacteurs à les citer, alors que la disposition exactement symétrique concernant le roi de France est de forme générale (« Et ledict seigneur Roy Treschrestien demeurera en la paisible possession et jouissance de tout le reste de ladicte Principauté, ensemble des villes, places, bourgs, villages et autres choses quelsconques qui en dependent, comme aussi des lieux occuppez par ses armes hors de ladicte Principauté »). Disposition de caractère militaire et non politique, dépendant uniquement de la situation des armes de part et d’autre, alors défavorable à la France en Catalogne après l’abandon du siège de Lleida. Découlant du même constat, la question des fortifications est également très favorable à l’Espagne : « les reparations et fortifications que chascun desdicts seigneurs rois fera faire cy apres aux places et autres lieux qui demeureront soubs leur obeissance » ne seront pas des motifs de rupture de la trêve et ils demeureront tous deux libres de fortifier à leur guise, ce qui conserve l’intérêt crucial de Tarragona, Lleida, Tortosa et Àger.
Dispositions pragmatiques qui, pourtant, étaient loin d’être établies dans le camp français avant février 1647. Le 5 décembre 1646 la perspective de la trêve est officiellement annoncée aux Consistoires par Pierre de Marca – ce qui n’empêche que, rapidement, se répandent des rumeurs publiant qu’une paix sera conclue rendant la Catalogne à l’Espagne[199]. Mais à la fin du mois encore, Marca écrit à Le Tellier qu’il faut sérieusement réflechir dans la perspective de la trêve aux places que les ennemis vont garder et à leurs limites. Il accorde sa caution à certaines réclamations des Catalans, exprimées depuis plusieurs années déjà, ou plutôt les fait siennes comme gage de sagesse : « si les ennemis retiennent le camp [de Tarragona] d’ou Barcelone tire l’huile et plusieurs autes commoditez, et ou plusieurs habitans ont leurs biens situés, il arrivera quelque grand desordre » : il est nécessaire de l’occuper jusqu’à ce que la trêve soit signée. L’idée, dont Marca a été prévenu par la cour et qui se répand vite en Catalogne, que la trêve se fera sur la base du statu quo présent, influence les orientations géostratégiques locales. Marca considère néanmoins qu’il vaudrait mieux faire certains échanges par le moyen du traité[200]. Au même moment il se rend auprès des Consistoires pour un nouveau discours visant à leur faire mieux accepter l’idée de la trêve. La stratégie choisie est la suivante : on les prie de nommer des commissaires pour délibérer sur les moyens pouvant garantir leur « sûreté et commodité » pendant la longue trêve. Les commissaires sont nommés, et un mémoire en résulte, qui, avant d’être envoyé au roi, est soumis à Marca[201]. Ce dernier tente de le corriger et de le modérer tant il le trouve dur et violent, trop sans aucun doute pour s’adresser à un souverain – malgré les précautions oratoires, on y prétend conseiller le roi et on réclame la conservation de toutes les places[202]. Mais le 30 Marca prend finalement la résolution de l’envoyer à la cour, malgré les passages incriminés, disant que la véhémence des auteurs « procede de la passion qu’ils ont de demeurer a jamais unis a la couronne de France »[203].
Cet épisode est loin d’être anecdotique. Dès que le mémoire est présenté à la cour, la réaction est double et très significative. D’une part, le gouvernement décide d’en envoyer une copie aux plénipotentiaires à Münster, afin qu’ils la communiquent s’ils le jugent à propos aux ministres de Hollande et aux médiateurs, parce qu’ils ne manqueront pas de montrer aux Espagnols l’aversion des Catalans à un accomodement (et partant, le soutien d’apparence de la France pour leurs revendications) : il s’agit de leur faire craindre une revanche de la déconvenue de Lleida, mesure de plus pour les pousser à la signature… Et « pendant cela, on n’oublie pas de départir des grâces aux principaux du pays soubz divers prétextes, affin de les animer plus que jamais à contenir ces peuples dans le debvoir, et à leur faire redoubler s’il est possible le zèle qu’ilz tesmoignent tousjours pour cette couronne ». Mais on adresse aussi aux plénipotentiaires un autre document, un mémoire rédigé par Marca lui-même qui contient le point de vue d’un Français sur les avantages que l’on peut encore tirer en étant vigilant sur la cession ou l’obtention des places de Catalogne.
« On adresse auxdictz Sieurs Plénipotentiaires la coppie de ce que nous mande le sieur de Marca dans cette conjoncture, avec la participation de monsieur le comte d’Harcourt et de quelques Catalans affectionnez et intelligens, pour ce qui regarde la trefve ; à quoi lesdictz sieurs plénipotentiaires auront grand esgard, et manderont icy ce qu’ilz croyent de leurs sentimentz… » [204]
Le roi n’hésite pas à suggérer ouvertement aux plénipotentiaires de céder Porto Longone et Piombino en échange de Tarragona et Lleida, ou bien, en cas de refus, pour Tarragona seule. Il s’agit de montrer aux Catalans l’attachement qu’on a pour eux, et aux Espagnols celui qu’on a pour la Catalogne, « et cela, un jour, pourra nous servir extrêmement en d’autres choses »… Le gouvernement a donc bien pris en compte, de façon sérieuse, les ouvertures exprimées par Marca[205]. D’autre part, une réponse du roi au mémoire des Consistoires leur est envoyée : le souverain félicite les Catalans de leur fidélité, à laquelle il attribue leur refus véhément de laisser les places de Catalogne. Il se justifie de la disgrâce de Lleida, assure que son plus grand désir est de voir les ennemis hors de Catalogne, fait valoir les propositions mises dans la balance (cession des droits sur la Navarre, de places dans les Pays-Bas puis Porto Longone et Piombino) : si le roi devait signer la trêve avant d’avoir pu reprendre par les armes les places possédées par les ennemis, il fortifierait des postes contre les positions espagnoles. Et cela ne serait pas moins utile aux Catalans qu’à tous les autres sujets, le roi arrêtant une guerre qui nuit à toute la Chrétienté – « qui dict une tresve de trente ans entre les deux couronnes dict la paix soubz un autre nom ». Depuis que les Provinces-Unies et l’Espagne ont engagé la paix, lit-on dans une addition, il est néfaste de continuer la guerre seul, sans alliés, contre la maison d’Autriche[206]. En somme, de la protestation d’affection aux ouvertures (réelles) suggérées aux plénipotentiaires, on avait encore en janvier 1647 toutes les couleurs de la diplomatie de Mazarin.
Cependant, rapidement après était intervenue l’initiative personnelle de Longueville, la délivrance du traité aux médiateurs hollandais. Elle répondait certes à des nécessités pressantes, avait des effets positifs, mais elle était unilatérale, quasi arbitraire : le texte du traité, matière d’une importance capitale, qui aurait dû être plus longuement mûri, confronté aux vues du gouvernement après un aller-retour à la cour, se trouvait jeté sans possibilité de retour. A travers l’article 25, et son introduction très explicite (« il n’a pas esté possible de s’accorder presentement »), au regard de ce que nous venons de dire, on perçoit donc le grand empressement qui présida à la rédaction des articles de trêve : les plénipotentiaires ne pouvaient pas raisonnablement exploiter tous les points précis, tant géographiques qu’économiques et militaires, qui avaient été communiqués par Marca et les Catalans, malgré l’insistance de la cour. Tout avait été inutile, ou presque. Il s’agissait d’aller vite et de rendre, pour la première fois depuis le début des congrès, un vrai « instrument de paix » susceptible d’être signé – avec pour but profond, comme le montre bien D. Séré, de faire pièce à la propagande espagnole accusant la France de ne pas vouloir la paix[207]. D’où l’abandon total et définitif de toutes les places d’armes conservées par les Espagnols – point contraire au traité de Péronne où Louis XIII s’était engagé à ne pas séparer la Catalogne ; une clause de réparation en cas de manquement qui ressemble à un vœu pieux de pure forme (« ledict changement et le dommage receu seront reparez sans delay et les choses remises au mesme estat où elles auront esté le jour de la publication de la tresve ») ; et, en ce qui concerne le sort des sujets et de leurs biens, des dispositions obscures et dangereuses.
Certes, les articles 26 à 29 installent, pour la question précise des bénéfices, un système assez pragmatique et qui tire enseignement des récriminations que Marca adressait à la cour depuis des années (son désir était de chasser tous les prélats favorables à l’Espagne de la zone d’obédience française, et d’obtenir du pape à la fois la confirmation des candidats nommés par le roi de France et l’envoi d’un bref pour lui permettre de juger les ecclésiastiques infidèles – en somme, pour faire entrer en Catalogne le concordat de Bologne), reposant sur l’attribution à chaque souverain du pouvoir de nomination pour les sièges qu’il possède en son obéissance. Toutefois, la solution qui est apportée au principal problème afférent est bancale : les évêques dont les diocèses ont des sièges situés dans l’étendue de l’obéissance du roi d’Espagne et aussi des parties dans celle du roi de France ne devront jamais pénétrer dans la zone française, mais y envoyer « un vicaire general qui leur sera nommé de la part de Sa Majesté Treschrestienne, pour y exercer la jurisdiction ecclesiastique » et « commettre pour la perception et jouyssance de leurs revenus une personne non suspecte après en avoir eu l’agreement de sadicte Majesté ». Mesure difficilement applicable dans un clergé dont la profonde division – politique, dûe à l’appartenance nobiliaire et aux fidélités des prélats – fait penser à l’incompatibilité du clergé constitutionnel et du clergé réfractaire, sous la Révolution française. Comment imaginer ne serait-ce qu’un début d’accord entre deux franges opposées de la société catalane ? Plus encore, entre un clergé d’obédience espagnole et d’origine castillane qui constitue l’ancien haut clergé d’avant 1640, et un clergé profrançais souvent de circonstance et considéré comme peu sérieux puisque n’ayant jamais obtenu de confirmation de la part du pape ? Ainsi, ces articles présument d’une décision papale qui n’est pas encore arrivée (et qui n’arrivera jamais), la reconnaissance du droit de nomination français, mais, plus encore, ils passent totalement sous silence le cas litigieux majeur susceptible d’hypothéquer totalement le fonctionnement du système : on ne dit pas clairement si les bénéfices confisqués – particulièrement des abbayes et des canonicats – seront restitués ou non à leurs anciens titulaires[208].
Le même manque de clarté s’observe dans le cas des mesures concernant les particuliers et les confiscations (articles 30 à 33), ces dernières, contrairement à ce que l’on note dans les articles généraux applicables aux royaumes de France et d’Espagne, n’étant même pas envisagées nommément mais uniquement à travers des détours et des périphrases difficilement interprétables. Là encore, l’exposé des motifs donné à l’article 30 montre que les plénipotentiaires ont eu un ample point de vue sur la situation catalane d’après les mémoires envoyés : « L’aigreur avec laquelle les hostilitez ont esté exercées pendant la presente guerre entre les Catalans et les habitans des pays voisins ou autres gens et subjets dudict seigneur Roy Catolique donnent [sic] juste subject d’apprehender que si les uns et les autres avoyent sitost une entiere liberté de se frequenter soubs pretexte de commerce ou autrement il n’en arrivast plusieurs inconvenabsaiens capables d’alterer la bonne intelligence qui doibt estre retablie par le present traicté ». Ce n’est pas une autre doctrine que celle qui est défendue par les Consistoires dans toutes leurs requêtes adressées à la cour[209]. Cependant, on ne tire ici aucune leçon, même pas minime, des ces multiples avertissements – ni dans un sens, ni dans l’autre. Le traité inaugure en effet un expédient promis à beaucoup d’avenir : « toute frequentation et commerce » sera sursise à partir de la signature de la trêve, puis on nommera des commissaires « de part et d’autre » afin de convenir des « moyens de restablir ledict commerce et frequentation, sans qu’il en puisse mesarriver ». Les conditions de nomination des commissaires sont définies par l’article 33 : ils seront députés un mois après la publication de la trêve, s’assembleront dans un lieu dont il sera convenu conjointement[210], et la base de leurs décisions sera un jugement à l’amiable :
« Et se termineront à l’amiable tous les differens qui se rencontreront entre les deux parties, tant sur le commerce que sur l’estendüe de la jurisdiction des magistrats et officiers qui auront esté establis de part et d’autre, et sur le reglement des limites des lieux qui seront tenus et possedez par aucun desdicts seigneurs rois au jour de la publication de la tresve. »
Ce sera exactement le principe des conférences de Figueres, convoquées après le traité des Pyrénées entre 1660 et 1666 pour régler la restitution des biens confisqués et qui finiront, après des années de chicanes et de mauvaise foi, largement stériles, par ne plus être réunies[211]. En quelque sorte, on décide de signer le traité pour ne pas perdre davantage de temps, mais on remet à plus tard (aux calendes grecques ?) la précision d’une clause qui pourtant ne semble pas moindre pour la bonne application (la « manutention » dit-on à l’époque) de la trêve qu’on se propose d’établir… La clause ne se limite pas ici à la simple question des confiscations, mais elle concerne « tous les differens », sur des matières aussi variées que le commerce, la juridiction des officiers, les limites des possessions – dernière matière dont d’autres conférences tenues après le traité des Pyrénées, celles de Céret et de Llivia, montrent qu’il ne s’agissait pas d’un point de détail puisque les notions de « Pyrénées », de plat pays et même de « Catalogne » n’étaient pas univoques[212]. Dans la même veine, un autre expédient est choisi pour régler la communication en attendant la réunion des commissaires : « tous ceux qui ont suivy jusques a present l’un des deux partis, tant ecclesiastiques que seculiers » ne pourront aller dans les lieux de l’obéissance de l’autre sans avoir « obtenu la permission de ceux qui representeront la personne desdicts seigneurs rois dans lesdicts lieux, qui pourront la refuser ou l’accorder ». C’était un système d’autorisation, déjà partiellement mis en place avec l’usage des passeports – nous en avons vu un exemple avec Josep de Pinós qui souhaitait revenir en Catalogne après son premier exil à Gênes[213], mais nous avons vu aussi combien il était facile pour les philippistes de pénétrer dans Barcelona. Dans les faits, donc, très difficile à faire fonctionner avec les moyens du temps. On ne connaîtra pas encore avant longtemps la police aux frontières.
L’article 31 serait (?) l’article des confiscations, mais sa rédaction atteint des sommets dans l’équivoque. D’emblée, la formulation de la disposition centrale par la négative laisse entrevoir le malaise des rédacteurs :
« On n’entend pas neantmoins par ladicte surseance de commerce d’empescher aux vassaux et subjets tant communautez que particuliers de l’un ou l’autre party la libre et paisible jouyssance de leurs biens, encores qu’ils se trouvent sitüez soubs l’obeissance du party contraire. »
Si l’on n’entend pas l’empêcher, on entend donc la maintenir ! Maintenir les possesseurs dans la propriété de leurs biens est une chose, mais restituer les biens confisqués aux anciens propriétaires exilés en est une autre, que la formulation ne permet pas manifestement de trancher avec clarté. La précision « encores qu’ils se trouvent sitüez sous l’obeissance du party contraire » pourrait s’appliquer à la fois aux personnes (personnes de l’obéissance du parti adverse, c’est-à-dire les mal affectes), mais aussi – cela semble plus probable – aux biens. Et dans ce dernier cas, la mesure est assurément curieuse si on la rapproche aux réflexions, amplement commentées plus haut, échafaudées par le docteur Martí en 1646 : elle est très favorable aux partisans du roi d’Espagne, à qui de grands biens ont été confisqués en Catalogne, et non aux Catalans fidèles du roi de France, dont les propriétés en Castille, en Aragon et dans le royaume de Valence sont une minorité. En effet, la plus grande partie de la Catalogne, à l’exception des places fortes citées plus haut, est aux mains du roi de France. La perception des fruits de ces biens semble d’ailleurs faiblement encadrée et réglée à la légère : les possesseurs pourront les « faire transporter sans empeschement aux lieux de leur demeure », mais « pourveu que ceux qui seront commis pour le regime et culture desdicts biens ne seront point suspects au gouverneur et magistrat du lieu où lesdicts biens seront situez. Auquel cas y sera pourveu par le proprietaire d’une autre personne agreable et non suspecte ». La mesure est de même nature que la désignation des vicaires généraux par les prélats et le règlement des points de « détail » par des commissaires réunis dans un futur hypothétique : elle est inapplicable. Le concept même de personne « agreable et non suspecte » amène à s’interroger : agréable à qui ? non suspecte à qui ? Par définition, la constitution des fidélités et des clientèles, rendue nécessaire par la déflagration de 1640 et accélérée après 1642 avec l’arrivée à Barcelona de modèles proches de la cour française, entraîne qu’un noble catalan agréable et non suspect à Louis XIV soit désagréable et suspect à Philippe IV. Encore fallait-il trouver des personnes agréables, non suspectes à l’un et à l’autre, ou bien indifférentes aux deux ? Sans doute n’étaient-elles pas encore nées.
Un article à part, l’article 32, traite du commerce. Là encore, en précisant qu’on autorise le commerce traditionnel de la Catalogne avec les anciens membres de la puissance aragonaise en Méditerranée, avec lesquels elle était habituée à échanger (Naples, Sicile, Sardaigne, Aragon, Valence, Majorque et Minorque), on répond à un point récurrent des mémoires des catalans. Cette réouverture du commerce est un principe admis, mais les conditions précises seront également fixées par les commissaires… On voit bien ici que, si l’ensemble des articles relatifs à la Catalogne avait peut-être rédigé à la hâte, il ne l’avait pas été dans l’ignorance des revendications catalanes. Le texte pêchait davantage par manque de clarté, par son apparence elliptique et parfois légère, mais non par manque de renseignement. Il était clairement favorable à l’Espagne, tournait délibérément le dos à la satisfaction des Catalans, mais n’installait aucune solution claire pour la question des restitutions. En somme, il portait toute les faiblesse appréhendées par Servien quelques mois auparavant, en octobre 1646 : « Le mesme pourra arriver du costé de Cataloigne où je prevoys que nous serons forcés si le traité s’avance de laisser aussy indécises plusieurs choses qui regardent le comerce et la façon de vivre de ce peuple avec leur [sic] voysin pendant la trêve […], toutes ces difficultés et plusieurs autres de pareille nature qui ne peuvent pas estre sitôt terminés sont capables de faire reprendre les armes »[214]. Et, à l’inverse des clauses générales, conformes au droit des gens et au bon sens, il est permis de croire que la rédaction des articles 25 à 33 concernant la trêve de Catalogne n’est pas dûe à la plume de Servien, mais à celle de Théodore ou Denis Godefroy, commandés en la circonstance par les visées empressées du duc de Longueville.
Dans l’immédiat, les conséquences de l’initiative de Longueville sont positives. L’Espagne est surprise : démentant sa propagande incessante, la France prouve qu’elle est déterminée à faire la paix. Le dialogue reprend, mais la stratégie espagnole s’adapte. Les Français veulent des textes ? On leur en donnera. Le 26 février 1647, trois jours à peine après la délivrance de l’écrit français, Peñaranda fait remettre une contre-proposition à Longueville, et non pas une réponse à ses articles : un nouveau traité intitulé Instrumento o modelo del Tratado de paz entre las dos Coronas de España y Francia[215]. L’ensemble est beaucoup plus court que le traité français : il ne compte que 27 articles plus deux articles secrets concernant Edouard de Bragançe l’un, Rosas et Cadaquès l’autre. La principale innovation par rapport au projet français est qu’il commence par un large exorde expliquant que le roi d’Espagne choisit la voie de la paix pour entreprendre, sur l’exhortation du pape, la défense de la République de Venise – et donc de toute la Chrétienté – contre les Infidèles. La menace turque est réelle, mais le ton introduit une atmosphère de croisade qui cadre mal avec les véritables implications territoriales des négociations. Les articles sur le rétablissement des sujets viennent immédiatement : le premier article rétablit le commerce et la libre circulation ; le second énonce la restitution des biens confisqués mais pas des fruits perçus pendant la guerre[216] ; le troisième, le maintien des ecclésiastiques nommés à des bénéfices pendant la guerre ; le quatrième, le maintien des droits antérieurs à la guerre et l’annulation des procédures contre les sujets infidèles pendant le conflit. Notons que le 7e article restitue le comte d’Egmont, le prince d’Epinoy et le duc de Bournonville « y otros que se podran nombrar de parte y otra » dans leurs biens, mais qu’ils ne pourront rentrer dans les terres des souverains qu’après avoir obtenu leur autorisation. La trêve de Catalogne, contrairement au traité français, ne bénéficie pas d’amples dispositions. L’article 10 dit qu’on « admettra aussi une trêve de trente ans dans le Principat de Catalogne, et durant ce temps les choses resteront en l’état dans lequel elles se trouveront quand on publiera le présent traité, sans qu’on puisse les changer ni les altérer, et cesseront en même temps tous les actes d’hostilité d’une et d’autre part, et les peuples et résidents de ladite province jouiront (tant ceux d’un parti que ceux de l’autre) du bénéfice de la trêve, comme on en a usé avec les autres nations en cas similaire »[217], sans plus de précision sur son application ni sur l’extension ou non des mesures générales de restitution aux Catalans concernés par la trêve. Quant à l’article 11, il explique que le roi d’Espagne a offert à la France de garder Rosas et Cadaquès, bien que ces places ne fassent pas partie du comté de Roussillon, ce qui est un signe de son zèle pour la paix – évidente réécriture de l’histoire des négociations, et pique très explicite contre le discours français dont l’argument, pour leur rétension, est leur appartenance au Roussillon… Selon le second article secret ajouté au traité, si jamais la paix est conclue, la forme finale de l’article sur Rosas et Cadaquès sera établie par les médiateurs hollandais ! Le commentaire de Godefroy est catégorique : sur cela, comme sur de nombreux autres points de détail – places conquises non reconnues, attributions fausses d’autres places à la seigneurie du roi d’Espagne –, le texte est inacceptable : « cela ne suffit », « il est necessaire de specifier le tout, tant que faire se pourra » [218]… Ne venait-on pas de réussir la gageure de faire un traité plus insuffisant encore que les Français ?
Evidemment, l’accord n’acchope pas principalement sur la question des restitutions, mais elle est partie d’un tout qui, de chaque côté, ne parvient pas à un degré satisfaisant de cohérence. Deux jours après avoir reçu le papier espagnol, le 28 février, Longueville rencontre les médiateurs hollandais. Il leur dit que les Espagnols ne se sont pas bien conduits en l’occurrence, et il leur rend ostensiblement le papier. Les médiateurs s’animent, et promettent que les Espagnols remettront un autre écrit. Toujours désireux de montrer qu’il a le contrôle de la situation, Longueville leur laisse jusqu’au 10 mars, après quoi il augmentera ses exigence sur la Catalogne et le Portugal[219]. Ce n’est que le 16 que les Espagnols, par l’intermédiaire du hollandais De Pauw, livrent enfin leur réplique. Le texte original en semble aujourd’hui perdu, mais son contenu est connu par la version (traduction ?) française qu’en envoie Longueville à la cour, établie par Godefroy[220]. Les Espagnols y prétendent que les places de Toscane doivent leur être restituées, ils forment des difficultés sur le Portugal, l’Italie, continuent à affirmer que Rosas et Cadaquès font partie du Principat, refusent la liberté de commerce comme contraire aux lois fondamentales. Les commentaires sur la trêve de Catalogne sont édifiants.
« Dès le vingt cinquieme jusques au trente troisiesme inclusivement il se traicte des interests de la Principauté de Catalongne en laquelle on est d’accord d’une trefve de trente ans de la part du seigneur Roy Catolique comme il est convenu en nostredict Instrument pour la paix, article dixiesme. Mais on remarque neuf articles soubs pretexte d’obvier aux inconveniens de pourveoir à la plus grande tranquillité et pacification de ceste province-là, l’on allegue certaines choses qui semblent contraires à la nature d’une trefve, et à l’intention que l’on dict avoir d’establir une bonne, ferme et asseurée amitié et correspondance entre les subjets des deux couronnes ».
La liberté de fortifier les places (pourtant in fine favorable à l’Espagne) est dénoncée comme dérogatoire au principe de la trêve qui conserve les choses en l’état. La « visite des prelats » est rejetée comme contraire au droit et à l’usage des deux couronnes…
« Troisièmement, l’on veut entierement interdire toute sorte de communication entre les habitans de ladicte Principauté. Et il ne semble pas que ce soit un bon moyen pour les faire vivre en bonne amitié, mais qu’au contraire pourra produire continuelement des motifs de haine et mauvaise intelligence, estant aussi une chose assez estrange que les subjets de Sa Majesté Catolique trafiquent franchement en France, et que ceux d’une mesme province liez d’amitié et de parentage n’ayent aucune communication ny commerce, qui est une chose tres difficile à empescher entre les ennemis et à interdire par les princes. Pour cela semble-il que l’on se doibt arrester à la disposition de l’article dixiesme de nostredict instrument »[221].
Bien qu’ils acceptent le principe de réunir des commissaires pour résoudre « toutes sortes de doubtes en la forme qui sera convenüe entre lesdits seigneurs rois, mais sans retardement de la paix », les Espagnols rejettent sans ambages le traité délivré par les Français et ne font que défendre leur propre instrument. Ils ont su se saisir des ambigüités du texte français touchant à la trêve de Catalogne : les incohérences passent bien pour une « chose assez estrange » : comment interdire la communication dans la Catalogne tout en garantissant les possessions et en établissant la liberté de circulation en France et dans le reste de l’Espagne ?
Dans sa lettre à Servien, le 21 mars, Longueville se dit exaspéré : il laisse deux jours aux Espagnols pour se déclarer sur Porto Longone et Piombino. S’ils ne le font pas, il reprendra définitivement son traité et ne se considèrera plus comme engagé[222]. Mais, les nouveaux papiers donnés par les Espagnols sont nuls : le 25 mars Longueville et d’Avaux, qui est revenu à Münster, rendent tout à De Pauw, ce qui, comme ils l’écrivent au roi ce jour-là, consomme leur rupture avec lui[223]. Comme De Pauw était le dernier médiateur présent à Münster, la rupture signifie le désaveu des interpositeurs. Daniel Séré résume clairement la situation : « La nouvelle version étant encore moins acceptable que la première, Longueville comprend qu’il va être entraîné dans un processus de va-et-vient incessant de textes. Chaque nouvelle version ne marque pas de progrès vers la paix, et n’est, à l’évidence, qu’un moyen de repousser le moment de sa conclusion. […] L’initiative de Longueville n’a finalement guère changé le cours des négociations avec l’Espagne ». Le principal changement à cette étape est l’accession des Provinces-Unies au rôle d’arbitre du congrès. Ala suite du désaveu des interpositeurs, les Etats-Généraux des Provinces-Unies se proposent eux-mêmes comme médiateur collectif entre la France et l’Espagne. En avril 1647, sur ordre royal, Servien accepte, mais exclut de leur compétence les conquêtes, la Catalogne, la Toscane et le Portugal. Ainsi, l’Espagne informe rapidement les Etats-Généraux qu’elle accepte les vingt premiers points du traité français. Ce n’est guère plus que découper le texte, et ces vingt premiers articles ne concernant pas les conquêtes, mais c’est mieux que rien. L’Espagne, voulant presser à la signature du traité, se situe donc un peu à la merci des Etats-Généraux. « De tous les points de vue, ils sont bien les gagnants du jeu : ils sont assurés de la reconnaissance de leur souveraineté par l’Espagne et de la paix avec elle, et ils savent que les Français, si la paix ne se faisait pas entre eux et les Espagnols, attendent des garanties de La Haye ». Les Etats-Généraux ne pressent pas la ratification du traité dont ils savent que l’Espagne ne le remettra pas en cause, mais au contraire ils font des efforts pour favoriser la paix entre la France et l’Espagne. Servien fait accepter aux Provinces-Unies un traité d’aide réciproque au cas où l’un des deux Etats serait agressé, mais cette garantie ne jouera qu’une fois que la paix franco-espagnole sera signée. En difficulté face à l’influence de la Hollande qui neutralise celle des autres provinces plus favorables à la France, il échoue cependant à obtenir que le traité hispano-hollandais suppose l’obligation pour l’Espagne de faire la paix avec la France[224].
A Münster, Longueville reçoit le 10 avril les vingt premiers articles des Français revus par les Espagnols : il y a peu de changements « et rien a mon advis qui ne puisse estre accordé, synon qu’au restablissement des réfugiez il y a quelques clauses obmises »[225] ; à nouveau commentés, ces articles sont envoyés au roi[226]. Les Espagnols se relâchent sur la liberté du commerce et de circulation, et surtout sur la possibilité, pour les deux couronnes, d’assister leurs alliés respectifs (Portugal, duc de Lorraine…). L’article 17 sur la restitution générale des biens confisqués[227] ne change pas en substance, malgré quelques modifications de détail. Les Espagnols sont plus précis que les Français en ajoutant la clause selon laquelle les « restablissements en la forme cy avant dicte s’estendront en faveur de ceux qui auront suivy le party contraire, en sorte qu’ils rentrent par le moyen du présent traicté en la grace de leur roy et prince souverain comme aussi en leurs biens tels qu’ils se trouveront existans en la conclusion et signature du present traicté », ce qui, à une simple restitution de patrimoine (qui pouvait impliquer le maintien de la personne parmi les suspects) assortit un rétablissement politique et solennel. De même, la clause litigieuse sur le rétablissement des alliés français Egmont, Croÿ, Bournonville et Epinoy est modifiée : afin qu’il n’y ait pas de fausse interpétation, on dit clairement que le fait qu’ils soient cités dans le traité n’exclut pas les autres sujets (comprendre, les sujets français ayant rejoint le parti espagnol) susceptibles d’être rétablis… Cet article, comme il l’avait été au cours de l’année 1646, redevient une valeur sûre, sur laquelle on sait qu’il ne sera pas utile de revenir. Pourtant, Servien écrit le 22 avril à Longueville et d’Avaux qu’il peut avoir une valeur stratégique dans la négociation, comme une sorte de diversion poussant à obtenir la validation d’autres points plus importants :
« Sur le 17, je suis de l’advis de Son Altesse qu’on ne peut pas insister raisonnablement que les réfugiez soient rétabliz dans les charges, mais il me semble qu’on ne s’en doibt relascher qu’à l’extrémité, affin que s’il fault mettre quelque différend à la décision de noz alliez, ou des Médiateurs, comme il y a grande apparence que nous y serons enfin contrainctz, il se treuve des poincts où nous puissions estre condemnez sans en recevoir beaucoup de préjudice, pour en obtenir d’autres plus importans »[228].
C’est que la trêve de Catalogne n’est pas encore remise sur le tapis, et que depuis le traité français et son concurrent espagnol on est, sur ce point, revenu à zéro. Ce retour en arrière implique aussi, pour les Français, le retour à une stratégie qui avait été écartée au moment où la trêve semblait sur le point d’être signée : dans son mémoire au roi, Longueville dit qu’il va faire en sorte que l’on croie que ce sont les Espagnols qui ont voulu séparer Rosas et Cadaquès du Principat[229]. Le 29 avril, il fait aux Hollandais trois propositions sur les échanges de Catalogne : ou bien la France livrera à l’Espagne Flix, Miravet et la Castellania d’Amposta, en échange de Tarragona et d’Àger ; ou bien l’Espagne restera en possession de Tarragona, mais le roi de France gardera Escornalbou, Vilafranca et Montblanch, quand la Castellania d’Amposta et le Pla d’Urgell seront partagés entre les deux souverains ; ou bien, enfin, le roi de France donnera au roi d’Espagne en Toscane et aux Pays-Bas autant de places qu’il gardera en Catalogne. Officiellement, les propositions sont faites pour bien délimiter les zones d’obéissance et éviter les contestations et les incidents[230]. Mais c’est bien avec la diplomatie de Mazarin qu’on renoue : montrer aux Espagnols qu’on est intéressé par la Catalogne, et faire monter les enchères. De La Haye, Servien va jusqu’à conseiller au cardinal lui-même de limiter les prétentions françaises sur la Catalogne en partant du principe que le roi en est le possesseur légitime et qu’il n’a même pas à la réclamer[231]…
Les évènements contemporains de l’année 1647 n’entretiennent pas un climat favorable à la paix. Les Espagnols, grâce au nouveau gouverneur des Pays-Bas, l’archiduc Léopold-Guillaume, reprennent de nombreuses places sur les Français, au moment où les troupes de Bernard de Saxe-Weimar, jusque-là au service de la France, se révoltent. En Italie, les Français lèvent le siège de Crémone et parviennent tout au plus à maintenir la situation générale ; à Naples et en Sicile, Mazarin encourage la révolte contre le vice-roi espagnol (mais la tentative d’imposer le duc de Guise sur le trône napolitain échouera en décembre). Longueville écrit à Mazarin qu’il n’attend pas de l’arbitrage des Etats-Généraux d’arriver bientôt à une paix, la difficulté allant être augmentée par les évènements de la campagne[232]. En effet, en Catalogne, le comte d’Harcourt a été remplacé comme vice-roi par le prince de Condé, qui arrive à Barcelona le 10 avril et commence en mai un nouveau siège de Lleida, qu’il rejoint le 12. Il prévoit une attaque rapide car ses forces sont supérieures. Mais il se heurte à une pugnace résistance du général Brito. Entre le 3 et le 6 juin, de violentes sorties exténuent les Français puis les 11 et 12 juin les mineurs chargés de saper les fortifications sont décimés. Le 18 juin, Condé lève le siège. Ce nouvel échec français, bien que diminué par la propagande de la cour, a un retentissement immense. Au même moment, les Espagnols prennent des contacts avec les opposants à la politique de Mazarin comme la duchesse de Chevreuse : ils espèrent beaucoup de la perspective d’une révolte intérieure. Ainsi, pourquoi Luis de Haro aurait-il ordonné à Peñaranda de favoriser une paix qui consacrerait la perte d’une partie des Pays-Bas, de la Catalogne et des presidios de Toscane, alors que l’espoir se faisait jour de reprendre l’avantage[233] ? En juillet, Servien revient à Münster. Longueville n’est plus seul et les négociations semblent reprendre leur cours, mais « l’Espagne ne répond pas aux propositions françaises sur un point sans soulever des objections sur un autre point »[234]. Les plénipotentiaires français se relâchent sur le point du Portugal, pour lequel ils admettent une trêve. Mais l’Espagne n’a plus l’esprit à la négociation et le comte de Peñaranda ferme brusquement la porte en décidant de quitter Münster, sous le prétexte d’aller prendre les eaux à Spa. Longueville, quant à lui, obtient l’autorisation de se rendre à la cour.
Les négociations, atones en août, reprennent difficilement en septembre 1647 quand Longueville, d’Avaux et Servien sont à nouveau réunis. Les Français rapportent aux médiateurs des Etats les articles qui sont déjà accordés en théorie, mais il faut attendre le 23 pour qu’une certitude soit acquise : 20 articles du traité – soit les 21 premiers à l’exception du 18e – sont désormais définitifs. Le 18e est celui du rétablissement des réfugiés : il reste indécis car les Espagnols attendent des lettres de Bruxelles[235]… Par la suite, les articles se débloquent au compte-goutte, les Espagnols continuant à montrer leur mauvaise volonté. Le 30 septembre les plénipotentiaires écrivent à la cour que 25 articles sont désormais accordés[236]. Ils mettent 24 autres articles (soit les 23 à 34, 36 à 40, 42 à 48) dans les mains des médiateurs le 14 octobre[237], mais savent que les Espagnols essayent de retarder la procédure pour traiter plus vite avec les Hollandais à qui ils disent que le traité franco-espagnol sera bientôt signé. Le 28 octobre, ils écrivent au roi que l’article 18 sur les réfugiés est encore litigieux, de même que les points du Portugal, de la Lorraine, des fortifications de Catalogne[238]. Le 18e est accordé le 4 novembre, non sans réformations postérieures[239], mais on achoppe encore exactement sur les mêmes points que neuf mois auparavant, contenus dans les articles 22 à 48. Début novembre, l’absence momentanée des plénipotentiaires des Provinces-Unies de Münster pousse les Français à essayer de signer le plus d’articles possibles avec les Espagnols pour qu’au retour des députés hollandais les Provinces renoncent à ratifier leur traité séparément de la France[240]. Le 18 novembre, d’après les plénipotentiaires, tous les articles « inoffensifs » ont été accordés jusqu’au 48, mais pas les essentiels : le 22 (conquêtes et dépendances), le 26 (trêve de Catalogne), le 35 (affaires d’Italie), le 36 (Casale), et le 41 (Lorraine)[241]. L’article 26 est si bloqué que dès le 29 octobre Servien suggère à son neveu Hugues de Lionne d’envoyer (ironie du sort !) un Catalan à Münster pour éclaircir les réalités du pays car ils avancent les yeux bandés et ne peuvent raisonnablement exprimer les prétentions de la France pour la dépendance des places[242] ; il va jusqu’à proposer l’expédient de laisser aux habitants le choix de l’obédience dans laquelle sera comprise leur ville, signe manifeste de la faiblesse de la position française[243]. Cependant, il faut signaler un point important : si l’article même de la trêve de Catalogne bloque encore (sur la dépendance des places uniquement), les articles sur les conditions de la trêve sont acceptés, soit les articles 28 et 29 (bénéfices), 30 (liberté de circulation), 31 (jouissance des biens), 32 (rétablissement du commerce avec la Méditerranée), 33 (nomination des commissaires pour régler les détails) ; nous les avons commentés plus haut. En somme, les Espagnols ont validé ce qui, dans le traité Français, était faible et confus. Le sort des confiscations de Catalogne française y restait donc dangereusement indécis – mais à combien de choses plus importantes les Français avaient-ils à penser pour conclure cette paix si désirée ?
Finalement, cette dernière phase d’espoirs semble vouée à l’échec. Alors que les Français ont donné, le 25 novembre, les 12 derniers articles du traité (soit les articles 49 à 60)[244], les Espagnols arrivent à temporiser jusqu’au retour des ambassadeurs hollandais à Münster, le 31 novembre : aucun des points litigieux n’a alors été réglé. Peñaranda remet ensuite sur le tapis l’affaire de Portugal et ne fait aucune ouverture. Rien ne change durant le mois de décembre, à part la lassitude des plénipotentiaires français qui est croissante. Aucun Catalan n’a évidemment été envoyé à Münster pour les conseiller, mais ils espèrent un moment trouver dans le mémoire rédigé par le docteur Martí, qui leur est envoyé par le roi de façon solennelle, des arguments irréfutables[245]. La question de la Catalogne est définitivement emportée dans le tourbillon lorsqu’un ultime expédient proposé par l’un des rares plénipotentiaires des Provinces-Unies favorables à la France, Knuyt, échoue lamentablement. Knuyt avait proposé que les Provinces-Unies retardent la signature de leur traité avec l’Espagne si la France prouvait sa volonté de faire la paix : dans ce cas, les deux parties devraient accepter un arbitrage des Etats qui trancherait les six points restants. Après examen, la cour donne son feu vert : les plénipotentiaires sont invités à « apporter toute facilité de leur part aux poinctz qui restent à terminer jusqu’à céder mesme en tous s’il est nécessaire à l’exception de celuy de Lorraine où Sa Majesté ne peut en aucune façon se relascher »[246]. La bonne volonté de la France est désormais incontestable. Cela produit grand effet au sein des Etats qui sont prêts à tenir leur promesse. Mais les doutes de Servien – il pense que l’accommodement est inutile car Peñaranda a obtenu son congès pour après la conclusion du traité hispano-hollandais[247] – se révèlent vite justifiés : Peñaranda invente une nouvelle embûche. Il prétend que, jusque-là, on n’avait pas dit que le duché de Lorraine devrait être restitué après démantèlement de ses places fortes… Mazarin, affaibli en France où il est contesté toujours plus chaque jour, décide de transiger sur le fait de la Lorraine : il accepte que le duché soit restitué intégralement (y compris Metz, Toul et Verdun) et immédiatement (jusque-là, le projet comprenait la restitution dans dix ans à partir de la signature du traité). Mais Peñaranda maintient son refus de la démolition des fortifications des places restituées, ce qui enterre tout espoir de paix. Les Provinces-Unies, déterminées à traiter avec l’Espagne qui reconnaissait ainsi leur indépendance, signent le 30 janvier 1648. Longueville et d’Avaux quittent Münster, le premier y étant déterminé depuis un an, le second étant devenu désagréable à Mazarin. Peñaranda saisit le prétexte que Servien soit resté seul pour quitter lui aussi les lieux : sa dignité, dit-il, lui impose de se retirer. Après avril, il n’y a plus de négociations franco-espagnoles à Münster. Servien obtient cependant, le 24 octobre 1648, la signature du traité de la France avec l’Empire, séparant l’Espagne de son allié impérial et mettant un point final à la guerre de Trente ans[248]. Le conflit entre la France et l’Espagne, quant à lui, continue : il n’y aura pas de trêve en Catalogne.
Réactions contrastées de l’opinion catalane
Les effets des négociations de paix en Catalogne suivent une géométrie assez distincte de la tenue de ces négociations mêmes. Les Catalans sont-ils au courant de tant de chicanes et de subtilités diplomatiques ? Connaissent-ils l’existence des traités de 1647 ? On serait tentés de dire que non car, durant toute la période, jusqu’à la conclusion du congrès sur un échec franco-espagnol, et au-delà comme nous allons le voir dans le chapitre suivant, l’opinion catalane telle qu’elle nous est connue à travers les requêtes envoyées à la cour est particulièrement craintive et méfiante face à la perspective d’une restitution des biens confisqués – cette frilosité, de mise jusque dans les milieux les plus proches du gouvernement français, se poursuit même quand les causes objectives s’évanouissent. Mais la réponse est beaucoup plus nuancée, elle varie selon les moments et les acteurs en présence. Il nous faut donc revenir sur la grande ambigüité de la notion d’opinion catalane. Lorsque l’Espagne admet l’idée de trêve en Catalogne, et qu’elle accepte ensuite, en octobre 1646, le terme de 30 ans après avoir signé des accords préliminaires avec les Provinces-Unies, la politique de la cour est de publier que le traité sera bientôt signé : Mazarin a tout intérêt à montrer aux Provinces-Unies qu’il est déterminé à la paix, afin de conserver leur alliance et de les pousser à subordonner le traité hispano-hollandais à la signature du traité franco-espagnol. Ainsi, à une politique du secret, succède une politique du dévoilement, ou plutôt du secret partiel : on ne pourra plus raisonnablement cacher aux Catalans qu’on prépare une trêve pour la Catalogne, mais on tentera de leur faire croire que c’est un moindre mal, et, surtout, on fera tous les efforts afin qu’ils n’imaginent pas qu’on veut, en sous main, pousser l’Espagne à échanger les Pays-Bas contre le Principat.
Tout le discours français à partir de l’automne 1646 réside dans de chaudes protestations d’amour du roi pour les Catalans, réitérant les assurances de vouloir conserver la Catalogne indivisible. Mais Mazarin mène en fait plusieurs politiques à la fois, il n’a pas abandonné son « jeu possibiliste », pour reprendre l’heureuse expression d’Antoni Simon i Tarrés[249]. Il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre, et la France reste en possession de la Catalogne : s’aliéner directement les Catalans profrançais représenterait un grave danger. On recours donc à l’opinion catalane en demandant l’avis de Catalans fidèles, de préférence résidant à la cour ou y ayant fait un passage : Isidoro de Pujolar, en décembre 1646, puis Francesc Martí i Viladamor en novembre 1647. Le premier rédige un mémoire qui est envoyé immédiatement aux plénipotentiaires de Münster, et qui, par la force même de ses revendications (il demande que la France réclame toutes les places fortes de Catalogne qui sont aux mains des Espagnols et menacent la sécurité du Principat) exprime une acceptation implicite de la trêve[250]. Comme nous l’avons dit, Pujolar, tout étourdi par la cour et par son rôle personnel qu’il croit immense, fait de la surenchère dans le sens de Mazarin, peut-être sans toujours comprendre les implications profondes de ses agissements. Pour les plénipotentiaires, qui ne reçoivent des informations de Catalogne que par le filtre de la cour, Pujolar représente à ce moment-là l’opinion catalane. Mais, dans les faits, il n’en est rien : Pujolar écrit ce qu’on a envie d’entendre de lui. Malgré la grande différence des deux personnages, comme nous le reverrons bientôt, c’est également la fonction principale du docteur Martí.
Le cas des Consistoires est plus complexe et mérite qu’on s’y arrête : la France, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne renonce pas totalement à les consulter. C’est Pierre de Marca, le visiteur général, qui se charge à chaque fois d’annoncer les nouvelles officielles (presque toujours mauvaises) au sein des Consistoires. C’est lui qui s’affronte à leurs mouvements, à leurs réactions. Il est le relais lointain de la politique de la cour, ce qui le place en position de bouc émissaire. Lorsque Mazarin veut encore dissimuler ses projets, en août 1646, il annonce que le roi a proposé d’abandonner la Navarre et six places en Flandres pour obtenir en pleine propriété l’intégralité de la Catalogne, signe de son immense considération pour la province[251]. Mais en septembre, les Consistoires envoient à leur nouvel ambassadeur à la cour Francesc Puiggener des mémoires où ils montrent qu’ils sont déjà au courant du projet de trêve[252]. Ils esquissent néanmoins des ouvertures assez semblables à celles que l’on trouvait dans le mémoire de Pujolar, qui, pourtant, n’avait pas été demandé par les Consistoires mais commandé directement par le roi à cet agent. Les conseillers insistent surtout sur la conservation des places stratégiques.
Passe la terrible nouvelle de la levée du siège de Lleida, que Marca a le malheur de devoir porter le 25 novembre[253]. Le 5 décembre, lorsqu’il signifie officiellement aux Consistoires que la France s’apprête à signer une trêve longue (vingt ou vingt-cinq ans)[254], remettant des lettres solennelles du roi, il prononce aussi un discours censé expliquer ce qu’il faut en retenir (Explicació de la crehensa), dont il leur remet ensuite la version textuelle. Le rôle de Marca – c’est un ordre de la cour – est de les adoucir à l’idée de trêve en leur représentant « l’avantage que tirera la Catalogne de ce traité » : la peur du pouvoir de l’adversaire jouera pour maintenir la trêve, sa longueur en fera une vraie paix où les Catalans se reposeront de la guerre, elle rétablira le commerce avec modération du prix des monnaies, elle sera défendue par les troupes nombreuses de cavalerie et d’infanterie que le roi enverra et paiera en Catalogne, par les places qui seront fortifiées sur la frontière près de Tarragona – et qui rendront inutiles les places espagnoles. Marca justifie aussi l’occupation des forces royales en Italie, soi-disant pour briser la ligue des princes d’Italie – en fait, Mazarin a tout misé sur les révoltes de Naples et de Sicile, où il n’est pas parvenu à imposer le duc de Guise, entrerprises rencontrant un échec total – ; l’échec devant Lleida, dit-il, n’est pas dû à un manque de moyens, car le roi n’a pas ménagé ses dépenses pour le terminer, mais plutôt à un châtiment divin ; le roi doit d’ailleurs obtenir la paix pour combattre contre le Turc, ennemi commun qui menace toute la Chrétienté. Quand Marca aborde la question épineuse du risque de conspirations (qui, comme on le dit publiquement, sera augmenté par le retour des partisans de Castille), il rassure avec des mots qui ne manquent pas de piquant et contiennent une bonne dose d’auto-persuasion…
« Il ne faut pas tellement craindre la force, comme certains le soupçonnent, des tromperies et des artifices des ennemis pour corrompre la fidélité des Catalans. Plus encore, il n’y a même pas de quoi avoir peur de ce côté. La constance de presque tous a été reconnue en beaucoup de moments difficiles, et spécialement en la récente découverte des conjurés, dont le nombre était minime, comme tout le monde le sait ».
L’expression « constance de presque tous » (« constancia casi de todos ») est pathétique. Marca a l’habileté d’en appeler à la fidélité des Catalans, à qui il s’adresse, mais le procédé est à double tranchant. Il affirme : « ceux qui suivent la faction de Castille sont hors du Principat, sans espoir de retour, en quoi l’on trouve l’un des bons effets de la trêve », ce qui, comme nous allons le voir, est manifestement faux, du moins très incertain. La question des confiscations est soigneusement évitée. Et le summum est atteint lorsque Marca parle du camp des indifférents, dont on sait qu’il ne voulait même pas reconnaître l’existence défendant une répartition absolue des Catalans entre fidèles et mal affectes…
« S’il reste quelque volonté indifférente, elle se déterminera absolument en faveur de la France, considérant que le Roi Catholique abandonne ses intérêts pour vingt ans, et tâchera avec toute sincérité d’effacer la mauvaise opinion qu’elle aurait pu avoir contre elle pour sa froideur » [255].
On voit bien l’évolution du discours de Marca, devant la nécessité et la difficulté des temps. Tout cela peine à convaincre le lecteur, et on imagine l’effet produit sur les Consistoires.
On ne peut cependant accuser Marca d’être totalement hypocrite. Il appartient certes aux fidèles de Mazarin, dont il exécute la politique dans des terres lointaines. Mais depuis le début de son mandat, 1644, il a eu le temps de développer sa propre opinion des Catalans. Entre admiration pour les institutions du pays et désir d’imposer la domination française, sa tactique est toute en nuance – sauf quand il s’agit de châtier les ecclésiastiques directement responsables, selon lui, d’un climat anti-français en Catalogne. Dans son discours du 6 décembre, on peut voir, au-delà du seul boniment destiné à endormir les Consistoires, une certaine sincérité. Marca est persuadé que la Catalogne française a sa raison d’être. Ailleurs dans ce discours, on retrouve sa personnalité d’érudit et d’historien : le gouvernement français en Catalogne est ancien, et le signe le plus manifeste de cette ancienneté, explique-t-il, est la multiplicité des restaurations d’évêchés, des fondations d’abbayes illustres, des familles nobles fondées « par la grandeur et la libéralité de cette couronne », comprendre des rois francs[256]. Le maintien de la Catalogne française est la raison d’être même de la fonction de Marca. Son propre intérêt était – nous aurons l’occasion d’y revenir – que l’autorité royale y soit maintenue, car il en tirait tout son pouvoir. Ainsi, la correspondance entre Mazarin et Marca, entre les souverains et Marca, ne permet pas de dire que le visiteur général était dans le secret des Dieux, que le cardinal lui avait tout dévoilé de ses projets. Les plénipotentiaires, dans une certaine mesure, bénéficiaient d’un bon point de vue sur l’ensemble des données du problème. Mais on ne communiquait aux Français exerçant leur fonction en Catalogne, de façon graduée selon leur importance, que ce qui était indispensable pour leur permettre de faire ce que l’on attendait d’eux.
Marca, même si l’on ne peut pas dire qu’il épousait totalement les intérêts des élites catalanes représentées aux Consistoires – il était souvent exposé, nous l’avons dit, à leur hostilité à cause du contenu des décisions signifiées, et tâchait d’un autre côté d’intervenir dans les élections des députés et des conseillers afin d’en écarter les mal affectes –, exprime cependant une certaine compréhension, et parfois une défense de leurs positions. La réaction des Consistoires au discours du 5 décembre et ses effets postérieurs sont à ce titre assez éloquents. Certes, les Catalans étaient bien préparés, ils s’attendaient à la venue d’une trêve. Mais l’annonce officielle est une toute autre chose. Elle cause l’effet d’une tempête : Marca lève le voile et montre que la trêve n’est plus qu’une perspective lointaine que l’on peut encore éviter. En dépit des paroles caressantes, les Consistoires se réveillent d’un long rêve et ouvrent enfin les yeux. L’idée d’une Catalogne française solide et pérenne est considérablement entamée. La stratégie royale, pour faire mieux passer le coup, est de demander aux Consistoires qu’ils livrent leurs recommandations et mises en garde pour améliorer la trêve (« advertèncias que aparexerian a propòsit per la bona execució y effectuació de aquellas »). Ils prennent donc les lettres portées par Marca et, selon les procédures complexes des institutions catalanes, la Generalitat et les conseillers de Barcelona nomment, l’une et les autres, 12 personnes pour prendre une résolution à ce sujet. Parmi les nommés par la Generalitat, des partisans distingués de la France comme le doyen Pau del Rosso et le gentilhomme Ramon de Guimerà[257].
A Paris, on pense que les Consistoires « remercieront Sa Majesté de la participation qu’elle leur en a fait donner, qu’ils approuvent dès à présent tout ce qu’il luy plaira de résoudre, et seulement la suplieront en concluant la trêve d’y aporter quelques précautions et d’obtenir quelques conditions à leur avantage »[258]. Mais durant tout le mois de décembre les deux commissions de 12 se réunissent à séances très régulières, et les deux Consistoires débattent aussi des affaires de Münster : le sens des discussions semble bien différent. Le 24, à la lecture des mémoires donnés par les commissions, les députés de la Generalitat consultent les assesseurs et l’avocat fiscal, juristes chevronnés, pour « savoir si la conclusion qui sortirait de la trêve de cette province, dont Sa Majesté a donné avis que l’on traitait à Münster, va contre les dispositions et conventions des pactes conclus entre Sa Majesté et ce Principat ou non, et en tout cas, si les députés, en consentant à ces trêves, respectaient ces dits pactes »… Devant la gravité de la question (on allait clairement, ne serait-ce qu’en doutant, contre des ordres royaux) les juristes bottent en touche et demandent qu’on réunisse immédiatement les Braços pour décider de la solution à adopter. Une fois réunis, les Braços décident qu’on enverra au roi le mémoire rédigé par les conseillers de Barcelona[259]. Le simple envoi du mémoire signifie que l’acceptation des trêves n’est pas totale. Dans ses lettres à Le Tellier, Marca montre qu’il est décidément partie prenante dans le débat qui anime les Consistoires : alors qu’il n’a pas encore vu le mémoire, il confère avec le vice-roi, le Régent Fontanella et le Chancelier Barutell, sur les limites des places que les ennemis retienderont. Il souhaite ménager les intérêts des habitants et valide l’intérêt d’occuper la Campo de Tarragona jusqu’à ce que la trêve soit signée : « ces gens cy, écrit-il le 28 décembre, seroient au desespoir si lon laisse aux Espagnols plus de terre qu’une lieue aux environs de Taragone »[260].
Le choc se produit une fois que Marca a entre les mains le mémoire des Consistoires – que ces derniers lui ont remis pour qu’il y apporte des corrections. Mais il ne sait pas bien quoi faire, et on perçoit son embarras. Le 29, il écrit à nouveau à Le Tellier. Le contenu de sa lettre interpelle : il ne réagit pas immédiatement à l’aspect choquant du texte, mais parle simplement du danger auquel est exposé Barcelona en cas de trêve de retomber dans les mains des Castillans avant qu’ils eussent été depossédés de Lleida, Tortosa et Tarragona. Le moyen le plus assuré pour contrer ce danger est de prendre Tarragona, ce à quoi il appelle de tous ses vœux[261]. Voilà les propos d’un homme qui, sur le fond, ne peut pas contredire les positions catalanes, car il vit lui-même à Barcelona. Pour lui, la sécurité de la Catalogne doit passer avant tout, et il faut bien comprendre cela sous sa plume : Tarragona doit être conquise avant la conclusion du traité, et le traité doit être retardé jusqu’à la conquête de Tarragona si besoin est (c’est la position exactement inverse de celle de la cour). Un homme dont le souci central est la Catalogne, à l’image des Catalans auteurs du mémoire, ces profrançais de cœur comme Guimerà qui ont combattu et possèdent d’importants biens confisqués. La potion est moins difficile à prendre pour des juristes un peu plus « légers » en terme d’ancrage clientélaire et d’assise patrimoine comme Martí, ou encore Pujolar qui n’est rien ni personne, n’a rien à perdre. Ce sont des « aventuriers » qui peuvent se fixer à la cour et abandonner leur province d’origine sans (tellement) rechigner. Prendre Tarragona est la nécessité (et l’illusion) de ceux qui croient en la Catalogne française. Le lendemain de son courrier, le 30, Marca se décide à laisser les Consistoires envoyer le mémoire tel quel[262]. Il le laisse passer en disant que tout ce que les Catalans y ont écrit de dur « procede de la passion qu’ils ont de demeurer a jamais unis a la couronne de France ». Il se contente de parler des efforts qu’il a entrepris pour les adoucir[263]. Comment pouvait-il totalement accuser un texte dont le fond correspondait dans l’ensemble à ses propres convictions ?
Le mémoire, par son ton plus encore que par son contenu, est trop violent et direct pour s’adresser à un souverain. En quelques lignes les auteurs font un sort aux belles promesses de la harangue de Marca : « ce danger [celui de ne plus être sous la souveraineté du roi de France] est si manifeste qu’il n’y a ni prévention, ni pouvoir, ni fortifications, ni efforts si attentifs qui puissent l’éviter si on conclut les trêves alors que les ennemis retiennent Lleida, Tortosa, Àger et surtout Tarragona »… Ils ne se font guère d’illusion sur les forces promises par les Français et considèrent que le roi d’Espagne a tout intérêt à accepter cette trêve car une fois qu’elle sera conclue, en l’absence des forces françaises, il se réintroduira facilement par l’artifice ou par les armes. Ainsi, ils protestent leur obéissance, mais, d’une façon assez typique de la rhétorique catalane (la Generalitat fait souvent des protestations au roi pour son « royal service », c’est-à-dire considérant qu’on le sert mieux en lui disant ce qui ne va pas plutôt qu’en se taisant), qui, lue par un sujet de Louis XIV, peut paraître inadmissible car elle revendique la contradiction : « Ils sont résolus à obéir à Votre Majesté et à mourir, mais ils ne peuvent se résoudre à se contenter d’un état qui les expose à perdre l’honneur glorieux d’être vassaux de Votre Majesté ». Cette obligation serait le discrédit de leur fidélité ! Ils demandent directement au roi d’ « arrêter ou de retarder le traité des trêves, et en cette prochaine campagne de daigner envoyer toutes, ou ses plus grandes forces en Catalogne »[264]. Et le style du mémoire (non retenu) des douze personnes choisies par les députés de la Generalitat était encore plus grandiloquent, fleuri et véhément : en cas d’attaque, dit-il, on aura beau implorer le roi de France, il n’aura jamais le temps d’acheminer une armée sur une si longue distance ; cette année, l’échec de Lleida était inéluctable car les forces du roi étaient occupées à Porto Longone et Piombino ; de même, on ne pourra jamais compter sur la foi de l’Espagne, il suffira de se souvenir du massacre de Cambrils… Tout cela avait dû effrayer et faire écarter le texte[265]. Les deux mémoires mentionnent le danger du retour des mal affectes exilés, que le second dépeint comme la porte ouverte aux vengeances dirigées notamment de la part des victimes (« los ánimos de los catalanes […] privados de sus casas y haziendas… ») contre les bénéficiaires de biens confisqués. A ce stade, les Consistoires sont désormais plus prudents sur la question des confiscations. Comme nous l’avons montré plus haut, l’épisode cuisant de la mission parisienne du docteur Martí leur a paradoxalement enseigné qu’en demandant la restitution des biens confisqués, on entraînerait nécessairement une restitution réciproque, et que leur intérêt était plutôt de ne pas trop s’exprimer à ce sujet, en espérant que la trêve installerait un statu quo qui s’étendrait également aux confiscations.
Mais le début de l’année 1647 consacre une double rupture : la délivrance du projet de traité aux Espagnols (quand ces derniers viennent de signer un accord préliminaire avec les Hollandais) et, à Barcelona, l’acceptation de la trêve par les Consistoires obtenue par Marca. Le 25 janvier, le duc de Longueville remet en effet aux médiateurs un exemplaire du traité préparé par les plénipotentiaires, qui dans les mois suivants sera progressivement modifié dans un permanent va-et-vient entre Français, Hollandais et Espagnols, mais ne sera plus directement influencé par des acteurs extérieurs (que ce soit la cour de Paris ou les Catalans), malgré l’envoi irrégulier d’avis. Bien que (le fait est important à signaler) ce ne soit pas d’après la volonté expresse de Mazarin, d’après un ordre de la cour, la logique négociatrice est désormais totalement déconnectée des réalités locales de la Catalogne – ce dont pâtiront d’ailleurs les plénipotentiaires au bout de quelque temps, incapables d’argumenter sur des faits précis. De ce changement essentiel, les Catalans ne se rendent pas vraiment compte. Leur perception de toutes les questions diplomatiques s’en ressent largement, notamment celle des biens confisqués, qu’ils interprètent de façon déformée et déplacée par rapport au véritable état des négociations. Les glissements du moment s’opèrent tous dans un laps de temps très bref. Le mémoire des Consistoires daté du 24 décembre 1646 est reçu à Paris dans la première moitié de janvier 1647. Nous avons déjà commenté plus avant les effets produits par ce véritable brulôt. Avec brio, la cour décide de le mettre à profit et le transmet immédiatement aux plénipotentiaires de Münster, au service d’une stratégie qui vient renforcer les manœuvres de Mazarin pour presser les Espagnols : on exhibera ce mémoire pour montrer que les Catalans sont défavorables à un accommodement, et que la France les soutient hautement, car elle est prête à prendre sa revanche de la déconvenue de Lleida. On envoie aussi un mémoire de Marca prouvant l’importance de Tarragona et de Lleida. La diplomatie française n’est pas figée à ce point qu’elle n’ait jamais intérêt à soutenir l’opinion catalane, surtout quand ses vues correspondent ponctuellement à ses propres plans : au tout début de l’année 1647, on ignore encore réellement si la France obtiendra les places fortes qui fâchent (« possibilisme » oblige)… D’un autre côté, le roi répond directement aux Consistoires, par un mémoire, daté du 18 janvier, écrit en termes flatteurs, où il minimise l’affrontement. Mais lorsque le document parvient à Barcelona, le 9 février, le congrès de Münster a déjà pris un tour décisif depuis la délivrance du projet de traité, et la position des souverain vis-à-vis de la Catalogne ne peut plus souffrir d’accomodement, pas plus que les plénipotentiaires ne sont disposés à écouter des doléances.
Dès le 26 janvier, Le Tellier écrit à Harcourt le vrai effet produit par le mémoire des Consistoires : le document a été mal reçu, jugé trop hardi et semblable à une protestation. Il faut bien faire entendre aux Catalans que le roi n’est pas le seul dont dépende la paix : il est pris dans un concert international des nations d’Europe, l’Espagne et les Provinces-Unies ont signé un traité qui change totalement la donne[266] ; mouvement renforcé par la délivrance du projet, qui est directement liée à la signature de l’accord hispano-hollandais. Le mémoire de réponse est certes très doux, ne donnant aucune trace de l’indignation qu’avait pu causer la papier catalan, le roi déclarant reconnaître « tres bien que la forte passion que ces deux Concistoires, composez de tant de personnes prudentes, capables et fidelles, ont de retirer des mains des ennemis les places de laditte province qu’ils occupent ne procede que du zelle sincere qu’ils ont pour son service et pour les advantages de cet Etat et de leur patrie », mais il explique aussi que le roi est bien déterminé à arrêter la guerre, avançant pêle mêle les raisons fallacieuses (repos de la Chrétienté) et une partie des vraies raisons (difficulté de continuer une guerre sans autres alliés depuis que les Provinces-Unies se sont rapprochées de l’Espagne)[267]. Ainsi, le mémoire arrive aux Consistoires à Barcelona le 9 février, et Marca visite chacun d’eux le 13 pour, selon son habitude, leur expliquer le sens qu’il faut en retenir, tout en leur remettant son discours par écrit[268]. Son explication est cette fois bien ferme : non, le roi n’a pas abandonné la Catalogne en faveur de l’Italie mais a envoyé beaucoup de forces pour prendre Lleida ; en combattant en Italie, il a décimé des armées espagnoles qui étaient ensuite destinées à se porter contre la Catalogne, il a occupé les flottes espagnoles sur les côtes de Toscane ; il ne cèdera pas sur un report de la signature à après la prise de Tarragona, Lleida et Tortosa. Marca expose ensuite un faux choix. « Comme Sa Majesté traite avec vous comme avec des ministres de son Conseil d’Etat, je vous supplie de daigner observer attentivement les motifs de Sa Majesté pour la résolution » : où est le moindre mal ? Différer la trêve, en s’exposant à deux inconvénients, la haine de toute la Chrétienté et continuer seul une guerre coûteuse sur tous les fronts d’Europe, empêchant de secourir la Catalogne ? Ou bien conclure la trêve, en s’exposant au seul inconvénient que le roi d’Espagne reprenne la Catalogne par les armes ou par les intrigues, inconvénient dont le danger est diminué par la fidélité des Catalans et la prudence des ministres (comprendre : de lui-même, Pierre de Marca) ? Une seule réponse à cette alternative inventée par l’astuce rhétorique du visiteur général : le silence.
Marca a publiquement montré que, pour les intérêts de son maître absolu, le roi de France, il était capable de faire taire ses propres velleités à être l’interprète des Consistoires. La relation devient désormais à sens unique, de dominant à dominé. Le 24 février, il écrit à Mazarin, triomphant : le mémoire du roi « a faict une grande impression dans les esprits de ce peuple. Elle a esté fortifiée par le discours que je leur ai faict separement a l’un et a l’autre [Consistoire] […] que tous les auditeurs, qui estoient pres de trois mil, ont coneu et retenu avec satisfaction. En sorte qu’ils remetent a la disposition de S.M. les conditions de la treve qu’elle jugera apropos, mesmes sans faire mention expresse de recouvrer Tarragone, Lerida et Tortosa de quoi ils estoient auparavant tout a fait esloignes »[269]. Le jour de son discours, Marca reçoit en effet des paroles courtoises et probablement des ouvertures[270]. Mais la réaction est en réalité plus graduelle. Toute décision ou communication des Consistoires est mûrement réfléchie et préparée, au moyen de différentes assemblées et juntas qui rendent des avis successifs ; la procédure est parallèle à la Generalitat et au Conseil des Cent. Du côté des députés, on réunit le lendemain du discours, le 15 février, la Trentasisena, groupe de 36 personnes représentant les trois estaments. Elle prescrit, afin de donner une réponse au roi, de nommer une nouvelle junta de personnes, prises en son sein, qui confrontera son avis avec la junta nommée par la ville de Barcelona[271]. Quinze personnes sont donc nommées le 16, Pau del Rosso et Ramon de Guimerà ne figurant plus parmi elles[272]. Le lendemain, les quinze font une nouvelle nomination, cette fois de quatre personnes (Quatreta) : Francesc de Monpalau, abbé de Banyoles, le docteur Francesc Gerona, chanoine de Lleida, Francesc de Ayguaviva et Josep de Nàvel[273]. Les jours suivants, les quatre se réunissent entre eux, puis avec les quatre autres que les conseillers de Barcelona ont nommés : à huit, ils rédigent un projet de lettre, qui, le 23, est validé par la Trentasisena puis par les Braços, réunis pour l’occasion. Le courrier est envoyé à l’ambassadeur à la cour, Puiggener : rédigé en termes généraux et indolores, il consacre l’abandon du débat[274]. Comment expliquer un tel retournement ? Des variations et des changements d’avis à l’intérieur même des Consistoires peuvent avoir eu un rôle – on a vu, à l’intérieur de la Generalitat, que les personnes qui agissent en février 1647 ne sont pas les mêmes que celles qui, en décembre 1646, avaient résolu d’envoyer à la cour un mémoire aussi violent. Des institutions au fonctionnement semi-démocratique peuvent suivre des mouvements divergents voire contradictoires selon les moments – question à laquelle les historiens n’ont sans doute pas été assez sensibles. On peut aussi penser à un esprit de résignation qui s’était progressivement emparé des Consistoires, à mesure qu’ils se rendaient compte que l’on ne reviendrait pas sur le principe d’une trêve. A cela, il faut ajouter que les rapports entre les Consistoires et la cour sont fortement modifiés par l’envoi en Catalogne du prince de Condé comme vice-roi : la nouvelle, reçue à Barcelona le 11 mars 1647[275], soulève une joie et une espérance authentiques, les lettres royales présentant le choix d’un personnage d’un tel rang comme la preuve de l’attachement pour la Catalogne et de l’envoi de forces suffisantes pour reprendre Lleida.
On sait qu’en réalité, les chances que l’Espagne accepte la trêve proposée par la France sont minimes : c’est justement ce que Mazarin fait jouer en lançant cette offre, et c’est précisément ce qui n’est jamais dit aux personnes résidant en Catalogne, que ce soit aux Catalans, pas plus qu’à Marca ou au comte d’Harcourt, et encore moins au prince de Condé, que le cardinal envoie en fait en Catalogne pour l’éloigner de la cour. De fait, toute l’information destinée à la Catalogne est partielle : le 13 février, Marca est nouveau chargé de faire une annonce aux Consistoires, cette fois que l’Espagne a accepté que la trêve soit fixée à 30 ans et, le plus important, que le Roussillon et l’Artois seront gardés par la France en pleine propriété. Significativement, la lettre demande à Marca d’informer les plénipotentiaires des raisons de retenir la Catalogne en propriété, qui ne sont pas encore aussi « eclaircies » que celles du Roussillon[276]… Le Tellier le prie d’assurer aux Consistoires que le roi ne consentira pas à la désunion de la Catalogne et du Roussillon, et que la trêve est une solution de nécessité[277]. Mais, si les Français ont bien délivré un projet de traité à la fin du mois de février 1647, le résultat de l’initiative est très décevant : les Espagnols répondent en donnant leur propre projet le 26 février, qui est encore pire que le projet français, déjà assez confus. Dans leur Instrumento, les Espagnols acquiescent pour une trêve de trente ans, c’est un fait, mais durant tout le mois de mars, tous les articles relatifs à la trêve (25 à 33) sont l’objet de chicanes incessantes montrant qu’ils ne sont pas déterminés à avancer le traité, alors que les Français eux-mêmes sont assez mal informés sur les questions spécifiques à la Catalogne et qu’ils naviguent à vue – non pas tellement, comme le dit la lettre officielle du roi à Marca, sur le fait que la Catalogne doive revenir au roi en pleine propriété (cette question n’intéresse nullement Mazarin qui la manie selon les opportunités), mais plutôt sur la dépendance des places fortes. L’article traitant d’une éventuelle restitution des biens confisqués, aussi peu clairs dans le projet français que dans le projet espagnol, ne sont pas du tout accordés.
Pourtant, en Catalogne, les rumeurs pullulent : quel pourrait-être le rapport de ces rumeurs avec l’opinion catalane ? Elles sont parfois bien fondées, malgré le fait qu’on veuille les étouffer. Ainsi quand Le Tellier demande, en avril 1646, au comte d’Harcourt de démentir que la France est disposée à rendre la Catalogne et le Roussillon à l’Espagne[278] ; en juin 1646 ensuite, au retour de Martí et Ardena à Barcelona, « s’estant formé un bruict que la paix estoit conclüe entre la France et l’Espagne, en rendant la Catalongne moyennant la recompense des Comtez d’Artois et de Roussillon, et que l’on ne faisoit mention de la Treve que pour donner couleur aux choses »[279]. La réalité est grossie, évidemment, mais ces rumeurs ont un fond d’exactitude. Le bruit rapporté le 18 mars 1647 par Pau del Rosso à Mazarin nous renseigne bien sur le climat ambiant depuis l’annonce officielle des trêves à Barcelona, et depuis l’annonce de la conservation du Roussillon. Dans sa lettre, ce fidèle du cardinal explique que les lettres annonçant la prochaine venue du prince ont été reçues avec enthousiasme en Catalogne, et que lui-même a fait tirer des coups de feu pour célébrer l’événement. Le prince est décrit comme la cour veut qu’il soit perçu : le secours de la Catalogne. Mais tout le monde ne semble pas convaincu…
« Le Prince de Condé, fouet des Espagnols, restaurateur de ce Principat, consolation de ceux qui ont donné le Principat de Catalogne à la couronne de France […] : avec sa royale présence, nous serons en paix et les ennemis confus, eux qui s’attendaient à ce que la France nous laisse, conformément aux espérances qu’ils tiraient des mots qu’on avait mis dans le mémoire, à savoir que Sa Majesté envoyait toutes ses forces en Flandres et en Italie. Ce point fut mis par fray Sala, abbé de Sant Cugat, aux côtés du Régent Fontanella : il vaudrait mieux que l’un et l’autre soient dans d’autres terres, et non en Catalogne, car ils ont osé faire cela sans que ceux de la Députation ni ceux de la Junta ne le sachent, sinon les conseillers de la ville, le Régent répandant le soupçon que Sa Majesté nous laissait et se réservait les comtés de Roussillon et Cerdagne, ce pourquoi on reprenait les revenus de Canet en Roussillon […]. Ce que je n’ai jamais pu croire, mais plutôt publier tout ce que nous devons à Votre Eminence […] »[280].
Le mémoire auquel il est fait référence est sans doute le mémoire adressé par les Consistoires au roi en décembre 1646, qui contenait des points difficilement admissibles, comme par exemple le passage où l’on disait que le roi ne pourrait jamais envoyer de forces en Catalogne car il n’aurait pas le temps. En revanche, ce que dit Pau del Rosso est très inexact : certes, le mémoire qui a été finalement choisi par les Consistoires était le mémoire rédigé par les conseillers de la ville de Barcelona. Mais ce n’était pas, visiblement, sans l’autorisation des membres de la Generalitat – on est suffisamment revenu sur la complexité des procédures démocratiques qui font intervenir, de façon égale, les deux institutions – ; et, plus encore, c’est bien le mémoire des députés de la Generalitat (celui qui avait été écarté) qui comprenait la critique désormais dénoncée par le doyen del Rosso… Mémoire rédigé, d’ailleurs, par une commission dans laquelle il figurait lui-même ! Que le doyen ait été favorable à la trêve dès décembre 1646, ou qu’il ait changé d’avis après le discours de Marca ne change pas grand chose : cela montre surtout que l’opinion catalane, loin d’être unique et univoque, a une orientation diverse selon la personne et selon le destinataire. Pau del Rosso, en tant que membre à la fois du plus important chapitre cathédral de Catalogne, celui de Barcelona, et de l’institution la plus prestigieuse, la Generalitat, bénéficie donc aussi bien d’une voix importante au sein de ces organismes que d’une correspondance privilégiée avec Mazarin, ce qui l’invite à adapter son discours. Il sera élu président de la Generalitat en 1650 et prêtera sermant à don Juan d’Autriche à son entrée à Barcelona en 1652…
Il ne faut pas négliger pour autant la rumeur que rapporte Pau del Rosso au sujet des biens confisqués. Selon lui, le point litigieux du mémoire des Consistoires a été introduit par l’artifice de Gaspar Sala et du Régent Fontanella. On retrouve là les querelles de clans propres à la Catalogne, à mille lieues des négociations de Münster, mais pourtant pas si déconnectées de leur progression – ou du peu d’informations filtrées (et déformées) que l’on en reçoit. Fontanella et Gaspar Sala étaient membres de la faction hostile au maréchal de La Mothe ; les deux ont été appréciés et caressés par le comte d’Harcourt. En 1648, Gaspar Sala ira même jusqu’à dire que « deux Catalans seulement ont écrit au service de France et de Catalogne : ce sont le docteur Martí et l’abbé de Sant Cugat »[281], Martí étant l’âme de cette coterie. La rumeur de la rétention du Roussillon sans la Catalogne s’allie ici, de façon singulièrement parlante, à une question concernant personnellement le Régent : en 1646, le comte d’Harcourt lui avait fait attribuer l’usufruit de la vicomté de Canet[282], grâce qui ensuite, après le départ du comte, avait été mise en doute sur les instances de Marca. L’aigreur du Régent contre ses ennemis lui faisait peut-être (on ne peut pas certifier l’authenticité de ces propos) répandre des rumeurs de même nature que celles des mal affectes. Mais ces rumeurs de politique générale n’avaient pas besoin de Fontanella pour se répandre d’elles-mêmes, puisqu’elles couraient depuis plusieurs années. Quant à la révocation projetée du don fait à Fontanella, à l’évidence, cétait l’effet de la méfiance qu’on avait pour lui (ou bien de la palinodie et de la désorganisation, toujours de mise dans l’administration des biens confisqués), et non pas d’une volonté politique : à cette étape, les plénipotentiaires s’échangent des bouts de papier et, fin mars, Longueville, au bord de la rupture, menace de retirer son projet aux médiateurs. En avril, on repart à zéro et les Espagnols transmettent aux Français leurs propres articles revus et corrigés, au compte-goutte ; puis les négociations ralentissent quand la campagne reprend, pour finalement s’interrompre en juillet avec le départ de Peñaranda alors que la trêve de Catalogne n’est même pas remise sur le tapis.
Ainsi, Marca continue à rendre compte à Le Tellier de ses suggestions pour l’administration des confiscations, il lui suggère de donner le comté de Pallars à la marquise de Fimarcon, descendante lointaine d’une famille catalane[283], mais Le Tellier lui répond curieusement :
« Il est constant, Monsieur, que les ouvertures qu’il vous a plû me faire sur cela sont les meilleures, mais je prevoy que la paix arrivant, et le droit de confiscation que Sa Majesté a sur ledit comté, qu’elle pourroit cedder, venant a cesser, et le duc de Cardonne a rentrer dans la jouissance de ses biens, il seroit difficile de l’empescher de faire valloir son droit sur le comté de Paillas »[284].
L’idée d’une restitution générale des biens confisqués n’avait pas pénétré que les sphères Catalanes, mais semblait aussi admise par un ministre comme Le Tellier, alors que cette clause était dans le projet de traité de paix générale (articles 17 et 18) mais pas dans les articles relatifs à la trêve de Catalogne… Cela signifie-t-il que Le Tellier se trompait et confondait le traité général et les articles de Catalogne ? Il est permis d’en douter. C’était sans doute surtout que Mazarin, contrairement à ce qu’il faisait en 1646, avait désormais besoin de répandre la rumeur que la paix (retardée par les Espagnols) allait être vite signée : il fallait montrer au monde, particulièrement aux Pays-Bas, que la France la désirait plus que toute autre chose. Au même moment, Mazarin écrivait à Condé, qui était en train de se démener devant Lleida, que les Espagnols concluraient promptement la paix pour arrêter les progrès français[285]… On sait ce qu’il devait en advenir.
Après leur acceptation de la trêve, les Consistoires entrent dans une période de relative atonie sur le plan de la diplomatie. S’étant acquitté de sa dernière mission, leur ambassadeur Francesc Puiggener est prié de s’en retourner à Barcelona[286]. Leurs rapports avec la cour sont perturbés par deux affaires : le refus catégorique de la part de la Generalitat, malgré les ordres répétés, d’accepter que Marca fasse sa « visite » des institutions afin d’en retirer les éléments suspects, ainsi que les multiples tentatives du même Marca pour contrôler les élections des députés et des conseillers. On retrouve alors au premier plan le docteur Martí, revenu à Barcelona après son ambassade mais traîné dans la boue par les Consistoires. Il semble, pour ainsi dire, que ces derniers se soient vengés sur Martí de ce qu’ils ne pouvaient plus remontrer directement à l’autorité royale : leur ressentiment pour la politique générale de la France. Commencées dès son retour, les poursuites s’étaient calmées en octobre 1646. Mais Martí n’avait pas pu récupérer son office d’avocat fiscal de la Batllia General, toujours détenu par son rival Cisteller ; il avait été récompensé par des lettres de Conseiller du roi en ses Conseils d’Etat et privé, mais réclamait des dons substantiels, étant empêché par ses ennemis de toucher sa part des revenus des biens confisqués[287]. En mai, les poursuites reprennent : la Generalitat nomme une commission de six personnes chargées d’examiner les préjudices et illégalités contenues dans son livre le Manifiesto de la fidelidad catalana, dans laquelle se trouve le doyen Pau del Rosso[288] ; nombre élargi à 15 ensuite. Le 26 avril, Marca se rend à la Generalitat et demande aux députés, de la part du prince de Condé, de cesser les poursuites sous peine d’encourir la colère royale : il lui est répondu que sur le grief de la désobeissance aux instructions,le livre contient l’affirmation que la Catalogne appartient à la France « jure hereditario et successionis », ce qui est préjudiciable et va contre les pactes de la province, et que le roi sera servi et satisfait qu’on continue ce procès[289]… Les audiences commencent en juin. Un jour, Marca vient à l’improviste et réclame d’y assister : il déclare alors que l’affirmation du droit héréditaire, exposée par Martí, est précisément « la plus grande par laquelle la France soutient au traité de Münster la conservation de cette province », et qu’il n’y a pas de contradiction entre le fait que le roi de France ait un droit héréditaire sur la Catalogne et le fait que les institutions aient fait l’élection de ce souverain… Marca parle, et s’en va : le procès continue[290]. Martí est interrogé le 28 juin. La cour est aux aguets de ce procès, dont Martí rend lui-même compte à Mazarin[291]. Les séances donnent lieu aux dernières grandes défenses du pactisme de la part des institutions catalanes. Le Conseil des Cent ne tarde pas à participer aux procédures[292]. Dans sa lettre au cardinal du 16 juillet, Martí revient sur tous les déboires du procès, que nous n’avons pas à reprendre ici. L’important est que, dit-il, Marca mesure avec lui le danger que peut représenter une telle opposition pour la Province dans le traité de la paix générale, les mal affectes s’étant introduits dans l’opposition au livre, faisant de cette cause celle de la défense de la Patrie : le peuple, ignorant, peut tomber dans la tromperie. Et c’est le retour de l’Espagne en Catalogne qui redevient possible. Martí fait appel à la Reial Audiència, ce qui a pour effet d’aggraver les poursuites.[293].
Marca est très partagé sur le sort de Martí. Le résumé du procès qu’il fait à Le Tellier nous apprend que, s’il tentait d’arrêter les poursuites contre le docteur afin d’exécuter les ordres du roi – Martí étant un protégé de Mazarin – il avait des doutes sur sa personne et en arrivait même à comprendre certains aspects de la position des Consistoires. N’oublions pas de quelle faction Martí était membre…
« L’exemple du docteur Marti fait voir avec quelle impatience l’on prend en ce pais l’exces des biens faits dont on charge les gens de petite condition qui veulent s’avancer en nuisant aux autres. Ses intrigues avec M. le comte d’Harcourt luy ont causé la haine publique, aussi bien qu’a Morel. Elle a esté augmentée par la jouissance des biens confisqués qu’il luy a donnés, et l’office de Juge de Cour a son pere, comme l’on a donné au fils des lettres de Conseiller d’estat. »
Quand il rentre dans le fond du procès, Marca affirme que ce ne sont pas seulement les mal affectes, mais aussi certains fidèles, qui trouvent à redire au livre de Marca : le fait qu’un commissaire de la province imprime un livre pour défendre les droits du roi avant d’avoir juré les pactes de l’élection peut donner motif à s’en dispenser, et à se déclarer maître absolu, comme l’avaient fait les prédécesseurs rois d’Espagne qui oeuvraient en usurpateurs… Ne retrouve-t-on pas là, un peu, le Marca connaisseur des Constitutions de Catalogne ?
« Ils disent que les plenipotentiaires peuvent traiter a Munster de ces affaires et qu’on peut leur fournir des instructions pour faire valoir ces droits successifs, mais qu’il est prejudiciable a la province qu’un Catalan délégué par elle imprime ces choses. »
La situation devient intenable quand les Braços décident d’emprisonner Martí, mais cette décision ne fait pas l’unanimité à la Generalitat. S’il était sorti à ce moment-là dans la rue, dit Marca, le peuple l’aurait mis en pièce. Il l’héberge alors une nuit dans sa maison, et met à sa disposition son carrosse le lendemain[294]. Le 31 juillet, Martí quitte Barcelona pour rejoindre Toulouse, puis la cour, et trouver un remède à ses persécutions[295]. Dans les mois qui suivent, les charges s’aggravent contre lui : entretemps, le procès est devenu un procès criminel, Martí étant accusé d’avoir eu des intelligences et les ennemis, d’avoir été l’ami de l’abbé de Galligans promoteur de la conspiration de 1645, d’avoir précipité la mort d’Onofre Aquiles pour qu’il ne témoigne pas contre lui… Ces griefs sont souvent basés sur des rancoeurs issues du temps où Martí, en accord avec Pujolar, dénonçait le maréchal de La Mothe, Margarit, et leurs alliés. L’accusé ne se désespère pas et rédige de colossales défenses qu’il adresse à son protecteur. En réalité, Martí n’est pas reçu immédiatement à la cour, mais à Paris. De ses persécutions, il tire gloire et fierté et va jusqu’à réclamer d’avoir une place à la cour, d’entrer au Conseil d’Etat. Il rejoint le sort de Pujolar qui, lui aussi, sera révoqué en 1648 par les Consistoires. Martí va jusqu’à dire qu’il n’hésitera pas à « laisser pour tousjours l’habitation de sa patrie »[296].
Les services d’ordre diplomatique de Martí reprennent donc, malgré sa situation critique, et justement parce qu’il a plus que jamais besoin de montrer son dévouement au cardinal. Cela tombe bien, à Münster aussi la situation est catastrophique. Les négociations ont repris en septembre, mais elles traînent et les Espagnols font montre d’une mauvaise volonté rarement atteinte jusque-là : l’article 26 sur la trêve de Catalogne est toujours bloqué et les Français se plaignent de n’avoir aucun éclairage précis sur ces matières. Servien suggère à Lionne d’envoyer un Catalan à Münster[297] : pense-t-il au docteur Martí, qui a déjà donné son avis à plusieurs reprises par le passé ? La cour ne peut raisonnablement pas répondre à cette demande, puisque depuis Fontanella il est devenu comme une maxime que les Catalans seront maintenus hors de Münster, et que l’on filtrera soigneusement leurs avis qui y parviendront. Nous ne conservons pas les ordres ou instructions donnés à Martí, mais les demandes durent être suffisamment précises : le 18 novembre, à peine vingt jours après l’envoi de la lettre de Servien, le docteur rend son travail, un mémoire de 31 articles[298] où il répond « obéissant à l’ordre qu’on a donné à celui qui écrit ce discours d’y ajouter tous les articles qui paraîtront nécessaires pour le bon établissement de la trêve »… Il traite de façon très approfondie des places de Catalogne, des limites territoriales qu’il faut réclamer par rapport à ce qui existe dans la province, ce qui correspond aux points litigieux qui doivent figurer dans l’article 26 du traîté ; mais aussi des questions bénéficiales, du commerce, de la liberté de circulation, des confiscations et du retour des Catalans exilés. En ce qui concerne les places fortes, Martí met en garde sur les changements survenus depuis décembre 1646, date où Marca avait envoyé son mémoire à ce sujet « avec la participation de monsieur le comte d’Harcourt et de quelques Catalans affectionnez et intelligens »[299], seul document précis que les plénipotentiaires avaient à ce sujet. Comment la France pouvait-elle avancer des prétentions crédibles quand plusieurs places avaient changé de main ? Àger, dans la région de Balaguer, avait été repris par les Français par le prince de Condé, ce qui faisait un certain contrepoids à l’échec de Lleida. Du côté de cette dernière ville, les Français avaient pu fortifier les châteaux d’Arbeca et de Castelldasens ; du côté de Tarragona, enfin, Salou et Constantí. Bien que le sort de la Catalogne fût très incertain sur le plan diplomatique, les autorités locales n’avaient pas l’intention de céder un pouce de terrain aux Espagnols – et, même s’ils y auraient eu, comme nous l’avons vu, quelque fondement, les Catalans ne pouvaient pas affirmer au cours de l’année 1647 qu’ils étaient abandonnés par la France. Cette réalité est exactement parallèle à la politique « possibiliste » de Mazarin, aussi étrange que cela puisse paraître.
A Münster, les Espagnols voudraient pousser à la maxime suivante : qui tiendra le lieu principal retiendra les dépendances. C’est le fondement des prétentions du roi de France en Flandres et en Artois… raisons précise pour laquelle il faut éviter d’être léger sur ce point, et considérer dans le détail la situation de Catalogne. Martí prescrit d’établir seulement les dépendances des places que possède le roi d’Espagne : Tarragona, Tortosa et Lleida. Les limites des juridictions, des seigneuries, sont très confuses et intriquées, d’où un grand nombre de procès entre seigneurs, particuliers, communautés. Le docteur examine tour à tour trois divisions possibles : l’une, basée sur les vigueries, doit être écartée car les trois places sont sièges de viguerie et que le roi d’Espagne pourra ainsi réclamer un grand périmètre, contenant notamment les places reprises par les Français. La deuxième est basée sur les régions physiques ou géographiques, mais elle n’est pas plus satisfaisante, car le roi d’Espagne pourra, en se basant sur des régions comme le Campo de Tarragona ou le Pla d’Urgell, récupérer beaucoup plus de villes encore qu’en prenant les vigueries : ainsi le Campo de Tarragona ne dépend pas de cette ville en toutes ses parties, pas plus que le Pla ne dépend de Lleida ; de plus, les fortifications reprises par le roi verrouillent des parties de ces régions. Pour lui, c’est une troisième base qui doit être retenue, celle des « territoires » (« territorios »), puisqu’en Catalogne rien ne dépend des villes si ce n’est leur territoire (équivalent approximatif du plat pays français) : mais elle est difficile à utiliser car les plénipotentiaires ne possèdent pas sur place les papiers (« actos o Rodalíes ») dont les villes disposent pour définir leurs limites et arbitrer leurs conflits. Aussi, il prescrit qu’un arbitrage ait lieu – comprendre, une décision diplomatique, inscrite dans le traité – établissant que l’extension maximale de ces territoires sera d’une lieue.
Le mémoire déroule une longue liste des lieux qui peuvent être accordés au roi d’Espagne. L’esprit général est : plus précis on est, moins il y aura de contestations. Quand on lit ce texte, on se rend compte que Martí, à juste titre, pensait indispensable d’insérer des éléments aussi précis dans les articles mêmes de la trêve. Il dénombre les villes potentiellement cessibles à l’Espagne à 72, qui sont situées « au-delà » (« mas alla ») des trois places : le Roi Catholique ne peut mésestimer cette ouverture, à laquelle le Très Chrétien n’est pas obligé, et qui n’a de motivation que de favoriser la conclusion de la paix. Cette proposition garantit la rupture de la trêve car les limites sont représentées par de bonnes forteresses ou bien par des cours d’eau (Ebre et Segre). L’article 10 montre bien la criante divergence de conceptions et d’intérêts entre l’individu Martí et les institutions catalanes :
« Mais pour supprimer toutes les difficultés qui peuvent se soulever à accorder la limitation des territoires, et pour que Sa Majesté fasse démonstration de la châleur avec laquelle elle désire conclure une paix durable et véritable, ménageant dans la trêve de Catalogne un parti avantageux aux deux couronnes – bien que celle de France concède plus, et de beaucoup, de ce que peuvent comprendre les dépendances de Tarragona, Tortosa et Lleida – on propose la désignation suivante des termes et limites, qui est tout ce que Sa Majesté peut condescendre pour ne pas laisser la Catalogne courir un risque manifeste, ni laisser la voie ouverte à la rupture de la trêve »[300].
Le souci de la sécurité du Principat demeure, mais l’esprit de Martí est mûr pour la négociation. Il adopte la même terminologie, la même façon de penser que les plénipotentiaires qui voient dans chaque proposition, dans chaque détail d’un accord, tout ce qui peut être exploité par le discours officiel comme une ouverture pour la paix. Martí est (ou aspire à être) un diplomate, ce que ne sont pas les Consistoires.
Les articles « supplémentaires » (19 à 30) – ceux sur lesquels Martí ne semble pas avoir été directement interrogé mais qu’il ajoute conformément à la demande d’insérer tout ce qui sera utile pour la trêve – correspondent au contenu des articles 27 à 34. Au 18 novembre, ces derniers sont considérés comme accordés par les plénipotentiaires. C’est l’article 26 sur les fortifications et limites qui fait litige, pour ce qui concerne la Catalogne, en plus des nombreux autres points primordiaux (conquêtes, affaires d’Italie, Portugal…), nous l’avons expliqué plus haut[301]. Martí prend donc l’initiative de donner son avis sur une matière où, certes, il est naturellement indiqué pour s’exprimer, mais qui ne semble pas vraiment faire débat tant les points litigieux entre les deux couronnes semblent plus importants. Cette initiative laisse penser que Martí avait eu en main le texte des articles français, rédigés depuis le 21 février 1647[302], peut-être lui avaient-ils été transmis pour l’informer en vue de rédiger son propre mémoire ? En effet, comme nous l’avons expliqué, ces articles rédigés dans la hâte étaient très équivoques et confus. Sur la question des bénéfices ecclésiastiques, d’abord, les articles 26 à 29 établissent un système reposant sur l’attribution à chaque souverain du pouvoir de nomination pour les sièges qu’il possède en son obéissance, ce qui est approuvé par Martí : il confirme que le roi de France devra pas s’opposer aux bulles de l’archevêque de Tarragona, choisi par les Castillans, ni à celles des autres évêques de la zone castillane. Cependant, l’application de ce système, qui est bancale dans les articles du traité, se voit amplement commentée et précisée dans le mémoire : le vicaire-général chargé d’exercer la juridiction ecclésiastique dans les parties des diocèses qui resteront à l’obéissance du roi de France (mesure de l’article 27) devra non seulement être nommé par ce souverain, mais aussi nommer les batlles et officiers judiciaires des villes sous le pouvoir des évêques, et encore présenter tous les candidats aux bénéfices inférieurs habituellement pourvus par l’archevêque de Tarragona. Sa justice sera en première instance, et également en appel dans les causes jusque-là réservées aux évêques et à cet archevêque. Le but n’est pas de « priver l’archevêque d’aucun de ses droits et émoluments, mais seulement assurer la conservation de l’état de Catalogne durant la trêve », ce pourquoi le vicaire-général remettra intégralement les revenus à l’archevêque et touchera un salaire. C’est un renforcement considérable des prescriptions du projet de traité. Le manque principal de ses dispositions bénéficiales, à savoir l’absence totale de référence au pape alors que ce dernier bloquait depuis le début de la guerre les provisions françaises, est également pris en compte : « Cet article doit s’accorder premièrement entre les deux rois, mais pour qu’il soit valide et ne puisse jamais être rétracté, il requiert d’être ratifié par le Saint Père, dont il convient que la ratification, matière de haute importance, soit faite avant de conclure le traité de la trêve » [303]. Considération pragmatique enfin : dans son point n°22, Martí conseille de nommer d’autres évêques à Barcelona, Girona, Urgell et Vic, car les actuels vivent dans le territoire du Roi Catholique et ne pourront pas (comprendre, ne voudront pas) prêter le serment de fidélité au roi de France. En réalité, le roi de France avait déjà nommé des évêques à ces sièges, mais sans assentiment du pape, et ils ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre…
Sur le chapitre du commerce, contenu dans l’article 30 du projet de traité, le 27e point du docteur Martí apporte des réponses tout à fait différentes. L’article 30 considère certes que sous le prétexte de rétablir le commerce, la liberté de circulation sera restaurée, ce qui incitera des mal affectes à fomenter la trahison en Catalogne ; mais le commerce ne sera que sursis au moment de la signature de la trêve, jusqu’à ce que des commissaires se réunissent pour décider des formes qu’il devra prendre ensuite, sur la base d’accords amiables. Tout le danger des accords amiables est que, s’ils n’ont pas une base solide précisée dans le traité, ils seront contestables et emportés par le rapport de force. La solution de Martí est donc de prendre une décision immédiatement, et, là encore, de réaliser un arbitrage. Il sépare le cas du commerce de terre et du commerce maritime. Pour le commerce de terre, on choisira une ville, Arnes (act. province de Tarragona, comarca de Terra Alta), dont la particularité est d’être ouverte, sans remparts, à la frontière d’Aragon, Valencia et Catalogne, dont on fera une ville neutre durant toute la durée de la trêve, avec des franchises (« que esta sea una escala franca ») et une justice administrée par les consuls. Quant au commerce maritime, il sera rétabli car il implique des communication avec Naples, Sicile et la Sardaigne, qui sont suffisamment éloignés pour éviter un danger aussi important que dans le cas des royaumes ibériques. Le problème de la liberté de circulation, contrairement au traité, n’est pas pris à la légère. Il est retranché de celui du commerce, et se voit envisagé en particulier à travers les conséquences judiciaires et juridictionnelles (point totalement ignoré par ailleurs) qui pourraient en découler.
« 28. […] L’expérience a enseigné que la principale maxime appliquée par l’ennemi en Catalogne a été, en utilisant les mal affectes, de semer la discorde et la dissension entre les bons serviteurs de Sa Majesté, et de faire en sorte que les plus fidèles et ceux qui se sont le plus signalés en faveur de la France soient poursuivis et opprimés, croyant qu’une fois que ceux-ci seront retirés, il pourra rétablir plus facilement sa domination dans le Principat – et c’est là la cause principale de l’aversion qu’a montré la Catalogne pour la conclusion de la trêve, parce que ceux qui se sont le plus signalés dans le service de Sa Majesté et conservation du Principat craignent (et avec raison) que sans la guerre, l’ennemi montrera la plus grande application et résolution à faire tuer aujourd’hui une personne, demain une autre, les délinquants et assassins ayant l’assurance de se retirer en un jour ou deux à Tarragona, Tortosa et Lleida et de là-bas (s’ils le veulent) dans les autres royaumes du Roi Catholique ; c’est sans doute ce que tentera l’ennemi, car c’est là le moyen le plus efficace pour réussir son dessein ».[304]
Cette sensibilité aux questions criminelles et juridictionnelles n’étonnent pas venant du fils de l’un des magistrats les plus distingués de la Reial Audiència, tribunal dont le travail est immensément compliqué par l’état de guerre endémique dans la province. Ce tribunal s’est plaint à de nombreuses reprises que, faute de moyens, la justice n’est plus exercée en Catalogne. Quant à la référence à « la cause principale de l’aversion qu’a montré la Catalogne pour la conclusion de la trêve », il faut bien la noter : la crainte du retour des ennemis est en première place dans tous les mémoires des Consistoires. C’est en revanche sur les confiscations que Martí avait, au printemps 1646, posé de façon inédite les bonnes questions.
De grandes dispositions apparaissent donc dans son mémoire de novembre 1647, qui sont des nouveautés par rapport au projet de traité. La formulation du projet, dans l’article 31, atteint des sommets d’indétermination : « On n’entend pas neantmoins par ladicte surseance de commerce d’empescher aux vassaux et subjets tant communautez que particuliers de l’un ou l’autre party la libre et paisible jouyssance de leurs biens, encores qu’ils se trouvent sitüez soubs l’obeissance du party contraire ». On peut comprendre cet article dans le sens suivant : la possession des biens des membres de chacun des deux partis sera maintenue. Mais, comme nous l’avons dit plus haut, cela ne dit pas si les biens confisqués (et dont, par définition, dont la jouissance – si ce n’est la propriété – a été transportée des uns aux autres) doivent être restitués à leur propriétaire antérieur ou maintenu à leur bénéficiaire. De plus, les personnes chargées de recouvrer les revenus ne devront pas être suspectes au souverain dans l’obédience duquel les biens se situent. Martí, quant à lui, est catégorique :
« 29. Item, on met en garde que dans le traité de la trêve, sous influence ou persuasion des plénipotentiaires du Roi Catholique, ne se fasse aucune capitulation ambiguë ou qui d’une autre manière puisse préjudicier aux biens que Sa Majesté a confisqué en Catalogne aux mal affectes. Si ceux-ci revenaient jouir desdits biens, ce serait ouvrir le chemin le plus certain à la perte de la Catalogne, parce que ces biens comprennent une grande partie de la province et consistent presque tous en juridictions pour l’administration desquelles les seigneurs nomment les batlles et autres officiers de justice. Et il est certain que s’ils revenaient les recouvrer, étant mal affectes, ils nommeraient des personnes du même genre, par quoi la justice en viendrait à être administrée par les ennemis de Sa Majesté »[305].
Le discours, les prescriptions n’ont pas changé depuis juin 1646. On a fait qu’ajouter l’argument de la contamination des juridictions baronniales, qui découle du même ordre d’idées que les mises en garde sur la liberté de circulation. Mais la situation, elle, a changé. En 1646 Martí voulait à tout prix éviter que la question soit même abordée dans les négociations. Il voulait, pour reprendre l’expression déjà employée, éviter de tenter le diable. D’où son initiative de taire les revendications pro domo des conseillers de Barcelona qui voulaient récupérer leurs biens perdus dans le royaume de Valencia et en Aragon. Pour Martí, ils devaient s’en passer : le sacrifice était minime, comparé au scandale que représenterait la dépossession de tous ces Catalans fidèles qui avaient été récompensés de leurs services (du moins, en théorie). Martí était un partisan acharné du statu quo. Désormais, quand la propagande officielle française déclarait le traîté quasiment signé, quand un projet de traité existait effectivement dont les articles généraux (ne concernant pas la Catalogne) comportaient la restitution générale et dont les articles sur la Catalogne étaient ambigus, il fallait pousser à rédiger des clauses de statu quo, pour que le concept de trêve soit suivi jusqu’au bout.
Martí était sans conteste l’un des mieux informés – il avait peut-être eu en main le projet de traité –, l’un des mieux écoutés, mais il était, comme peu ou prou la plupart des acteurs du moment (Catalans et Français gouvernant la Catalogne) dupe d’une illusion diplomatique. Dans l’article 29 de son projet, il parle de l’ « influence ou persuasion des plénipotentiaires du Roi Catholique » ; dans l’article 30, il dit : « on met en garde que, au cas où les plénipotentiaires du Roi Catholique demandent la faculté pour les Catalans qui sont dans ses royaumes de revenir en Catalogne, on ne leur concède pas une telle faculté générale »[306]. Mais à ce stade, les plénipotentiaires du Roi Catholique n’étaient pas du tout dans la perspective de faire des efforts pour pousser tel ou tel point, pour arracher une concession aux Français : ils ne voulaient absolument pas signer de traité. La forme de l’instrument n’était même pas en cause. Le texte qu’ils avaient délivré avant de se rétracter et de revenir au projet français ne trompait pas Longueville : ce n’était qu’un prétexte, toute la volonté de Peñaranda étant à la signature de l’accord hispano-hollandais. Faut-il pour autant mettre en doute l’utilité du mémoire commandé au docteur Martí ? On ne peut pas considérer qu’il soit lié au désir de propagande à destination de la Catalogne. Martí, nous l’avons vu, n’est plus en odeur de sainteté aux Consistoires depuis longtemps, c’est le moins qu’on puisse dire. Nul ne pouvait alors affirmer qu’il représentait l’opinion catalane : il jouait cavalier seul, avec encore moins de comptes à rendre que Pujolar. C’est bien à la demande d’Abel Servien que ce texte vit le jour, car ce diplomate perfectionniste (ce qui d’après lui était un oxymore) voulait que chaque article soit d’excellente facture, ce qui n’était pas du tout le cas dans un projet rédigé à la hâte. Le mémoire de Martí est bien transmis aux plénipotentiaires, avec le mémoire royal du 29 novembre 1647[307]. Le 16 décembre, ils répondent : « sy les ministres d’Espagne en donnent moyen, nous nous servirons pour la Catalogne du mémoire du docteur Marty, qui est très bien faict et duquel nous pouvons tirer beaucoup de lumière »[308]… Mais les Espagnols ne donneront pas le moyen à la France de faire valoir quoi que ce soit, et déserteront Münster. Sans considération spéciale pour les Catalans, Servien les admettait dans sa réflexion par conscience professionnelle, avec le zène d’un négociateur qui voulait négocier et entendait parvenir à un résultat : il arrivera bien à conclure le traité franco-impérial fin 1648. En mai 1648 encore, il déclarait : « sy on pouvoit faire accepter le partage proposé par le docteur Marty, ce soit bien le meilleur»[309]… La diplomatie de Mazarin, peut-être, n’était d’une totale clarté que dans la cervelle du cardinal. Il serait finalement assez stérile de déterminer à quel degré les acteurs de ce jeu international étaient dupes les uns et des autres.
3. La paix après l’échec de la paix : fiction diplomatique et politique
Les Catalans profrançais continuent à craindre la paix
En mars 1648, le comte de Peñaranda quitte Münster d’une façon outrageuse envers Abel Servien, dont il trouve le rang trop bas pour daigner négocier avec lui. L’échec des négociations franco-espagnoles est consommé. Malgré quelques tentatives postérieures que nous allons évoquer, on ne peut plus parler de marche vers la paix : le traité ainsi que la trêve de Catalogne passent, pour l’heure, aux oubliettes. Cependant, durant toute la période qui s’étend de la rupture du dialogue à l’évacuation de la plus grande partie de la Catalogne en 1652, sous l’effet de fréquentes rumeurs et d’un flot d’informations erronées ou déformées, les Catalans profrançais continuent à craindre la perspective d’une paix entraînant la restitution des biens confisqués et le retour de leurs anciens propriétaires. Cette période est également celle de la déliquescence progressive du pouvoir français en Catalogne, entre sursauts d’autorité et défaitisme provoqué par l’insuffisance des moyens, la cour étant désormais ligotée par les évènements de la Fronde. C’est dans la partie suivante (III) que nous reviendrons sur l’aspect politique de ces évènements, nous contentant ici d’analyser simplement l’impact, l’ombre portée de l’idée de paix sur les élites catalanes. Cette fois, ce n’est plus une fiction voulue par la propagande de Mazarin – dont l’intérêt diplomatique variait et se déplaçait en fonction des circonstances –, mais plutôt une peur diffuse qui se réveille par moments et se nourrit essentiellement de la rumeur. Pas totalement iraisonnée quoiqu’avec un fondement limité, cette peur est utilisée par les esprits factieux à l’encontre de l’image de la France, ou bien par des esprits calculateurs ayant intérêt à répandre l’idée même que ce sont des mal affectes qui en sont à l’origine. Ces effets d’opinion et de bruits prennent alors une ampleur jamais atteinte jusque-là, d’autant que les interlocuteurs français habituels sont déficients.
Le Roussillon et la Cerdagne sont devenus un sujet brûlant depuis que les Catalans ont clairement compris que la France entendait les garder quel que soit le sort du Principat, et que l’Espagne s’y était résolue – acquis des négociations de Münster qui pouvait difficilement être remis en cause. Sujet brûlant, sujet de discorde entre Français et Catalans sans doute et entre différentes franges de la société catalane. Témoin cette rumeur, rapportée un an auparavant, en mars 1647, par le doyen Pau del Rosso et que nous avons déjà présentée : le Régent Fontanella, outré qu’on veuille lui retirer l’usufruit de la vicomté de Canet en Roussillon, aurait dit par dépit que cette disgrâce lui était infligée parce que le roi entendait garder le Roussillon en propriété et rendre le Principat[310]. En mars 1648, les circonstances ont changé, mais la question reste toujours aussi sensible. Le nouveau vice-roi, le cardinal de Sainte-Cécile, frère de Mazarin, a été chargé de mettre de l’ordre dans les affaires de Catalogne et de maintenir la bonne entente entre les serviteurs du roi. Au lieu de cela, il s’empresse de planifier sa propre distribution des biens confisqués et donne la vicomté d’Evol à l’intendant Goury[311]. La nouvelle cause un scandale immense. Marca réagit immédiatement : il soutient qu’il faut réunir la vicomté d’Evol, mais aussi celle de Canet, au domaine royal, à cause des convoitises qu’elles suscitent. Mais certains Catalans s’estimant lésés par la distribution des bienfaits interprètent tous ces évènements au filtre de leur ressentiment : selon Marca, un certain Réart, obscur gentilhomme de Perpignan, répand alors la rumeur que la vicomté de Canet a été donnée au gouverneur de Perpignan, M. de Noailles[312]. Ici, selon l’analyse de Marca, la rumeur est répandue pour attiser les conflits, par désir d’assouvir une petite colère personnelle – mais aussi, peut-être, par état d’esprit pro-castillan. Le 22 avril 1648 un Catalan adresse un mémoire au cardinal Mazarin contre le gouvernement de son frère : parmi les nombreux maux qui lui sont reprochés, il glisse une nouvelle interprétation de cette rumeur persistante :
« Plus encore, la provision qu’on a faite du comté de Canet en la personne du comte de Noailles, et du vicomté de Canet en celle du surintendant a causé de l’étonnement, faisant dire aux partisans de Castille et a beaucoup d’autres que la France voulait garder le Roussillon et la Cerdagne, et que le reste du Principat retournerait à l’Espagne. Ce qui est également confirmé par le fait que les cavallers qui étaient allés à cette cour en sont revenus désespérés, alors qu’ils ont servi à la guerre au prix de leurs biens et personnes depuis le début »[313].
La même rumeur qu’en 1647 était donc légèrement déplacée, se fusionnant avec une autre nouvellement répandue : le fait qu’on retire Canet à un Catalan était le signe que la France voulait garder le Roussillon ; désormais, c’était l’attribution de la vicomté à un Français qui attirait le même commentaire. Mais ces rumeurs, absolument infondées, font oublier la réalité : Marca poussait Le Tellier à faire réunir Evol et Canet au domaine royal, en partie pour retirer la jouissance de la vicomté à son ennemi Fontanella. Cette perspective de réunion, propre à soulever plus de défiance encore sur le thème de la conservation du Roussillon, passe pourtant inaperçue. Les rumeurs mettant en jeu les clans opposés de l’élite catalane se répandaient avec plus de fortune. Mais le danger était que les « partisans de Castille » ne se trouvaient pas seuls à les répandre : ils étaient imités par « beaucoup d’autres » jusque dans les cercles les plus proches du pouvoir français.
C’est toujours une information inexacte qui, à l’automne 1648, soulève de nouveaux remous en Catalogne. La paix entre la France et l’Empire s’approche réellement, avec le soutien de la reine Christine de Suède : à la fin du mois de septembre, le traité est prêt, et Servien arrive à dissiper les derniers obstacles, soulevés par les Espagnols, en exploitant la perspective que les princes de l’Empire et les Electeurs signent une paix séparée : le 24 octobre les traités de Westphalie sont signés, et le 27 la Gazette de France déclare : « En fin, cette Paix générale d’Alemagne, que l’on attendait avec tant d’impatience, a esté signée […] je me contenteray cependant de vous dire que l’on préjuge à la contenance des Espagnols qu’ils ne tarderont guères à suivre l’exemple des autres »[314]. Dans l’absolu, sous l’effet de l’événement positif – une rupture majeure de l’histoire européenne –, et probablement aussi de la prise de Tortosa par Schomberg en juillet 1648, on aurait pu croire à une évolution favorable du côté de l’Espagne ; mais dans les faits, le dialogue franco-espagnol était coupé et ne se réouvrait pas au moment des traités de Westphalie. C’est sans doute sur la lancée que, mi octobre, plusieurs personnalités catalanes reçoivent de mystérieuses lettres leur annonçant que Mazarin a rencontré un envoyé de Peñaranda… « Le Gouverneur, le Chancelier et quelques autres ont receu des lettres de Paris qui leur mandent la Paix comme une nouvelle asseurée, en suitte de la longue conference que l’envoyé du comte de Pignerande a eue avec Votre Eminence »[315]. Quelles pouvaient bien être ces lettres ? Mazarin rencontrera bien un envoyé de Peñaranda, Jean Friquet, mais seulement en février 1649[316], nous en reparlerons. A l’automne 1648, il disait encore à Servien : « Mon abouchement avec Pegnaranda n’est pas chose preste »[317]. La volonté de se rapprocher était certaine du côté du cardinal, mais Peñaranda préférait se rapprocher des ennemis de Mazarin comme la duchesse de Chevreuse qui au même moment se trouvait à Bruxelles. Aussi les dépêches parvenues en Catalogne émanaient-elles sans doute davantage d’individus isolés comme Magi Sivilla, qui fréquentait la cour sans y résider et y représentait les intérêts du Gouverneur Margarit, que de la cour même. La correspondance de Mazarin montre à quel point à ce moment précis, qui est le début de la Fronde, les rumeurs abondaient, notamment celles qui disaient qu’il était mort, qu’il allait être assassiné, tout cela alimenté par la sortie du roi et de la reine hors de Paris… A Barcelona, dès le 20 octobre, les députés et les conseillers de Barcelona se rendent chez le vice-roi pour une audience extraordinaire : les deux Consistoires la décident « de leur propre autorité ; et ils y traitèrent de certaines choses touchant le bénéfice de la province relativement aux paix générale qui se traitent à Münster »[318]. La séance dure une heure : les deux corps y ont sans doute fait part de leur inquiétude à la suite des nouvelles reçues, et demandé l’autorisation d’envoyer une ambassade au roi sur ce sujet. Le lendemain, le 21 octobre, les députés adressent une lettre au roi[319]. L’angoisse avait touché l’ensemble des institutions, puisque, le 23, les membres de la Reial Audiència adressaient également au roi un ample mémoire sur le même sujet, et aussi des exemplaires au cardinal Mazarin, à Gaston d’Orléans et à Le Tellier[320]. Le lecteur trouvera l’édition de ces deux textes en annexe.
Schomberg donne au cardinal le récit de cet épisode, qui permet d’éclairer à la fois l’état d’esprit des Consistoires et le sien propre. Sa prose est un des grands morceaux de bravoure de la période, elle dénote autant le fossé creusé entre le gouvernement français et les élites catalanes qu’entre le cardinal Mazarin et les supposés agents de sa politique.
« Je me trouve obligé de mander a Votre Eminence que toutte ceste Province est remplie d’une crainte qui ne se peut exprimer, et qui est encore un nouvel embarras pour moy. Elle vient de ce que le Gouverneur, le Chancelier et quelques autres ont receu des lettres de Paris qui leur mandent la Paix comme une nouvelle asseurée, en suitte de la longue conference que l’envoyé du comte de Pignerande a eue avec Votre Eminence, mais on leur asseure que le traitté se faict avec une circonstance qui les touche bien fort puis qu’ilz disent qu’ilz ne sont pas compris dans celuy de la Paix generalle, que l’on a seulement arresté qu’ils auroient trente ans de treve avec l’Espagne, et que ce seroit a condition que touttes les personnes de grande qualité qui ont leur bien dans le Pays pourroient venir sur les lieux en jouir.
Si cela estoit, ce que je ne croy pas, leurs trente ans de treve ne leur serviroient gueres. Car dans six mois les ducs de Cardonne, de Ceze, d’Albe, d’Ijar, les marquis d’Ayetonne, de Los Velles, et de Camarasse, les comtes de Ste Coulombe et de Peyrelade, et force autres dont il ne me souvient pas, auroient soubmis la Catalongne où le seul duc de Cardonne a dix mil subjectz et les autres a proportion, ainsy tous ceux qui ont esté bons Catalans se preparent desja dans leur imagination a passer en France avec le baston blanc.
Mais comme les Consistoires et Conseil Royal me sont venus trouver en corps sur ce sujet pour depputer en cour, je les en ay empeschez, leur faisant voir qu’il faloit que ceste nouvelle fust faulce puis que l’on ne m’en avoit rien mandé et que bien loin de laisser rentrer les seigneurs Castillans dans leurs biens, l’on vient de remettre monsieur le maréchal de La Motte en pocession du duché de Cardonne ; que ce qu’on leur avoit mandé estoit sans doubte un artiffice des malafectes dont Paris n’est pas exempt non plus que beaucoup d’autres lieux, et que quelqu’un de ces gens la sera sans doubte allé trouver ceux qui ont escrit lesdites lettres pour leur debitter soubz pretexte de compassion et de charité ceste malice, affin de donner vigueur a ceux de leur party en ce pays et abattre le courage des bons Catalans. Tant y a que je les ay empeschez en ceste sorte de vous importuner de depputation mais je n’ay pas cru leur devoir interdire tout a faict la consolation de vous faire entendre par lettres leur crainte, puis qu’elle est sy vifve, qu’ilz ne la peuvent cacher a personne […]. Il plaira a Votre Eminence leur faire escrire un mot en responce a chaque corps en cas que la chose ne soit pas, et si par hazard il avoit esté proposé quelque article semblable, comme il ne seroit pas necessaire que la Paix se rompist pour les interestz de Catalongne, je demande en grace a Votre Eminence que l’on leur cache ceste nouvelle jusques a ce que je sois hors d’icy. Ce que je souhaitte qui m’arrive fort bien tost »[321].
Schomberg demande ensuite à Mazarin de lui envoyer son congès pour pouvoir partir le plus rapidement possible prendre les eaux à Balaruc ou à Bourbon… Le caractère passablement pleutre de la missive est le signe même d’une situation intenable, d’où chaque vice-roi envoyé – que ce soit Condé, Sainte-Cécile ou Schomberg – tentait de se tirer à peine avait-il mis les pieds à Barcelona. Seul Harcourt avait terminé son trienne, et encore, dans des circonstances difficiles. Cependant, en examinant bien le contenu de la rumeur et du propos des Consistoires, on perçoit un réel changement dans la perception de la diplomatie internationale : « ilz disent qu’ilz ne sont pas compris dans celuy de la Paix generalle, que l’on a seulement arresté qu’ils auroient trente ans de treve avec l’Espagne ». Comme nous l’avons dit plus haut, dans les projets de traité de 1647, malgré le fait que la trêve de Catalogne ne soit jamais clairement décidée, le fait était bien établi qu’il y aurait une différence de traitement entre la Catalogne et les autres territoires des deux souverains concernés par la paix générale. La confusion des articles précisant les modalités de la trêve, dénoncée implicitement par Martí dans son mémoire, était désormais connue d’un plus large public : on savait désormais que l’incertitude qui présidait au sort des biens confisqués serait de toute façon favorable aux Espagnols. Pour ainsi dire : la rumeur de paix était fausse, mais son contenu fort plausible ; les conséquences des tractations de 1647 étaient connues avec un an de retard. D’ailleurs, en citant la liste de tous les grands seigneurs castillans possessionnés en Catalogne, Schomberg ne faisait que répéter un discours qu’il avait dû entendre de la part des Catalans eux-mêmes ou de Marca. Déjà compromis en cas de trêve, le sort des Catalans profrançais, en cas de paix, était d’ores et déjà fixé : ne pouvant pas demeurer dans une Catalogne dominée par leur ennemi (soit ils refuseraient de lui prêter hommage, soit le pardon de la part des Castillans ne serait pas totalement sincère et observé, avec pour risque d’être passé au fil de l’épée), ils seraient contraints à quitter la province « avec le baston blanc », c’est-à-dire en y abandonnant tous leurs biens, confisqués ou non[322] : c’est ce qui se passera en 1652 après le siège de Barcelona.
La lecture de la lettre du point de vue des rapports entre Schomberg et Mazarin, entre les représentants français en Catalogne et la cour, permet d’autres considérations. Que la rumeur soit fausse ou non importe peu : Schomberg envisageait clairement le fait que Mazarin ait pu négocier secrètement des conditions concernant la Catalogne sans qu’il l’en ait averti. Il était bien conscient qu’il existait une diplomatie parallèle, sans lien direct avec les responsables inférieurs des gouvernements politiques ; mais on se trouve là au point le plus sensible du service du roi (de l’Etat ?) : le maréchal, en s’adressant au principal ministre, le cardinal, s’adresse à son maître. Si le cardinal a décidé de cacher une partie de sa diplomatie, il n’a pas à juger cette attitude et ne donne aucun avis là-dessus. Il proteste simplement de son service, en justifiant en détail sa propre conduite et en rapportant le discours que lui-même a tenu aux Catalans : il les a empêchés d’envoyer une nouvelle ambassade au roi, tout en leur disant « qu’il faloit que ceste nouvelle fust faulce puis que l’on ne m’en avoit rien mandé » – notons bien au passage la nuance, c’est aux Catalans qu’il dit cela, comme une preuve, et non à Mazarin. Enfin, dit-il, il a pris argument des troubles survenant alors à Paris : le fait que les nouvelles incriminées viennent de la capitale n’est pas innocent, la propagande espagnole y étant justement, à ce moment précis, plus virulente que jamais. Toutes ces justifications ne surprennent pas dans la bouche d’un serviteur dont le salut ou la disgrâce dépend du cardinal, un serviteur qui plus est en attend la grâce d’obtenir le congrès providentiel qui lui permettra de sortir de Catalogne ; elles se justifient d’autant par les dissensions qui commencent alors à s’observer dans la haute noblesse. Quant au maréchal de La Mothe, membre d’un ancien réseau de clientèle, celui du cardinal de Richelieu son parent, et naturellement appellé à figurer parmi les mécontents, il vient de recevoir de la part de Mazarin un gage visant à obtenir sa fidélité : innocenté après des années d’emprisonnement et de procès, il a retrouvé le duché de Cardona[323]. Là aussi, non sans une certaine habileté, Schomberg en fait un argument pour dissiper la rumeur auprès des Catalans : comment le roi pouvait-il à la fois restituer le Principat aux Espagnols et rétablir le duché de Cardona ? Mais pourtant, ce type de duplicité n’était pas, comme nous l’avons vu, chose rare dans la politique de Mazarin ; c’en était même la caractéristique principale, oscillation permanente entre une diplomatie souple et un discours conquérant et rassurant. La restitution du duché de Cardona à La Mothe n’avait en fait aucune implication ni signification diplomatique.
Le cardinal est donc prévenu : il doit s’attendre à recevoir les mémoires rédigés par les différentes institutions catalanes pour exprimer leur crainte. Ces textes ont bien été reçus à la cour, ils sont encore conservés dans les archives du secrétaire d’Etat des Affaires étrangères, et nous en donnons l’édition en annexe, comme nous l’avons dit plus haut. En les lisant, on prend la mesure de l’ignorance et des doutes largement répandus dans ces institutions : la peur exprimée est entièrement causée par l’ignorance des véritables avancées diplomatiques. Si Schomberg ne reproche pas à Mazarin de ne lui avoir rien dit, et dit s’en accomoder comme étant le service du roi, les Consistoires ne peuvent s’en contenter. Il en va de leur sort, de leur avenir commun. Dans la lettre des députés de la Generalitat[324] se trouve une énième défense de l’intégrité du territoire catalan et une opposition absolue à la séparation du Roussillon et du Principat : tous les deux « doivent connaître également le même destin sans qu’il soit mis de distinction entre l’un et l’autre, car tout a été remis librement avec l’uniformité d’un même pacte ; et ce serait évidente contravention à celui-ci si l’on s’accordait de façon différente sur ce qui concerne le Roussillon et la Cerdagne de ce qui serait convenu particulièrement pour la Catalogne »… Là encore, les Consistoires ont une longueur de retard : cela fait déjà plus d’un an que la séparation a été décidée, et ce point avait été insensiblement mis dans l’idée de trêve pour laquelle Marca leur avait arraché un consentement. Pour l’impératif de ne pas abandonner Tarragona et Lleida, les députés ne font que reprendre des considérations mille fois ressassées. De même, dans tout le reste de la lettre, l’incertitude apparaît en permanence : les auteurs ne savent absolument pas si ce qui est en train d’être traité, selon la rumeur, est bien une paix générale comprenant la Catalogne ou bien une paix générale avec trêve pour la Catalogne. Ils ont finalement eu un aperçu très déformé – sûrement pas, contrairement au privilégié Martí i Viladamor, la copie des articles des projets de 1647 – des conditions qui avaient déjà été accordées entre les plénipotentiaires. Ainsi disent-ils craindre le retour des ecclésiastiques pro-castillans, alors que dans les derniers projets c’était plutôt une coexistence des « deux clergés », impossible à mettre en place dans les faits, qui était prévue…
Le mémoire envoyé par les docteurs de la Reial Audiència[325] est à la fois plus précis et plus expressif. Il contient une analyse plus poussée des conséquences de la trêve ou de la paix et de leur rupture par les Espagnols, mais aussi de tout ce que la situation présente comporte d’ores et déjà comme difficultés. Pour ce qui est de la rumeur de la séparation de la Catalogne et du Roussillon, les magistrats choisissent une voix différente. Alors que les députés reprenaient une fois de plus leur vieux discours, figé à une condamnation ferme de la séparation appuyée sur les Constitutions et le traité de Péronne, les docteurs utilisent une langage plus diplomatique, plus subtil : certes, ils supplient toujours le roi de garder Catalogne et Roussillon unis à sa couronne, mais ils insistent sur les effets négatifs de cette rumeur, dont ils attribuent délibérément l’origine aux ennemis. « Parce que les ennemis, depuis le début, ont essayé de faire courir le bruit (« voz ») de cette différence, médisant que la France a plus d’attachement pour les Comtés que pour la Catalogne […]. Cette vieille malice, renforcée par ce que l’on dit maintenant, s’est tant propagée qu’elle a causé une crainte universelle au peuple ». La posture est de montrer clairement au roi, sans lui remontrer si frontalement l’illégalité, qu’on ne le croit pas capable de mal faire ; on s’abrite derrière le peuple. Ce discours, proche des théories du bon gouvernement, était très répandu avant 1646 : il comptait sur la bienveillance d’un souverain chez qui on croyait possible un changement d’avis ; il sous-entendait peut-être l’idée que cet enfant pouvait être mal conseillé. Les mêmes mouvements d’optimisme avaient accompagné l’arrivée du prince de Condé en 1647. Mais désormais, à la toute fin de l’année 1648, ce discours n’est décidément plus d’actualité, sur aucun plan. Parce que les rapports franco-espagnols sont atones, tout d’abord, et qu’aucun changement ne pourrait être concrètement apporté même avec de la volonté ; mais aussi parce que les ouvertures déjà obtenues, comme nous allons bientôt le voir, sont clairement perçues par Mazarin comme des acquis à conserver précieusement.
Le discours des magistrats devient plus délicat et vulnérable encore au moment d’aborder la question du retour des exilés et de la restitution des biens. Ils concluent en disant que la rumeur « a tant inquiété les esprits de tous les naturels de cette province que, s’ils [les exilés] revenaient, il y aurait une grande commotion parmi les peuples, sans que nous ayons le pouvoir d’y remédier, née du grand amour qu’ils ont pour Votre Majesté et du désir de rester vassaux de France ». Mais, plus haut, plusieurs constats sont donnés de la situation actuelle, qui écornent cette belle image. L’expérience (cf conspirations de Barcelona, trahison de Lleida, de Tortosa et d’Agramunt…) a montré que le fait de prêter le serment de fidélité au roi de France n’empêchait pas de retourner ensuite à celle d’Espagne lorsque l’occasion se présentait : aussi, disent les docteurs, Philippe IV obligera les Catalans qui reviendront dans le Principat jouir de leurs biens à prêter le serment, mais ce sera une stratégie politique visant à reconquérir la province ; « il sera très facile à chacun d’eux de recevoir la dévotion de leurs vassaux, mûs par l’ancien amour qu’ils portaient à leurs seigneurs ; qui plus est, obligés avec des bienfaits, des grâces et de l’argent ». Ces possessions sont stratégiques, car elles comportent une grande partie de la côte, avec des ports comme Cadaquès et Palamós, des montagnes et des plaines. Et les vassaux ont un poids social considérable (« beaucoup de cavallers particuliers, lettrés et autre gens d’importance à qui il ne manquera jamais l’argent de Castille, séduisant les uns et les autres, se servant de parents et d’amis »). Philippe IV a déjà essayé d’envoyer en Catalogne comme général un frère du duc de Cardona et le marquis d’Aitona, pour obtenir cet effet de ralliement : il espère beaucoup du retour des autres exilés. Tout cela fait que le peuple, réputé si fidèle à la couronne de France, sera porté à se rallier à l’Espagne. Certes, si on lit bien ce texte, par ruse et par contrainte… mais surtout par nécessité. Ce discours ambigu et sensible vient clairement du doute profond qui agite les institutions catalanes : ils dépeignent une province fidèle en principe, mais qui prend l’eau de toutes parts. Leur position de faiblesse est difficile à camoufler. Les magistrats présentent ainsi le retour des exilés et la restitution comme une demande de l’Espagne, captieuse et capable d’être obtenue dans les négociations si la France se relâche. Pourtant, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, ce point effleure à peine la pensée des Espagnols désireux de retarder la paix ; et moins en 1648 que jamais. Cette rumeur est un excellent marqueur pour conclure qu’à cette étape précise, les Consistoires veulent conserver leur position d’intermédiaire entre le peuple et le gouvernement français, mais que toute la base politique de cette position s’effondre peu à peu, alors que la vacuité totale de leur rôle diplomatique est désormais incontestable. Leur intérêt personnel, ainsi que celui des membres de l’Audience, est de ne pas restituer les confiscations dont ils ont été bénéficiaires[326] ; mais le peuple, finalement, ne semble pas voir tellement d’inconvénients à cette perspective…
La réaction de Mazarin à cet épisode, tant en direction de Schomberg que des Consistoires, est dans la parfaite continuité de sa politique habituelle. C’est un mélange de franchise et d’artifice. Au maréchal, il adresse une réponse dissipant toutes les rumeurs, et en premier lieu freinant tout optimisme relatif à la paix, ce qui correspond à l’exacte vérité des négociations. La minute est de la main d’Hugues de Lionne.
« Messieurs les Catalans ont pris l’alarme un peu chaude sur l’advancement de la paix. Plût a Dieu qu’elle fût en l’estat qu’ils croyent. Et c’est bien a mon grand regret que je vous dis qu’elle n’a jamais esté plus esloignée qu’elle paroit, et que les Espagnols n’y ont jamais montré tant d’aversion qu’ils font aujourd’huy, esperant de voir a touts moments esclatter de grandes divisions dans le royaume qui donneront lieu a une resource totale de leurs affaires.
Pour ce qui est de la condition qui fait tant de bruit pardela que tous les Grands doivent retourner par le traité en la jouyssance et possession de leurs biens, outre que la paix n’estant point conclue, on ne peut pas dire qu’il y ait rien d’arresté parce qu’il est tousjours libre a chacun des partis jusqu’au bout de revoquer ce qui ne luy tourne pas a compte, je puis vous asseurer qu’on n’a jamais eu intention icy de donner les mains a une chose semblable dont on cognoit trop les consequences. On respondra aux Consistoires la dessus. Cependant j’ay voulu vous escrire ce mot par l’ordinaire afin que vous destrompiez un chacun par advance de cette fausse impression qui fait tant d’esclat par dela »[327].
Si la rumeur de la conclusion de la paix est démentie, à juste titre, l’explication donnée sur la clause de la restitution est une fois de plus sans aucun rapport avec les véritables pratiques diplomatiques. Au sens propre du terme il n’y a « rien d’arresté », mais les négociations se sont fermées sur des avancées communes et un projet de traité dans lequel la restitution réciproque par la paix est un acquis, jamais contesté par aucune des deux parties aux différents stades observés ; quant à la trêve de Catalogne, elle a toujours été si difficile à accorder que, pour reprendre l’expression de Schomberg, si conforme à la réalité : « il ne seroit pas necessaire que la paix se rompist pour les interestz de Catalongne ». La confusion des clauses de détail n’avait pas effrayé les plénipotentiaires ; et la défense de Mazarin « on n’a jamais eu intention icy de donner les mains a une chose semblable dont on cognoit trop les consequences » est, de façon flagrante, absolument fausse. Ainsi le cardinal utilise à bon escient et comme justification la grande souplesse de ses vues (il se dit capable de revenir à tout moment, « jusqu’au bout », sur des clauses adoptées ; mais sa politique concrète est justement de se figer sur celles qui l’arrangent). L’absence d’annonce officielle de la rupture des négociations aux institutions catalanes – du moins on a la sensation que ce n’est qu’après avoir été avisé de leur crainte que le cardinal les a averti de l’éloignement de la paix, mais les troubles parisiens expliquent peut-être aussi ce silence – semble un effet et une preuve de cette politique très ductile.
Cette capacité à tirer profit de toutes les circonstances apparaît avec force dans la suite qui est donnée aux manifestations de crainte des Catalans. Le maréchal de Schomberg ayant demandé son congès depuis octobre, et l’ayant obtenu ensuite, les deux derniers mois de son mandat jusqu’à son départ le 30 décembre sont une période de bilan. La campagne est terminée, les actes politiques de Schomberg sont examinés et dénoncés par Marca, et, pour la première fois, la cour semble lui donner raison[328], se mettant à douter du Régent Fontanella. Depuis qu’ils se connaissent, Marca et Fontanella se détestent, et Marca n’a pas hésité à dénoncer ses supposées intelligences avec l’ennemi lors du congrès de Münster. Toutes les lettres que Marca envoie à Le Tellier à l’automne 1648 contiennent de graves accusations contre le Régent : il fomente le malcontentement nobiliaire, nourrit les rumeurs des mal affectes, manipule le vice-roi pour faire distribuer les biens confisqués à ses amis avec pour but secret de faire monter la haine anti-française… C’en était trop. Le 20 octobre 1648, Mazarin avait écrit à Fontanella : il souhaitait le voir pour s’entretenir avec lui et le priait de lui dire « en quels termes vous desireriés que soient escrites les lettres qu’on escrira par dela pour vous appeler a la cour, afin que vos envieux et les plus critiques ne puissent trouver a rien gloser a vostre desavantage sur votre voyage »[329]. Quand parviennent les mémoires des Catalans sur la rumeur de la paix et que s’impose la nécessité de leur répondre, Mazarin saisit l’occasion au vol : il leur dira qu’il appelle Fontanella pour parler de la paix car, ayant été à Münster, il est mieux informé qu’aucun autre Catalan de ce qui se traite en ce lieu[330]… En fait, la convocation de Fontanella est de nature entièrement politique : on veut l’éloigner quelque temps de Barcelona. Mais on la fait passer pour un gage de participation des Catalans aux affaires diplomatiques. Le Tellier écrit à Schomberg : la reine « ne desire pas qu’il soit rien fait en cela qu’avec grande congnoissance de cause, et leur participation. Elle mande par une lettre particuliere, qui sera aussy cy jointe, au regent Fontanelle de se rendre par deça avec tous les memoires et instructions touchant cette affaire »[331].
Devant les troubles parlementaires de la capitale, comme Le Tellier l’explique à Schomberg, la diplomatie n’avait plus été évoquée au Conseil jusqu’au tout début du mois de décembre 1648. Ainsi, ce n’est qu’à ce moment-là que la lettre officielle du roi est envoyée en réponse à la Generalitat. Comme le lecteur pourra juger d’après l’édition que nous en donnons en annexe[332], la réponse revient consciencieusement sur tous les points d’angoisse et de litige du mémoire des députés, en affirmant que rien ne sera fait contre les pactes signés par le roi. On se paye d’une promesse gratuite, reprenant un argument déjà utilisé maintes fois : le roi préfèrant la Catalogne « aux autres provinces de nostre propre royaume », il a offert de céder des places par ailleurs pour la recouvrer, et fera « continuer les propositions qui ont esté commencées sur ce sujet pour en voir une bonne conclusion ». Ouverture dont on sait à quel point elle était, pour Mazarin, une affaire de circonstance et, là aussi, un argument tout prêt pour donner un paravent à sa politique. Quant à Fontanella, on l’appelle à venir au plus tôt à la cour muni « d’amples memoires et instructions de ce que vous et nos autres serviteurs principaux estans en la province aurez a nous representer sur ce sujet ». Il reviendra avec Schomberg, ou bien avec l’autre « personne de condition requise » qui le remplacera comme vice-roi. Tous ces points semblent aussi impuissants et vains à calmer les profonds mouvements soulevés dans la société catalane, aussi peu que les mesures promises par le roi contre les excès des soldats et des gouverneurs des places, particulièrement durs cette année-là : on donne des ordres dans ce sens à Schomberg et aux autres capitaines, le maréchal devra punir les coupables avant son départ, on enverra une somme pour rembourser les communautés des avances qu’elles ont consenti…
Le sommet est atteint dans la lettre que le cardinal envoie au même moment aux députés[333] : il y donne d’intéressantes explications sur les négociations franco-espagnoles… mais ces informations sont vieilles d’un an. On ne fait que redire ce qui s’était passé à la suite de l’initiative du duc de Longueville, quand les Espagnols faisaient montre de se relâcher sur beaucoup d’articles, alors que ceux-ci n’étaient que de peu d’importance.
« Cette aversion et leur injustice leur fait pretendre des choses a Munster qu’ils scavent bien ne pouvoir leur estre accordées par les Ministres du Roy. Ils se relaschent bien a la verité par fois en certains points moins importants, pour essayer de gaigner l’aplaudissement du monde, et faire croire qu’ils sont fort disposez a la paix, mais c’est tousjours avec cet artifice de tenir ferme en d’autres choses de plus grande consideration, afin de retenir d’une main ce qu’ils semblent offrir de l’autre ».
Les informations deviennent tout bonnement mensongères quand le cardinal attribue aux ennemis la proposition de la séparation du Roussillon du Principat, et qu’il affirme que la France a tout fait pour garder l’intégrité du territoire catalan : c’est lui-même qui suggéré la distinction par la trêve aux plénipotentiaires, dans une instruction du 31 mars 1646 – mais il s’y était résolu bien avant, depuis mi 1645 au moins[334]… En décembre 1648, la seule chose sûre est que Mazarin ne va pas céder sur ce point, même si à ce moment précis Peñaranda refuse d’adresser la parole à Servien et qu’on est loin de faire toute proposition concernant la Catalogne.
« C’est de cette ruse qu’ils se sont servis quand sur la retention de la principauté de Catalongne et des Comtés de Roussillon et de Serdanna que cette couronne a tousjours pretendu esgalement, ils ont malitieusement voulu y introduire une distinction offrant de laisser lesdits Comtez a perpetuité et de faire une Treve pour la Principauté, de la durée de trente années. La conduitte que les Plenipotentiaires de S.M. ont jugé a propos de tenir en cela a esté d’accepter de l’offre ce qui nous estoit favorable, qui estoit la cession absolue des Comtez, sans prejudice de la pretention qu’ils se sont tousjours reservée, et sur laquelle on traitte encore presentement a Munster de retenir et posseder la Principauté entiere en la mesme forme que lesdits Comtez, faisant renoncer le roy d’Espagne a tous les droicts qu’il y pretend ».
Sur ce point, et sur les autres, comme la restitution des biens confisqués, Sa Majesté « desire d’estre eclaircie a fons » par le Régent Fontanella. Notons bien que Fontanella n’est pas un membre des Consistoires. Il a débuté sa carrière politique au sein de la Generalitat, dont il était assesseur en 1641 lorsque les évènements le portèrent à jouer un rôle de premier plan avant d’être nommé Régent par le maréchal de Brézé, mais depuis ce temps-là la configuration des Consistoires a changé et Fontanella est devenu personnage clef de l’Audience, tous les magistrats lui étant plus ou moins affiliés. Les intérêts de l’Audience et de la Generalitat diffèrent en plusieurs endroits. Après Pujolar, Martí avait « échappé » à ses maîtres initiaux ; voilà maintenant que les affaires diplomatiques, du moins officiellement, repassaient dans les mains d’un personnage extérieur. Nous ne savons malheureusement pas quel fut l’effet exact des lettres de la cour, reçues à Barcelona le 20 décembre 1648[335] : les Dietaris nous disent simplement que les Consistoires eurent ce jour-là une audience sollennelle d’une heure avec le vice-roi Schomberg, qui devait partir à peine dix jours plus tard. Mais leur participation à la diplomatie, déjà éclipsée, disparaît alors totalement ; la Fronde ne dut pas être étrangère à cet état de fait. Ils se limitent maintenant à la lutte contre les troubles des gens de guerre. Les Dietaris ne mentionneront plus une seule fois les affaires de la paix et de la diplomatie franco-espagnole.
Les négociations, jusque là déjà fortement déformées à Barcelona, sont désormais sans communication aucune avec les Catalans ; il convient de les rappeler succinctement. Après le départ de Peñaranda pour Bruxelles, les contacts directs cessent mais les négociations se poursuivent, en changeant « de forme, de cadre et de personnel négociateur » (D. Séré). En janvier 1649, alors que le roi est sorti de Paris, Mazarin reprend l’initiative et fait savoir à Peñaranda qu’il voudrait le rencontrer personnellement : les Espagnols acceptent, pensant qu’en raison de sa position de faiblesse face à l’opposition du Parlement, il cèdera sur certains points. Peñaranda se sert d’un agent de l’archiduc Léopold-Guillaume, Jean Friquet, pour s’informer des conditions voulues par la France. Friquet rencontre Mazarin, mais ils n’échangent que des propos généraux : les Espagnols veulent pousser le cardinal à se dévoiler le premier, mais Mazarin pense qu’il pourra négocier plus tard, si sa position s’améliore. A la fin de février 1649, il envoie à Bruxelles M. de Vautorte, l’un des trois plénipotentiaires que la France avait renvoyé à Münster pour faire exécuter les clauses du traité avec l’empereur. Mazarin lui explique que dans son entrevue avec Friquet, il est allé jusqu’à dire qu’« on ne s’arresteroit pas precisement a ce qui avoit esté adjusté a Munster, quoy qu’on pust pretendre avec beaucoup de justice de ne s’en pas departir, et que pour tous les points qui estoient encore indecis on y apporteroit toute facilité », ce qui va dans le sens contraire de la lettre envoyée aux députés début décembre 1648 : dans cette dernière, il disait que la France obtiendrait peut-être que l’Espagne se relâche sur certains points, puisque tout ce qui avait été négocié en 1647 pouvait encore être revu. Ici, il affirme que c’ést la France qui va revenir sur des choses accordées pour faire avancer la paix ! La situation de 1647 et celle de 1649 n’ont rien à voir, la crise intérieure ayant annulé toutes les circonstances qui étaient favorables à la France deux ans plus tôt. Vautorte a pour mission de faire dévoiler ses cartes à son interlocuteur et de lui faire confirmer les conquêtes acceptées à Münster, mais il a le pouvoir de signer la paix. Ayant soulevé quelques points, Vautorte parvient à entendre de Peñaranda qu’il attend que la France restitue toutes ses conquêtes : « il n’avoit rien esté arresté à Munster qui peust lier ny engager ». Selon l’expression de D. Séré, « Peñaranda efface ainsi, en quelques mots, les résultats de quatre années de négociations ». Vautorte rentre à la cour dans les premiers jours de mars 1649. Peu avant, on a appris que l’Espagne avait proposé une négociation directe au Parlement de Paris : Mazarin passait pour celui qui avait refusé la paix, et le roi d’Espagne refusait ses propositions de s’unir avec lui contre le Parlement : l’Espagne jouait sur les deux tableaux[336].
C’est sans doute pour attendre les résultats de son entrevue avec Friquet et de celle entre Vautorte et Peñaranda que le cardinal a reculé le moment où il enverrait aux Consistoires l’annonce officielle de l’échange des ratifications des Traités de Westphalie, qui avait eu lieu le 18 février 1649 à Münster et à Osnabrück. Le 9 mars 1649, une lettre missive du roi leur annonce la nouvelle, qui est glorifiée pour la séparation de l’empereur et de l’Espagne, pour l’annexion des Trois Evêchés et d’une partie de l’Alsace, malgré les efforts contraires du roi d’Espagne : ils sont priés d’aller assister à la messe d’action de grâces qui sera célébrée en la cathédrale de Barcelona[337]. Le Régent Fontanella est arrivé à Paris en janvier, il y restera jusqu’en mai. Sa présence coïncide exactement avec plusieurs des épisodes les plus durs de la Fronde, la famille royale ayant quitté la capitale à ce moment précis[338]. Nous n’avons pas trouvé de trace d’une éventuelle participation de Fontanella à la diplomatie durant son séjour – sans doute parce que tel n’en était pas le vrai but, comme on l’a vu. Le Régent semble s’être occupé essentiellement de ses intérêts particuliers. En avril, il parvient à obtenir le don en pleine propriété de la vicomté de Canet qu’il briguait depuis des années, ainsi que le don des biens de Ramon de Çagarriga pour son gendre Carles de Alemany ; en même temps, il reçoit des lettres de noblesse[339]. Dès que la nouvelle parvient en Catalogne, la réaction de Marca est immédiate : il avait poussé à éloigner Fontanella parce qu’il le soupçonnait des pires délits, à présent, il le voyait gratifié d’un bien de grande valeur… Mais ses commentaires reviennent de façon insistante sur la question de la paix.
« Pour mon particulier, je ne puis pas me persuader que l’on luy ait faict de si grandes liberalitez, sinon dans la pensée que l’on a de rendre aux propriétaires les biens confisqués, comme l’on a accoustumé de faire en tous les traictés de paix, qui se font a conditions égales ».
Marca crédite donc la cour, et peut-être son correspondant Le Tellier en particulier, d’avoir fait des dons de circonstance, sachant bien qu’ils ne resteraient pas valides longtemps. On peut y voir un nouvel artifice du discours visant à ne pas faire un reproche direct, en trouvant une justification autre à l’acte même qu’il veut dénoncer.
Mais pour Marca, l’idée que la paix comprendra la restitution des biens confisqués est désormais bien installée, et c’est là l’essentiel. Peut-être a-t-il pris la rumeur de l’automne 1648 pour ce qu’elle était, c’est-à-dire un bruit faux mais avec un fond de bon sens. Devant la difficulté de la gestion des biens confisqués, leur intrication dans des successions et des procès insolubles, devant le scandale qu’ils soulèvent, il conclut que « Sa Majesté n’a aucun interest réel en la retention de ces biens confisqués ». C’est ainsi qu’il en arrive logiquement à admettre la restitution par la paix ou la trêve. Il parle même de la demande faite initialement par les Consistoires en 1646 de restituer leurs biens aux Catalans possessionnés près de Tarragona, Lleida, en Aragon et Valence – celle qui avait révolté Martí –, et la justifie en disant que la réciprocité est souhaitable. La restitution générale aura pour principal but bénéfique d’éteindre toutes les querelles nées de la distribution injuste des biens confisqués sous les vice-rois.
« Cette demande est de justice, mais elle ne peut estre accordée, qu’en rendant la mesme justice aux ennemis, dont les uns sont des seigneurs catalans, de qui leur roi ne peut abandonner les interestz avec honneur, non plus que des Catalans qui les ont perdus en le servant.
De sorte que la justice se rencontrant avec les bonnes maximes de politique qui veulent que l’on face cesser les causes d’un grand mécontentement que la distribution des biens confisquéz a produit dans les esprits du peuple, je penserois qu’il seroit apropos d’ordonner par le traitté de la paix generale, que les proprietaires de part et d’autre resteroient dans la jouissance de leurs biens. D’autant plus que les donataires n’auroient pas sujet de se plaindre, si les choses données leur estoient evincées par les Articles de la paix. Neantmoins, il faudroit en ce cas y apporter une precaution, afin que cette restitution ne fit point de prejudice a la tranquilité et seureté de la province pour esviter les cabales que les grands Seigneurs pourroient faire dans leurs terres par le moyen de leurs officiers, qu’ilz voudroient establir Catalans de nation, ou Catalans mal affectionnés. Il faudroit laisser aux vicerois le choix des gouverneurs, veguers, bailes et autres officiers de lustice qui l’administreroient neantmoins au nom des seigneurs, sans que les Catalans qui se sont retirez du service de S.M. peussent revenir en Catalogne » [340].
Ce sont donc les multiples excès survenus dans la distribution des biens, particulièrement sous la vice-royauté de Schomberg comme nous le verrons dans la partie suivante (et peut-être, à titre personnel, le dégoût de la gratification exorbitante faite au Régent), qui ont porté Marca à défendre une option qu’il n’avait pas jusque là clairement soutenue, point de vue inverse de certains Catalans profrançais figés sur les arguments de statu quo du docteur Martí. La solution qu’il propose ici – en forme d’une proposition pour la paix – inclut donc une restitution des biens sans retour des propriétaires dans le Principat. Ce qui, somme toute, est une façon de satisfaire un grand nombre de Catalans fidèles tout en faisant pièce aux bénéficiaires des confiscations, soupçonnés de malhonnêteté. Ces derniers n’auront pas sujet de se plaindre d’une paix qui défavorise leurs affaires privées mais rétablit le repos de la Chrétienté sur des principes de bonne diplomatie conformes aux anciens traités. Le retournement est peut-être également suivi par beaucoup de barcelonais : en septembre 1649, le collecteur apostolique Vicenzo Candiotti rapporte que, fait inédit, tout le monde réclame désormais la paix, à l’exception des 30 ou 40 personnes qui gouvernent et qui ont amélioré leur situation avec la ruine des autres (comprendre, selon Sanabre, ceux qui ont bénéficié des confiscations)[341].
Dans son cheminement personnel, Marca est cependant aussi éloigné de la réalité des négociations. La paix ne peut toujours pas se conclure, cette fois à cause de la Fronde qui bouscule le gouvernement et donne les meilleurs arguments aux Espagnols. A l’été 1649, Peñaranda invite Mazarin à conférer avec lui en présence des anciens médiateurs de Münster, le nonce Fabio Chigi et l’ambassadeur de Venise Luigi Contarini. Mais lorsqu’Hugues de Lionne, envoyé à Cambrai pour s’enquérir à l’avance des requêtes de l’Espagne, rencontre Peñaranda, il se trouve face à des exigences encore plus importantes que six mois plus tôt. Lionne flaire que c’est un stratagème : soit la paix était conclue, mais de façon si désavantageuse à la France que Mazarin en sortirait discrédité, soit elle échouait, mais une fois de plus le cardinal serait le seul à être accusé. On doit renoncer pour l’heure à une entrevue. Début 1650, Peñaranda décide de rentrer en Espagne, sa mission est terminée. Mazarin refuse le conseil du nonce apostolique de Madrid de rencontrer le comte au cours de sa traversée de la France. Cette dernière a lieu sous haute surveillance car en janvier a eu lieu l’arrestation des princes. A la fin de l’été 1650, les souverains et la cour se trouvent à Bordeaux pour aller châtier la rébellion de la ville. L’archiduc Léopold-Guillaume prend l’initiative de renouer les négociations de paix pour la France et l’Espagne et s’adresse à Gaston d’Orléans, resté à Paris. En septembre, une entrevue est fixée « entre Reims et Rethel », et le duc a l’aval de Mazarin et de la reine pour conclure la paix ; mais Orléans se dérobe et prend prétexte du danger de la zone, exposée à la menace espagnole. L’archiduc refuse alors de discuter des conditions d’une nouvelle rencontre : c’est l’échec de cette nouvelle ouverture[342].
L’événement est raconté aux Consistoires par une lettre missive du roi du 25 septembre où il dénonce avec force l’artifice des Espagnols et martèle qu’il est disposé à soutenir la guerre, tout en demandant une nouvelle fois l’envoi du Régent Fontanella avec une plaisante formule…
« En ce cas, vous devez estre assurez, que nous ferons sçavoir a nos ministres, qui y sont employez, que nous n’avons rien de plus cher que ce qui vous touche. Et mesme nous leur commanderons d’appuyer aussy fortement qu’on a jamais fait vos interestz, ny aiant aucune condition qui puisse nous obliger de relascher la moindre chose de la satifacion que nous voulons procurer a la Catalongne. Et pour nous rafraischir la memoire des choses qui vous concernent-il sera bien a propos, que vous chargiez de vos memoires le seigneur regent Fontanella auquel nous avons envoyé ordre de se rendre en nostre cour et suitte » [343].
L’appel de Fontanella à la cour était finalement, à chaque fois, la solution miracle, de dernier recours, quand il s’agissait de montrer aux Catalans qu’on se souciait de leurs intérêts dans la paix. Mais le prétexte ne parvient plus à cacher la réalité : d’une part, la faiblesse persistante du gouvernement de Mazarin qui, cette fois, cherche à conclure la paix à tout prix pour reconquérir une légitimité aux yeux des Français ; d’autre part, la méfiance cette fois réellement soulevée par un terrible texte de Marca contre le Régent, Memoire sur les divisions de Catalogne et du remede qui s’y peut apporter. Marca étant demeuré seul en l’absence d’un vice-roi, Fontanella s’était farouchement opposé aux arrestations de mal affectes ordonnées pour préserver Barcelona d’une nouvelle conspiration. Pour Marca, toute son attitude factieuse et à la limite de la trahison s’expliquait par la peur des conséquences de la paix, comme une sorte de fuite en avant. On retrouve là les fondements des rumeurs autour de la vicomté de Canet et du Roussillon…
« On trouvera peut estre estrange que l’on se persuade qu’il puisse tenir la main directement ni indirectement a un parti qui lui ostera plus qu’il ne peut esperer d’Espagne.
On peut respondre qu’il y a raison de croire qu’il desire la continuation de l’estat present qui luy est si advantageux, mais qu’il considere que son vicomté luy peut estre osté par une paix qui le restituera a l’ancien maistre ou bien par un renversement des affaires. Auquel cas il pense que la prudence permet a un Catalan, quoi que vassal du Prince, de pourvoir a ses interests en gagnant par sa protection l’amitié de ceux qui sont de l’autre party, qui seront de puissants mediateurs pour avoir des conditions honnestes pour lui s’il n’y en a eu de concertées a Munster »[344].
Le vieux soupçon d’avoir eu communication avec les Espagnols, origine et ferment de leur haine réciproque, réapparaît donc quand il s’agit de parler de diplomatie, bien qu’officiellement « oublié » par Mazarin. Le Régent, sachant de bonne part la grande adaptabilité de sa politique, présageant que les clauses catalanes seraient toujours emportées par d’autres plus importantes, et par là craignant la paix quelles que soient ses implications, se ménageait des amitiés dans les deux camps pour ne pas perdre sur tous les tableaux : telle était, du moins, la théorie de Marca. Cette charge ultime avait causé, une nouvelle fois, l’appel du Régent à la cour. Il y restera jusqu’en juin 1651[345].
L’agitation intérieure hypothèque néanmoins tous les nouveaux projets de paix qui sont soulevés. En décembre 1650, les armes françaises parviennent à reprendre Rethel aux Espagnols : cette soudaine embellie amène le cardinal à former un nouveau projet, et il fait rédiger par Hugues de Lionne un texte en 11 articles[346] ayant pour base le statu quo et disant que « les articles cy devant accordez pour la catalogne et le Roussillon seront executez, et ce faisant les Comtez de Roussillon et de Sardaigne avec Roses et Capdequiers leurs dependances et ce qui est le long de la mer depuis ledit Roses jusques aux anciennes limites de France demeurant pour toujours en toutte proprieté et souveraineté de France ; et il y aura une treve de trente ans en Catalogne pendant laquelle les deux roys demeureront chacun en paisible possession de ce qu’ils tiennent dans ladite principauté aux conditions et precautions cy devant accordées sur ce subject ». Il semble que les « conditions et precautions cy devant accordées » fassent référence aux articles de la trêve décidés dans les projets de 1647. Plus loin, on lit que tous les articles qui ont été signés et accordés à Münster figureront dans le traité. Pour le duc de Lorraine, on remettra son sort à des arbitres. Tout cela revient à ignorer la reculade de Peñaranda, mais comme il n’est plus là, Mazarin se permet un moment cet optimisme. L’essentiel est de montrer que la France est déterminée à la paix : dans le projet, on propose aussi à l’Espagne de conclure une trêve générale de 10 ou 12 ans pour laisser le temps de conclure la paix, ou bien de conclure des trêves en Italie et dans les Pays-Bas. Mais après l’arrestation des princes, la puissance de Mazarin s’effondre, et le projet est abandonné. Il est privé de ses fonctions de premier ministre le 8 février 1651, et part ensuite en exil à Brühl. En mars 1651 a lieu une nouvelle offre de négociation de l’archiduc Léopold-Guillaume faite au duc d’Orléans, mais la France est sommée d’accepter comme préalable de cesser d’aider le Portugal, de restituer toute la Catalogne et les Etats du duc de Lorraine, ce qui est de toute façon inacceptable. C’est pendant son exil que Mazarin reprend le dialogue avec les Espagnols et que se profile, encore dans le vague, un projet de négociation entre lui et le premier ministre de Philippe IV, don Luis de Haro ; parallèlement, Anne d’Autriche parvient à retourner les alliances, renvoie Servien, Lionne et Le Tellier le 18 juillet, s’allie les parlementaires alors que Condé signe son traité avec les Espagnols le 6 novembre 1651. Après la proclamation de la majorité du roi en septembre, les conditions sont réunies pour le retour de Mazarin qui arrive à la cour à Poitiers le 29 janvier 1652[347]. De Barcelona, Fontanella, qui occupait désormais des fonctions d’intendance de l’armée, ne cessait d’écrire à Abel Servien, avec qui il s’était rapproché durant l’exil du cardinal et avant son renvoi, l’informant que l’ennemi était entré en Catalogne, en marche vers Barcelona. Il le suppliait, lui dont la voix portait le plus auprès du roi en l’absence du maître, d’intervenir pour qu’on envoie des fonds pour l’armée[348]. Il est intéressant de noter que Servien, après son renvoi de juillet 1651, continuait à écrire en Catalogne, de même que le cardinal continuait à négocier de Brühl, comme s’ils prévoyaient de toute façon un retour aux affaires. Le 21 mars 1651, le Régent lui écrit qu’il se félicite de son retour à la cour[349].
Pour l’heure, l’année 1652 met un coup d’arrêt aux espoirs français. L’Espagne, bien que faible, peut désormais tirer tout profit des troubles qui ont agité l’intérieur du royaume. L’archiduc prend Gravelines, Bergues et Mardyck ; Dunkerque se rend aux Espagnols ; le 13 octobre 1652, le maréchal de La Mothe, redevenu vice-roi de Catalogne, accepte la reddition de Barcelona assiégée depuis six mois. En Italie, Casale tombe au main du marquis de Caracena. Dès le 3 octobre, le Régent écrivait à Servien :
« L’état de cette province […] est tel que si nous ne sommes secourus promptement, et la Catalogne, et le Roussillon, tout est perdu. Et une fois cela perdu, il me reste la charge d’une famille ; je suis obligé à faire l’aumône de porte en porte, car je préfèrerais être sujet à cela plutôt que m’accorder avec l’Espagne, ma résolution étant de mourir vassal de France […]. Je me souviens que Votre Excellence, quand j’étais à Münster, au sujet de certains mauvais succès de Catalogne, craignant sa perte totale, eut la bonté de me consoler en me donnant l’espérance que je pourrais avoir quelque emploi en France. L’occasion, qui ne s’est pas présentée alors, vient maintenant. Je supplie Votre Excellence qu’elle me favorise, s’il lui semble possible de trouver un chemin pour cela ; et je ne demande pas grand chose : seulement de quoi finir misérablement ma vie dans un coin avec ma famille, même si c’est sans être connu de personne, ce qui, pour qui a vécu jusque-là avec quelque considération, est une grande mortification »[350].
Sans qu’on puisse dire avec certitude si les graves soupçons de Marca pour le Régent étaient totalement fondés, le cours des évènements de 1652 montre finalement que les rumeurs qui publiaient sa grande crainte de la paix sont loin d’être dénuées de fondement. Et d’autant plus qu’après la perte de Barcelona, de facto, il ne reste aux Catalans profrançais plus aucun espoir pour la paix, puisque tout est perdu à part le Roussillon. La rumeur que le Régent va passer à l’Espagne pour sauvegarder ses intérêts se met alors à se répandre, comme une évidence. L’intéressé s’en justifie à son correspondant.
« Par l’ordinaire j’ai reçu la lettre d’un ami que j’ai à la frontière de France, qui m’écrit que Monsieur de Neuilly a trouvé une bonne âme qui l’a informé que je serais toujours en train de douter sur le parti que j’allais prendre et que lui, selon ce qu’il dit, l’a cru. Cela doit forcément être l’effet d’un excès de malice ou d’un défaut de jugement, car ne seraient les engagements que j’ai pris depuis le début et les obligations que je reconnais à la France, voir que je me suis retiré en Roussillon avec femme et famille, abandonnant le patrimoine de mes ancêtres, qui est considérable, pourrait détromper le plus aveuglé par la passion […]. Pour moi, il n’y a d’autre parti que celui du roi et d’autre intention que vivre et mourir vassal de France. Et je serais bien fou, ayant été des premiers à avoir œuvré pour la France, ayant toujours persévéré en cela en différents emplois outre celui ordinaire de Régent, de croire maintenant que les Espagnols qui, de leur naturel, ne pardonnent jamais, oublieraient tout. Et quand je serais sûr d’être bien traité, je ne suis pas d’une nature à oublier les honneurs et bienfaits que j’ai reçus de la France. Mon désir est de m’y établir »[351].
A travers les lignes, un esprit subtil pourra reconnaître le constat que le Régent n’avait en réalité aucun autre choix que celui-là, quand bien même il aurait voulu passer du côté de Madrid. Alors que Mazarin, après une nouvelle comédie de départ et de retour en août 1652, a décidé de ne pas abandonner le pouvoir, la guerre se poursuit, et les plus fidèles des Catalans profrançais se sont exilés en Roussillon où ils attendent impatiemment un secours… « Dans les treize années de guerre continue de 1635 à 1648, la France n’a pas réussi, malgré des conquêtes territoriales significatives, à acquérir sur l’Espagne une supériorité qui oblige celle-ci à accepter la paix aux conditions françaises. Durant les quatre années de Fronde, malgré des reconquêtes importantes aux Pays-Bas, en Italie, en Catalogne, l’Espagne n’a pas réduit la France à sa merci »[352]. La paix sera pour un autre moment. Il faudra attendre encore sept ans.
L’héritage du congrès de Münster : vers le traité des Pyrénées
En 1652 la paix entre la France et l’Espagne n’a donc pas pu aboutir. Les avancées politiques sont moindres. L’Espagne a certes gagné la paix avec les Provinces-Unies, mais elle n’a pas encore réglé le problème des rébellions de la Catalogne et du Portugal, et elle a désormais perdu un allié de poids, l’empereur. Par le retournement des alliances, les avantages et les inconvénients de la paix se neutralisent, pour la France comme pour l’Espagne : la sensation générale est plutôt celle d’une désillusion. Les belligérants ne sont pas encore arrivés au point de leur dialogue où ils pourront envisager la paix comme « préférable à tout autre avantage » (D. Séré). Lorsque le comte de Peñaranda a quitté Münster en mars 1648, il a laissé Servien sans réponse sur les dernières propositions françaises. Au dernier échange entre Espagnols et Français par le truchement des députés hollandais, en novembre 1647, 23 points du projet de traité avaient été signés, mais il en restait 6 sur lesquels un accord n’avait pas été obtenu : l’inclusion du roi de Portugal dans le traité ; le droit pour l’Espagne d’assister le duc de Lorraine ; les conditions de restitution par la France de Casale au duc de Mantoue ; la liberté pour la France de fortifier les postes occupés par elle en Catalogne en cas de trêve ; les dépendances des places qui resteraient à la France aux Pays-Bas ; les conditions de la libération par l’Espagne du prince Edouard de Bragance. Cependant, certains points, certes annexes, peuvent être considérés à juste titre comme des acquis du congrès. Même si leur importance politique est limitée en elle-même, il n’en reste pas moins qu’ils font partie du long cheminement qui, à terme, conduira à la paix des Pyrénées. Quelle est donc la place de la question des confiscations et des restitutions, qui nous occupe ici, parmi ces acquis ? Selon Daniel Séré, les points d’accord, qui ne sont certes pas « le cœur du contentieux franco-espagnol », sont néanmoins multiples : ils portent, entre autres, sur le rétablissement du commerce, le sort des sujets d’un souverain ayant pris le parti de l’autre, la libération des prisonniers ou la confirmation du traité de Vervins. On note aussi « un progrès […] dans la manière de négocier depuis les premières tentatives. Les deux belligérants ont réussi à sortir de l’expression indéfiniment répétée de leurs principes de négociation et de leurs exigences initiales. Des enjeux concrets ont fini par apparaître dans leurs offres respectives […]. Des concessions sont apparues possibles : l’Espagne pourrait renoncer au Roussillon et la France à l’aide du Portugal »[353]. C’est désormais sur ces bases, limitées mais bien réelles, que vont se construire les nouvelles négociations.
De plus, les projets de traités franco-espagnols sont répandus et plus largement connus dans les années qui suivent la fin du congrès de Münster. En 1650 est imprimé, sans lieu ni nom d’imprimeur, un ouvrage intitulé Recueil de tous les traitez accordez en l’Assemblée générale tenuë à Munster et Osnabruk en Westphalie pour la paix de la Chrestienté avec les noms et qualitez de tous les Ambassadeurs et Plenipotentiaires qui ont assisté à ladite Assemblee, qui semble se présenter comme un recueil plus ou moins officiel des traités conclus (on y retrouve les Traités de Westphalie à proprement parler) ou non (une version du projet espagnol de 1647). Evaluer le degré de fidélité de l’édition n’est pas notre sujet, et nous nous contenterons de dire que la version donnée correspond sans doute davantage à l’état du traité en novembre 1647 qu’à celui de février 1647[354]. Du moins, jusqu’à plus ample informé, nous n’avons pas trouvé au cours de nos recherches en archives de version manuscrite du traité contemporaine aux négociations qui présente, pour l’article 18 concernant les restitutions générales, un texte identique à celui donné dans l’ouvrage de 1650. Et la version de novembre n’est présente dans les archives que par bribes, puisqu’elle n’exista jamais à proprement parler dans son intégralité (à cette étape, rappelons-le, les négociateurs ne faisaient que se renvoyer mutuellement des ensembles articles). Nous donnons en édition en annexe le texte du traité en l’état de février 1647 d’après le manuscrit de la main de Godefroy (probablement créateur d’une grande partie du traité), mais pour mémoire nous reprenons ici l’article 18 tel qu’il est édité dans le Recueil de tous les traitez accordez…, en mettant entre parenthèses les parties qui figuraient dans le manuscrit et ont disparu dans l’édition.
« Et se fera ledit restablissement des subjets de part et d’autre dans leurs charges, honneurs et dignitez, comme aussi en tous leurs biens immeubles et rentes comme dessus, notamment toutes donations et confiscations, sentences donnees par contumace, et en l’absence des parties et icelles non ouyes, tant à l’occasion de cette guerre que pour s’estre retirees pendant icelle dans le party contraire (en quelque maniere que ce soit. Lesquelles sentences et tous jugemens donnez tant en civil qu’au criminel demeureront nuls et de nul effect et comme non advenus), remettant iceux subjets (quant à ce plainement, et cessans tout empeschemens et contredicts) aux mesmes droicts qu’ils avoient au commencement de l’annee 1634 (Sans qu’aucun puisse estre recherché pour charges et entremises publiques qu’il auroit eues, soit pour les vivres, maniement de deniers ou autrement pendant le temps et à l’occasion de ladicte guerre dont il auroit rendu compte pardevant ceux qui avoient lors pouvoir d’en ordonner) pourveu que les subjets et serviteurs ne se trouvent chargez d’aucuns crimes et delicts que d’avoir servy dans le party contraire ; à la charge neantmoins que la liberté de revoir le pays dont ils seront auparavant retirez (pour jouyr en personne de leurs biens, ou d’establir leur demeure hors lesdits pays en tel lieu que bon leur semblera) sera entierement à leur choix, sans qu’on puisse user contr’eux d’aucune contrainte pour ce regard, et en cas qu’ils aiment mieux demeurer ailleurs il pourront deputer et commettre telles personnes non suspectes que bon leur semblera pour le gouvernement et jouyssance de leurs biens et revenus »[355].
Il est donc permis d’émettre l’hypothèse que cette version donnée par le Recueil de 1650 est une reconstitution à partir des divers articles échangés sur des papiers séparés et aujourd’hui conservés dans des dépôts différents ou dans des registres distincts ; ou bien la transcription d’un état « ultime » du traité (donc au plus tard novembre 1647) tirée d’un document aujourd’hui disparu. Une seule chose certaine : la publicité des négociations faisait partie de la politique générale des Etats, et sans doute particulièrement de la France qui, nous l’avons vu, avait intérêt à ce qu’on la considère attachée à la conclusion de la paix.
Dans les Traités de Westphalie aussi figurent des clauses de restitutions réciproques. Et elles ont d’autant plus de poids et de retentissement que, contrairement aux malheureux projets franco-espagnols, ces traités ont été signés, ratifiés, et ont été rapidement présentés dans toute l’Europe comme le chef-d’œuvre mettant une fin tant attendue à la Guerre de Trente Ans. Certes, ces clauses sont conformes à l’esprit général de tous les anciens traités. Mais elles n’en ont pas moins fait l’objet d’âpres discussions, comme on l’apprend à la lecture du Père Bougeant, commentateur postérieur :
« Le grand objet qui occupoit les Suedois étoit la satisfaction de leur Milice. Comme ils négocioient avec beaucoup de finesse, et qu’ils prévoyoient l’opposition que les Impériaux et tout l’Empire feroient à leur demande, ils avoient imaginé pour les contraindre à y souscrire, de suspendre leur consentement à divers articles qui intéressoient l’Empereur et les Etats de l’Empire, et ils formoient d’autres prétentions dans le dessein de les abandonner, afin d’obtenir leur principale demande par leur désistement sur les autres. Tel étoit dans le projet de leur Traité le paragraphe qui commençoit par ces mots, tandem omnes et qui regardoit les sujets de Boheme et des Etats héréditaires de l’Empereur qui s’étoient engagés au service de la Suede, et dont l’Empereur avoit confisqué les biens. Les Suedois demandoient que par le Traité de paix ils fussent rétablis dans tous les biens, honneurs et dignités, et dans tous les droits dont ils jouissoient auparavant. Les Impériaux ne pouvant consentir à une demande si odieuse, mirent tout en œuvre pour l’éluder, et désesperant de vaincre l’obstination des Suedois, ils vinrent du moins à bout de faire convenir les Députés des Etats d’un tempérament qui modifioit l’article tel qu’il est exprimé dans le Traité ; mais les Suedois refusant toujours d’y souscrire jusqu’à ce qu’on les eût satisfait sur leur Milice, on commença enfin à traiter définitivement cet article »[356].
Le passage montre que les Suédois avaient eu la latitude de négocier, notamment parce qu’ils étaient directement en contact et en débat avec les plénipotentiaires impériaux, contrairement à la France qui négociant avec les médiateurs et les ambassadeurs de Hollanda. A l’inverse, il s’agit ici d’un combat pour la restitution des biens, alors que la France aurait pu (aurait dû, si l’on suit les idées du docteur Martí) le faire pour la non restitution des biens de Catalogne. Elle ne l’a pas exigé de l’Espagne car le projet de traité a été rédigé dans la précipitation, dans le but désespéré de faire accepter la paix à l’Espagne. Ici, contrairement à la question des restitutions de Catalogne, et même des restitutions générales (l’article 18 du traité, version novembre 1647) qui sont passées sans beaucoup de débat, les Suédois ont réussi à imposer leur volonté. Cependant, les Catalans n’avaient pas du tout la même position puisqu’ils n’étaient pas partie prenante au traité, ils n’étaient pas parmi les signataires.
Si les Suédois ont obtenu que le premier paragraphe de l’article III de leur traité dispose de la restitution générale des biens des « Electeurs du saint Empire Romain, les Princes, & les Etats, y compris la Noblesse, qui releve immediatement de l‘Empire, leurs vassaux, sujets, citoyens & habitans, ausquels à l’occasion des troubles de la Boheme & de l’Allemagne, ou des alliances contractées çà & là, il a esté fait de l’une ou de l’autre part quelque prejudice & dommage en quelque maniere, ou sous quelque pretexte que ce puisse estre, tant en leurs domaines, biens feodaux, sous-feodaux, & allodiaux, qu’en leurs dignitez, immunitez, droits & privileges », le paragraphe 53 de l’article IV apporte une réserve qu’il importe de souligner, essentiellement pour la formulation utilisée. Si les biens ont été confisqués avant que leurs propriétaires initiaux « ayent passé dans le parti de la couronne de Suède ou de celle de France, quoy que les Plenipotentiaires Suedois ayent fortement & long-tems insisté à ce qu’ils leur fussent rendus, ils demeureront toutefois perdus & confisquez au profit de ceux qui les possedent à present, rien n’ayant pû estre en cela prescrit à sa Majesté Imperiale, ni estre autrement transigé, à cause de la constante contradiction des Imperiaux, & les Etats n’ayant pas non plus jugé, qu’il fut du service de l’Empire, de continuer pour cela seul la guerre »[357]. Ce n’est rien de plus qu’une explication approfondie du statu quo ante bellum au moment même de la date de la déclaration de guerre, mais on le précise ici en raison de circonstances politiques particulières : l’empereur a pu saisir avant la déclaration de guerre des biens appartenant à des électeurs et des nobles germaniques (comprendre : protestants) qui par la suite allaient rejoindre la Suède ou la France. Concrètement, la Suède ne pourra pas élever de réclamation pour eux. C’est aussi le constat, énoncé de façon si officielle qu’il est inséré dans le texte même du traité, qu’on ne va pas menacer la paix pour des intérêts particuliers – même si ces intérêts particuliers sont importants et ont fait partie des casus belli. Dans le traité connexe entre la France et l’Empire, les termes sont plus explicites encore : « tous & chacun des Electeurs du Sacré Empire Romain, les Princes, Estats (y comprise la Noblesse qui releve immediatement de l’Empire) leurs vassaux, sujets, citoyens, habitans, auxquels à l’occasion de la Boheme, ou des troubles d’Allemagne, ou des Alliances contractées çà & là » (article 5) seront restitués dans leurs biens, mais, à l’instar du traité avec la Suède, n’y seront pas compris les biens confisqués avant l’entrée de leurs anciens propriétaires dans le parti de la France ou de la Suède, « encor que les Plenipotentiaires de Suede ayant fait long temps instance à ce qu’ils leur fussent aussi rendus ; toutesfois sa Sacrée Majesté Imperiale n’ayant à recevoir loy de personne, & les Imperiaux tenans ferme là dessus, il n’a pas semblé bon aux Estats de l’Empire que pour un tel suject la guerre fût continuée, & qu’ainsi ceux qui auroient perdu, comme dit est, leurs biens ne pourroyent les recouvrer au prejudice de leurs derniers Maistres & Possesseurs » (article 42)[358]. Ici, c’est bien sûr le cas de la noblesse alsacienne qui est envisagé, dont on trouve d’ailleurs certains membres mentionnés dans des articles spéciaux. Toutes ces dispositions sont exécutoires. Quant à la Catalogne, l’évolution de la situation militaire et politique postérieure à la fin du congrès ne fait que renforcer la probabilité qu’elle bénéficiera de clauses du même type dans le traité final.
En effet, avant et après la chute de Barcelona, différentes parties de la Catalogne se sont soulevées contre les Français et les villes se sont livrées aux Espagnols. Jusqu’à la fin de la Fronde, les armes françaises ont reculé dans tout le Principat jusqu’à ne plus former qu’une poche à l’extrême nord, conservant Rosas et le Roussillon. Mais après la fin des troubles intérieurs, la France reprend l’initiative militaire. Dans le Nord, Turenne remporte de nombreux succès en 1654 et 1655 : il réussit à faire lever le siège d’Arras, prend Stenay, Binche, Le Quesnoy, Clermont-en-Argonne. La France trouve de nouveaux alliés, tel que le duc de Lorraine, frère de Charles et, en Italie, le duc de Mantoue qui abandonne l’Espagne. En Catalogne, le prince de Conti, nouveau vice-roi, prend Villefranche-de-Conflent et réussit à conserver Rosas que les Espagnols tentent de reprendre. Il réimplante la France dans le Principat en prenant les villes de la Seu d’Urgell, Bellver et Ripoll en 1654, Cadaquès et Castelló d’Empúries en 1655. Le siège de Solsona est levé. Sur le plan diplomatique, 1655 voit la rupture entre l’Espagne et l’Angleterre de Cromwell que Philippe IV avait pourtant reconnu et qui s’installe désormais en Jamaïque : en novembre, le traité franco-anglais de Westminster est signé. Ainsi dès cette année-là des émissaires espagnols sont dépêchés auprès de Mazarin : Gaspar Bonifaz, le premier, est un prisonner libéré par la France dont on se sert comme envoyé secret ; le second, Pedro de Baos, rencontre finalement le cardinal à trois reprises à Soissons. Le pape encourage alors la paix avec la France, de même que l’archiduc, gouverneur des Pays-Bas espagnols, zone épuisée au dernier degré par la guerre. Philippe IV et Luis de Haro se convainquent qu’il faut faire la paix avec la France pour triompher des Anglais et du Portugal. Fin février 1656, Gaspar Bonifaz est à nouveau envoyé en mission secrète à Paris, il rencontre solenellement le roi et le cardinal qui l’assurent du désir de paix de la France : on abandonnera le Portugal et Condé sera pardonné. Même s’ils se méfient, le roi d’Espagne et son ministre acceptent cette ouverture de paix. Ils imposent le lieu des négociations : Madrid, où le cardinal devra envoyer une personne pour négocier avec don Luis. Mazarin choisit l’un de ses principaux fidèles, qu’il avait déjà désigné pour aller à Cambrai en 1649 : Hugues de Lionne. Il le fait partir d’Italie fin mars 1656[359].
Lorsque ces nouvelles négociations s’entament, ce sont les premières aussi sérieuses depuis la fin du congrès de Münster. Une instruction est rédigée en juin pour Lionne, dont la minute originale est largement revue par son oncle Abel Servien, s’il n’en est pas même l’auteur originel. « L’on peut presuposer avec raison, lit-on, que la pluspart des articles du traité de paix concernant le commerce, la cessation des hostillitez et represailles, la restitution dans les biens et autres semblables qui ont esté ajustez cy devant a Munster, subsistent encor puisqu’ilz sont presque tous conformes a ceux des traictez precedens, et qu’il n’y a eu de changement que pour s’accommoder au temps present, et remedier a quelques desordres qui sont arrivez depuis ce temps la ». Les points indécis sont ensuite listés, qui sont les mêmes qu’en novembre 1647 (conquêtes, Lorraine, Portugal, Catalogne) plus la question du prince de Condé, passé au service de l’Espagne. A lire tout cela, on pourrait croire que la question des confiscations de Catalogne a fait l’objet d’un accord antérieur, ou bien qu’elle est tout simplement englobée dans la restitution générale, puisqu’elle ne figure pas parmi la liste des points bloquant la paix. Mais à ce stade, il nous faut nous rappeller la distinction que nous faisions lorsque nous présentions les traités de 1647 : d’un côté, la restitution générale était admise, considérée comme une quasi évidence ; de l’autre côté la restitution des biens confisqués de Catalogne était subordonnée à une trêve dont les modalités avaient été décidées dans la précipitation pour favoriser son acceptation mais qui n’avait pu aboutir en raison de la rupture du congrès. En juin 1656, malgré les progrès précités du prince de Conti, la France n’est plus en possession de la plus grande partie du Principat : l’idée d’une trêve en Catalogne est totalement abandonnée, elle n’a plus d’objet. Ainsi, dans les mêmes instructions à Lionne, on voit apparaître parmi les propositions qu’on lui ordonne de présenter à l’Espagne :
« Qu’elle [Sa Majesté] se contentera du costé de Cataloigne que les Comtez de Roussillon et de Cerdaigne qui ont autresfois appartenu a la couronne de France luy demeurent avec Roses, Cadaques et tout ce qui est le long de la coste de la mer depuis Roses avec une lieue de largeur du costé de la terre ferme, jusqu’aux limites de France, moyennant quoy elle retirera ses armes de toute la Cataloigne, et rendra toutes les places et postes qu’elles y occupent presentement ou qu’elles y occuperont a la conclusion de la paix. On se pourra mesmes relascher (sy on ne peult mieux faire) des dependances de Cerdaigne scituées au dela des Pyrennées, et de ce qui est le long de la coste de la mer en conservant seulement les dependances de Roses et de Cadaques ».
En clair, la France se borne à garder le Roussillon et une bande de territoire suffisante pour s’assurer la conservation de Rosas et de Cadaquès, défenses indispensables de ce territoire. Elle abandonne purement et simplement le Principat : l’ouverture sur le Roussillon et les deux places est un héritage de Münster, le reste est une nouveauté de 1656. Mais cet abandon du Principat n’empêche que les affaires relatives à la Catalogne restent épineuses et d’une nature tout à fait spéciale : la province s’est librement soumise à Louis XIII en 1641. C’est là que réapparaît le motif de la « sûreté des Catalans »…
« Mais comme l’honneur et la reputation de Sa Majesté sont interessez a ne consentir et ne souffrir pas que les Cathalans puissent jamais estre inquietez ou troublés pour s’estre mis soubs l’obeissance de la couronne de France, par ce que ce seroit un subjet d’alterer cy apres la bonne intelligence des deux roys, et de causer la reprise des armes, il est absolument necessaire de faire nettement declarer les ministres d’Espagne sur ce subjet, et que l’on puisse estre bien asseuré que Sa Majesté Catholique accordera toutes les conditions et clauses dans le traicté general et toutes les declarations hors d’iceluy dont on aura besoin pour l’entiere seureté et liberté des Catalans et pour le restablissement de tous les privileges qui leur avoient esté accordez, et dont ils jouissaient avant la guerre » [360].
Le thème de la « sûreté des Catalans » nous ramène dix ans en arrière, en mai 1646, lorsque le roi demandait à ses plénipotentiaires de Münster s’il ne serait pas judicieux de restituer la Catalogne « moyennant les précautions et les seuretez convenables » pour les Catalans[361]…
Ce statut spécial de la Catalogne et des Catalans entraîne donc qu’ils fassent l’objet d’articles spéciaux, pour ainsi dire, compris dans le traité mais quasi autonomes. C’est pourquoi une « Forme d’article pour la Cataloigne auquel on se reserve d’adjouster les clauses et conditions qui seront demandées par les Catalans pour leur plus grande seureté lors qu’il sera permis de leur communicquer le Traicté » est ajoutée à part dans l’instruction pour Lionne. C’est là que figure, pour la première fois, un article consacré spécifiquement à la restitution des biens confisqués en Catalogne. Nouveau rappel : il n’y avait rien de tel dans les traités de 1647 où l’incertitude présidait. Désormais, plus aucun doute n’est possible sur les intentions de la diplomatie française.
« En vertu du present Traicté, tous les Catalans et autres habitans de ladite Province tant prelatz, eclesiastiques, religieux, seigneurs, gentilzhommes, bourgeois qu’autres habitans tant des villes que du plat pays sans nul excepter pourront rentrer et seront effectivement laissez ou restablyz en la jouissance paysible de tous leurs biens, honneurs, dignitez et privileges, sans pouvoir estre recherchez, troublez ny inquietz en general ny en particulier, pour quelque pretexte et cause que ce soit pour raison de tout ce qui s’est passé depuis la naissance de la presente guerre. Et a ces fins Sa Majesté Catholique accordera et fera publier toutes les declarations d’administie ou de pardon qui luy seront demandées en faveur desdits Catalans. En suite de quoy il leur sera permis ou de retourner en personne dans leurs maisons, ou d’envoyer des agens et procureurs pour prendre la possessions et jouissance de leurs biens, en cas qu’ilz veulent establir leur sejour ailleurs que dans la Cataloigne, ce qui leur sera permis de faire sans que leur absence puisse empescher la libre jouissance de leurs biens, demeurant neantmoins au pouvoir de Sa Majesté Catholique de prescrire le lieu de leur sejour a ceux desdits Catalans dont elle n’aura pas le retour dans le pays agreable, sans toutesfois que les autres libertez et privileges qui leur auront esté accordez et dont ils jouissoient avant la guerre, puissent estre revocquez ny alterez. »
Grâce à la minute originale, on sait que le paragraphe qui suit immédiatement ce début d’article est de la main d’Abel Servien :
« Neantmoins, en cas que l’on rencontre de trop grandes difficultez a obtenir cet articles aux termes qu’il est couché, et que ledit sieur de Lyonne recognoisse lesdites difficultez insurmontables, Sa Majesté luy donne pouvoir d’en convenir aux termes et le plus avantageusement qu’il pourra »[362].
L’introduction de cet article fait réflechir, si on la met en rapport avec son contenu et les dispositions concrètes qu’il entraîne : on dit sauvegarder l’intérêt des Catalans, et on prétend même s’y conformer. On restitue les biens des Catalans… Comme l’aurait fait une restitution en 1647, la mesure fera des gagnants et des perdants. Mais en réalité leur profil a bien changé depuis. En 1647, les Catalans profrançais craignaient que le Principat, à cause d’une trêve, ne voie le retour des anciens seigneurs Catalans exilés. Mais ce Principat restait en théorie au roi de France. Après 1652, le Principat est revenu aux mains des Castillans et ces seigneurs y sont retournés, ont repris possession de tout, sans qu’il soit besoin de traité. Une partie de l’élite profrançaise (celle qui n’a pas prêté le serment de fidélité au roi d’Espagne) a quitté le Principat et s’est réfugiée en Roussillon en attendant des jours meilleurs. Comme il ne restait plus que le Roussillon, ces gens-là ont obtenu les biens confisqués dans cette zone pour les dédommager de ceux qu’ils avaient perdus dans le Principat (obtenus ou non par confiscation !)… Cependant la plupart des seigneuries roussillonnaises appartenaient, avant 1641, aux mêmes familles castillanisées qui s’étaient exilé en Aragon ou en Castille dès le début de la Guerra dels Segadors. Ainsi, l’article revient à restaurer l’intégralité du patrimoine de ces familles ennemies de la France, déjà revenues dans leurs biens dans le Principat. Et si les Catalans réfugiés en Roussillon sont censés récupérer également leurs biens en Catalogne, leur sort ne peut être aussi enviable : des gens comme Fontanella, Sagarra, avaient considérablement augmenté leur patrimoine par la confiscation ; Margarit, Ardena, plus chanceux, avaient de grandes terres dans le Principat. Mais l’Espagne, qui récupérait la plus grande partie du territoire catalan, allait-elle se montrer souple sur ces restitutions auxquelles elle n’aurait aucun intérêt et qu’aucune puissante raison ne favoriserait ? Peu importe la forme générale du traité, la disposition ne pourrait qu’être inégale.
Ainsi, l’article des restitutions de Catalogne n’a pas été décidé stricto sensu au cours du congrès de Münster : il a été rédigé, probablement par Abel Servien, au milieu des instructions destinées à Hugues de Lionne en juin 1656[363]. Lionne reçoit aussi pour sa mission un projet de traité déjà rédigé en 43 articles : « Cet article et les XX autres suivans avoient esté accordez a Munster », lit-on donc en mention marginale pour les 21 premiers articles, contenant les deux articles des restitutions générales (toujours numérotés 18 et 19). Quant à l’article spécial de la restitution des biens des Catalans, qui correspond au texte donné plus haut, il est l’article 26e et porte la mention marginale : « Tiré de l’instruction »[364]. Les contraintes de la mission sont grandes : Lionne n’a que huit jours pour négocier, mais le but profond de sa mission est que la France ait une idée des exigences de l’Espagne. Dans un document entièrement de sa main, Lionne donne plusieurs commentaires sur ses instructions, et, sur le point des Catalans, estime qu’« il faut essayer de faire dresser par les ministres d’Espagne mesme l’article du pardon et de la seureté des Catalans, parce qu’il y a tousjours advantage en traitant de faire expliquer les autres sauf a adjouster ce qui manqueroit »[365]. L’article n’est pas suffisamment important pour que la forme prescrite par l’instruction soit absolument conservée, et le fin négociateur qu’il est sait que, comme à Münster, la moindre concession qu’on pourra produire sera bonne à faire valoir. On voit donc qu’à ce stade de la négociation, la clause des restitutions n’est toujours pas figée dans le marbre. Dans une autre note, Lionne va même jusqu’à envisager que les Catalans, en apprenant que la France signe la paix et les abandonnent, ne soient tentés de faire leur paix par eux-mêmes avec les Espagnols, d’où des expédients possibles comme faire un traité à exécution différée, ou bien de constituer la Catalogne en République sous la protection des deux princes[366]… Dans la suite des négociations de Madrid, qu’il ne nous appartient pas de retracer ici, on ne parviendra pas plus que lors des tentatives précédentes à un accord. Dès la première conférence le 5 juillet, Luis de Haro évacue le problème mais ne donne cependant aucune assurance précise.
« Sur le point de Catalogne, c’est a dire sur l’interest des peuples, leur seureté et le restablissement dans leurs biens, il me dit qu’encore qu’il eut beaucoup de choses a representer la dessus, neantmoins comme il avoit resolu d’accorder librement et sans chicaner tout ce qui se pourroit en chaque article, il ne vouloit declarer d’abord. Que si nous convenions des autres, il n’apporteroit pas grande difficulté a passer celuy la »[367].
En quelque sorte, on avait là un point sans importance mais très important ! De conférence en conférence, devant la multiplication des chicanes et l’insuffisance des pouvoirs donnés à Lionne, tout le jeu sera, pour les Espagnols, de l’amener à rester sur place, et pour lui, d’écrire à la cour afin de demander la conduite à tenir. Ainsi, les conférences se poursuivent jusqu’au 24 septembre 1656, dépassant largement le délai prévu. Initialement, l’Espagne amenait la France à choisir entre l’Artois et le Roussillon, mais progressivement elle se relâche et à la fin du mois de septembre le point du prince de Condé est le seul qui conduise finalement à la rupture. « Rien de ce que Lionne a pu obtenir face à Luis de Haro ne sera perdu : ce sont les négociations de 1656 qui constitueront la base solide sur laquelle s’appuieront celles qui conduiront finalement à la paix »[368], c’est-à-dire les négociations entre Pimentel et Mazarin et le traité de Paris de juin 1659, le traité des Pyrénées donnant, pour l’essentiel, une forme publique à cette paix. La base sera aussi au sens concret du terme : de nombreux articles, dont particulièrement celui des restitutions de Catalogne, peuvent être considérés comme des « brouillons du traité des Pyrénées ». Au cours des conférences de Madrid même, le point n’a plus été abordé directement. Mais le lecteur pourra, en comparant l’article 18 du projet de 1656 et l’article 55 du traité des Pyrénées que nous donnons en annexe, voir amplement que la filiation est directe de l’un à l’autre[369]. On retrouve dans l’article final, en grande partie, le texte du précédent.
La clause qui, en 1659, entraîne la restitution de tous les biens confisqués en Catalogne, bien que rédigée textuellement en 1656, est finalement l’aboutissement logique d’un processus dont tous les éléments logiques s’imbriquent : évènements militaires, intérêts des souverains et de leurs alliés, chicanes plus ou moins feintes des négociateurs. Le seul élément absent de ce processus est la participation des Catalans à la décision d’un point qui les concerne – mais tel n’est pas l’esprit de la diplomatie du temps. La stratégie générale de Mazarin ne pouvait admettre aucune autre consultation qu’anecdotique, non pas tellement pour favoriser le simple échange de la Catalogne et des Pays-Bas (auquel il dut rapidement renoncer après 1646), mais plutôt pour laisser libre cours à son jeu « possibiliste », scandaleux à admettre, de toute façon, pour des personnes qui s’étaient soumises au roi de France. Jusqu’en 1656, les restitutions étaient davantage entendues comme une évidence, mais auraient pu être évitées ; c’est la perte de la Catalogne après 1652 qui enlève réellement l’objet des revendications exprimées part le docteur Martí en 1646, à l’exception de quelques intérêts minoritaires. L’étude filée de la question des restitutions nous permet ainsi – sur un point précis, peut-être pas si important, mais néanmoins récurrent – de mettre en doute un type d’interprétation rapide et partiel que nous trouvons chez Sanabre mais aussi, certes à moindre niveau, chez les commentateurs catalans les plus récents. Toutes les négociations liées à la Catalogne n’ont pas été rivées sur l’échange de la Catalogne et des Pays-Bas, même si l’idée a été à un moment lancée. Les Catalans profrançais et l’élite française travaillant en Catalogne, dont l’opinion (les opinions ?) n’a pas été suffisamment étudiée par les historiens, permettent aussi de renseigner et de nuancer ce tableau. Ces personnes ont cru, peut-être le docteur Martí lui-même malgré le cynisme dont on peut le créditer, à une Catalogne française. L’extrême complexité des négociations leur échappait, et à la place où ils étaient, ils tiraient du peu d’informations disponibles les réflexions les plus clairvoyantes dont ils étaient capables.
[1] SÉRÉ, Daniel, La paix des Pyrénées : vingt-quatre ans de négociations entre la France et l’Espagne, 1635-1659, Paris, H. Champion, 2007.
[2] SÉRÉ, La paix…, p. 15.
[3] Sanabre, tout d’abord (p.353-365) y consacre en 1956 un chapitre entier qu’il intitule de façon très significative : « Cataluña y la conferencia de paz de Munster. Mazarin ofrece a los Españoles la devolución de Cataluña a cambio de la entrega de los Países Bajos a Francia. Fracaso de las negociaciones hispano-francesas ». Ce chapitre, bien que daté, et très nuancé par l’historiographie postérieure, est sur de nombreux aspects d’une grande exactitude ; il nous a également servi pour la minutieuse reconstruction des évènements et des tractations. En 1961 Sanabre publie un livre sur la question : El tractat dels Pirineus i els seus antecedents, Barcelona, R. Dalmau, 1961.
Parmi les travaux plus récents, on citera plusieurs articles : SÁNCHEZ MARCOS, Fernando, « El futuro de Cataluña: un « sujet brûlant » en las negociaciones de Münster », Pedralbes, n° 19, 1999, p.95‑116 ; SIMON i TARRÉS, Antoni, « L’entrada de Catalunya en el joc de la política internacional europea del segle XVII. Lectures polítiques del primer intent de segregació del territori català », in Del Tractat dels Pirineus a l’Europa del segle XXI, un model en construcció? / Du Traité des Pyrénées à l’Europe du XXIe siècle, un modèle en construction ? [Oscar Jané, ed.], Generalitat de Catalunya-Museu d’Història de Catalunya, Barcelona, 2010, p. 221‑232 ; et deux contributions consacrées aux figures de Josep et Francesc Fontanella qui demeurèrent à Münster en 1644 : BUSQUETS, Joan, « Catalunya i la Pau de Westfalia. La missió diplomatica de Fontanella al Congrés de Münster », Estudi General, n° 21, 2001 et COSTA, Jaume, Quintana, Artur et SERRA, Eva, « El viatge a Münster dels germans Josep i Francesc Fontanella per a tractar les paus a Catalunya », Polyglotte Romania. Homenatge a Tilbert Dídac Stegmann, t. 1, 1991, p. 257‑294. D’autres auteurs ont étudié la figure de Francesc Martí i Viladamor, ou bien les implications idéologiques de l’alliance de la Catalogne et de la France, comme nous le reverrons, mais une étude d’ensemble sur la question de la Catalogne dans les négociations de Münster reste encore à écrrire.
[4] SÉRÉ, La paix…, p. 20-21.
[5] SÉRÉ, La paix…, p. 79-110.
[6] SÉRÉ, La paix…, p. 119-131.
[7] Le livre de propagande le plus célèbre est : CAZENEUVE, Pierre de, La Catalogne françoise, où il est traité des droits que le Roy a sur les comtez de Barcelone et Roussillon, et sur les autres terres de la Principauté de Catelogne, Toulouse, P. Bosc, 1644. On citera aussi les travaux de Théodore Godefroy autour des droits du roi : « Relation de Catalogne, de sa situation, de ses villes, de la justice, police et immunitez des ecclesiastiques par le moien de l’inquisition, avec les moiens qu’il faudroit tenir pour reduire entierement cette province, jalouse de ses privilèges, à l’obéissance du Roy », 1643 (Bibliothèque de l’Institut de France, Ms Godefroy 497, fol.117 et 123) ; « Des droicts du Roy sur la principauté de Catalongne, les comtez de Roussillon et de Cerdagne et le royaume d’Arragon » (fol.137) ; brouillons d’un traité sur les droits du Roi en Catalogne, Cerdagne, Roussillon, Aragon (fol.163 et suivants). Ces productions sont, nous semble-t-il, à rapprocher directement de la préparation des négociations de Münster dont elles sont immédiatement contemporaines.
[8] SIMON i TARRÉS, Antoni, « L’entrada de Catalunya en el joc de la política internacional europea del segle XVII. Lectures polítiques del primer intent de segregació del territori català », in Del Tractat dels Pirineus a l’Europa del segle XXI, un model en construcció? / Du Traité des Pyrénées à l’Europe du XXIe siècle, un modèle en construction ? [Oscar Jané, ed.], Generalitat de Catalunya-Museu d’Història de Catalunya, Barcelona, 2010, p. 222-224. « Els dirigents catalans van realitzar una anàlisi molt limitada de les repercussions militars i geopolítiques de l’entrada de Catalunya en el gran joc de la política europea […]. El capteniment dels dirigents catalans de cercar un ajut «temporal» francès per obligar Olivares i Felip IV a rectificar la seva política de força envers Catalunya obviava que els interessos francesos eren precisament obrir un front permanent de guerra dins el cor territorial de la Monarquia espanyola i que això convertiria Catalunya en una zona de continua fricció militar […]. Els interessos catalans podien ser relegats fàcilment per d’altres de més envergadura de les potències dominants ». P. 227 : « Aquest joc possibilista del cardenal italià feia Catalunya una peça clau per abordar unes negociacions diplomàtiques que conduïssin França a una pau avantatjosa, però també deixava oberta la via d’expansionar la influència de la dinastia borbònica al sud dels Pirineus i dels Alps, això amb l’objectiu d’arrabassar als espanyols el domini que exercien sobre el Mediterrani occidental ».
[9] BUSQUETS, Joan, « Catalunya i la Pau de Westfalia. La missió diplomatica de Fontanella al Congrés de Münster », Estudi General, n° 21, 2001, p. 246. La lettre, selon Sanabre (p. 353) date du 28 mai 1643.
[10] SANABRE, p. 354. Nous retraduisons en français la traduction que Sanabre donnait en espagnol du document original.
[11] BUSQUETS, « Catalunya… », p. 246-247.
[12] SÁNCHEZ MARCOS, « El futuro… », p. 99-100.
[13] BUSQUETS, « Catalunya… », p. 246. « El perfil que s’exigia encaixa perfectament amb les qualitats i la trajectoria pública de Josep Fontanella, bon coneixedor de les lleis del pactisme i partidari de la llibertat constitucional per escollir monarca ». Selon Candiotti : « E buon giurisconsulto, ha sempre maneggiati questi affari dal principio delle rivolutioni, e huomo discreto e talmente sagace, che ariva al subdolo ».
[14] BUSQUETS, « Catalunya… », p. 248 ; SANABRE, p. 355.
[15] BUSQUETS, « Catalunya… », p. 249-253.
[16] SANABRE, p. 355.
[17] SÉRÉ, La paix…, p. 132-133.
[18] AMAE, CP Espagne 21 (fol.197-197v), « Noticias de Cataluña », 3 avril 1644. « Que se a publicado por cartas que desta Corte o de Munster an escrito que se hazen treguas por ocho años, del que los buenos Patricios queden desconsolados y dizen que si se afectuan que Cathaluña se perdera antes de dos años ».
[19] SANABRE, p. 356.
[20] BUSQUETS, « Catalunya… », p. 257. « Fontanella buscava l’interes de Catalunya, per damunt del de França, i aquest capteniment no fou tolerat per París ».
[21] SÁNCHEZ MARCOS, « El futuro… », p. 112.
[22] BNF, Français 4199 (fol.152-155v), Lettre de Le Tellier à Marca, 4 février 1645. Sanabre a cité cette lettre (p. 356), mais de façon erronée et confuse. Il n’a pas vu l’information fondamentale qu’elle contenait : que Marca avait dénoncé Fontanella à Le Tellier.
[23] Ici, le copiste a sans doute fait une erreur, il est écrit « l’indemniser », mais cela n’aurait pas de sens.
[24] BNF, Français 4216 (fol.151v-158), Lettre de Marca à Le Tellier, 7 février 1645.
[25] SÉRÉ, La paix…, p. 134.
[26] Sanabre (p. 356), devant la mauvaise transcription du copiste, a cru qu’il s’agissait de Peñaranda, mais ce dernier n’arrivera à Münster que plus tard.
[27] BNF, Français 4200 (fol.17-20v), Mémoire de Le Tellier à Marca (copie), 27 février 1645.
[28] « On croit qu’il seroit bon que ledit Fontanelle aist commission du principat pour agir icy dans les affaires de la province mesmes sur celles des monnoyes, et pour les autres choses qui se pourront presenter a ladvenir specialement apres le retour de l’ambassadeur qui est pardeça, ou il est bien apropos qu’il y ayt une personne plus considerable que le sieur Pujolar pour prendre soin des interests du pays. Sa Majesté se remettant neantmoins audit sieur de Marca de faire ceste proposition ou non ainsy quil estimera pour le mieux selon la congnoissance qu’il a de la disposition des esprits »
[29] « Et pour faire congnoistre au principat de Catalongne et consequemment a toute la province que le roy na point eu dessein en retirant ledit Fontanelle de Munster qu’il fust rien advancé au traicté de paix au prejudice des Catalans et sans leur participation, Sa Majesté escrit la lettre cy Jointe audit principat afin qu’il choisisse quelque personne capable pour envoyer a Munster en la place dudit Fontanella jusques a l’arrivée duquel il ne sera rien fait sur les affaires d’Espagne, Sa Majesté ayant donné cet ordre a ses plenipotentiaires. De quoy ensemble de ce qui est dit cy dessus ledit Sr de Marca prendra soin de faire entendre ce qu’il estimera apropos et taira ce qu’il jugera ne debvoir pas dire, et au surplus fera advancer autant qu’il se pourra le deppart de celuy qui sera deputé pour aller a Munster afin qu’il puisse prendre loccasion du voyage de monsieur le duc de Longueville qui doibt partir a la fin de mars pour s’y rendre sur ce que les ennemis donnent a present des demonstrations de vouloir traitter a bon esçient de la paix ».
[30] BNF, Français 4200 (fol.56v-58), Lettre de Le Tellier à Marca, 6 avril 1645.
[31] BNF, Français 4216 (fol.171-172), Lettre de Marca à Le Tellier, 18 avril 1645.
[32] AMAE, CP Espagne Supplément 5 (fol.63), Lettre de Mazarin à Plessis-Besançon (originale), 21 avril 1645. Le cardinal lui conseille l’amitié du Régent.
BNF, Français 4171 (fol.227v-228v), Lettre missive du roi à Harcourt sur le retour du Régent en Catalogne, 25 avril 1645.
[33] AMAE, CP Espagne 25 (fol.109), Lettre de Mazarin à Fontanella (minute de la main d’Hugues de Lionne), 20 juin 1645. Il répond à sa lettre du 27 mai 1645 écrite à son retour à Barcelona.
[34] SANABRE, p. 357.
[35] BNF, Français 4172 (fol.17v), Lettre missive du roi aux députés de la Generalitat, 22 juin 1645.
[36] SANABRE, p. 357. « El estilo de diferentes cartas posteriores del Rey con grandes elogios de Fontanella, y las interpretaciones dadas al incidente diciendo que Fontanella oportunamente había informado al embajador de las conversaciones con los españoles, revelan que, alarmados los ministros franceses de la repercusión que importaría el declarar desafecto y traidor a Fontanella, constituído en el primer personaje catalan de aquella situación, optaron por disimular externamente el incidente ».
[37] SÉRÉ, La paix…, p. 134.
[38] AMAE, CP Espagne 26 (fol.161), « Noticias de Cataluña », 14 juin 1645. A Perpignan s’est répandu le bruit que l’on faisait des trêves de dix ans.
[39] SÁNCHEZ MARCOS, « El futuro… », p. 106-107.
[40] Dietaris…, vol. VI, p.752.
[41] AMAE, CP Espagne 25 (fol.181), Lettre des députés de la Generalitat à Mazarin (signé de l’abbé de Galligans), 28 novembre 1645. Ils notifient l’envoi à la cour (délibéré d’un commun accord) de Josep d’Ardena comme ambassadeur des deux Consistoires. La lettre des conseillers de Barcelona, datée du même jour, est conservée dans le même volume (fol.182).
[42] SANABRE, p. 358. Dans les Dietaris de la Generalitat (vol VI, p. 752), on voit bien la nature ordinaire de l’ambassade qui est prescrite : « Tractant en una conferència de la bona fortuna que las armas de la magestat del rey, nostre senyor, que Déu guarde, an tinguda aquest any en esta província en benefici nostre, ha aparegut que, tractant-se de paus universals en Münster com se tracta, és convenient que sa magestat, un en nosaltresb, conegue lo ànimo molt agraït a tantas mercès y favors y lo cor molt rendit a son amor, que, per part d’esta ciutat y de la Diputació vage un embaxador, a gasto comú […] ».
[43] AMAE, CP Espagne 25 (fol.184-186), Instructions donadas y fetas per los molt Ill.res S.rs deputats del General del Principat de Cathalunya per al señor don Joseph d’Ardena y de Darnius embaxador nomenat per sa senyorias y per la ciutat de Bar.a per la cort de Sa Mag.t Christianissima (copie du 17 juin 1646 par le scrivà major del General de Catalunya, Joan Pau Bruniquer), 29 novembre 1645.
[44] AMAE, CP Espagne 26 (fol.232-234v), Instructions fetes y ordenades per los molt Ill.es sors. concellers de la ciutat de Barcelona per lo sor. don Joseph Dardena y Darnius embaxador elegit per dita ciutat, y los molt Ill.es señors deputats del General del Principat de Cathalunya per Sa Magestat Christianissima señor nostre, 10 décembre 1645. Il s’agit d’un original des instructions, peut-être envoyé à la cour ou à Mazarin.
Une copie de ces instructions est également conservée dans les mêmes archives : AMAE, CP Espagne 25 (fol.187-190).
[45] Article 7 : « Que perço supplique dit embaxador en nom dels dos Consistoris a Sa Mag.t ab las veras que la grevedat de la materia demana, que en manera alguna preste oyda ni permeta que per causa o pretexto algu puga esta provincia esser separada ni disgregada de dita Corona […] » (AMAE, CP Espagne 25, fol.185).
[46] AMAE, CP Espagne 26 (fol.188v). Article 7. « Semblantment ha de suplicar a sus Mag.ts que sie de son real servey no donar lloch se concluguen dites paus ni tampoch treugues ni suspensio de armas restant les plaças de Lleyda, Tarragona, Tortosa, Ager, Alfachs ni alguns pobles, fortalesas ni territoris de dit principat en poder del enemich ans be se haÿa de restituir a Sa Mag.t tot lo que de dit principat tinga dit enemich ocupat, pactant mes avant que no y puga haver comers ab los vassalls ni subdits del enemich en manera alguna, acceptat en respecte de carns, llanes, y blats de Arago y sedas y granas del regne de Valencia, y oli, formatge, y llanas obrades de les Islas de Mallorca y Menorca, y accceptat en respecte dels comuns y particulars de dit Principat y comtats que tingan haziendas en terra del enemich, als quals sie licit liberament beneficiar aquellas y aportar a dits principat y comtats sos fruyts y rendes y lo procehit dellas ».
[47] ACA, Cancilleria, Intrusos 145 (fol.101v-103v), Lettres patentes de don de la vicomté d’Ille et d’érection de cette
vicomté en comté, en faveur de Josep d’Ardena i de Darnius, décembre 1645 (acte transcrit entre un acte du 8 et un autre du 11 juin 1646 ; mention marginale de chancellerie portant exemption du droit du sceau). Voir édition en annexe : Document n°50. Voir aussi supra : Deuxième partie, I. 2.
[48] Voir aussi supra : Deuxième partie, I. 2.
[49] AMAE, CP Espagne 25 (fol.230), Lettre de Mazarin aux députés de la Generalitat, 7 févier 1646. Une lettre du même jour est adressée aux conseillers de Barcelona (fol.231).
[50] SHD, A1 99 (fol.55-55v), Lettre missive du roi à Harcourt (copie), 10 février 1646.
[51] BNF, Français 4201 (fol.50-51), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 10 février 1646.
[52] SÁNCHEZ MARCOS, « El futuro… », p. 1113.
[53] SANABRE, p.359, citant Chéruel (MAZARIN, Jules, Lettres du cardinal Mazarin pendant son ministère. Recueillies et publ. par M. A. Chéruel, imprimerie Nationale, 1872, t. II, p.710).
[54] SÉRÉ, La paix…, p. 135.
[55] SANABRE, p. 676. Il édite ce document (n°XXII), conservé à la BNF, Clérembault 578 (fol.19-21), Raisons de doubter si la France doibt penser a quitter la Catalogne et le Roussillon pour avoir la Flandre et la Bourgogne suivant quelques discours qu’en a jettés M. Contarini. Les raisons avancées sont : la position stratégique de la Catalogne au cœur de l’Espagne, l’impossibilité pour l’Espagne de communiquer avec l’Italie sans la Catalogne et le Roussillon, l’excès d’argent dépensé aux Pays-Bas auquel l’Espagne ne peut plus faire face, et enfin le risque que la France arrive à prendre la Flandre et la Franche-Comté par les armes. Le texte pousse la rouerie jusqu’à affirmer que les Catalans sont extrêmement fermes dans leur soutien de la France, alors précisément que la cour n’a jamais autant douté de leur fidélité, échaudée par la récente découverte de la conspiration de Barcelona fin février 1646 !
[56] SÉRÉ, La paix…, p. 136-138.
[57] SÉRÉ, La paix…, p. 139-140.
[58] ANTÓN PELAYO, Javier, et JIMÉNEZ SUREDA, Montsé, « Francisco Martí i Viladamor: un pro-francés durante la Guerra dels Segadors », in Manuscrits : reviste d’història moderna, n° 9, 1991, p.289-304.
[59] Il s’agit d’un extrait de la page 146 l’Alegación contraria, publiée en 1647, sur laquelle nous reviendrons (cité par TORRES AMAT, Felix, Memorias para ayudar a formar un diccionario crítico de los escritores catalanes y dar alguna idea de la antigua y moderna literatura de Cataluña, Imp. de J. Verdaguer, 1836, p. 387.
[60] ANTÓN, et JIMÉNEZ, « Francisco Martí i Viladamor… », p. 291-294.
[61] BNF, Français 4216 (fol.105), Lettre de Marca à Le Tellier, 12 novembre 1644.
[62] ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.179-179v), Don à Francesc Martí i Viladamor, « cronista de Sa Mag.t » des fruits des rentes confisquées de Dona Mencia Pimentel, de sa mère la comtesse de Villaverde, du marquis de Orani, du docteur Joan Mir, « fins a tant Sa Mag.t li haya fet mercé de la proprietat », 4 mars 1646.
[63] ACA, Cancilleria, Intrusos 117 (fol.128v-129), Ordre à Bru de payer 200 livres par mois à Francesc Martí pour partir à la cour, 26 mars 1646. Il part « per informar a sos ministres y plenipotentiaris son en Munster del dret y justicia ab que sa Mag.t te en sa obediencia lo present principat y comtats y de las iustas causas que aquells han tingut de pendrer Rey sr a la mag.t del sere.mo Sr Luis tretse de gloriosa memoria ». La pension est à payer pour la période allant du jour où il partira de sa maison jusqu’au jour où il y retournera et où la « legatio » sera finie
[64] AMAE, CP Espagne 25 (fol.250-252), Instructions fetas y ordenades per los molt Ill.es ss.res concellers de la ciutat de Bar.na al d.r m.r Fran. Marti y Viladamor advocat fiscal de la ballia gnal. de Cathalunya y Cronista de sa Mag.t Christianissima del Rey nre. s.r que deu guarde, elegit per part de dita ciutat y dels molt Illes. ss.rs deputats del general de Cathalunya pera informar a sa Mag.t de la justicia desta provincia en la submissio a sa real Corona (avec signature illisible d’un scrivà du Conseil), 28 mars 1646. Une autre copie de ces instructions est conservée dans le même volume (fol.253-255).
« En esser partit de la cort dit don Joseph procurara ab tot cuydado lo bon despats de dites coses que dit don Joseph o aura encara alcansat.
Les coses o negossis que a dit don Joseph estaven encomanats eren los seguents : solicitar lo aprestat y enviar molt en temps las armadas de mar y terra ab les provisions necessaries ques enten esta tot en bon estat. Suplicar que les armades nos sustenten de blats y altres grans del Principat de Cathalunya, dels Comtats de Rossello y Cerdanya.
En consideratio de la voluntat tan servorosa y interes tant considerable de esta ciutat y provincia, en orde al contegut en lo cap. 13 dels pactes que la Mag.t del rey difunct de gloriosa memoria fonch servit atorgar y firmar a cerca de no separar de sa real corona de França dit Principat y Comtats se era encomanat a dit don Joseph Dardena y se encomana a dit d.r Marti que se supplique a sus Mag.ts ab les veres que la importancia de tant gran cosa demana que en manera alguna no donen oyda ni permetan ques done lloch per ninguna cosa ni pretexto a que dit Principat y Comtats en tot o en part sien separats de dita real corona […] », la suite reprend quasi exactement les termes des instructions données à Josep d’Ardena (voir supra) concernant l’impératif de ne pas signer de paix ou de trêve si les places de Lleida, Tarragona, Tortosa, Ager et Alfachs sont encore aux mains des Espagnols, de ne pas autoriser le commerce à l’exception des marchandises essentielles au commerce de barclona, et de poursuivre auprès des ministres français le remboursement des sommes prêtées par la ville à la couronne. La clause concernant les biens confisqués des Catalans en terre castillane est reprise mot pour mot : « […] y exceptat en respecte dels comuns y particulars de dit Principat y Comtats que tingan hazienda en terras del enemich al quals sia licit liberament beneficiar aquellas y aportar a dits Principat y Comtats los fruyts y rendes y lo procehit dellas ».
[65] ANTÓN, et JIMÉNEZ, « Francisco Martí i Viladamor… », p. 301. Contrairement à ce que dit cet article – qui, ici, confond les deux missions bien distinctes des deux personnages – Martí ne part pas de Barcelona avec Ardena (« Arneda », sic), puisque ce dernier est déjà présent à Paris depuis le mois de janvier 1646. Les deux hommes vont cependant se trouver ensemble dans la capitale dès l’arrivée de Martí à la fin du mois d’avril.
[66] SANABRE, p. 360. « Durante los meses de abril y mayo, los ministros franceses procuraron halagar a los representantes catalanes, al mismo tiempo que éstos espaciaban su comunicación con los Consistorios, arrancándoles finalmente Mazarin, en una entrevista celebrada en Compiègne a 9 de mayo, contra las instrucciones concretas que les dieron los Consistorios, su asentimiento a la tregua, a pesar de continuar los españoles ocupando las nombradas plazas y con la prohibición absoluta de comerciar con España ».
[67] AMAE, CP Espagne 25 (fol.277), Lettre de Mazarin à Ardena (minute de la main de Mazarin), 10 mai 1646. Le segment « et M.r le docteur Marti » a été rajouté en marge, et la date a été corrigée du « 14e may 1646 » au « 10e », ce qui est probablement dû à une erreur d’étourderie et donne à cette minute un caractère particulièrement vivant et plaisant.
[68] SHD, A1 99 (fol.223-223v), Lettre de la reyne aux deputés du Principat sur le retour de don Joseph d’Ardenne leur ambassadeur et sur les responses au memoire qu’il a presenté a Sa Majesté, 13 mai 1646. Dans une relation postérieure, Martí place l’entrevue le 14 mai, le lendemain de son arrivée à Compiègne (Dietaris…, t.VI, p.798-810, Còpia de la relació de doctor Francisco Martí y Viladamor feta als molt il·lustres senyors consellers y savi Consell de Cent ; voir infra), mais il est permis de douter de cette date.
SHD, A1 99 (fol.224), Lettre de la reyne a mond. s.r le comte d’Harcourt sur le meme sujet, 13 mai 1646.
[69] Il fait ici référence aux Turcs contre lesquels le pape veut lancer une guerre de toutes les puissances chrétiennes.
[70] Acta Pacis Westphalicae. Serie II, Abteilung B : Die französischen Korrespondenzen. Bände 3/2, Münster, Aschendorff, 1986, p. 952-961, Mémoire du Roy à Messieurs les Plénipotentiaires sur les affaires d’Espagne, 20 mai 1646. L’original de ce mémoire est en AMAE, CP Allemagne 76 (fol.396-406).
Pour mémoire : nous utiliserons désormais l’abréviation APW pour désigner cet ouvrage fondamental, dont nous n’utilisons dans notre étude que la série II, unité B (Serie II, Abteilung B: Die französischen Korrespondenzen), et les tomes 3/2, 4, 5/1 et 5/2, 6, 7 et 8, que nous désignerons : APW II B 3/2, APW II B 4, etc.
[71] BNF, Baluze 254 (fol.41-45), Mémoire envoyé à Messieurs le Comte d’Harcourt et de Marca pour leur donner advis de l’estat des affaires de la paix qui se traicte a Munster, 16 mai 1646. « Sa Majesté a receu aussy beaucoup de satisfaction de cognoistre les bons mouvementz de ses subjectz de laditte Province vers elle par les propos qui luy ont esté tenuz sur cette affaire par ledit Dom Joseph d’Ardenne et le dict Marti qui ont desiré que Sa Majesté fust suppliée qu’au moins en faisant cette treve les Catalans n’eussent aucune communication ny commerce avec les Castillans ny autres subjects du Roy Catholique, de crainte que de la ils ne prissent occasion de former des caballes parmy eux, et d’y jetter des semences d’un soulevement contre l’auctorité de Sa Majesté, et au prejudice du traicté que l’on auroit faict. Ce qui confirme de plus en plus Sa Majesté dans les bonnes intentions qu’elle a pour l’union perpetuelle de la Catalongne a ce Royaume ».
[72] AMAE, CP Espagne 25 (fol.279), Memoire des ambassadeurs de Catalogne envoyé a Munster. Le docteur Marty a D. Joseph d’Ardena Ambassadeur de Catalogne (inscription erronée), mai 1646. Il s’agit d’un mémoire cosigné par les deux Catalans, adressée au roi, et qui a été envoyé le 20 mai 1646 aux plénipotentiaires de Münster (voir infra). « […] supplican a sus Reales pies postrados, sea de su Real Servicio disponer expressamente, que en los tratados de Munster en la capitulacion de Cataluña se prohiban todos y qualesquieres tratos y commercios entre los Catalanes vassallos de V.Mag.d y qualesquiera subditos del Rey Catholico, porque la aversion que tiene Cataluña a sus enemigos es tanta y tanto su desvelo de assegurar su conservacion en Francia, que antepone a las commodidades de los commercios, les peligros de ellas […] ».
[73] SANABRE, p. 361. « A la llegada de Ardena a Barcelona, a mediados de junio, una vez informados los Consistorios de la forma en que habían faltado a las instrucciones, se produjo una tan violenta reacción contra los dos embajadores que nada ni nadie fué capaz de calmarles, ni las cartas del Rey y de los ministros, ni las promesas y garantías del Virrey avalando las manifestaciones escritas de la Corte, ni la intervención de Marca […] ».
[74] AMAE, CP Espagne 25 (fol.298-299), Lettre des conseillers de Barcelona à la reine, 16 juin 1646.
AMAE, CP Espagne 26 (fol.289-289v), Lettre des conseillers de Barcelona à Mazarin, 16 juin 1646.
AMAE, CP Espagne 25 (fol.304-304v), Lettre des députés de la Generalitat au roi, 17 juin 1646. Le mémoire donné au roi, lit-on, a été donné « sens orde ni tenir instructio ni poder nostre ».
[75] Un exemplaire en est conservé en AMAE, CP Espagne Supplément 5 (fol.207-265v), Manifiesto de la fidelidad catalana, integridad francesa, y perversidad enemiga de la justa conservacion de Cataluña en Francia : Purgatorio de los engaños que la offenden en el tratado de la Paz general en Munster. Al eminentissimo Cardenal Mazarin, Por el Doctor Francisco Marti y Viladamor, Chronista Real, y Abogado Fiscal de la Baylia General de Cataluña (imprimé), 1647.
[76] CAPDEFERRO i PLA, Josep, « Francesc Martí Viladamor (1616-1689). Un catalan (trop?) fidèle au roi de France », dans BERCÉ, Yves-Marie (coord.), Les procès polítiques (XIVe-XVIIe siècle), Rome, École Française de Rome, 2007, p. 425-449.
[77] SANABRE, p. 361.
[78] D’après une lettre de Martí à Mazarin (AMAE, CP Espagne 25, fol.384, 3 octobre 1646).
[79] SÉRÉ, La paix…, p. 139-140.
[80] AMAE, CP Espagne 25 (fol.300-302), Memoire du docteur Marti sur la despeche venue de Catalogne (titre rajouté), juin 1646. Voir édition : Document n°42.
[81] Se reporter à l’édition que nous donnons en annexe : Document n°42.
[82] Le mémoire adressé au roi, qui sera envoyé le 20 mai 1646 aux plénipotentiaires de Münster, cosigné par Marti et Ardena (AMAE, CP Espagne 25, fol.279), commence par la phrase suivante « Los embaxadores del Principado de Cataluña y Ciudad de Barcelona rindiendo a V.Mag.d las devidas gracias en nombre de aquella fidelissima Provincia […] ». Martí ne pouvait pas ignorer ce point, et donc est objectivement coupable de cette usurpation de titre. Elle lui sera reprochée dans de nombreux courriers des Consistoires, par exemple : AMAE, CP Espagne 26 (fol.293), Lettre des députés de la Generalitat à Mazarin (signée du sacristà Viver), 21 juin 1646. Ils lui demandent de tenir compte de la révocation qu’ils ont faite de la commission Martí « ates que ha excedit en ella y no ha duptat de apropriarse lo titol de embaxador que no li havem donat »…
[83] AMAE, CP Espagne 25 (fol.282), Lettre de Martí à Mazarin, 6 juin 1646. « He escrito tambien a los mismos Consistorios, para suavizarles al ajustamiento de treguas, y darles mayor conocimiento de lo que se deve al favor de V.Em.a, que presupuesto que las conveniencias urgentes de la Christianidad en la conclusion de la Paz no dan tiempo de obligar el enemigo a la justa dexacion ce las plazas que ocupa en Cataluña, la mayor fineza que Francia puede hazer por aquel Principado es ajustar sus interesses con treguas (…) ».
[84] VIDAL i PLA, Jordi, Guerra dels Segadors i crisi social. Els exiliats filipistes (1640-1652), Barcelona, Edicions 62, 1984.
[85] AMAE, CP Espagne 25 (fol.279), Memoire des ambassadeurs de Catalogne envoyé a Munster. Le docteur Marty a D. Joseph d’Ardena, ambassadeur de Catalogne (inscription erronée), mai 1646.
[86] BNF, Baluze 254 (fol.41-45), Mémoire envoyé à messieurs le comte d’Harcourt et de Marca pour leur donner advis de l’estat des affaires de la paix qui se traicte a Munster, 16 mai 1646.
[87] APW II B 3/2, p. 952-961, Mémoire du Roy à messieurs les plénipotentiaires sur les affaires d’Espagne, 20 mai 1646. L’original de ce mémoire est en AMAE, CP Allemagne 76 (fol.396-406).
[88] AMAE, CP Espagne 25 (fol.300-302), Memoire du docteur Marti sur la despeche venue de Catalogne (titre rajouté), juin 1646. Voir le commentaire supra. Voir édition : Document n°42.
[89] AMAE, CP Espagne 25 (fol.282), Lettre de Martí à Mazarin, 6 juin 1646.
[90] APW II B 4, p. 6-9, Mémoire du roi aux plénipotentiaires, 9 juin 1646. « Le docteur Marti envoyé de la principaulté de Catalogne sur les affaires de la paix a représenté depuis deux jours que comme la plus grande partie des évesques de Cathalogne se treuvent dans le party du roy d’Espagne et se sont retirez dans l’Arragon et autres terre de son obéissance, il importe extrêmement, au cas que l’on arreste une trêve à longues années, d’obliger ledit roy de les promouvoir a d’autres éveschez, parce qu’aultrement ces églises demeureroient destituées de leurs pasteurs pendant un long espace de temps, Sa Majesté ne pouvant y nommer d’autres personnes tant que les sièges seront rempliz et comme il seroit d’ailleurs trop dangereux de permettre aux évesques présens de venir résider dans le pays pendant la trêve, il sera bien à propos que les affaires prenans le train d’estrez accommodées par cette voye, lesdits Sieurs Plénipotentiaires songent à ce qui se pourra faire de mieux sur ce que ledit Marti a représenté avec beaucoup de raison ».
[91] APW II B 4, p. 96-99, Mémoire des plénipotentiaires au roi, 25 juin 1646.
[92] AMAE, CP Espagne 25 (fol.298-299), Lettre des conseillers de Barcelona à la reine, 16 juin 1646.
AMAE, CP Espagne 26 (fol.289-289v), Lettre des conseillers de Barcelona à Mazarin, 16 juin 1646.
AMAE, CP Espagne 25 (fol.304-304v), Lettre des députés de la Generalitat au roi, 17 juin 1646.
AMAE, CP Espagne 26 (fol.462), Lettre des députés de la Generalitat à Mazarin, 17 juin 1646.
AMAE, CP Espagne 26 (fol.293), Lettre des députés de la Generalitat à Mazarin, 21 juin 1646.
[93] BNF, Français 4216 (fol.354-357v), Lettre de Marca à Le Tellier, 17 juin 1646.
[94] SANABRE, p. 362. « El duelo de los Consistorios con la Corte y el Virrey duró todo el verano, no consiguiendo la rectificación de los acuerdos, ni las zalamerías de la Cancillería Real, ni las amenazas del Virrey, ni las reiteradas gestiones de Marca, ni la presencia del Dr. Martí, que regresó de París con cartas de los más altos personajes de la Corte, laudatorias de su lealtad ».
[95] BNF, Français 4216 (fol.367°-373v), Lettre de Marca à Le Tellier, 27 juin 1646. Pour le rôle de Morell et de la faction de Fontanella/Ardena, voir supra, : Deuxième partie, I. 2.
[96] SHD, A1 99 (fol.213-215v), Réponse [du roi] au mémoire présenté par Joseph d’Ardena ambassadeur du Principat de Catalogne et de la ville de Barcelona touchant la justice et autres affaires de la province, 9 mai 1646.
SHD, A1 99 (fol.230-231), Lettre missive du roi au comte d’Harcourt, 17 mai 1646. Cette lettre est écrite au sujet du mémoire donné par les deux ambassadeurs, qui est renvoyé à Harcourt en pièce jointe. Elle coupe court au débat en affirmant qu’on n’en tiendra pas compte.
[97] BNF, Français 4201 (fol.234v-238v), Lettre de Le Tellier à Marca, 19 juin 1646.
[98] APW II B 4, p. 133-138, Mémoire du roi aux plénipotentiaires, 30 juin 1646.
[99] AMAE, CP Espagne 25 (fol.338), Lettre de Mazarin aux députés de la Generalitat (minute), 7 août 1646.
[100] AMAE, CP Espagne 25 (fol.355-355v), Lettre de Martí à Mazarin, 19 septembre 1646.
AMAE, CP Espagne 25 (fol.363), Lettre de Martí (père) à Mazarin, 26 septembre 1646.
[101] SANABRE, p. 363.
[102] Cette longue relation, que nous indiquons vivement au lecteur, se trouve reproduite dans les Dietaris de la Generalitat de Catalunya, parce qu’une copie en avait été donnée aux députés : Dietaris…, t.VI, p.798-810, Còpia de la relació de doctor Francisco Martí y Viladamor feta als molt il·lustres senyors consellers y savi Consell de Cent acerca de la commissió a ell donada de informar a sa magestat, que Déu guarde, y senyors superiors ministres y senyors plenipotenciaris de la dieta de Münster de la justícia de la submissió o reunió de Cathalunya a la corona de França, entregada als molt il·lustres senyors deputats, 20 septembre 1646. Nous donnons une édition partielle du chapitre concernant les biens confisqués, dans nos annexes (Document n°43).
[103] AMAE, CP Espagne 25 (fol.384), Lettre de Martí à Mazarin, 3 octobre 1646. « Si en la Corte huviesse puesto en platica y executado el capitulo que en sus instrucciones dispuso el conseller en cap assi en lo tocante al commercio, como en que algunos Catalanes que tienen algunas haziendas pequeñas en tierras del Rey Catholico pudiessen yr a beneficiar dellas libramente, y traher a la Provincia lo procedido de ellas, si por estas instancias esto se huviesse conseguido, y por la igualdad que se deve en qualquier trato, huviessen alcançado los enemigos lo mismo en las haziendas confiscadas que tienen en el Principado y por este camino los Grandes y Señores de la Corte del Rey Catholico huviessen tenido el passo libre en Cataluña administrando no solo sus haziendas antiguas sino tambien las jurisdicciones civiles y criminales, que les competian en sus villas y lugares, que es la mayor parte del Principado, y de esta manera se huviesse abierto la mayor puerta a la reintrusion de Castilla ; si yo huviesse trabajado el Manifiesto, y otros escritos importantes al servicio de Su Mag.d ; si no me huviesse siempre desvelado con tanto fervor en mi affecto ; yo fuera oy el mas grato a los ojos de los que me persiguen, no me viera tan ultrajado y abatido ». Martí en profite ensuite pour supplier Mazarin de lui procurer quelque nouvelle donation sur les biens confisqués !
[104] APW II B 4, p. 133-138, Mémoire du roi aux plénipotentiaires, 30 juin 1646.
[105] BNF, Baluze 254 (fol.50v-55), Mémoire pour informer messieurs les Plenipotentiaires de ce qui a esté mandé de la part du Roy en Catalongne touchant la negotiation faicte a Munster a l’esgard de la dicte Province, 30 juin 1646. Le texte se trouve aussi recopié en SHD, A1 99 (fol.331v-336v).
[106] BNF, Baluze 254 (fol.58-60v), Lettre missive du roi à Marca, 5 juillet 1646. Le texte de cette lettre se trouve aussi copié en SHD, A1 100 (fol.7-10).
[107] Voir supra. APW II B 3/2, p. 952-961, Mémoire du Roy à messieurs les Plénipotentiaires sur les affaires d’Espagne, 20 mai 1646. L’original de ce mémoire est en AMAE, CP Allemagne 76 (fol.396-406). « On pourroit mesme stipuler que le roy d’Espagne seroit tenu de payer en argent dans certains temps les biens de quelques-uns qui peult-estre aymeroient mieux sortir du pays, et aller habiter en d’aultres endroictz ».
[108] Dès le 3 juillet, Abel Servien fait savoir à Hugues de Lionne que les Provinces-Unies se permettent de faire des offres sur des questions concernant la France : « Nous apprenons que pour y gagner les espritz, on y faict mettre en déliberation les poinctz de la Catalogne, du Portugal, et autres qui nous regardent ». APW II B 4, p. 160-165, Mémoire de Servien à Lionne, 3 juillet 1646.
[109] APW II B 4, p. 178-189, Mémoire des plénipotentiaires au roi, 9 juillet 1646.
[110] APW II B 4, p. 190-191, Mémoire des plénipotentiaires à Mazarin, 9 juillet 1646.
[111] APW II B 4, p. 210-217, Mémoire des plénipotentiaires au roi, 16 juillet 1646.
[112] SÉRÉ, La paix…, p. 141-143.
[113] APW II B 4, p. 210-217, Mémoire des plénipotentiaires au roi, 16 juillet 1646.
[114] APW II B 4, p. 261-264, Mémoire du roi aux plénipotentiaires, 27 juillet 1646. Dans une lettre missive du roi au comte d’Harcourt (BNF, Baluze 254, fol.62-63, 3 août 1646), on prescrit de faire part aux Catalans de ces propositions faites à Münster : la reine a offert six des meilleures places de Flandre près de la capitale « mon sejour ordinaire », et de renoncer aux droits de la maison de Bourbon sur la Navarre.
[115] SÉRÉ, La paix…, p. 143.
[116] SANABRE, p. 362.
[117] BNF, Français 4216 (fol.433v), Lettre de Marca à Le Tellier, 5 juillet 1647.
[118] CALVO RODRÍGUEZ, Manuel, « L’ambaixada catalana de Francesc Puigjaner a Paris : de juliol de 1646 a marc de 1647 », Pedralbes, n° 18, 1998, p.81‑87.
[119] SIMON i TARRÉS, « L’entrada… », p. 229-231.
[120] APW II B 4, p.196-202, Mémoire de Servien à Lionne, 10 juillet 1646.
[121] SHD, A1 100 (fol.2v-5v), Mémoire du roi à Harcourt, 5 juillet 1646. Dès ce mémoire, on insiste sur l’importance de la prise de Lleida sur le plan diplomatique. Harcourt sera constamment poussé à continuer ses efforts, la cour de France faisant plus ou moins semblant de ne pas voir les circonstances dramatiques de ce siège.
APW II B 4, p. 293-297, Mémoire des plénipotentiaires au roi, 6 août 1646. Longueville, d’Avaux et Servien jouent sur la corde de Lleida en faisant savoir aux Espagnols que, s’ils restituent Tortosa et Tarragona, on ne parlera plus de Lleida. Ce qui montre bien la valeur de monnaie d’échange de cette place dans les négociations.
Puis ils demandent des nouvelles précises du siège, disant que si on peut le réussir, et faire jurer aux habitants le serment de fidélité en faveur du roi de France, cela sera un élément décisif (APW II B 4, p. 328-330, Mémoire des plénipotentiaires au comte de Brienne, 13 août 1646).
[122] APW II B 4, p. 331-336, Mémoire des plénipotentiaires au roi, 13 août 1646.
[123] APW II B 4, p. 468-470, Mémoire de Servien à Lionne (d’Osnabrück), 21 septembre 1646.
[124] APW II B 4, p. 480-485, Mémoire des plénipotentiaires au comte de Brienne (d’Osnabrück), 25 septembre 1646.
[125] APW II B 4, p. 503-504, Lettre de Longueville à Mazarin (de Münster), 1er octobre 1646.
[126] SHD, A1 100 (fol.159v-163v), Lettre missive du roi au comte d’Harcourt, 30 octobre 1646.
[127] BNF, Baluze 254 (fol.76v-80v), Lettre du roi au comte d’Harcourt tant sur la continuation du siège de Lerida que sur quelques points d’une tresve pour la Catalongne, 5 novembre 1646.
[128] BNF, Français 4201 (fol.460-463v), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 10 décembre 1646.
[129] SÉRÉ, La paix…, p. 144-145.
[130] HAAN, Bertrand, « La dernière paix catholique européenne : édition et présentation du traité de Vervins (2 mai 1598) », La paix de Vervins : 1598, Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie de l’Aisne, 2010, p.9‑63.
[131] HAAN, « La dernière paix… », p. 17. « Premierement, est convenu et accordé que le traitté, de paix demeure conclu et resolu entre lesdicts sieurs rois Philippe second et Henry quatriesme conformement et en approbation des articles contenuz au traitté de paix fait à Chasteau en Cambresiz en l’an mil cincq cent cincquante-neuf entre ledict sieur roy Catholicque et feu de tres haulte et tres louable memoire Henry second, roy de France ; et lequel traitté lesdicts deputez èsdicts noms ont de nouveau confirmé et approuvé en tous ses poinctz, comme s’il estoit icy inseré de mot à aultre et sans innover aulcune chose en iceluy ny ès aultres precedens, qui tous demeurent en leur entier, sinon en ce que y seroit expressement derogé par ce present traitté ». Voir aussi : Document n°41.
[132] HAAN, « La dernière paix… », p. 10-11.
[133] GROTIUS, Hugo, Le Droit de la guerre et de la paix, par Hugues Grotius. Nouvelle traduction par Jean Barbeyrac,… avec les notes de l’auteur… et de nouvelles notes du traducteur, chez E. Thourneisen, 1746, p. 428, « Chapitre XX : Des conventions publiques par lesquelles on met fin à la Guerre : entr’autres des traitez de paix ; de la décision du sort ; des combats arretez de part et d’autre, des arbitrages, de la manière d’agir avec ceux qui se sont rendus, des otages et des gages donnez ».
[134] HAAN, « La dernière paix… », p. 18. Voir l’édition de ces articles du traité de Vervins (Document n°41).
[135] HAAN, « La dernière paix… », p. 18. Voir l’édition de ces articles du traité de Vervins (Document n°41).
[136] GROTIUS, Le droit…, p. 432.
[137] GROTIUS, Le droit…, p. 431.
[138] HAAN, « La dernière paix… », p. 19. Voir l’édition de ces articles du traité de Vervins (Document n°41).
[139] GROTIUS, Le droit…, p. 430-431. Voir l’édition de ces articles du traité de Vervins (Document n°41).
[140] HAAN, « La dernière paix… », p. 19
[141] Cf. supra, Première partie, I. 3).
[142] HENRY, Histoire du Roussillon…, Imprimerie Royale, 1835, t. II, p. 274-277.
[143] HAAN, « La dernière paix… », p. 17. « Premierement, est convenu et accordé que le traitté, de paix demeure conclu et resolu entre lesdicts sieurs rois Philippe second et Henry quatriesme conformement et en approbation des articles contenuz au traitté de paix fait à Chasteau en Cambresiz en l’an mil cincq cent cincquante-neuf entre ledict sieur roy Catholicque et feu de tres haulte et tres louable memoire Henry second, roy de France ; et lequel traitté lesdicts deputez èsdicts noms ont de nouveau confirmé et approuvé en tous ses poinctz, comme s’il estoit icy inseré de mot à aultre et sans innover aulcune chose en iceluy ny ès aultres precedens, qui tous demeurent en leur entier, sinon en ce que y seroit expressement derogé par ce present traitté ».
[144] Traité de paix du Cateau Cambrésis, 3 avril 1559. Texte consultable sur le site de l’Université de Perpignan : http://mjp.univ-perp.fr/traites/1559cateau.htm (consulté le 28 juin 2014).
[145] Traité de paix du Cateau Cambrésis, 3 avril 1559. Texte consultable sur le site de l’Université de Perpignan : http://mjp.univ-perp.fr/traites/1559cateau.htm (consulté le 28 juin 2014).
Article 45
« […] Outre ce, se comprendront les Ducs de Mantouë et d’Urbin, le Duc de Parme et de Plaisance, les Reverendissimes Cardinaux Farnese et Santangelo ses Frères, et aussi le Cardinal Camerlengo, le Comte de Saincte Fleur et autres ses Freres, Reverendissimes Cardinaux Carpi, et Perosa, Marco Antonio Colona, Paolo Iordain Orsino, Vespasian Gonzaga, le Seigneur de Monaco, le Marquis de Final, le Marquis de Massa, le Seigneur Bertholdo Farnese, l’Evesque de Pavie et ses Freres, le Seigneur de Plombin, le Comte de Sala, le Comte de Colorino, Sinolpho, Seigneur de Castellothiery ; pour joüir pareillement du benefice de cette Paix, et en vertu de ce present Traitté de tous et chacun leurs biens Ecclesiastiques et temporels qu’ils ont aux Païs dudit Seigneur Roy Tres-Chrestien […] »
Article 46
« […] pour joüir du benefice de ce present Traitté, et en vertu d’iceluy de tous les biens temporels et Ecclesiastiques qu’ils ont és Païs dudit Seigneur Roy Catholique : les Marquise de Montferrat, Duchesse Doüaigiere et le Duc de Mantouë, le Seigneur Ludovico Gonzaga son Frere, la Republique de Luques, les Evesque et Chapitres de Metz, Toul et Verdun, l’Abbé de Gorze (sans par cette comprehension faire aucun prejudice au droit de celuy que de la part du Roy Catholique l’on pretend estre Abbé de Gorze, auquel demeurent ses droits saufs et reservez) les Seigneurs de la maison de la Marck, le Duc de Palliano, les Comtes de la Mirandole et de Perillan, le Seigneur Iordan Ursin, Camillo et Paolo Ursin, le Seigneur Cardinal Strozzi, Philippe et Robert Strozzi, l’Evesque de Sainct Papoul, Salviati, le Seigneur Cornelio Bentivoglio et ses Freres, le Seigneur Adrien Baillon, pour joüir pareillement du Benefice de cette Paix, et en vertu de ce present Traitté, de tous et chacuns leurs biens Ecclesiastiques et temporels, qu’ils ont és Païs dudit Seigneur Roy Catholique. Bien entendu toutefois, que le consentement, que ledit Seigneur Roy Catholique donne à la comprehension de la Comtesse de la Frise Orientale et son Fils, soit sans prejudice du droit que Sa Majesté Catholique pretend sur les Païs d’iceux. Comme aussi demeurent reservées à l’encontre, les deffenses, droits et exceptions de ladite Dame et de son Fils aussi : avec declaration expresse, que ledit Seigneur Roy Catholique ne pourra directement ou indirectement travailler, par soy ou par autres, aucuns de ceux qui de la part dudit Seigneur Roy Tres-Chrestien ont ici esté compris. Et que si ledit Seigneur Roy Catholique pretend aucune chose à l’encontre d’eux, ils les pourra seulement suivre par droit par devant Iuges competans, et non par la force, en maniere que ce soit ».
[146] de RUBLE, Alphonse, Le traité de Cateau-Cambrésis, Labitte, 1889, publié sur http://www.mediterranee-antique.fr/Auteurs/Fichiers/PQRS/Ruble/Traite_Cateau/Traite_CC_4.htm (consulté le 28 juin 2014).
[147] Selon Henry, en 1503, Louis XII et Ferdinand II signent un nouveau traité de paix qui est immédiatement enfreint par le roi d’Aragon. Pendant cette période, les opérations françaises en Roussillon étaient récurrentes. HENRY, Histoire du Roussillon…, Imprimerie Royale, 1835, t. II, p. 236-327.
[148] Cf. supra, Première partie, I. 1.
[149] LÉONARD, Frédéric, Recueil des traitez de paix, de Trève, de Neutralité, de Confédération, d’Alliance, et de Commerce, faits par les rois de France, avec tous les princes et potentats de l’Europe, et autres, depuis près de trois siècles, en six tomes, Paris, 1693, p. 371-382. « Et intendunt seu intelligunt partes praedictae quod manentes et habitantes in praedictis comitatibus et similiter subditi praedictorum regum, sive sint clerici, laici, nobiles aut alii qui habeant bona eis pertinentia in praedictis comitatibus regnis et dominiis sive ad causam eorum vel uxorum suarum aut beneficiorum aut alias, stabunt et revertentur in gaudentis praedictorum suorum bonorom ; non obstantibus quibuscumque bannis aut confiscationibus quae factae fuerint ob causam servitiorum et partitorum seu adhaerentiarum utruiusque partium praedictarum, exceptis tamen fructibus et pensionibus perceptis, retentis seu levatis quae remanebunt apud eos qui illos vel illas levaverunt, retinerunt et receperunt ; exceptis etiam fructibus et pensionibus stantibus et quae stant usque in diem traditae possessionis ».
« […] omnes casus, crimina et delicta a quibuscumque subditis cujuscumque status vel conditionis fuerint commissi et facti commissa et facta propter servitium praestitum, adhaerentiamque et obedientiam per eos praestitas defuncto bonae memoriae Ludovico Regi Francorum et Christianissimo Regi Francorum feliciter regnanti ».
[150] HENRY, Histoire du Roussillon…, Imprimerie Royale, 1835, t. II, p. 181. Frédéric Léonard dénonce aussi le caractère très contestable et litigieux de ce traité, à plusieurs reprises dans son ouvrage (Recueil des traitez de paix…).
[151] Il faut signaler l’existence d’un document, conservé aux Archives nationales (AN, K 1335, n°s 4 à 45), Proposicion de los plenipotentiarios de España sobre el tratado y conclusion della paz, daté du 4 décembre 1644. D’après l’écriture, nous attribuons cette transcription au père et/ou au fils Théodore (1580-1649) et Denis Godefroy (1615-1681), qui l’avai(en)t établi soit pour l’usage des plénipotentiaires – on sait que Théodore Godefroy avait été envoyé à Münster où il resta après 1648 –, soit pour les besoins de la science historique, travaillant à de nombreux recueils de « bella diplomatica ». Il n’est pas non plus impossible que Godefroy ait agi en tant que rédacteur – le même volume conserve les brouillons de sa main de « Remarques sur les propositions faites par les plenipotentiaires d’Espagne à Munster ».
Si ces propositions espagnoles, qui comportent un point traitant de la restitution réciproque des biens confisqués, sont authentiques, il n’en reste pas moins que, comme nous l’avons vu supra, les discussions des années 1644 et 1645 n’avaient débouché sur rien de concret, et nous ne trouvons pas de référence postérieure à ces propositions ou à cet écrit. Il part évidemment du principe qu’on reprendra les clauses des traités précédents.
« Y en quanto a las represalias y confiscaciones de los vassallos della una y otra corona, y al comercio, union y amistad reciproca entre ellas contra sus enemigos y otras cosas semejantes, se pondran las clausulas ordinarias y tambien las de seguridad y firmeza de lo que se capitulare [sic] en la forma que se hizo en los sobredichos tratados de paz ».
[152] APW II B 4, p. 647-648, Lettre des plénipotentiaires au comte de Brienne, 24 août 1646.
[153] APW II B 4, p. 468-470, Mémoire de Servien à Lionne (d’Osnabrück), 21 septembre 1646.
[154] APW II B 4, p. 480-485, Mémoire des plénipotentiaires au comte de Brienne, 25 septembre 1646. « Le résultat de trois longues conférences que nous avons eu avec eux, a esté que pour estre plus assurez de ce que nous pouvions faire et soulager leur mémoire, ils ont pris un escrit semblable à celuy qui sera cy-joint où nous avons faict insérer l’affaire du Portugal n’ayans pas jugé à propos de consentir qu’il n’en soit point parlé jusques à ce que les Espagnolz soient demeurez d’accord positivement de tout le reste dont nous tascherons de les faire expliquer aussytost que nous serons de retour a Munster ». L’écrit joint dont il est fait mention est celui conservé aux archives de l’Assemblée nationale (voir infra).
[155] SÉRÉ, La paix…, p. 145-146.
[156] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.188-189), Poincts a convenir entre les plenipotentiaires de France et d’Espagne. Donnez aux ambassadeurs de Messieurs les Estatz estans a Osnabrug, 22 septembre 1646.
[157] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.154-162v), Coppie des articles dont il est convenu avec les imperiaux, avec la lettre de messieurs les plénipotentiaires du 17 septembre 1646, receue le 24, 17 septembre 1646.
[158] SÉRÉ, La paix…, p. 146.
APW II B 4, p. 539-543, Mémoire des plénipotentiaires au comte de Brienne, 8 octobre 1646. Texte original conservé dans les archives de l’Assemblée nationale, Manuscrit 276, fol.209-225v, Memoire des plenipotentiaires de France. Le document jointe à ce mémoire (contenu des réponses des Espagnols aux 22 points des Français connues par l’intermédiaire des interpositeurs) est également conservé dans le volume :
Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.226-227).
[159] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.226-227), Escrit des Espagnols avec la lettre de messieurs les plenipotentiaires, 8 octobre 1646.
[160] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.228-233), Response de messieurs les plenipotentiaires a l’escrit des Espagnols, avec leur lettre du VIII octobre 1646, receu le 16, 8 octobre 1646.
[161] APW II B 4, p. 548-551, Lettre d’Avaux à Mazarin, 9 octobre 1646
[162] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.234-235), Escrit envoyé par messieurs les ambassadeurs de Hollande, 11 octobre 1646.
[163] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.236-238), Réponses des plénipotentiaires français aux interpositeurs, vers le 11 octobre 1646.
[164] C’était un grand seigneur issu de la maison d’Anglure possédant des terres dans le royaume de Naples et ayant soutenu la France contre l’Espagne. La France défend la restitution de ses domaines.
[165] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.281-282), Dernier escrit envoié aux ambassadeurs de Messieurs les Estatz, XXVe octobre 1646, avec la lettre de messieurs les plenipotentiaires du 29 octobre 1646 receue le VI novembre, 25 octobre 1646. « 10. […] Quant a la restitution des particulliers nommez de part et d’autre, il ne seroit pas raisonnable de la faire par autre voye et en autre maniere que celle qui a esté pratiquée dans les traitez precedens ».
[166] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.314-315), Escrit donné par les ambassadeurs de Messieurs les Estatz, XI novembre 1646, avec la lettre de messieurs les plenipotentiaires du 12 novembre 1646, receue le 20, 11 novembre 1646. « Pour le 10. […] Et pour les reffugiez en France qu’ils seront restituez en leurs biens existans sans dire que ce soit par moien de pardon ny a l’instance de la France, et que le reciproque soit au regard des François qui pourroient estre entrez au party d’Espagne. Et que la restitution soit aussy reciproque des subjets de part et d’autre en leurs biens, soit riefre la France soit riefre les Estats du roy d’Espagne comme il s’est mis en tous les traitez ». Le terme « riefre » signifie « dans, sur les terres de, en possession de ».
[167] APW II B 4, p. 796-800, Lettre d’Avaux à Mazarin, 12 novembre 1646.
[168] APW II B 5/1, p. 108-130, Mémoire de Servien à Lionne, 11 décembre 1646.
[169] APW II B 4, p. 601-604, Lettre de Longueville à Mazarin, 15 octobre 1646.
[170] AMAE, CP Allemagne 80 (fol.113-114), Memoire donné par un Catalan sur les inconveniens de la trefve de Catalongne (inscription de la main d’Hugues de Lionne), avec la depesche de la cour du XXIe decembre, décembre 1646. Ce mémoire, comme nous le montrons, est de la main d’Isidoro de Pujolar.
[171] AMAE, CP Allemagne 80 (fol.113-113v) : « Que los Cathalanes que se huvieran retirado a Castilla y estuvieranfuera de Cathaluña al tiempo de la conclusion de la tregua no pueden bolver a Cathaluña, Rossellon ni Serdaña, ni se restituidos en los bienes que dexaron en ella, por los daños que pueden causar su comunication.
Que los señores Castellanos ho de otros reynos sujetos al Rey Catholico que tienen tierras en Cathaluña no puedan pretender la restitucion, por los grandes daños y inconvenientes que dello pueda resultar ».
[172] APW II B 5/1, p. 163-167, Mémoire du roi à Longueville, d’Avaux et Servien, 21 décembre 1646.
[173] APW II B 4, p. 608-615, Mémoire d’Abel Servien à Hugues de Lionne, 16 octobre 1646.
[174] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.363-364), Escrit envoié par messeigneurs a messieurs les ambassadeurs de Holande, 16 novembre 1646, avec la lettre de messieurs les plenipotentiaires du 24 novembre 1646, receu le 29, 16 novembre 1646.
« 10. Ce qui est contenu en cet article ne respond pas a la justice qu’on en doit attendre ny aux esperances qu’on en avoit donné. Et puisque du costé de la France on s’est si fort accommodé de ce point, on ne doute pas que messieurs les plenipotentiaires d’Espagne ne se declarent plus avant et qu’au moins en attendant le jugement, le Roy Catholique ne veuille faire rendre les terres de cette maison qui ont esté unies a son domaine.
Pour les refugiés : accordé ».
[175] APW II B 5/1, p. 95-98, Mémoire du roi à Longueville, d’Avaux et Servien, 9 décembre 1646.
[176] APW II B 5/1, p. 108-130, Lettre de Servien à Lionne, 11 décembre 1646.
[177] APW II B 5/1, p.179-183, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 24 décembre 1646.
[178] SÉRÉ, La paix…, p. 146.
[179] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.416-419), Article donné aux Holandois pour delivrer aux plenipotentiaires d’Espagne touchant la retention de conquestes, avec la lettre de messieurs les Plenipotentiaires du 24 decembre 1646, receu le 29, 24 décembre 1646.
[180] APW II B 5/1, p. 203-215, Mémoire de Longueville et d’Avaux au roi, 31 décembre 1646.
[181] Assemblée nationale, Manuscrit 276 (fol.188-189), Poincts a convenir entre les plenipotentiaires de France et d’Espagne. Donnez aux ambassadeurs de Messieurs les Estatz estans a Osnabrug, 22 septembre 1646. Voir supra.
[182] Assemblée nationale, Manuscrit 277 (fol.36-39), Escrit baillé par M. Pau deputé de Messieurs les Estats, avec la lettre de messieurs les plenipotentiaires du 13 janvier 1647, receue le 19, 8 janvier 1647. Un texte identique est conservé en AMAE, CP Allemagne 80 (fol.228-230v). La transcription de la réponse des Espagnols est également conservée en deux exemplaires identiques : Responses de l’Espagne sur les demandes de la France (Assemblée nationale, Manuscrit 277, fol.40-42v ; AMAE, CP Allemagne 80, fol.231-233v). Les deux documents sont encore conservés, dans une copie de moindre qualité, en AMAE, CP Allemagne 87 (respectivement fol.76-78 et 79-80).
[183] La réponse des Espagnols aux 22 articles du 8 janvier est totalement dilatoire (Responses de l’Espagne sur les demandes de la France (Assemblée nationale, Manuscrit 277, fol.40-42v ; AMAE, CP Allemagne 80, fol.231-233v)).
[184] APW II B 5/1, p. 346-353, Mémoire de Longueville au roi, 21 janvier 1647.
[185] APW II B 5/1, p. 438-439, Mémoire de Longueville à Mazarin, 28 janvier 1647.
[186] SÉRÉ, La paix…, p. 148.
[187] Voir, à ce sujet, la très longue note des Acta Pacis Westphalicae (APW II B 5/1, p. 440).
[188] AN, K 1336. Le contenu de ce volume va être amplement décrit infra.
[189] Nous sommes revenus sur la personnalité du père et du fils Godefroy au sujet du factum des consuls d’Ille qui fut annoté de la main de Denis (voir supra : Deuxième partie, II. 2.
[190] SONNINO, Paul, Mazarin’s Quest: The Congress of Westphalia and the Coming of the Fronde, Harvard University Press, 2008, p. 2.
[191] SONNINO, Mazarin’s Quest…, p. 243. A cet endroit, l’historien dit que les documents n°45a et 45b du K 1336 sont de la main de Doulceur avec des commentaires de la main de Godefroy. Cela semble inexact. Notre propre commentaire s’applique à l’ensemble des deux cotes K 1335 et K 1336. Deux hypothèses semblent davantage plausibles :
- soit deux graphies différentes de la part de Denis Godefroy lui-même (le corps de texte en capitales, les commentaires en cursive) ;
- soit l’écriture du père (graphie en capitale) à côté de celle du fils (graphie en cursive).
L’identification des commentaires par Denis Godefroy est absolument certaine (voir lettre signée par lui : lettre du 3 mai 1662, manuscrite et signée par Denis Godefroy, adressée à l’évêque de Luçon Nicolas Colbert, BNF, Baluze 362, fol.33-34, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90015574/f72.image.r (consulté le 11 mai 2014). Pour l’identification de l’écriture capitale, on trouve une table de la même graphie en tête du volume : BNF, Français 18517, Recueil sur le Cérémonial, formé en grande partie par les soins de Théodore GODEFROY. (1323-1654.) — Originaux et copies (voir http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9063507h/f5.image.r=Godefroy.langFR, consulté le 5 octobre 2014). L’inventaire de la BNF dit qu’une majorité du volume a été formée par les soins de Théodore Godefroy (le père), mais on voit clairement dans cette table que la graphie du fils y est également présente. Voir aussi l’identification de la mention manuscrite de Godefroy sur le factum d’Ille (Document n°52) supra Deuxième partie, II. 2.
[192] AMAE, CP Allemagne 80 (fol.408-413v), Articles touchant l’Espagne, s.d. (1647). Ce sont les Acta Pacis Westphalicae qui signalent cette pièce (APW II B 5.1, notes p. 440).
[193] AMAE, CP Espagne 80 (fol.411v-412).
[194] AMAE, CP Allemagne 87 (fol.250-251v), Article pour les particuliers donné aux ambassadeurs de Messieurs les Estats, envoyé avec la depesche de M. de Longueville du 5 febvrier 1647, 5 février 1647.
[195] AMAE, CP Allemagne 87 (fol.252-253), Articles changez et adjoustez au projet du traité d’Espagne, envoyés avec la depesche de M. le duc de Longueville du 5 février 1647, 5 février 1647.
[196] AN, K 1336 (pièce non cotée), Le project pour le Traicté de Paix entre les rois de France et d’Espagne, delivré de la part des plenipotentiaires de France à Munster l’an 1647 le 21 febvrier (de la main de Denis Godefroy), 21 février 1647.
[197] Voir dans les annexes : Document n°44.
[198] Document n°44.
AN, K 1336.
[199] APW II B 5/1, p. 163-167, Mémoire du roi à Longueville, d’Avaux et Servien, 21 décembre 1646. Nous reviendrons infra sur les réactions des Catalans aux projets de trêve en 1647 dans le prolongement de cet événement.
[200] BNF, Français 4216 (fol.515v-516v), Lettre de Marca à Le Tellier, 28 décembre 1646.
[201] BNF, Français 4216 (fol.516v-520v), Lettre de Marca à Le Tellier, 29 décembre 1646. Voir infra.
[202] Le mémoire en question est conservé en AMAE, CP Espagne 25, fol.441-443, comme l’expliquent les Acta Pacis Westphalicae. On verra plus loin (dans la partie consacrée aux réactions en Catalogne) que les Consistoires avaient décidé d’envoyer directement au roi le mémoire rédigé le 24 décembre 1646 par les 12 personnes élues par la ville de Barcelona (Dietaris…, vol. VI, App. I, p. 830-831).
[203] BNF, Français 4216 (fol.524-524v), Lettre de Marca à Le Tellier, 30 décembre 1646.
[204] APW II B 5/1, p. 302-307, Mémoire du roi à Longueville, d’Avaux et Servien, 15 janvier 1647.
[205] Le mémoire de Marca est conservé en AMAE, CP Espagne 25 (fol.468-468v – erreur de foliotation), Memoire de M. de Marca concernant la treve de Catalogne, 24 décembre 1646.
[206] APW II B 5/1, p. 302-307, Mémoire du roi à Longueville, d’Avaux et Servien, 15 janvier 1647.
La réponse du roi est conservée en AMAE, CP Espagne 25 (fol.432-440), Memoire de la part du roy pour servir de response a celuy qui a esté presenté a Sa Majesté au nom des depputez du Principat de Catalogne et des conseillers du Conseil des Cent de la ville de Barcelone par le sieur Puiggener leur ambassadeur (daté faussement de 1646), 18 janvier 1647.
On trouve d’autres versions du texte conservées par ailleurs :
AMAE, CP Espagne 27 (fol.33-41v)
BNF, Baluze 254 (fol.85-93v).
[207] SÉRÉ, La paix…, p. 148-149.
[208] Un seul exemple parmi tant d’autres possibles : l’évêché de Lleida a un titulaire qui réside du côté espagnol, mais le roi de France en a pourvu Vicenç de Margarit, frère du Gouverneur Josep de Margarit…
[209] Par exemple :
AMAE, CP Espagne 20 (fol.327-334v), Memoire des conseillers de Barcelone touchant les interests du Principat de Catalogne dans la Paix generale. Le premier inconvénient des trêves cité par les conseillers est le rétablissement de la communication : « 9. Primeramente, se seguirà que todos los Cathalanes desterrados de Cathalunÿa por mal affectos, y todos los que della se han ausentado por no querer ser vasallos de V. Mag.d, viendo que con las treguas ha cessado ja el ruydo de la guerra y el peligro, acudiran a Tarragona para esser en Cathalunÿa su patria, con que se poblara mucho esta ciudad, y se hara illustre y desde alli (o movidos de si, o persuadidos de los Castellanos) ¿ quien duda que tendrán continua correspondencia con sus amigos, conocidos y parientes que estan entre nosotros ? Pues la vezindad de Barcelona y la cessassion de los peligros de la guerre les dara para este affecto muchas y muy seguras ocasiones (este inconveniente militará también en respecto de las otras plaças enemigas) » (fol.329).
[210] Ici, le traité comporte même probablement une omission. On lit : « s’assembleront au lieu dont il sera convenu respectivement entre le viceroy ou lieutenant general dudict seigneur Roy Treschrestien en Catalongne dans Tarragone », mais il faut probablement comprendre « s’assembleront au lieu dont il sera convenu respectivement entre le vice-roi ou lieutenant-général dudit seigneur roi Très Chrétien en Catalogne et le vice-roi du roi Catholique dans Tarragone ».
[211] Serna i Coba, Erika, « Aproximació a l’estudi del tractat dels Pirineus. Les conferències de Figueres (1660-1666) », Annals de l’Institut d’Estudis Empordanesos, n° 21, 1988, p.111‑134.
[212] Voir sur ce point l’ouvrage (actuellement en préparation) de Michel BOUGAIN sur les véritables implications du traité des Pyrénées et des conférences tenues à sa suite.
[213] Voir supra : Deuxième partie, I. 2.
[214] APW II B 4, p. 608-615, Mémoire d’Abel Servien à Hugues de Lionne, 16 octobre 1646.
[215] Le traité, délivré le 26 février 1647, est daté du 24. Plusieurs versions identiques en sont conservées dans les dépôts d’archives français.
AMAE, CP Allemagne 87 (fol.408-418v ; une autre version fol.420-422v) ; AMAE, CP Espagne 81 (fol.158-165).
Assemblée nationale, Manuscrit 277 (fol.338-342v) ;
AN, K 1336 (n°45b). Cette dernière version, comme le reste du volume, annotée de la main de Godefroy.
Au niveau diplomatique, la tradition semble devoir être résumée ainsi : les exemplaires conservés aux Affaires étrangères et à l’Assemblée nationale sont sans doute les originaux envoyés par les plénipotentiaires à Mazarin et/ou au secrétaire d’Etat. Ce sont des copies de l’original princeps (sans doute perdu) que les médiateurs avaient remis à Longueville le 26 février, mais que le duc avait restitué symboliquement le 28 pour faire part de son mécontentement. Quant au texte annoté par Godefroy, il s’agit de sa copie personnelle établie d’après cet original au moment même de sa réception. Il semble que les Français ne se soient pas contentés de faire une seule copie du traité original (en espagnol), envoyée aux membres du gouvernement en deux ou trois exemplaires, mais qu’ils l’aient aussi copié en italien. On en trouve une version italienne (n°45a), ainsi annotée : « l’autre en espagnol est differend et plus ample ». Des études plus détaillées des textes respectifs permettraient d’apporter davantage de solidité à ces hypothèses.
On trouve dans la suite du volume K 1336 la traduction en français de ce traité, de la main de Godefroy (n°45c), et des remarques (n°46a)…
[216] « 2.
Los dichos bassallos y subditos de una y otra parte bolveran y entraran de nuebo en la posession de sus bienes muebles y raices, rentas, derechos y acciones, successiones testamentarias y ab intestats, non obstante todas las confiscaciones, annotaciones, donaciones o otras qualesquieras alienaciones que se pueden haver hechos de los dichos bienes, exepto en lo que toca los fructos y rentas pasadas y caidas, los quales no se podran repetir por los dueños y començara la dicha restitucion y posession solo desde la publicacion deste presente tratado ».
[217] « 10.
Admitira tambien una tregua de treinta años en el Principado de Cataluña, y durante aquel tiempo quedaran las cosas en el estado en que se hallaran quando se publique el presente tratado, sin que se puedan mudar ni alterar, y cesaran por el mismo tiempo todos actos de hostilidad de una parte y otra, y gozaran los pueblos y morador de la dicha provincia (tanto de un partido como de otro) del beneficio de la tregua, como se ha usado con las demas naciones en caso semejante ».
[218] AN, K 1336 (n°46a), Remarques sur le dernier project pour la paix entre les rois de France et d’Espagne, délivré aux médiateurs à Munster l’an 1647, au mois de febvrier de la part des plenipotentiaires d’Espagne, ensuite du project de ceux de France, au mesme an, au mois de janvier, février 1647 (de la main de Godefroy). Les nombreux brouillons de cette pièce sont également présents dans le volume (n°s46b, 46c…).
[219] APW II B 5/1, p. 732-741, Mémoire de Longueville au roi, 4 mars 1647.
[220] AMAE, CP Espagne 87 (fol.596-603), Declaration ou replique de la part d’Espagne sur les articles contenus en l’instrument pour la paix presenté par la France, 16 mars 1647. Les pièces conservées en AN, K 1336 (n°47a et n°47b) sont clairement des brouillons de ce document, de la main de Godefroy.
La date du 16 mars ne correspond pas forcément à la date exacte de délivrance du document espagnol (apparemment perdu), mais peut-être à la date de rédaction du résumé français ?
[221] AMAE, CP Espagne 87 (fol.598v-599v)
[222] APW II B 5/2, p. 877-883, Lettre de Longueville à Servien, 21 mars 1647.
[223] APW II B 5/2, p.912-924, Mémoire de Longueville et d’Avaux au roi, 25 mars 1647.
[224] SÉRÉ, La paix…, p. 149-150.
[225] APW II B 5/2, p. 1050-1053, Lettre de Longueville à Servien, 12 avril 1647.
[226] APW II B 5/2, p. 1057-1063, Mémoire de Longueville au roi, 15 avril 1647.
Le document original se trouve en AMAE, CP Allemagne 88 (fol.64-70), Vingt premiers articles du projet de traitté entre la France et l’Espagne comme ilz ont esté donnez a Son Altesse par Messieurs les Médiateurs, 10 avril 1647.
Le travail de Godefroy laisse penser qu’il est l’auteur du document cité ci-dessus (AN, K 1336, n°49a, « Project de la part des plenipotentiaires de France pour le traicté de paix entre le roy de France et le roy d’Espagne, l’an 1647 au mois d’apvril. Il n’y a que vingt articles, et en suite il doibt y en doibt avoir quarante autres », avril 1647). Godefroy y souligne les passages ajoutés ou enlevés par les Espagnols.
[227] « 17.
Tous les subjets d’un costé et d’autre, tant ecclesiastiques que seculiers seront restablis en la jouissance des biens immeubles, rentes et benefices qu’ils possedoient avant la guerre, comprenant entre leursdicts biens leurs droicts, actions et successions à eux survenus, jaçoit que ce fust depuis ladicte guerre commencée, sans toutesfois pouvoir rien demander et pretendre des fruicts et revenus perceus et escheus dès le saisissement desdicts biens, immeubles, rentes et benefices jusques au jour de la ratification du present traicté et terme designé en l’article deuxiesme d’iceluy ny semblablement des debtes et effects qui auront esté confisquez avant ledict jour, sans que jamais les crediteurs de telles debtes et depositeurs de tels effets, ou ceux qui d’eux auront cause, en puisse faire poursuite ny en pretendre le recouvrement. Lesquels restablissements en la forme cy avant dicte s’estendront en faveur de ceux qui auront suivy le party contraire, en sorte qu’ils rentrent par le moyen du présent traicté en la grace de leur roy et prince souverain comme aussi en leurs biens tels qu’ils se trouveront existans en la conclusion et signature du present traicté. Et entre tels restituables l’on nomme et combrend specifiquement de la part dudict Roy Treschrestien les comtes d’Egmont, duc de Croy, duc de Bournonville et prince d’Espinoy, avec leurs femmes, enfans, serviteurs et domestiques, sans que ladicte specifique expression puisse estre exclusive d’autres personnes de mesme sorte qui viennent soubs la generalité. Comme aussi ne pourra nuire à ceux qui se sont retirez au party dudict Seigneur Roy Catholique de n’estre icy particulierement declarez et specifiez. Ne laissant pour cela de jouyr du benefice dudict restablissement pour y estre compris en general ».
[228] APW II B 5/2, p. 1057-1063, Lettre de Servien à Longueville et d’Avaux, 22 avril 1647.
[229] APW II B 5/2, p. 1057-1063, Mémoire de Longueville au roi, 15 avril 1647.
[230] Assemblée nationale, Manuscrit 277 (fol.436-436v).
Le texte se trouve aussi en BNF, Baluze 104 (fol.384-384v), Propositions faites a Munster par M. le duc de Longueville touchant les eschanges de Catalogne, 29 avril 1647.
[231] APW II B 5/2, p.1250-1255, Lettre de Servien à Mazarin, 7 mai 1647.
[232] APW II B 5/2, p.1361, Lettre de Longueville à Mazarin, 27 mai 1647.
[233] SÉRÉ, La paix…, p. 154.
[234] SÉRÉ, La paix…, p. 150.
[235] APW II B 6, p. 460-464, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 23 septembre 1647.
[236] APW II B 6, p. 499-503, Mémoire de Longueville et d’Avaux au roi, 30 septembre 1647.
[237] APW II B 6, p.571-579, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 14 octobre 1647.
[238] APW II B 6, p.648-653, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 28 octobre 1647.
[239] APW II B 6, p.684-693, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 4 novembre 1647. L’article 18 est intensément réformé à ce moment, comme en témoignent les nombreux brouillons de Godefroy : AN, K 1336, n°57, L’article 18 comme il a esté réformé en dernier lieu et donné aux médiateurs, l’an 1647, le 14 novembre. Le texte est également à voir en AMAE, CP Allemagne 86, fol.207-207v.
« 18.
Tous les subjets d’un costé et d’autre, tant ecclesiastiques que seculiers seront restablis en leurs honneurs et dignitez, et en la jouyssance des benefices dont ils estoyent pourveus avant la guerre soit par mort ou resignation soit par forme de coadjutorerie ou autrement sans qu’on puisse refuser de part ny d’autre le placet, ny empescher la prise de possession à ceux qui auront esté pourveus de prebendes, benefices ou dignitez ecclesiastiques avant ce temps ny maintenir ceux qui auront obtenu d’autres provisions pendant la guerre, si ce n’est pour les curez qui sont canoniquement pourveus, lesquels demeureront en la possession de leurs cures.
Les uns et les autres seront pareillement restablis en la jouyssance de tous et chascuns leurs biens immeubles, rentes perpetueles, viageres et à rachapt saisies et occuppées depuis ledict temps tant à l’occasion de la guerre que pour avoir suivy le party contraire, ensemble de leurs droicts, actions et successions à eux survenües mesme depuis ladicte guerre commencée sans toutesfois pouvoir rien demander ny pretendre des fruicts et revenus perceus et escheus des le saisissement desdicts biens immeubles, rentes et benefices jusques au jour de la publication du present traicté, ny semblablement des debtes, effects et meubles qui auront esté confisquez avant ledict jour, sans que jamais les crediteurs de telles debtes et depositaires de tels effects ou leurs heritiers ou ayans cause en puissent faire poursuite ny en pretendre le recouvrement, lesquels restablissement en la forme avant dicte s’entendront en faveur de ceux qui auront suivy le party contraire. En sorte qu’ils rentrent par le moyen du present traicté en la grace de leurs rois et princes souverains comme aussi en leurs biens tels qu’ils se trouveront existans a la conclusion et signature du present traicté […] ». Ensuite sont nommés les princes qui seront restitués, le roi d’Espagne gardant la faculté de leur donner en argent ou autre la valeur de ce qu’il aura vendu ou aliéné de leurs biens immeubles ; il est aussi précisé que le fait que d’autres ne soient pas nommés ne les prive pas de leur droit d’être rétablis.
On voit à la lecture de cet article et à la comparaison des versions précédentes, que ce dernier état fait cohabiter des points empruntés aux textes français et aux textes espagnols.
[240] SÉRÉ, La paix…, p. 154.
[241] APW II B 6, p.775-782, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 18 novembre 1647.
Longueville envoie donc les articles signés dernièrement (18, 23 à 25, 27 à 34, 37 à 48) au cardinal (APW II B 7, p.1-8, Lettre de Longueville à Mazarin, 19 novembre 1647). Ces articles envoyés sont conservés dans les archives du secrétaire d’Etat des Affaires étrangères (AMAE, CP Allemagne 86, fol.207-214v). Le lecteur remarquera que, pour les articles de Catalogne, la numérotation a encore été décalée de +1 depuis la dernière version, en raison de la modification de précédents articles (l’article 25 devient le 26, etc.).
[242] La cour n’enverra pas de Catalan, mais recourra une nouvelle fois à son fidèle Martí i Viladamor, auteur d’un nouveau mémoire envoyé aux plénipotentiaires sur lequel nous reviendrons (voir infra).
[243] APW II B 6, p.657-665, Mémoire de Servien à Lionne, 29 octobre 1647.
[244] APW II B 7, p. 42-50, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 25 novembre 1647.
[245] APW II B 7, p. 169-175, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 16 décembre 1647.
Nous reviendrons infra sur le mémoire de Martí.
[246] APW II B 7, p. 230-241, Mémoire du roi à Longueville, d’Avaux et Servien, 24 décembre 1647.
[247] APW II B 7, p. 306-317, Lettre de Servien à Lionne, 31 décembre 1647.
[248] SÉRÉ, La paix…, p. 155-160.
[249] SIMON i TARRÉS, Antoni, « L’entrada de Catalunya en el joc de la política internacional europea del segle XVII. Lectures polítiques del primer intent de segregació del territori català », in Del Tractat dels Pirineus a l’Europa del segle XXI, un model en construcció? / Du Traité des Pyrénées à l’Europe du XXIe siècle, un modèle en construction ? [Oscar Jané, ed.], Generalitat de Catalunya-Museu d’Història de Catalunya, Barcelona, 2010, p. 227. Voir commentaire de cette politique de Mazarin supra.
[250] Voir supra.
[251] Dietaris…, t.VI, p.158, 21 août 1646.
[252] Notamment : Dietaris de la Generalitat (vol. VI, p.164-169), 5 septembre 1646. « Señor. Los deputados del General de Cathaluña, postrados a los reales pies de vuestra magestad humilmente, dizen que han tenido noticia cierta de que vuestra magestad es servido conceder treguas al enemigo en el principado de Cataluña y condados de Rosselló y Cerdaña, quedando ellos baxo la obediencia de vuestra magestad, que es nuestra mayor dicha. Y teniendo el enemigo las plassas que posseherá el día de la publicación, que sería desdicha deplorable para los cathalanes, porque las plassas que pretende el enemigo retener y el país en que quedamos los fidelíssimos vassallos de vuestra magestad es de tal calidad y cituación, que nos expone a riesgo y peligro de que con la fuerça y con la cauthela gane el enemigo lo que oy no puede, y que nosotros perdamos el dulce imperio de vuestra magestad, bolviendo a gemir el jugo pesado de Castilla, cuyo odio <como> no tiene fin, ni su vengança tiene límite ».
De ce texte, émané des députés et recopié dans les Dietaris, nous avons l’original semble-t-il conservé en AMAE, CP Espagne 20 (fol.327-334v) : Memoire des conseillers de Barcelone touchant les interests du Principat de Catalogne dans la Paix generale, s.d.
[253] Dietaris…, vol. VI, p. 181-182.
[254] Dietaris…, vol. VI, p. 183-184. « Dimecres, a V. En aquest die, en la tarda, vingué lo senyor de Marca en lo consistori de ses senyories y, entrat en aquell, precehint lo recibiment en la forma acostumada, després de les cortesies degudes, entregà en mans de ses senyories las cartas reals y de sa alteza, que totassón de crehensa, y estan assí originalment cusides, signades de letras A, B, C, en conformitat de las quals donà rahó a ses senyories del estat de les treves de esta província entre las dos coronas, que estan molt avensades, hi’s té per molt provable se effectuaran per temps de vint o vinty-sinch anys, y que axí seria convenient que lo consistori donàs o significàs las advertèncias que aparexerian a propòsit per la bona execució y effectuació de aquellas, que aqueix ere l’orde de sa magestat per a explicar-ho al consistori. E ses senyories respongueren que, per a poder pèndrer bon assiento sobre aquest punt, suplicaven a sa senyoria il·lustríssima fos servit donar-los en scrits la relació y demés que sobre lo referit los havia explicat de paraula. E lo dit senyor de Marca offerí fer-ho, y després de algunes cortesies se despediren del consistori ».
[255] Dietaris…, vol. VI, App. I, p. 827-829. Explicació de la crehensa del senyor de Marca de las cartas reals que són en dietari a 5 de decembre 1646, 8 décembre 1646. Le texte a sans doute été rédigé originellement en langue espagnole, comme il est, par Marca – qui maîtrisait bien cette langue.
« No se temen tanto las fuerças como algunos tienen sospecha de los embelecos y artificios de los enemigos para corromper la fidelidad de los cathalanes. Mas no ay occasión de temer por essa parte. La constancia casi de todos a sido reconocida en muchos aprietos, y specialmente en la pesquisa última de los conjurados, donde el número estava tan corto que todos saben.
Además que los que siguen la facción de Castilla están fuera del Principado, sin esperança de bolver, en que se halla aún uno de los buenos effectos de la tregua.
Si quedava alguna voluntad indiferente, se determinará absolutamente por Francia, conciderando que el rey cathólico abandona sus interesses por veinte cinco años, y procurará con todas sus veras borrar la mala opinión que se podría haver tenido contra él [sic] su frialdad ».
[256] « Si se halla algún ingenio ferós que no puede saborear la dulçura del govierno de Francia, aunque sea tan antiguo y aya sido tan aventajado por Cathaluña, que las restauraciones de los obispados, los establecimientos de las abadías más illustres, de los condes del país, y de la noblesa sean devidas a la grandesa y liberalidad dessa corona, y se castigará su perfidia y trayción con los órdenes y por vía de justicia, mientres que los otros tendrán su reposo debaxo el amparo de nuestro augusto y invicto monarca, que tan valerosamente los defiende de la oppresión de Castilla ».
[257] Dietaris…, vol. VI, p. 184. La Generalitat réunit la Trentasisena (junta de 36 personnes) qui désigne à son tour 12 personnes. « Y encontinent ses senyories, posant en exequució la dita resolució, feren nominació de dotse personas de la mateixa junta, ço és, quatre de cada estament ço és, per lo estament ecclesiàstich, los senyors ecclesiàstichs: lo doctor Pau del Rosso, degà y canonge de Barcelona; lo doctor Francesch Corts, ardiaca de Santa Maria y canonge de Barcelona; lo doctor Francesch Gerona, canonge de Leyda; fra don Francesch de Miquel, del hàbit de Sant Joan. Per lo estament militar, los senyors don Francesch de Ayguaviva, don Ramon de Guimerà, don Pedro Aymerich, Domingo Moradell. Per lo estament real, los senyors Galceran Nebot, Joseph de Navel, Joseph Ximenis, Joseph de Urrea ».
[258] APW II B 5/1, p. 163-167, Mémoire du roi à Longueville, d’Avaux et Servien, 21 décembre 1646.
[259] Dietaris…, vol. VI, p. 187-188. « E, feta dita proposició, y legits los dos memorials en ella mencionats, se ha resolt que los senyors deputats consultassen los magnífichs assessors y advocat fiscal y altres doctors aplicats, y sabessen d’ells si la conclusió fahedora de les tregües de aquesta província, de què ha donat avís sa magestat se tractaven en Münster, encontra a la disposició o convenció dels pactes ajustats entre sa magestat y aquest Principat o no, y en tot cas, si los deputats, consentint a las ditas trevas, entraven als dits pactes, y que després se’n done reçahó de tot als brassos ».
« Resolució de dits brassos. E, legits tots los dits papers mencionats en dita proposició, fonch per dits brassos feta resolució y conclusió que ses senyories deuen enviar a sa magestat lo mateix memorial que és estat fet o minutat per part de la dita ciutat, per ésser aquell molt convenient, y guardar en assò tota conformitat, lo qual poran remètrer al embaxador de dita ciutat, per a què, en nom de sas senyories lo presente al rey y reyna, nostres senyors, y demés ministres, als quals se scriurà en la pròpria conformitat de las cartas que faran per los senyors consellers, en la mateixa rahó, attès que los dos consistoris en assò han pres y resolt acordadament una mateixa deliberació ».
[260] BNF, Français 4216 (fol.515v-516v), Lettre de Marca à Le Tellier, 28 décembre 1646.
[261] BNF, Français 4216 (fol.516v-520v), Lettre de Marca à Le Tellier, 29 décembre 1646.
[262] Manuel Calvo Rodríguez affirme que Marca aurait voulu faire modifier une partie du mémoire, mais que les Consistoires refusèrent. CALVO RODRÍGUEZ, Manuel, « L’ambaixada catalana de Francesc Puigjaner a Paris : de juliol de 1646 a marc de 1647 », Pedralbes, n° 18, 1998, p. 84.
[263] BNF, Français 4216 (fol.524-524v), Lettre de Marca à Le Tellier, 30 décembre 1646.
[264] AMAE, CP Espagne 25 (fol.441-443). Le texte se trouve aussi restranscrit dans les Dietaris…, vol. VI, App. I, p. 829-831, Memorial fet per las dotse personas eletas per la ciutat de Barcelona, 24 décembre 1646.
« Juzgan que tantas y tan grandes mercedes anyaden a la obligación de vassallos la de tener, no sólo por menor mal, pero por un grande bien, morir antes que hallarse expuestos al peligro de perder el illustre blasón de vassallos de vuestra magestad, y consideran que este peligro es tan manifiesto que, ni ay prevención, ni poder, ni fortificaciones, ni desvelos tan attentos que puedan evitalle si se concluyen las treguas reteniendo los enemigos Lérida, Tortosa, Áger y principalmente Tarragona […].
En el mesmo tratado de Münster manifiestan los castellanos el provecho que jusgana se les ha de seguir de las treguas, porque por una parte no quieren admitir recambio de número duplicado de plazas por las que retienen en Cathalunya, ni por ningún interés quieren dexarlas, y por otra parte estan resueltos de admitir treguas largas, porque juzgan que el descuido de las treguas y las ausencia de las fuerzas de vuestra magestad les abrirá muchas puertas para introducir, o con artificio o con armas […].
Resueltos están a obedecer a vuestra magestad y a morir, pero no pueden resolverse a quedar contentos de un estado que los expone a perder el blasón glorioso de vassallos de vuestra magestad. Aquello es obligación, pero esto fuera descrédito de su fidelidad, y cosa repugnante al firme propósito que tienen de vivir y morir baxo la obediencia de los monarchas potentíssimos de Francia. Y assí, señor, el amor real con que vuestra magestad ha mandado se tratasse la conservación de Cathalunya en Francia, con muestras de exponerlo todo por conservarla, los alienta a esperar de la real clemencia de vuestra magestad y de la mano poderosa de tan gran monarcha, el remedio mayor, más cierto y más glorioso a todos estos peligros y rezelos, qual es que vuestra magestad sea servido detener o entretener el tratado de las treguas, y en esta primera campanya dignarse de aplicar todas, o las mayores fuerzas en Cathalunya ».
[265] Dietaris…, vol. VI, App. I, p. 831-832, Memorial fet per las dotse personas eletas per los senyors deputats, 24 décembre 1646.
« […] atraherían, a pesar del odio, los ánimos de los catalanes que, privados de sus casas y haziendas, vagan por el Principado sin poder alimentar sus familias. Sería Taragona asilo y receptáculo, no sólo de los que voluntariamente se han passado al enemigo, pero de quantos perpetrarían crímines atrozes en Cathaluña. Unos y otros, procurando enbaraçar parientes y amigos, solicitarían vandos, venganças, muertes de patricios fieles y execrables conspiraciones.
[…]
Puertolongón y Publín han hecho este año deleznable el rendimiento de Lérida, y han desvanecido las esperanças concebidas de ver sitiada Tarragona
[…] será inútil diligencia implorar el favor de su magestad, assí por la distancia como por el tiempo que pide la expedición de una armada […] ».
[266] BNF, Français 4202 (fol.36-40), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 26 janvier 1647.
[267] APW II B 5/1, p. 302-307, Mémoire du roi à Longueville, d’Avaux et Servien, 15 janvier 1647.
La réponse du roi est conservée en AMAE, CP Espagne 25 (fol.432-440), Memoire de la part du roy pour servir de response a celuy qui a esté presenté a Sa Majesté au nom des depputez du Principat de Catalogne et des conseillers du Conseil des Cent de la ville de Barcelone par le sieur Puiggener leur ambassadeur (daté faussement de 1646), 18 janvier 1647.
On trouve d’autres versions du texte conservées par ailleurs :
AMAE, CP Espagne 27 (fol.33-41v)
BNF, Baluze 254 (fol.85-93v).
[268] Le texte de ce discours est recopié à la fois dans les registres de la Generalitat (Dietaris…, vol. VI, Ann. I, p.846-848) et du Conseil des Cent (l’édition en est donnée par SANABRE, p. 682-683, Annexe XXIV). C’est bien le 13 février 1647 et non le 13 janvier, comme le dit Sanabre, qu’a lieu la séance en présence de Marca.
« La tercera parte de la respuesta trata de la materia principal, y pondera las razones que ay para decidir la qüesti.n política, si las pazes deven ser concluidas antes de cobrar las plaças de Tarragona, Lérida y Tortosa. Y porque su magestad platica con vuestra señoría, como ministros de su Consejo de Estado, supplicándole se sirva mirar attentamente los motivos de su magestad para la resolución.
[…]
Esta verdadera relación presupuesta, concidere vuestra señoría qual es el menor mal, o concluir las pazes antes de cobrar las plazas o rehusarlas, porque en este punto consiste la deliberación, a discernir qual mal es lo menor. Si se rehuzan las pazes, caemos en dos inconvenientes muy graves y sin remedio. El primero es el odio universal en que la Francia incurre por continuar con la perturbación de la christianidad. El segundo es el peso de la guerra que sustentierá sola en Flandes, en Alemania, en Italia y en Cathaluña, contra todo el poder de la casa de Austria y de los príncipes, sus adherentes, de manera que, divididas sus fuerças en muchas partes, no podrá acudir con las necessarias para emparar Cathaluña como a hecho hasta ahora. Si se concluien las pazes no ay otro inconveniente sino el peligro que, con el tiempo, el enemigo, sea con invasiones de armas, sea con negociaciones y embelecos, se apodere de Cathaluña. Dexemos los embelecos y artificios, que quien sabe la constancia y la fidelidad de los catalanes, como la conoce su magestad, menosprecia las traças y los enredos de los castellanos, a los quales se oppondran también la vigilancia y la prudencia de los ministros ».
[269] AMAE, CP Espagne 26 (fol.419-420), Lettre de Marca à Mazarin, 24 février 1647 (l’original de la lettre). On trouve aussi le texte en BNF, Baluze 105 (fol.429-431).
Antoni Simon i Tarrés (Del 1640 al 1705: L’autogovern de Catalunya i la classe dirigent catalana en el joc de la política internacional europea, Universitat de València, 2012, p.45-47) défend la thèse que les Consistoires avaient été contraints à accepter la trêve. Le propos est peut-être exact mais nous ne savons pas de quels documents il tire cette affirmation. Même remarque pour son idée forte que les Catalans étaient dès 1646 totalement au courant de ce qui allait se passer à terme (c’est-à-dire au traité des Pyrénées), ce qui est une sorte d’anticipation historique.
[270] A la Generalitat par exemple : Dietaris…, vol. VI, p. 194. « (…) lo senyor deputat ecclesiàstich respongué ab moltas paraulas de estimació y cortesia, concloent que lo consistori tractava la matèria y donava sa resposta ab la diligència possible, allargant-ho ab moltas altras paraulas de compliment ».
[271] Dietaris…, vol. VI, p. 194.
[272] Dietaris…, vol. VI, p. 195. « […] per lo estament ecclesiàstich, los senyors fra don Francisco de Monpalau, abat de Banyoles; don Joachim Carbonall, canonge de Barcelona; lo doctor Francesch Gerona, canonge de Leyda; don Pedro Copons, canonge de Barcelona; Onoffre Ciurana, canonge de Gerona. Per lo estament militar, los senyors don Francisco de Ayguaviva, don Pedro Aymerich, don Joseph Olmera, don Jacinto Vilanova, Domingo Moradell. Per lo estament real, los senyors Joseph Ximenis, Joseph de Navel, Galceran Nabot, Rafel Cerdà, Francesch Marí ».
[273] Dietaris…, vol. VI, p. 195.
[274] Dietaris…, vol. VI, p. 200. Il s’agit probablement de la lettre conservée en AMAE, CP Espagne 26 (fol.418-418v).
[275] Dietaris…, vol. VI, App. 1, p. 848-850.
[276] BNF, Baluze 254 (fol.94v-95v), Lettre du roi à Marca, 13 février 1647. On trouve aussi le texte en SHD, A1 103 (fol.82-83).
[277] BNF, Français 4202 (fol.70-74v), Lettre de Le Tellier à Marca, 22 février 1647.
[278] BNF, Français 4201 (fol.143v-146v), Lettre de Le Tellier à Harcourt, 19 avril 1646.
[279] BNF, Baluze 254 (fol.50v-55), Mémoire pour informer Messieurs les Plenipotentiaires de ce qui a esté mandé de la part du Roy en Catalongne touchant la negotiation faicte a Munster a l’esgard de la dicte Province, 30 juin 1646. Le texte se trouve aussi recopié en SHD, A1 99 (fol.331v-336v).
[280] AMAE, CP Espagne 26 (fol.431-432), Lettre de Pau del Rosso à Mazarin, 18 mars 1647.
« Puedo desir con verdad a V.E. que han sido resibido con aplauso universal las cartas de Sa Mag.t y de V.E. como la que venia para mi de los 24 del passado y aunque los mas no se han atrevido haser demostraciones publicas como este servidor de V.E. que quien puso las armas de Su Mag.t siendo vassallo desganya [sic] bien ha podido haser tirar algunos tiros de mosquetes por la nueva del nuevo gobierno del señor Principe de Conde, assote de los Espanyoles, restaurador deste Principado, y amparo de los que han dado el Principado de Catalunya a la corona de Francia, y con su real presentia estaremos en pas y los enemigos confusos quando esperaven que la Francia nos dexaria con las esperansas tenian de las palabras avian puestas en ella memorial que su Mag.t ponia todas sus fuerças en Flandes y Italie, este fue clausula que puso fray Sala, abat de Sant Cugat, con el lado del Regente Fontanellas que uno y otro seria mejor fuessen en otras tierras y no en Cathalunya pues se atrevieron a esto sin saberlo los de la deputacion ni junta sino los Consegeros de la Ciudat, el Regente dar sospechas que Su Mag.t nos dexava y se reservava los Condados de Rossellon y Serdanya, y por esso toman las rendas en Canet de Rossellon, y nosotros que hemos servido vassallos del Rey de Castilla que antes morir con gloria que morir con infamia ; lo que nunca he podido creyer sino publicar lo mucho que devemos a V.E. pues ha sido promovedor seyamos vassallos de la Mag.t Real de Francia y que goseremos de pas con el favor de Dios ».
[281] AMAE, CP Espagne 27 (fol.411), cité par SANABRE (p. 405).
[282] Voir supra : Deuxième partie, I. 3.
[283] Nous reviendrons infra sur la demande du comté de Pallars : Troisième partie, III. 1.
[284] BNF, Français 4202 (fol.230-235v), Lettre de Le Tellier à Marca, 18 juin 1647.
[285] AMAE, CP Espagne 28 (fol.81-84v), Lettre de Mazarin à Condé, 18 juin 1647.
[286] AMAE, CP Espagne 27 (fol.107), Lettre de Mazarin à Marca, 7 mai 1647 (minute autographe). Francesc Puiggener s’en retourne à Barcelona et Mazarin exprime sa satisfaction de lui.
AMAE, CP Espagne 28 (fol.61), Lettre de Mazarin aux députés de la Generalitat, 7 mai 1647 (copie).
[287] Ces lettres, datées du 10 novembre 1646, avaient été confiées à Nicolas Fouquet, qui s’en allait en Catalogne pour faire une enquête sur les responsables de l’échec de Lleida (BNF, Français 4202, fol.20-21v, Lettre de Le Tellier à Fouquet, 4 janvier 1647), puis remises à Martí par Harcourt le 28 février 1647 (AMAE, CP Espagne 27, fol.69-69v, Lettre de Martí à Mazarin, 1er mars 1647) : « llamo a aquellas persecuciones mi mayor dicha pues de ellas se ha originado el favoreceme V.Em.a ».
ACA, Cancilleria, Intrusos 115 (fol.305-306v), Déclaration du vice-roi Condé en faveur de Martí, lui faisant grâce des pensions et des censals des biens confisqués dont il doit percevoir les revenus, 2 avril 1647. « […] dificultan en la paga en notable dany del dit Doctor Marti ». Il est à noter que cet acte a été fait alors que Condé n’est pas encore arrivé à Barcelona…
[288] Dietaris…, vol. VI, p. 209, 23 mai 1647.
[289] Dietaris…, vol. VI, p. 216-217.
[290] Dietaris…, vol. VI, p. 224. « […] attès que esta és ab la major ab que la França apoya en lo tractat de Münster, la conservació de esta provincia […]
se despedí sa il·lustríssima del consistori y, acompanyat en la forma acostumada, se’n anà de la present casa, y la junta continuà y prosseguí sa sensura y discurs sobre la matèria que en ella se anave tractant y conferint ».
[291] AMAE, CP Espagne 27, (fol.151), Pièce de procédure du docteur Martí, 13 juillet 1647.
AMAE, CP Espagne 27 (fol.151v-152v), « Scedula oblata per dr. Marti », 15 juillet 1647 (autre pièce de procédure).
[292] Dietaris…, vol. VI, p. 230, 7 juillet 1647.
« […] Aquestos són, entre altres, los càrrechs que per major se fan al dit doctor Martí, que altrament de deduhir-los per menor y individuadament fóra no acabar, perquè no hi ha full en dit manifest que no offenga o desdiga al ser de cathalà, posant nostres constitucions, privilegis, drets y pactes particularment en disputa, tenint com té Cathalunya asentada sa justícia en España y França respective, ab las eleccions que de comtes de Barcelona, Rosselló y Cerdanya, ab los pactes y condicions en elles posades respectivament ha fetes ».
[293] AMAE, CP Espagne 27 (fol.153-156v), Lettre de Martí à Mazarin, 16 juillet 1647. Les diligences de Marca ont été inutiles, dit-il, « sin embargo de que algunos de ellos son de los mas intimos amigos de Monsieur de Marca, como lo son el Dean Pablo del Rosso, don Hiacintho de Vilanova, el Abad Monpalau, y el D.or Monfar ».
[294] BNF, Français 4217 (fol.135v-149v), Lettre de Marca à Le Tellier, 2 août 1647.
[295] AMAE, CP Espagne 26 (fol.488v), Lettre de Francesc Martí (père) à Pujolar, 7 août 1647 (copie de la main de Pujolar).
[296] AMAE, CP Espagne 21 (fol.463-464), Mémoire en faveur du docteur Martí, s.d. (1648), en français, probablement rédigé par lui ou commandé par lui.
« Si sa ma.té […] ne luÿ faict la grace de l’establir en cette cour, ou avec l’exercice de con.er d’Estat, ou avec tel autre emploÿ qu’il conviendra plus au service du roÿ, luÿ faisant assigner les appointem.s et la subsistance competente puisque soit par les connoissances, et la parfaitte instruction qu’il a dans les affaires de Cathalogne, soit par l’experience qu’il a en sa faculté, et avoir escrit plusieurs œuvres, et soit par la diligence et le soing avec lesquels il travaille (ne luÿ manquant pas quelque connoissance en la langue francoise), il espere de n’estre pas inutile a l’emploÿ dont sa ma.té l’honorera. Et en ce cas la il establira sa maison et sa famille en cette cour pour se consacrer de plus pres perpetuellement au service de sa ma.té etde vre. emin.ce. Ce zele et cette fidelité l’obligent a laisser pour tousjours l’habitation de sa patrie, considerant que peut estre cet expedient sera le plus utile au service du roÿ puis que son execution ne requiert aucuns procedes au dedans de la Cathalogne, et est aussÿ le plus facile puis qu’il depend seulement de la faveur de vre. emi.ce […] »
Il est à noter que, dans ce mémoire, Martí demande à être récompensé sur la gabelle du sel du Languedoc ou sur les revenus de la vicomté d’Evol (et non dans le Principat !).
AMAE, CP Espagne 29 (fol.12-23v), Articles presentés devant dom Joseph de Margarit et l’audiance vice roÿalle contre le docteur François Marty et Viladamor de malintentionné au service de Sa Majesté et de sa patrie ; Responce ausdits articles par laquelle il est supplié d’avoir toute attention, non pas tant par ce que le docteur Marty y est interessé que pour l’interest particulier du service du roy et la solide conservation de Cathalogne en France, s.d. (1648), en français.
Il est particulièrement singulier que l’une des accusations portées à Martí par le Conseil des Cent soit de ne pas être l’auteur de la Noticia Universal de Cataluña, ouvrage en récompense duquel le Conseil l’avait nommé avocat fiscal de la Batllia General : sur cette base on réclamait qu’il restitue tous les émoluments perçus pour cette charge ! Martí était bien l’auteur de ce livre, mais, peut-être, poussait-on jusqu’au bout le raisonnement logique le déclarant incapable d’avoir rédigé un livre dans lequel il défendait la libre élection alors que désormais il soutenait une thèse contradictoire ? (Dietaris…, vol. VI, p. 892-911).
[297] APW II B 6, p. 657-665, Mémoire de Servien à Lionne, 29 octobre 1647.
[298] AMAE, CP Espagne 27 (fol.287-297v), Discours du docteur Marty touchant la Catalogne, envoyé a messieurs les plenipotentiaires le 29 novembre 1647 (inscription postérieure), 18 novembre 1647.
[299] Voir supra. Le mémoire de Marca est conservé en AMAE, CP Espagne 25 (fol.468-468v – erreur de foliotation), Memoire de M. de Marca concernant la treve de Catalogne, 24 décembre 1646.
[300] « 10. Pero para quitar todas las difficultades que se pueden offrecer en accordar la terminacion de los territorios, y para que Su Magestad haga demonstracion del affecto con que dessea la conclusion de una paz durable y verdadera, accordando en la tregua de Cataluña a cerca la designation de los limites un partido ventajoso a las dos Coronas, aunque la de Francia venga a conceder muchas vezes mas de lo que pueden comprehender las dependencias de Tarragona, Tortosa y Lerida, se propone la siguiente designacion de terminos y limites, que es todo lo que su Magestad puede condescender para no dexar en manifiesto riezgo a Cataluña, ni dexar camino abierto al rompimiento de la tregua ».
[301] Voir supra. APW II B 6, p. 775-782, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 18 novembre 1647. Les articles du traité français ont été accordés jusqu’au 48, à part le 22, le 26, le 35, le 36 et le 41.
[302] Voir les articles concernant la Catalogne (25 à 33, devenus 26 à 34 dans la version de novembre 1647) édités en annexe : Document n°44 (AN, K 1336)
[303] « 19. […] Y finalmente como el intento de S.M. no sea privar al arçobispo de ninguno de sus derechos y emolumentos sino solamente assegurar la conservacion del estado de Cataluña durante la tregua : que por tanto, todas las rentas de la administracion que tendra el dicho vicario general las deve enteramente entregar todos los años al arçobispo, reservandose de aquellas un salario o apuntamiento competente, el qual se deve arbitrar desde agora. Este articulo se ha de acordar primeramente entre los dos reÿes pero para que sea valido y no se pueda jamas retractar, requiere ser ratificado por el Summo Pontifice, cuya ratificacion, por ser de articulo de tanta importancia, conviene se haga antes de concluyr el tratado de la tregua ».
Un autre point non envisagé par le projet de traité est évoqué ici par Martí : la « bulle de la croisade ». Philippe IV en avait obtenu une du pape : cette bulle accordait des indulgences à tous les Espagnols qui contribueraient, soit par leur service personnel, soit par leurs aumônes, à faire la guerre aux Infidèles. Le roi d’Espagne peut percevoir les aumônes, qu’il est censé verser à l’entretien des forteresses des côtes d’Afrique qui ont un rôle dans la lutte contre les Infidèles, mais, dans les faits, il oblige tout le monde à verser une somme et cela fait des revenus pour l’entretien des armées. Martí demande évidemment que le roi de France obtienne également une bulle de la croisade.
De même, il demande que le Roi Catholique n’empêche pas le roi de France de proposer des Catalans pour les grandes dignités de l’Ordre de Malte.
[304] « 28 : Item por quanto la experientia ha ensegnado que la principal maxima que ha tenido el enemigo en Cataluña ha sido valiendose de los malaffectos, sembrar discordias y discenciones entre los buenos servidores de S.M. y procurar que los mas bien affectos, y los que mas se han señalado por la Francia sean perseguidos y opprimidos, creyendo que si estos faltan, con mas facilidad podra restablecer su señorio en el Principado, y esta sea la causa principal de la aversion que ha demonstrado la Cataluña tener a la conclusion de la Tregua, porque los que mas se han señalado en el servicio de S.M. y conservacion del Principado, temen (y con razon) que faltando la guerra, el enemigo applicara su mayor cuydado y desuelo en hazer matar oy uno, mañana otro, con la seguridad que tendran los delinquantes, assassinos, de retraherse en un dia, o dos a Tarragona, Tortosa, y Lleida y de alli (si les parece) en otros Reÿnos del Rey Cath. como sin duda lo intentara el enemigo, siendo este el medio mas efficas para conseguir su intento […] ».
[305] « 29 : Item se advierte que en el tratado de la tregua a induction o persuasion de los Plenipotentiarios del Rey Catholico no se aga alcuna capitulacion ambigua o en otra manera que pueda perjudiciar a los bienes que Su Mag.d ha confiscado en Cataluña a malaffectos por quanto si estos bolvian a gosar de dichos bienes, seria abrir el camino mas cierto de perder a Cataluña porque dichos bienes comprehenden una grand parte de la provincia, y consisten casi todos en jurisdictiones por la administracion de las quales los señores de dichos bienes hazian las nominaciones de Baÿles y otros officiales de justicia. Y es cierto que si bolvian a cobrarlas, siendo mal affectos, harian las nominaciones en semejantes personas, por donde la justicia vendria a ser administrada por enemigos de Su Mag.d ».
[306] « 30 : Finalmente se advierte que en caso que los Plenipotentiarios del Rey Catholico pidan facultad para bolver en Cataluña los Catalanes que estan en sus Reynos, no se conceda tal facultad general, porque los tales catalanes siendo los capitales mal affectos de la Francia y muy poderosos dentro de Catalunya, seran bastantes a perturbar y rebolver toda aquella Provincia ».
[307] APW II B 7, p.72-80, Mémoire du roi à Longueville, d’Avaux et Servien, 29 novembre 1647.
[308] APW II B 7, p. 169-175, Mémoire de Longueville, d’Avaux et Servien au roi, 16 décembre 1647.
[309] APW II B 7, p. 773-793, Lettre de Servien à Mazarin, 29 mai 1648.
[310] AMAE, CP Espagne 26 (fol.431-432), Lettre de Pau del Rosso à Mazarin, 18 mars 1647.
Voir supra.
[311] Nous reviendrons en détail sur cette affaire infra : Troisième partie, I. 1.
[312] BNF, Français 4217 (fol.269-271v), Lettre de Marca à Le Tellier, 14 avril 1648. La question du don des biens confisqués à des Français et de son refus par les Catalans est une autre question, qui sera traîtée plus loin.
Voir infra : Troisième partie, I. 1.
[313] AMAE, CP Espagne 29 (fol.59-59v), Mémoire d’un catalan à Mazarin, 22 avril 1648 (sans nom).
« Mas ha causado admiracion la provizion se ha hecho del condado de Canete en la persona del s.or conde de Noallas, y del biscondado de Evol en la del superintendante, ocasionando a los aficionados a Castilla y a otros muchos que Francia se queria quedar con Rocellon y Cerdaña, y lo demas del Principado bolveria a Espanya ; confirmandose tambien de que los cavalleros que aora havian ido a essa corte an buelto desesperados haviendo servido con azienda y personas en la guerra dende principio ».
[314] SÉRÉ, La paix…, p. 159-160.
[315] AMAE, CP Espagne 29 (fol.166-169), Lettre de Schomberg à Mazarin, 25 octobre 1648.
[316] MAZARIN, Jules, Lettres du cardinal Mazarin pendant son ministère. Recueillies et publ. par M. A. Chéruel, imprimerie Nationale, 1872, t. III, p.299.
[317] MAZARIN, Lettres…, t. III, p. 209, Lettre de Mazarin à Servien, 18 septembre 1648.
[318] Dietaris…, vol. VI, p. 303. « Dimars, a XX. En aquest die ses senyories anaren consistorialment, en la matinada, en casa del senyor virrey, ab los porters y masses devant, acompanyats dels officials de la present casa. Y arribats a sa presència trobaren allí los molt illustres senyors consellers, que estaven en companyia de dit senyor virrey, y se assentaren tots, ço és, los senyors consellers a mà dreta del senyor virrey y los senyors deputats a mà esquerra. Y aquesta visita feren los dos consistoris de sa pròpia auctoritat y allí tractaren de algunas cosas convenients al beneffici de la província acerca de las paus generals qu’s tracten en Münster. Y estigueren cerca de una hora y després se despediren de sa excel·lència, anant-se’n primer dits senyors consellers y aprés ses senyories, y se’n tornaren en la present casa. […] ».
[319] AMAE, CP Espagne 29 (fol.162-163v), Lettre des députés de la Generalitat au roi, 21 octobre 1648.
Voir l’édition au Document n°45.
[320] AMAE, CP Espagne 21 (fol.456-457v), Raisons contre la Treve, s.d. (23 octobre 1648). Nous identifions ce texte (conservé aux AMAE sans nom ni date) avec le mémoire envoyé par la Reial Audiència grâce à sa transcription dans les registres des Intrusos : ACA, Cancilleria, Intrusos 112 (fol.166-168v). La lettre des magistrats accompagnant ce mémoire est également transcrite (ACA, Cancilleria, Intrusos 112, fol.164-166). Une note précise que des lettres de même forme ont été envoyées au cardinal Mazarin, au duc d’Orléans, et à Le Tellier.
On trouvera ce texte édite en annexe : Document n°46.
[321] AMAE, CP Espagne 29 (fol.166-169), Lettre de Schomberg à Mazarin, 25 octobre 1648.
[322] Définition d’après le Littré :
« Sortir d’une place le bâton blanc à la main, se disait d’une garnison qui se rendait en consentant à sortir sans armes et sans bagage.
Fig. Sortir d’un emploi, d’une administration avec le bâton blanc, ou le bâton blanc à la main, en sortir pauvre. On dit de même : il est venu en cette ville le bâton blanc à la main, il y est venu pauvre ».
[323] Nous reviendrons sur cet épisode dans la partie suivante : Troisième partie, I. 2.
[324] AMAE, CP Espagne 29 (fol.162-163v), Lettre des députés de la Generalitat au roi, 21 octobre 1648.
Voir l’édition au Document n°45.
[325] AMAE, CP Espagne 21 (fol.456-457v), Raisons contre la Treve, s.d. (23 octobre 1648). Nous identifions ce texte (conservé aux AMAE sans nom ni date) avec le mémoire envoyé par la Reial Audiència grâce à sa transcription dans les registres des Intrusos : ACA, Cancilleria, Intrusos 112 (fol.166-168v). La lettre des magistrats accompagnant ce mémoire est également transcrite (ACA, Cancilleria, Intrusos 112, fol.164-166). Une note précise que des lettres de même forme ont été envoyées au cardinal Mazarin, au duc d’Orléans, et à Le Tellier.
Voir édition : Document n°46.
[326] Nous reviendrons dans la partie suivante, Troisième partie, II. 1., sur le discrédit entourant les docteurs de l’Audience à la suite de leur gratification avec des biens confisqués, et sur quelques aspects de la perception populaire de la question durant cette période.
[327] AMAE, CP Espagne 27 (fol.522), Lettre de Mazarin à Schomberg (minute de la main d’Hugues de Lionne), 13 novembre 1648.
[328] Les circonstances de la fin de la vice-royauté de Schomberg sont rapportées infra : Troisième partie, I. 2.
[329] AMAE, CP Espagne 27 (fol.520), Lettre de Mazarin à Fontanella (minute de la main d’Hugues de Lionne), 20 octobre 1648.
Voir aussi AMAE, CP Espagne 27 (fol.487-487v), Lettre de Mazarin à Fontanella (minute de la main d’Hugues de Lionne), 2 septembre 1648. Dans cette lettre le cardinal annonce à Fontanella qu’il veut le voir, mais que cela ne presse pas et attendra la fin de la campagne.
[330] AMAE, CP Espagne 27 (fol.523), Lettre de Mazarin à Schomberg, 3 décembre 1648.
[331] BNF, Français 4203 (fol.404v-409), Lettre de Le Tellier à Schomberg, 4 décembre 1648.
La lettre du roi à Fontanella, celle rédigée « en les termes qu’il désire », est : SHD, A1 108 (fol.213-214v), 4 décembre 1648.
[332] BNF, Baluze 254 (fol.123v-126v), Lettre missive du roi aux députés de la Generalitat (Aux depputez du Principat de Catalongne touchant les bruits que l’on respand dans la province d’une tresve de 30 années pour la Catalongne), 4 décembre 1648. On trouve aussi le texte en SHD, A1 109 (fol.206v-210v), et l’originale dans les Dietaris de la Generalitat (Dietaris…, vol. VI, p. 984-985).
Voir édition : Document n°48.
En même temps est envoyée une lettre à Schomberg reprenant les mêmes points (SHD, A1 108, fol.210v-212v).
[333] AMAE, CP Espagne 28 (fol.246v-249), Lettre de Mazarin aux députés de la Generalitat, 8 décembre 1647. Voir aussi Dietaris…, vol. VI, p. 988-989.
[334] Voir supra : Deuxième partie, III. 1. SÉRÉ, La paix…, p. 139-140.
[335] Dietaris…, vol. VI, p. 303, 20 décembre 1648.
[336] SÉRÉ, La paix…, p. 168-174.
[337] Dietaris…, vol. VI, p. 999-1000, Lettre missive du roi aux députés de la Generalitat, 9 mars 1649.
[338] AMAE, CP Espagne 29 (fol.228-228v), Lettre de Fontanella à Mazarin (de Paris), 6 mai 1649. Il dit qu’il ne peut pas repartir en Catalogne après 5 mois passés à la cour. Il propose Josep d’Ardena pour succéder à Marchin comme gouverneur de Tortosa au cas où celui-ci disparaîtrait.
AMAE, CP Espagne 29 (fol.230-231v), Lettre de Fontanella à Mazarin (de Barcelona), 7 juin 1649.
[339] Voir infra Troisième partie, II. 1.
SHD, A1 112 (n°351), Lettres patentes contenant don du Vicomté de Canet en Roussillon et toutes ses dépendances en faveur du Régent Fontanella avec le titre et dignité de vicomté pour lui et ses descendants (minute), avril 1649.
Transcription en ACA, Cancilleria, Intrusos 112 (fol.303v-305v). Lettres de noblesse à la même cote, fol.302-303.
[340] BNF, Français 4218 (fol.74v-84), Lettre de Marca à Le Tellier, 22 avril 1649. Voir édition : Document n°21.
[341] SANABRE, p. 449.
[342] SÉRÉ, La paix…, p. 177-
[343] Dietaris…, vol. VI, p. 1108-1109, A nos tres chers et bien amez les deputez generaux du principat de Catalongne, 25 septembre 1650.
[344] BNF, Français 4219 (fol.100-112v), Memoire sur les divisions de Catalogne et du remede qui s’y peut apporter, juillet 1650.
[345] AMAE, CP Espagne 31 (fol.79), Lettre de Fontanella à Servien (d’Arenys de Mar), 8 juillet 1651.
[346] AMAE, CP Espagne 30 (fol.610-613), Projet d’articles pour offrir la paix, décembre 1650. Une autre version en 10 articles se trouve aux folios 614-616v, datée du 30 décembre.
[347] SÉRÉ, La paix…, p. 186-200.
[348] Lettres de Fontanella à Servien : AMAE, CP Espagne 31 (fol.79), d’Arenys de Mar, 8 juillet 1651 ; (fol.82-83), de Piera, 16 juillet 1651 ; (fol.145), septembre 1651 ;
[349] AMAE, CP Espagne 31 (fol.186-186v), Lettre de Fontanella à Servien, 21 mars 1652.
[350] AMAE, CP Espagne 31 (fol.248), Lettre de Fontanella à Servien, 3 octobre 1652.
« El estado de esta Provincia […] el es tal, que si no somos socoridos promptamente, y Catalunya, y Rossellon, todo es perdido. Yo sr perdido esso, quedo cargado de familia, obligado a pedir la limosna de puerta en puerta, que me sujetara primero a esto, que a ajustarme con Espanÿa, que mi resolucion es de morir vassallo de Francia […] Acuerdome que V.Ex.a estando en Munster sobre algunos malos successos de Cath.a temiendo su perdida total, tuvo la bondad de consolarme dandome esperansas que podria tener algun empleo en Francia, la ocasion, que no vino entonces, se presenta agora supplico a V.Ex.a me favoresca si le parece puede haver camino para ello, yo no pido grandes cosas, sino solo con que pueda passar miserablemente mi vida con mi familia en un rincon, aunque sea sin ser conocido de nadie, que para quien ha vivido hasta agora con alguna estimacion, es grande mortificacion ».
[351] AMAE, CP Espagne 31 (fol.259-260), Lettre de Fontanella à Servien, 26 novembre 1652. « Esta estafeta he recebido una carta de un amigo tengo a la frontera de Francia, en que me escrive que mons.r de Neuillÿ havia hallado alguna buena alma, que le havia informado que yo estava ahun dudando, que partido tomaria, y que el, segun lo que dezia, lo havia crehido, esso es forsoso que sea, o sobra de malicia, o falta de juhisio, en quien se lo ha dicho, que quando no fuessen los empenyos que yo tengo dende los principios, y las obligaciones que reconosco a la Francia, ver que me he retirado en Rossellon, con mujer y familia, abandonando los bienes de casa de mis Padres, que son de alguna consideracion, podia desenganyar al mas ciego de passion (…). Para mi no hay sino un partido que es el del Rey, ni otra intencion que vivir y morir vassallo de Francia, y fuera yo muy loco, que siendo de los primeros que obramos por la Francia, y haviendolo siempre proseguido en diferentes emplehos, sin el ordinario de Regente, crehiera agora que los espanyoles que de su natural nunca perdonan, lo olvidarian todo, y quando fuera seguro de ser bien tratado, no soy de tal natural que supiesse olvidar las honras y beneficios que he recebido de la Francia, mi dezeo es establecerme en ella (…) ».
[352] SÉRÉ, La paix…, p. 202.
[353] SÉRÉ, La paix…, p. 161-166.
[354] Dans les versions antérieures à février 1647, l’article 18 avait le numéro 19 (voir infra 3) B)).
[355] D’après Recueil de tous les traitez accordez en l’Assemblée générale tenuë à Munster et Osnabruk en Westphalie pour la paix de la Chrestienté avec les noms et qualitez de tous les Ambassadeurs et Plenipotentiaires qui ont assisté à ladite Assemblee, 1650, p.153-154 : Traité et articles de paix entre les Couronnes de France et d’Espagne, exhibez à Munster par Monseigneur le Duc de Longueville et Messieurs les Comtes d’Avaux et Servient, Ambassadeurs et Plenipotentiaires du Roy Tres-Chrestien, ès années 1646 et 1647 ; et AN, K 1336. Voir aussi infra 3) B).
Par l’intitulé même donné par le livre de 1650, terminé par « ès années 1646 et 1647 », on voit que l’édition est sans doute d’un sérieux assez limité, puisqu’elle considère qu’il y a un seul texte pour 1646 et 1647 alors que, comme nous l’avons montré, de nombreuses versions ont existé d’un même texte au cours des négociations, de sorte que ce « même texte » pourrait finalement être considéré comme plusieurs textes différents…
[356] BOUGEANT, Guillaume Hyacinthe (P.), Histoire du traité de Westphalie ou des négociations qui se firent a Munster et a Osnabrug pour établir la paix entre toutes les puissances d’Europe, composée principalement sur les Mémoires de la Cour et des Plénipotentiaires de France, vol. 6, Paris, Didot, Nyon, Dammonneville, Savoye, 1751, vol. VI, livre IX, p. 54-55.
[357] Nous nous sommes basés sur la traduction française de 1684 :
VON KOGENHEIM, Johann, Histoire de l’Empire, contenant son origine; son progrés, ses revolutions, la forme de son gouvernement; sa politique; ses alliances, ses negotiations, et les nouveaux reglemens qui ont esté faits par les traitez de Westphalie. Divisé en deux parties., Paris, C. Barbin, 1684, « Traitez de paix conclu et signez a Munster et Osnabrug en Westphalie le 24. Octobre 1648 ».
Nous donnons une édition de la traduction française en regard du texte original en latin (Voir en annexe le Document n°47. Pour le texte latin : Acta Pacis Westphalicae. Hrsg. von der Nordrhein-Westfälischen Akademie der Wissenschaften in Verbindung mit der Vereinigung zur Erforschung der Neueren Geschichte e.V. durch Konrad Repgen. Serie III Abteilung B: Verhandlungsakten. Band 1: Die Friedensverträge mit Frankreich und Schweden. 1: Urkunden. Bearb. von Antje Oschmann. Münster 1998, 97-98.).
Les APW numérotent les articles du traité de Münster (IPM) en chiffres arabes, les articles du traité d’Osnabrück (IPO) en chiffres romains. Il ne nous est pas indispensable d’entrer dans le détail des différences entre versions de ces traités-là.
[358] Là encore nous nous basons sur la traduction française : CHIFFLET, Johannes Jacob, Recueil des Traictés de Confederation et d’Alliance entre la Couronne de France et les Princes et Estats estrangers, depuis l’an MDCXXI jusques à present, avec quelques autres pieces appartenantes à l’histoire, 1651, p. 409-412.
On trouvera le texte original (latin) en : Acta Pacis Westphalicae. Hrsg. von der Nordrhein-Westfälischen Akademie der Wissenschaften in Verbindung mit der Vereinigung zur Erforschung der Neueren Geschichte e.V. durch Konrad Repgen. Serie III Abteilung B: Verhandlungsakten. Band 1: Die Friedensverträge mit Frankreich und Schweden. 1: Urkunden. Bearb. von Antje Oschmann. Münster 1998, 3-4.
Voir en annexe : Document n°47
[359] SÉRÉ, La paix…., p. 207-223
[360] AMAE, CP Espagne 34 (fol.125-152), Instruction donnee a M. de Lionne s’en allant en Espagne, 1er juin 1656. La minute contenant de nombreux passages corrigés ou rédigés de la main d’Abel Servien est conservée aux folios 4 à 12v.
[361] APW II B 3/2, p. 952-961, Mémoire du Roy à Messieurs les Plénipotentiaires sur les affaires d’Espagne, 20 mai 1646. L’original de ce mémoire est en AMAE, CP Allemagne 76 (fol.396-406). Voir supra : Deuxième partie, III. 1
« Les diposer avec addresse et insensiblement à retourner soubs la puissance d’Espagne moyennant les précautions et les seuretez convenables, et oultre l’amnistie de tout le passé, la confirmation des privilèges et l’augmentation de ceux qu’ils pourroient raisonnablement prétendre ; on pourroit mesme stipuler que le roy d’Espagne seroit tenu de payer en argent dans certains temps les biens de quelques-uns qui peult-estre aymeroient mieux sortir du pays, et aller habiter en d’aultres endroictz »
[362] AMAE, CP Espagne 34 (fol.4-12v).
[363] AMAE, CP Espagne 34 (fol. 176-176v), Lettre de Servien à Mazarin, 5 juin 1656. Par cette lettre, Servien transmet au cardinal le projet d’instruction « que nous avons reformee suivant les ordres de V.E ».. Il lui transmet aussi les mémoires de Lionne qui expriment certains de ses doutes avant de partir pour l’Espagne…
[364] AMAE, CP Espagne 34 (fol.153-165), Articles de paix donnez a M. de Lyonne s’en allant en Espagne, pour les proposer suivant son instruction, juin 1656.
On trouve aussi un Projet de traité de paix entre la France et l’Espagne, du 9 juin 1656 (AMAE, CP Espagne 34, fol. 181-192v), qui semble aussi un état antérieur ou un brouillon du document cité ci-dessus.
[365] AMAE, CP Espagne 34 (fol.166-170v), Combien les relaschemens du roy pour avoir la paix sont estimables, s.d. (1656), de la main d’Hugues de Lionne.
[366] AMAE, CP Espagne 34 (fol.171-172v), Expediens qu’on pourroit pratiquer par degrez pour la Cataloigne estans une fois desespéré de pouvoir avoir la paix aux conditions arestées a Munster sur ce point la, s.d. (1656). « Si les ennemys avec un si grand advantage qu’on adjousterait aux autres pour conclurre la paix se tenoient fermement a n’y vouloir pas donner les mains sans la restitution entiere de la Catalogne non compris le Roussillon et que l’Estat present des affaires du Roy obligea Sa Majesté a a passer sur toutes leurs demandes pour avoir la paix, il semble que pour diminuer le prejudice que nous recevrions il faudroit sur toutes choses chercher des expediens par le moyen desquels les Espagnols d’un costé fussent asseurez d’avoir la Catalogne et nous de l’autre que les Catalans venans a avoir cognoissance de nostre relaschement ne prissent pas la resolution de faire leur paix a nos despens, parce que de cette sorte nous perdrions certainement cette principauté là et ne serions pas asseurez d’avoir la paix avec Espagne.
[…]
Il est vray qu’avant que donner les mains a ce parti, il faudroit avoir fait nos offres pour faire reussir celuy de mettre la Cataloigne non compris le Roussillon en Republique sous la protection des deux princes, ce qui seroit fort advantageux a l’Espagne parce que d’abord la France perd la principauté dont elle’est en possession, et on pourroit mesme se relascher que ladite Republique ne fut que sous la protection d’Espagne en luy payant mesme quelque redevance […] ».
Parmi les expédients possibles, mettre les places qui seront cédées à la France en échange de la Catalogne parmi la dot de l’infante, qu’on marierait à Louis XIV… Mais ce projet n’est pas nouveau.
[367] AMAE, CP Espagne 34 (fol.249-251v), Premiere conference du 5 juillet 1656, 5 juillet 1656.
[368] SÉRÉ, La paix…, p. 264.
[369] Voir Document n°49.